Salauds et enculés,
tous unis contre la discrimination !

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Dans la soirée du 16 août dernier aux abords de Nancy, dans l’enceinte du Stade Marcel Picot, naissait une polémique inattendue qui a occupé le monde du football ces dernières semaines. Les supporters seraient-ils homophobes ?


Si la question a de quoi surprendre, elle s’est posée suite aux chants au langage fleuri qui résonnent dans les tribunes de France, pas seulement à Nancy. Pour tenter de mieux comprendre, il faut revenir en mars 2019 lorsque Madame la Ministre des Sports, Roxana Maracineanu, s’était émue du caractère homophobe de certains chants lors du dernier PSG – OM au Parc des Princes. Un peu plus tard, en avril, c’est le match de Ligue 2 entre le RC Lens et Valenciennes qui faisait office d’acte 2. Le collectif Rouge Direct, qui lutte contre l’homophobie dans les stades, mettait en demeure la LFP de prendre des sanctions contre un membre des Red Tigers (ultras du RC Lens) qui avait lancé un chant jugé homophobe. Demande entendue. Sans entrer dans les détails, le supporter en question a vu s’abattre sur lui une somme de problèmes qu’il n’aurait jamais pu imaginer. Quelques mois plus tard, acte 3, nous voici en août à Nancy. Vous connaissez la suite, les banderoles et les interruptions de match. L’emballement médiatique a propulsé le débat au premier plan. Entre accusations, exigences, provocations et réactions épidermiques, le sujet tournait en rond et finissait par lasser tout le monde. Y compris Noël Le Graët, dépassé par les évènements et jamais économe d’une bonne connerie. Pourtant il y a beaucoup plus à dire. Le traitement proposé par la grande majorité des médias était tel que l’on avait deux camps face à face : les salauds de supporters contre ces enculés du lobby gay. Je force un peu le trait, mais c’est pour la bonne cause. Ou plutôt deux bonnes causes, celles des supporters et des homosexuels.

Étant un homosexuel qui a le courage d’avouer sa passion pour le ballon rond, je me suis dit que je tenais là une bonne occasion d’entendre différents points de vue sur le sujet. J’ai contacté Foot Ensemble, Rouge Direct et les Panamboyz & Girlz United, tous actifs dans la lutte contre l’homophobie dans le football. Je n’ai eu aucun mal à recueillir leurs propos, ils ont tous trouvé un peu de temps à m’accorder malgré un agenda médiatique bien chargé. Mais je voulais absolument recueillir aussi le point de vue des supporters. Et là, ça a été plus compliqué. La méfiance était de mise. Après s’être vus accusés d’homophobie du jour au lendemain, je peux les comprendre. Mon insignifiante notoriété n’était pas de taille à lever les doutes. Certains groupes que j’ai contactés ont poliment décliné ma proposition malgré mon approche digne de la plus haute diplomatie. D’autres n’ont tout simplement pas répondu. Je n’avais donc que ma persévérance et mon envie de bien faire, et heureusement j’ai fini par trouver des volontaires pour répondre à mes questions. Il me semblait en effet difficile de cerner tout le problème sans faire les efforts nécessaires pour mieux connaître les ultras. Il est pénible pour eux de se voir trop souvent assimilés à des abrutis violents, homophobes, racistes, alcooliques, par des personnes qui ne connaissent rien à leur mouvement. De la même manière, c’est lassant pour les homosexuels d’entendre qu’ils ne devraient pas prendre ombrage de quelques insultes plus maladroites que mal intentionnées, surtout quand ce conseil vient de personnes qui ne souffrent pas de l’homophobie ordinaire.

Du côté LGBT, la principale revendication est claire : en finir avec les insultes homophobes dans les tribunes. Ces insultes sont une réalité dans tous les stades, ce n’est pas une vue de l’esprit. Les rivaux historiques sont généralement des « pédés ». Lyon et Saint Etienne, Lens et Valenciennes, Paris et Marseille, Nancy et Metz… les exemples sont nombreux. Le constat étant fait, il reste à se mettre d’accord sur la marche à suivre. Au départ, il fallait surtout mettre le problème sur la place publique. Et les options choisies ont été multiples. Le collectif Rouge Direct a choisi la voie judiciaire, comme je l’ai expliqué plus haut. Un jeune capo des Red Tigers a payé très cher pour apprendre. Le problème avec cette action radicale, c’est qu’elle a voulu faire un exemple mais qu’il était très mal choisi. Les Red Tigers ont soutenu à plusieurs reprises les actions de l’association Le Refuge à Lille, qui accueille les jeunes gays et lesbiens en difficulté. Au niveau de la clarté du message, on a connu plus pertinent. Et pour la valeur pédagogique de l’action également. Une approche a été choisie par les autres acteurs LGBT. Yoann Lemaire, président de Foot Ensemble, avait lui déjà fait beaucoup pour médiatiser la situation avec son film « Foot et Homo, au cœur du tabou ». Ce qui lui a valu d’être convié à une réunion de la LFP avec l’Association Nationale des Supporters aux côtés d’autres acteurs LGBT comme les Panamboyz ou SOS Homophobie. La LFP, en la personne de sa présidente Nathalie Boy De La Tour, ne fuit pas ses responsabilités. Sa volonté d’en finir avec l’homophobie dans le foot est assumée et ne
date pas des débuts de la polémique. De l’aveu même de Yoann Lemaire, l’interruption des matchs était plutôt un choix stratégique pour que le problème ne puisse plus être ignoré. Et la réunion du mois dernier a permis à tout le monde d’échanger de manière directe, sans filtre, pour au final amorcer un rapprochement que j’espère durable. De là à en finir avec l’homophobie, il y a un gouffre, évidemment. On n’éradiquera pas la connerie même avec toute la bonne volonté du monde. Mais on peut au moins essayer de gagner un peu de terrain. Le dialogue doit absolument être maintenu puis converti en actions. La prévention reste incontournable, à condition qu’elle aille un peu plus loin qu’un simple livret d’information. Elle doit faire l’objet d’un suivi rigoureux et s’organiser de manière transparente entre les instances (Ministère, FFF, LFP), les clubs et les supporters. Ces actions seraient également les bienvenues dans les centres de formation où l’homophobie est aussi bien présente. Il s’agit là surtout d’un problème d’éducation, mais les centres de formation sont aussi demandeurs de réponses à apporter sur ce sujet. C’était le cas à Marseille et Lyon, qui n’ont pas hésité à faire appel à l’aide des Panamboyz pour sensibiliser les jeunes joueurs. Ce qui ressort des différentes discussions que j’ai pu avoir avec ces militants, c’est qu’ils ne sont les ennemis ni des supporters ni du football.

Venons-en aux supporters, justement. La polémique a pris tout le monde par surprise. Personne n’a été prévenu. Et alors qu’ils sont eux-mêmes victimes d’une discrimination organisée, ils se sont vus accusés d’homophobie. Sans discussion, sans préalable, juste sur la foi de chants qui n’ont pas été inventés cet été. Si l’on veut faire évoluer les mentalités, il faut dialoguer avant de sanctionner. Et même si je ne vois aucun intérêt à défendre bec et ongles le droit d’insulter un rival en stigmatisant toute une communauté, je comprends parfaitement que l’accueil réservé à la décision de la LFP d’interrompre les matchs ait été houleux. Parmi les supporters que j’ai interrogés, quelques points reviennent avec insistance. Les tribunes ne doivent pas servir de laboratoire social au gouvernement. Elles sont le reflet de la société. Les ultras n’ont pas à se justifier à chaque fois qu’on les accuse de quelque chose. Des arguments qui peuvent s’entendre, pour peu qu’on soit prêt à réfléchir et dialoguer. Comme évoqué précédemment, les médias ont majoritairement pris parti pour la cause homosexuelle. Ce qui ne me poserait pas de problème s’ils avaient été un peu plus honnêtes et objectifs à propos des supporters. Cela pourrait vous surprendre, mais la base du journalisme reste toujours la recherche de l’objectivité. J’en ai vu très peu. Un détail est particulièrement révélateur. Le premier match interrompu était Nancy – Le Mans, dans la soirée du 16 août. Toute la France médiatique a relayé l’information en temps réel. Pourtant aucun média n’a tenté de joindre les représentants du Saturday FC, le groupe ultra de Nancy, directement mis en cause. Il aura fallu attendre le lendemain à midi pour qu’une rédaction prenne la peine de contacter leur porte-parole. Mais la bombe avait déjà explosé, trop tard pour se faire entendre de manière efficace.

Revenons-en à la question du moment, les ultras sont-ils homophobes ou non ? J’espère que vous êtes bien assis car j’ai une révélation incroyable à vous faire. Il y a effectivement des personnes homophobes dans les virages. Mais après une enquête minutieuse, il s’avère qu’il y en a partout ailleurs. Dans les entreprises, dans les partis politiques, dans les administrations, au café du coin et peut-être même dans votre famille. Le but n’est pas de minimiser le problème, sinon je n’aurais pas pris la peine d’écrire cet article. Mais si j’ai déjà essuyé des insultes en abordant le sujet sur les réseaux sociaux, je garde à l’esprit que cela concerne une minorité de supporters. Une minorité très conne, aussi bruyante qu’irrécupérable, mais une minorité quand même. Exactement comme dans la société en général. Pour les membres de cette triste minorité qui appartiennent à des groupes ultras, il serait bienvenu que les groupes en question s’occupent du problème. Pour leur propre tranquillité en premier lieu. Quelques brebis galeuses ternissent très vite la réputation de tout le troupeau. Cela peut passer pour une demande de se justifier. Mais ça pourrait surtout éviter quelques situations ubuesques comme celle qu’a connue le Saturday FC à Nancy. Le virage où ils ont leurs habitudes a été sanctionné d’une fermeture pour un match après les fameux chants à destination du voisin Messin. Leur groupe compte plusieurs homosexuels qui ont donc été privés de stade au motif de la lutte contre l’homophobie. Et cela ne doit pas être un cas isolé.

Une autre manière de lever les doutes sans aucune ambiguïté : une banderole ou un tifo en soutien à la communauté LGBT. C’est le choix qu’ont fait les Ultramarines à Bordeaux. Un message clair et net, qui a permis de recentrer leur message autour de la discrimination dont souffrent les ultras. En plus des interdictions de craquer des fumigènes, de se déplacer librement voire même d’aller au stade, ils seraient devenus homophobes par la grâce de quelques tweets un soir d’été. Aucune avancée sur le sujet de l’homophobie dans le foot ne sera possible tant que l’on continuera à traiter les ultras comme des criminels. Et comme l’ont souligné quasiment unanimement les personnes avec qui j’ai pu parler, l’homophobie est certainement bien plus présente dans les vestiaires que dans les tribunes. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. James Rophe, ancien membre de l’ANS, regrette ainsi que les projets lancés au sein de l’Instance Nationale du Supportérisme n’aient pas été repris en main depuis l’arrivée de Mme Maracineanu. Des propositions concrètes pour lutter contre toutes les formes de discrimination avaient été faites mais aucune décision n’a été prise. Si Mme la Ministre veut réellement endiguer le phénomène comme elle l’a affirmé, reprendre le travail qui avait déjà été entamé ne serait pas une mauvaise idée.

Les personnes de bonne volonté ne manquent pas pour tenter de faire évoluer les choses et la réunion du 11 septembre a permis à tout le monde de mieux se comprendre. Les interruptions de match n’étaient pas la solution, et on peut espérer un peu plus de sérénité et d’efficacité maintenant qu’un calme relatif est revenu. J’espère que les ultras prendront conscience qu’il est de leur responsabilité de mieux choisir leurs mots, sans quoi le problème demeurera. J’espère aussi que tout le monde comprendra que les ultras ont les mêmes droits que n’importe qui. Si les salauds et les enculés avancent ensemble dans la même direction, c’est la connerie qui reculera. Et peut-être qu’avec un peu de chance on pourra de nouveau se concentrer pleinement sur le rectangle vert. Sans toutefois oublier que le football, le sport le plus populaire au monde, ne peut plus se contenter de détourner le regard pour ignorer la réalité qui l’entoure.


Café Crème et Sombrero

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