Saint Thomas Tuchel Virage

Saint Thomas

par

Durant ses six premiers mois sur le banc du Paris Saint-Germain,
Thomas Tuchel a plutôt eu le vent dans le dos et a convaincu
une grande partie des supporters et des observateurs.
Mais les premières bourrasques d’un vent contraire
commencent aussi à se faire sentir.
Simple perturbation passagère ou véritable tendance pour la suite de la saison ?
Je m’essaie à la prévision saisonnière.


Le moins que l’on puisse dire, c’est que personne n’avait anticipé, l’arrivée de l’Allemand à la suite d’Unaï Emery. On parlait de Conte, Mourinho, Pochettino, Luis Enrique… Tout le monde voulait un « Nom », un technicien reconnu, mais l’Emir Al-Thani avait un autre plan. Il a décidé de confier le navire parisien à l’ex de Dortmund, à la surprise générale. La tempête médiatique qui s’ensuivit fût d’une ampleur rarement atteinte pour un entraîneur, même pour les standards du PSG. Tuchel a d’abord été réduit à son palmarès famélique (1 Coupe d’Allemagne avec le BVB) et son expérience limitée (Augsbourg U19, Mayence, Dortmund).

D’emblée on a pu lire et entendre régulièrement que ce n’était pas lui qui allait « faire passer un cap » au PSG en Ligue des Champions. Comme si Sacchi et Cappello étaient nés avec une Coupe aux grandes oreilles dans les mains. Mais c’est sa personnalité qui cristallisait l’essentiel des critiques. Dictateur, caractériel, d’une rigueur extrême et d’une intransigeance à la limite du harcèlement… certains observateurs semblaient craindre que 2019 vienne s’ajouter à l’historique des différends avec nos voisins d’outre-Rhin, après 1870, 1914, 1939 et bien sûr 1982. A l’inverse, d’autres voyaient l’arrivée d’un fort caractère comme une aubaine. Les starlettes du vestiaire allaient enfin être mises au pas.

Si elle semble très exagérée, sa réputation de redoutable chef instructeur ne vient pas de nulle part. Ses expériences à Mayence et Dortmund se sont terminées par des conflits ouverts avec ses dirigeants malgré des résultats sportifs convaincants. Lors de son arrivée au PSG, les médias français ont cherché à en savoir plus. C’est ainsi que Heinz Müller, qui avait côtoyé Tuchel à Mayence, avait pour toute réponse souhaité bon courage au PSG lorsqu’il avait été interrogé sur son ancien coach. L’exigence de Tuchel n’est pas une légende, sa rigueur non plus. Mais elle est toujours au service d’un objectif collectif. Ce qui a valu au grand blond d’être associé à deux clichés très tenaces : la proverbiale rigueur germanique et la fameuse « Deutsche Qualität », slogan pénible s’il en est. Mais ce caractère bien trempé pourrait être une bénédiction pour le PSG. Tuchel exige une implication maximale de tout son effectif, de la star internationale au troisième gardien.

Saint Thomas Tuchel Virage

L’investissement personnel et l’amour de l’effort ne sont pas les points forts des joueurs de notre belle Ligue 1 Conforama. Cela promettait des frictions. Mais c’était oublier que le PSG n’a plus grand chose en commun avec les autres pensionnaires du championnat. Le club Bleu et Rouge a grandi au contact des Zlatan, Thiago Motta, Maxwell, Thiago Silva qui ont apporté avec eux le professionnalisme qu’ils avaient connu en Italie ou en Espagne. Et dès les premiers moments de la saison, l’adhésion des joueurs aux méthodes de l’Allemand a semblé être totale et inconditionnelle. Et celui-ci le leur rend bien.

Plus surprenant, on découvrait jour après jour un homme souriant, ouvert, jamais avare d’explications tactiques, un bon client pour la presse. Sa franchise séduisait l’auditoire. Son apprentissage ultra rapide de la langue de Molière lui valait des louanges et ringardisait à jamais Unaï Emery, objectivement moins doué pour les langues
vivantes et d’un naturel plus réservé. Ce qui ne retire rien au grand respect que mérite l’actuel coach d’Arsenal. Le point d’orgue de cette période de séduction arrivait en conférence de presse après la victoire parisienne lors du Trophée des Champions. Coach Thomas, poussé par ses joueurs, se lançait alors dans une interprétation a cappella du « Happy » de Pharrell Williams. Rafraîchissant, sympathique, drôle… Ok, mais niveau football ça donne quoi ?

Dans les grandes lignes, l’approche de Tuchel n’est pas très différente de celle d’Emery. Le jeu est porté vers l’avant, l’équipe joue haut, récupère haut également et, même si elle veut avoir la maîtrise du ballon, ne crache pas sur un jeu de transition rapide quand l’occasion se présente. Mais il y a tout de mêmes quelques différences majeures avec les deux saisons précédentes. D’abord au niveau de l’engagement et de l’intensité. Les consignes sont claires, à la perte du ballon le pressing doit être intense et parfaitement coordonné.

Tout le monde doit faire sa part du travail. Et à l’exception des quelques premières journées de championnat et du match aller à Liverpool où les Parisiens sont retombés dans leurs travers de sénateurs, la différence s’est vite faite sentir. Les plus réfractaires au travail défensif (Neymar et Mbappé) ont fini par s’y mettre, convaincus par le discours de leur coach. Même si le jeune Champion du Monde a du mal à cacher que ça l’emmerde, il faut bien le dire. Cette métamorphose de l’attitude et de l’état d’esprit de l’équipe est remarquable et atteste des qualités de meneur d’hommes de Tuchel, et aussi d’une grande finesse psychologique. Gérer le vestiaire du PSG n’est pas à la portée du premier venu.

L’autre grand changement apporté par notre technicien Teuton est la variété tactique. Blanc et Emery ne sortaient que très rarement du confort d’un 4-3-3 qui était certes très bien assimilé par les joueurs mais qui rendait le jeu trop stéréotypé et donc prévisible. Lolo avait bien tenté en désespoir de cause un 3-5-2 totalement improvisé contre City en 2016, avec le peu de réussite que l’on sait. J’en ai encore des sueurs froides. Emery avait lui voulu imposer le 4-2-3-1 avec Pastore en meneur de jeu, mais ses bonnes intentions se sont heurtées au refus d’une partie des cadres du vestiaire et à la fragilité musculaire du Flaco. Mais depuis cet été, c’est le festival hebdomadaire du schéma tactique. 4-2-3-1, 4-4-2, 3-4-1-2… ça bouge, ça cherche mais ça gagne. On ne sait jamais à l’avance quel va être le plan de jeu du PSG et c’est un avantage certain.

L’équipe devient un laboratoire d’ingénierie tactique, les supporters se régalent. Et même si depuis les premières expérimentations estivales une tendance semble se dégager avec un 3-4-1-2 en phase offensive, les adversaires doivent composer avec une réorganisation en 4-4-2 à la perte du ballon. C’est ce système mutant qui a eu raison de Liverpool au Parc des Princes et offert la première place du groupe de Ligue des Champions à Paris. A ce moment-là tout semblait fonctionner à merveille, pas un nuage à l’horizon et une saison de rêve se dessinait peu à peu dans nos esprits de supporters encore marqués au fer rouge par les tempêtes espagnoles de 2017 et 2018. Mais Paris sera toujours Paris… Et le PSG sans problème, c’est comme Jean-Michel Aulas de bonne foi, ça n’existe pas.

Saint Thomas Tuchel Virage

Pendant que ça roucoule sec entre Tuchel et ses joueurs, les premières perturbations se profilent en coulisses. L’UEFA resserre encore un peu plus son étreinte autour de la gorge de Nasser, au grand bonheur de ses fidèles amis Madrilènes, Barcelonais ou Bavarois. Le board parisien cherche la parade, contre-attaque devant le TAS, et s’engage par la même occasion dans une course d’endurance. En clair, le PSG n’aura pas encore les mains libres pour recruter à sa guise pendant le mercato hivernal. Et comme les emmerdes volent toujours en escadrille, c’est ensuite le dossier Rabiot qui est venu assombrir le ciel parisien. Des négociations qui n’aboutissent pas, des années de « je t’aime moi non plus » entre le Duc et son club formateur, une maman qui n’hésite pas à prendre les choses en main pour assurer l’avenir de son fils, un point de non-retour atteint avec le DS Antero Henrique…

Le dossier est pourri jusqu’à l’os et finalement le milieu de terrain est écarté du groupe après avoir annoncé qu’il ne prolongerait pas. Ce qui laisse le seul Marco Verratti comme milieu de métier à disposition de Tuchel. De quoi regretter amèrement le départ de Lo Celso et l’absence inexpliquée de Yacine Adli dans le groupe professionnel. La gestion de
ces deux cas est peut-être le plus grand reproche que l’on peut lui faire, même si nous ne connaissons jamais toutes les raisons qui guident un choix. Il va donc devoir encore bricoler avec Marquinhos, Draxler ou Alves au milieu. S’il y a bien une chose qu’il ne faut jamais sous-estimer au PSG, c’est son impressionnante propension à se créer des problèmes.

Avec un entre-jeu plus dépeuplé que le Stade Louis-II un soir de match, il devient urgent et indispensable de se renforcer durant le mercato de janvier. Henrique est à pied d’œuvre et va devoir trouver la perle rare avec un budget annoncé à 35 Millions. Les pistes se multiplient, 90% des milieux évoluant en Europe sont annoncés au PSG, même Clément Grenier et Yann Mvila. L’inquiétude gagne notre bon Saint Thomas qui ne croira Henrique que lorsque celui-ci lui aura apporté le joueur qu’il réclame depuis le mois de juillet. La situation entre les deux se tend avant de devenir explosive à mesure que la fin de la
fenêtre des transferts approche. En désespoir de cause, Henrique allonge 40 Millions (47 avec les bonus) pour engager Leandro Paredes.

Non seulement le Portugais a explosé le budget initial, mais ça lui aura pris un mois entier pour attirer un joueur que Tuchel avait placé sur sa shortlist. L’axe Germano-Portugais au sein du PSG ressort très fragilisé de ce mois de janvier. Le coach a la confiance des dirigeants (sauf peut-être celle de Henrique évidemment), mais cet épisode n’annonce rien de bon. Ces dernières semaines, la nervosité a gagné Tuchel et on peut le comprendre. Son attitude est plus crispée et il n’hésite pas à envoyer des piques à Henrique quand l’envie lui prend. Neymar est sur le carreau pour une dizaine de semaines. Verratti a lui aussi été blessé même s’il est revenu juste à temps pour affronter MU mais pas en totale possession de ses moyens. Puis Cavani s’est blessé à son tour en marquant un pénalty contre Bordeaux. Le sort s’acharnerait-il ? Peut-être un petit peu, oui.

Pour la première fois, Tuchel a semblé être dans le dur depuis quelques semaines. Dans une situation où son approche très méthodique du football est confrontée à ses propres limites, il doit faire face, sortir le navire de la tempête et mettre une bonne dose de pragmatisme dans sa formule. C’est ce que les dirigeants et les supporters attendent de lui. Sera-t-il l’homme de la situation ? Après le 1/8ème de finale aller remporté à Old Trafford, on peut être tenté de dire oui. Que ce soit tactiquement ou dans l’état d’esprit, Paris a signé un match très sérieux sans forcément être transcendant. Mais sans deux de ses meilleurs joueurs et un autre à bout de forces après 60 minutes, la performance est à prendre au sérieux.

Bien sûr ce n’était que le match aller et nous avons appris très durement à ne pas trop nous projeter avant d’avoir joué le match retour. La confirmation de tout ce que l’on a vu depuis l’été passera évidemment par une qualification en 1/4 de finale de Ligue des Champions, sans quoi le bilan serait moins bon que celui d’Emery la saison passée. Si c’était le cas, la créativité tactique et les accolades avec les joueurs seraient instantanément oubliées et rien, pas même une chanson de Pharrell, ne pourrait sauver l’Allemand aux yeux des supporters, toujours plus exigeants. Alors, les difficultés des dernières semaines étaient-elles de simples giboulées hivernales ou la promesse d’un ouragan dévastateur ? L’avenir très proche nous le dira. Le football, tout comme la météo, n’est pas une science exacte. Mais la copie très sérieuse rendue face à Manchester United atteste d’une grande confiance mutuelle entre les joueurs et leur coach. Tous sont dithyrambiques à son sujet, ce qui n’était pas le cas avec Emery. On voit des signes où l’on peut, mais j’ai envie de voir celui-ci comme annonciateur d’un printemps ensoleillé.

Crédits photo (c) Panoramic


Café Crème et Sombrero

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