Cher Lionel, nous, supporters dissidents et amoureux du Paris Saint-Germain (1970-2010), te demandons ton aide et plaçons notre foi en ton génie. Il y a 20 jours, tu as foulé la pelouse d’un stade sacrifié et d’un club usurpé. Puisses-tu, au retour de ce huitième, nous apporter le parfum de vengeance, la jouissance de l’humiliation.
Sur toi nous comptons plus que sur le cannibale et le boys band qui t’accompagnent. Dans un monde idéal, touché par la grâce, tu en planterais 4, en donnerais 3. Dont un, ô combien symbolique, pour ce bon Lucas Digne. L’humiliation serait telle qu’elle provoquerait colère et remue-ménages jusqu’au palais princier. Le mauvais impact marketing plus que la déception romantique. Al Thani commencerait à douter, les footix à déserter. Une honte que le foot business ne saurait accepter, et dont il saurait encore moins se remettre.
La dérision virale, les sarcasmes répétés, l’atteinte durable à l’image effraieraient le client. Et dans quelques mois, n’arrivant pas à relancer la machine économique, voyant les stocks de maillots s’accumuler dans les entrepôts asiatiques et américains… Al Thani demanderait à Al-Sayed et Al-Khelaïfi de préparer la vente du club. En 90 minutes, cher Lionel, tu accomplirais ce que la dissidence que nous formons mettra des mois voire des années à réaliser. Rien qu’avec une balle. Quel comble pour QSI…le génie sportif et artistique boutant hors du Parc les fossoyeurs de ce club, aussi désintéressés du jeu qu’apôtres d‘un foot-spectacle aseptisé pour consommateurs aveuglés…
Nous comprenons bien que le collectif que tu as magnifié durant tant d’années n’est plus aussi rôdé qu’il a pu l’être, avons conscience que ton lieutenant Andrés commence peut-être à fatiguer…. Mais nous pensons aussi que tu n’as pas montré toute l’étendue de ton talent à l’aller, que tu aurais pu mieux faire. Nous croyons donc toujours en toi pour terrasser l’imposture qui nous prive de notre passion. Néanmoins, nous concevons qu’après avoir côtoyé les sommets si longuement, les motivations sportives puissent s’effriter et qu’une certaine usure mentale puisse te gagner. Laisses-nous donc te donner d’autres raisons d’exceller. Laisses-nous t’expliquer ce que tu défendrais à travers la mission que la dissidence parisienne souhaite te confier.
La rencontre entre deux logiques
Toi qui es né en Argentine, qui évolues depuis très jeune en Espagne, sais que le football est un sport qui dépasse largement le cadre sportif, c’est un fait social comme on dit. En plus d’être une entité sportive et économique, un club de foot recouvre donc aussi une dimension culturelle : une histoire, des supporters, des couleurs, des symboles… Il ne peut être considéré comme un produit qui s’affranchirait de l’affect, de la passion et de la mémoire. La logique des propriétaires et dirigeants qui ont kidnappé notre club est peu romantique et rejetable en soi dans la mesure où, obnubilée par le profit et le tout marketing, elle en vient à dédaigner l’histoire et à entrevoir un objet culturel uniquement comme un vecteur de valorisation économique.
Mais, rejetable, elle l’est encore plus parce qu’elle s’applique à un club de foot, qui plus est un club attisant les passions et la ferveur comme l’était l’ex-PSG, comme l’est Lens, St-Etienne…. Car il s’agit là de la rencontre entre deux logiques, deux systèmes de valeurs différents et difficilement acceptable l’un pour l’autre : l’attrait d’un public plus aisé, discipliné et contrôlable contre le brassage social, l’indépendance et la liberté supportériste ; un public docile et gavé contre le droit à la critique et à la revendication ; la consommation contre la ferveur immatérielle. Vois-tu Lionel, nous ne sommes pas opposés à la rationalité économique : tout supporter souhaite que son club soit bien géré. Le problème intervient lorsque l’aspiration au contrôle social et les visées économiques – parfois sous-couvert d’impératifs sécuritaires – surpassent tout et entraînent les pires excès : fichage illégal, mesures arbitraires et discriminatoires, atteinte à la liberté d’expression, tarifs inaccessibles, surexploitation markéting, disneysation du club, appropriation commerciale exclusive et illégitime du patrimoine culturel et supportériste, etc…
En outre, tu dois aussi savoir Lionel, que ce n’est pas seulement nos fossoyeurs que tu punirais en brillant demain soir. Nous condamnons et rejetons QSI, EL-Khelaïfi et l’équipe dirigeante actuelle car ils ne respectent pas les droits des supporters et sont les orchestrateurs des mutations dramatiques qui ont contribué à dénaturer notre club et notre stade. Mais ils ne font malheureusement que s’inscrire dans une évolution plus globale du foot moderne. Celle où les mesures dîtes sécuritaires s’avèrent rapidement être des instruments au service d’ambitions avant tout économiques. Celle où la sélection du public se fait par l’argent – parfois la discrimination – , et tant pis si le supporter de banlieue HLM sans histoire n’a plus les moyens de venir. Il aurait de toute façon encore moins eu le portefeuille pour acheter les chaussons PSG collection hiver, la peluche Germain…
Le public n’aime pas la contradiction
Toi qui possèdes le charisme d’une huître, tu changerais de dimension en t’attaquant à QSI et à ce football moderne affadissant et des-humanisant. Celui où le stade devient une vitrine publicitaire géante qui doit rapporter à tout prix, un centre commercial connecté afin que les consommateurs que nous sommes puissent se mettre en scène ou se divertir au cas où ils trouveraient le spectacle peu à leur goût. Dans ce foot moderne, le stade doit aussi attirer les touristes, les maillots doivent être vendus dans tout le pays, et, mieux encore, sur tous les continents. Gloire aux footix. Il y a quelques semaines, alors que nous marchions près de notre ancien Parc, nous observions nombre de touristes français et étrangers sortir surchargés de la boutique PSG, enchaîner les selfies devant les tribunes… Nous sommes involontairement et égoïstement gênés. Nous leur en voulons de leur en vouloir. Ces touristes ne font rien de mal. Mais, pour la plupart, où est la passion ? Où est la connaissance de l’histoire du club ? Connaissent-ils ne serait-ce que Valdo, Pauleta, Dahleb ? Savent-ils qu’autrefois un Kop et un Virage ont fait la gloire de ce stade ? Doit-on les informer qu’un maillot de Stéphane Pichot vaut bien plus que celui d’Ibra ?
Bon ok Lionel, nous admettons qu’il y a comme une contradiction, un certain frein à cette nouvelle stature de héros justicier dans le sens où ton club et ton stade sont aussi pourris que les nôtres du point de vue de ce que nous venons d’énoncer. Mais ne t’en fais pas, le public n’aime pas la contradiction, la nuance. Il n’y verra que du feu. Et puis, nous ne doutons pas que tu seras à bloc et prêt à rayonner sur ce jeu que tu domines si l’on te dit qu’exploser ce pseudo PSG provoquera chez nous euphorie et plénitude, que cela t’adjugera une place toute particulière dans notre petit cœur triste et amère. Pour nous qui avons perdu notre lieu de culte, tu redonnerais ainsi un peu de foi, ré-enchanterais un peu notre monde.
Car la logique QSI et les changements qu’elle a causés sont en effet d’autant plus dramatiques qu’ils s’expriment dans ce lieu sacré qu’est le stade de foot. Pour nous autres, le Parc a longtemps constitué un refuge contre certaines évolutions sociétales, faisant perdurer des valeurs et processus en voie de disparition par ailleurs : mixité sociale, culturelle, esprit critique, artisanat (si si), collectivité, loyauté, intensité du moment présent. Le Parc n’était pas un lieu où l’on allait parce ce qu’on en avait vaguement entendu parler, parce que c’était branché, parce que mettre une vidéo de soi en tribunes sur les réseaux sociaux vous faisait gagner 50 amis imaginaires.
Le stade de foot n’est qu’un reflet
Non, on allait au Parc parce que l’on aimait, parce qu’on était passionné, sans arrière-pensée. La plongée communiante, jouissive et totale dans l’instant présent plutôt que le calcul horriblement égocentrique d’un selfie où le terrain et le stade ne constituent qu’un arrière-plan, un décor de valorisation narcissique. A ce paraître répugnant, nous préférons l’authenticité de notre Parc des Princes. Là où peu importait que celui avec lequel on fraternise soit beau ou moche, riche ou pauvre, qu’il ait passé la journée au comptoir, qu’il soit ringard, « qu’il sente le bédo, le renfermé ». Celui où l’appartenance et la ferveur collective dépassent tout.
Cependant, ne soyons pas nombrilistes à notre tour. Le stade de foot n’est qu’un reflet des changements sociétaux à l’œuvre, et s’il en est peut-être la victime la plus tragique, il n’en est surement pas la seule. J’ai lu, il y a longtemps, qu’en sélection Tévez t’avait fait découvrir et aimer OASIS. As-tu déjà assisté récemment, au concert d’un groupe de rock un tant soit peu médiatisé ? L’expérience est désolante. Le public se prend en photo et filme pour faire savoir qu’il y était plus que pour son souvenir personnel, il applaudit parce qu’il le faut, il râle à la moindre bousculade, se plaint de la sueur que vous lui projetez en secouant la tête un peu trop ardemment… Il vient au concert comme il va voir un blockbuster au ciné, pour se divertir plus que pour aimer et vibrer.
En ce sens, on pourrait presque affirmer que les dirigeants qui ont pris en otage notre club ne sont pas complètement responsables : ils ne font qu’exploiter pleinement ces mutations sociétales qui donnent la priorité à l’image, à la consommation, au divertissement permanent, à l’assouvissement instantané et suffisant. On pourrait presque affirmer qu’ils ne sont que des hommes d’affaires opportunistes profitant du manque d’exigence, d’idéalisme et de révolte de la société. On pourrait… mais nous ne le ferons pas. Car ces dirigeants ne font pas qu’exploiter ce que nous considérons comme des dérives affligeantes de la société moderne. Ils créent les conditions idéales à leur épanouissement, les valorisent et les accélèrent. En même temps, pourquoi feraient-ils l’inverse : l’image et la consommation hébétée rapportent bien plus que la ferveur et la contestation.
Ces derniers îlots collectifs d’authenticité
Le PSG-post 2010 n’est pas seulement dramatique parce qu’il n’est plus le PSG et qu’il nous oblige à mettre en sommeil notre passion. Il l’est aussi parce qu’il enterre un stade qui constituait l’un de ces derniers îlots collectifs d’authenticité et d’idéalisme. Un lieu qui n’était pas encore complètement submergé par la recherche exclusive et liberticide du profit. Un abri romantique où l’homme n’est pas qu’un consommateur creux et narcissique, où le voisin de tribune est lui aussi amoureux et passionné. Ne te méprends pas, Il ne s’agit pas ici de présenter une vision idyllique, angélique de notre Parc des Princes. Tout ne fonctionnait pas bien, loin de là. Des choses étaient condamnables, détestables, et devaient changer. Mais il n’empêche, sans être parfait, c’était quand même bien mieux. Et on ne saurait nous faire croire que certaines des évolutions du Parc sous QSI répondent à de malheureuses nécessités sécuritaires.
De même, Il serait naïf et trop facile d’imputer les abus et illégalités de la politique menée envers certains supporters aux seules dérives autoritaires d’un directeur de la sécurité qui agirait en solo. Le président de cette chose qui se fait appeler Paris SG, tout aussi pantin qu’il puisse être, sait très bien ce qui se passe dans son club aujourd’hui, comme il l’a toujours su au cours de ces dernières années. Nous ne sommes pas dupes, et mieux encore, nous n’oublions rien. La rancune et la revendication ne peuvent s’adoucir tant que les auteurs des injustices commises ne se sont pas retirés…
Brave Lionel… A la lecture de cette lettre, tu trouveras peut-être que nous sommes un peu reac’. Et bien tu n’as pas tort, nous le sommes. Mais nous assumons. Nous ne sommes pas réac’ par idéologie, par systématisme. Une multitude de progrès modernes doivent être appréciés et loués dans bien d’autres pans de la société. Mais parfois on peut aussi s’arrêter et observer que certaines choses étaient simplement mieux avant. Alors nous sommes peut-être un brin aigris, on te l’accorde. Mais n’avons-nous pas de bonnes raisons de l’être ? Et après tout, l’aigreur n’est-t-elle provoquée par ce qui caille, par ce qui pourrit ? Devons-nous renoncer et arrêter de dénoncer, de nous battre, sous-prétexte « qu’ainsi va le foot moderne » et qu’on ne pourrait rien y faire ? Un constat cynique ne peut servir d’excuse pour tolérer l’inacceptable et éviter de se bouger. Et bordel, depuis quand doit-t-on espérer pour entreprendre ?
Nous préférons Aliou Cissé et la ferveur
Un autre argument que tu pourrais entendre consistera à balancer que ne sommes que des pisse-froids, jamais satisfaits, que nous ne savons pas ce que nous voulons. Que QSI est une chance. Que pour être compétitifs au plus haut niveau, il faut des propriétaires riches et prêts à investir ; que pour intéresser ce type de propriétaires, il faut un club bien propre qui puisse s’exporter à l’international, qui puisse être vendu worldwide, un stade bon enfant et sans fronde, qui puisse attirer le touriste et le consommateur aisé au détriment des franges les moins favorisées. Si tant est que cela soit vrai, vérifié en permanence. Que le succès sportif passe nécessairement par ces compromis… Alors dans ce cas, il ne peut être assené aux dissidents d’ignorer ce qu’ils veulent ou de tout vouloir : nous choisissons sans hésiter le milieu de tableau, l’approximation technique, la médiocrité footballistique, la crise de novembre, les taupes, la coupe de la ligue, nous optons pour le supportérisme populaire, nous préférons Aliou Cissé et la ferveur, nous préférons l’indépendance et la liberté.
Et pourtant, enfin débarrassée de son caïd de récrée suédois, cette équipe de football est belle. Cet uruguayen fou et passionné chevauchant aux quatre coins du terrain, ce Laurent Leroy des terres australes aurait davantage eu sa place dans notre stade. Il aurait mérité mieux que la versatilité ignorante et gâtée d’une partie de ceux qui aujourd’hui l’acclament.
Oui, cette équipe est belle…Mais ce club n’est pas le PSG, ce stade n’est plus le Parc des princes. Les noms demeurent mais ils sont vides et insignifiants. L’âme a été volée, le blason marketé, la mémoire méprisée… Et dire qu’aujourd’hui encore, ces destructeurs de culture et de liberté, ces cyniques économiques possèdent et dirigent tranquillement l’ex-institution qu’ils ont bafouée et dont ils ne seront jamais dignes…. Alors Léo, sois sympa et fais nous-rêver. Défonce-les.
Supporters parisiens dissidents – Paris SG (1970-2010)