Le sujet est douloureux. Prenons donc de la hauteur, ne restons pas coincés sous la ceinture. Ouvrons-nous, si ce n’est l’arrière-train, au moins l’esprit. L’éradication de la culture populaire du football au sein des tribunes les plus actives est en marche, mais des alternatives sont certainement possibles. Il suffit de se pencher pour les voir, mais faut-il encore le vouloir. Arrêtons de sortir la tapette à supporteurs,
et instaurons un dialogue constructif, à défaut d’être courtois.
Enculé-ée (nom) : Terme injurieux pour marquer le mépris que l’on a de quelqu’un. Enculer (verbe transitif) : Pratiquer sur quelqu’un le coït anal, sodomiser. Ces définitions sont extraites du dictionnaire Larousse, précisant préalablement que le lexique employé est à qualifier de vulgaire. Il n’y est pas fait mention d’une quelconque homophobie avérée, mais il est convenu que ce terme est régulièrement utilisé dans le langage usuel comme une injure stigmatisant les pratiques sexuelles d’hommes gays. Toutefois, régulièrement et largement ne signifie pas systématiquement et incontestablement.
Arrêtons les postures. Des deux côtés du terrain. Non, mesdames et messieurs les Ministres et Secrétaires d’Etat, « On t’encule » n’est pas uniquement une phrase homophobe, mais une pratique totalement assumée par un grand nombre de couples hétérosexuels. Non, messieurs et mesdames les supporteurs, « les marseillais sont des pédés », chant qui résonne parfois dans nos travées, n’est pas une phrase au sens anodin. Même si le message chanté collectivement à l’unisson d’une tribune n’est pas volontairement et individuellement homophobe, le sens sous-entendu de ces paroles peut évidemment prêter à confusion. Arrêtons de toute part les hypocrisies et les tentatives d’échappatoires. Les deux sujets homophobie et ultraphobie sont trop sérieux pour être laissés au monopole des médias sensationnalistes, des politiciens opportunistes, et des supporteurs les plus intransigeants.
La stigmatisation et la répression à outrance comme pain quotidien ? Sur ce plan là, les supporteurs n’ont rien à envier à d’autres groupes discriminés. L’acharnement des politiques et des décideurs divers n’a d’équivalence que leur méconnaissance de leurs dossiers et leur empressement à les résoudre sans discernement préalable. Il semble aujourd’hui en France que la libre circulation de leur pensée unique et obtuse est plus aisée que la libre circulation de certains de leurs citoyens, ces hommes et femmes de seconde zone que nous appelons « supporteurs de football ».
Pénétrons notre sujet en profondeur, au lieu de le tutoyer vulgairement sans le considérer convenablement. Puisque le dialogue entre autorités bien-pensantes et le bas peuple semble difficile, voire impossible, passons par la porte de derrière et amenons le propos sur un plan historique, du passé, au présent, et pour construire notre futur. Pointons des considérations sociales et comportementales, autres que de simples caricatures d’homophobes, qui il faut bien l’avouer sont stériles et oserai-je le terme, diffamatoires.
La première interrogation est de comprendre pourquoi des chants pouvant être connotés comme homophobes sont légions dans nos stades ? Dès le XIXème siècle la pratique sportive fut encouragée et considérée comme un élément indispensable de l’éducation en général et de l’épanouissement physique en particulier. Le culte du corps, la recherche de la performance, la preuve de la virilité, le tout promu comme une affirmation individuelle et collective. Des hommes forts feront de bons maris, et si guerre il y a, de braves soldats. L’homme à l’orientation homosexuelle est dans ce contexte parfois marginalisé et moqué. L’homophobie est sous-jacente, ouvertement volontaire ou sournoisement dissimulée. En parallèle le sport de haut niveau est devenu un spectacle, d’abord de foire avant d’être de salon. Les spectateurs y expriment leur partialité. Ils sont avides de domination, territoriale et physique. En résumé à ces différentes données historiques, on peut dire que l’autorité et la puissance masculine était alors prônée comme pilier de la société.
Les temps changent. La période actuelle est plus féminine, si ce n’est dans les faits, du moins dans les esprits. Les mœurs, les comportements et les discours se féminisent. La virilité masculine est remise en cause. Elle se cache parfois. Elle exulte d’autre fois. Elle est bien souvent surjouée. Il n’est pas surprenant dans ce contexte qu’elle cherche à s’exprimer de façon ostentatoire. Les stades représentent pour cela un sanctuaire idéal, et jusqu’à peu, quasiment préservé. Le supporteur de base n’est pas homophobe. Il se veut viril et agit de façon primaire, dans cette tribune qui lui sert d’exutoire. Il ne s’encombre pas de faux-semblants. Il s’exclame avec grivoiserie et grossièreté. Il s’exprime au premier degré mais assume plus vraisemblablement le second. Là est sa seule ambiguïté.
Ce débat sur l’homophobie dans les stades ne doit pas et ne peut pas être discuté sur l’unique prisme de l’anti-homosexualité. D’une part car cela serait réducteur et peu utile, hormis pour que nos politiciens gagnent quelques points dans les sondages, et surtout parce que ce sujet fait partie d’un ensemble plus large aux enjeux économiques et sociétales bien plus impactants : la transformation des stades en enceinte ultramoderne et aseptisée, miroir des villes et des pays dans lesquels ils s’insèrent. Le sport n’est plus le simple défouloir des masses populaires, il est devenu un spectacle à destination des familles consommatrices dans lequel toute aspérité doit être retirée. L’inspiration contemporaine se veut propre, tendance et cosy. Le discours se certifie bio, la façon de penser et d’agir éco-responsable. Le tri sélectif est à la mode. Les supporteurs n’échappent pas au grand nettoyage. Ils en sont même les cobayes, les premières victimes, les précurseurs des lois restrictives et liberticides.
Hier les supporteurs, aujourd’hui les migrants ou les manifestants, qui seront les prochains ? Ma digression peut surprendre. Beaucoup la trouveront exagérée et ridicule, elle n’est pourtant pas si absurde. Pour celui qui veut bien ouvrir les yeux et sortir de la tribune, il lui sera possible de comprendre que l’enceinte d’un stade n’est qu’un laboratoire procédural. Il apparaît aussi difficile que capitale de ne pas suivre la ligne droite imposée par l’instant médiatique et dessinée par nos élites, comme une diversion pour ne pas affronter les vrais problèmes de notre société malade.
Sans tomber dans la paranoïa ou la victimisation, il est opportun de se demander pourquoi les supporteurs sont ainsi la cible privilégiée des conformistes avides d’éradication ? Comme si les tribunes des stades de football avaient le monopole des propos injurieux ou tendancieux. Les réactions semblent moins virulentes, si ce n’est inexistantes, pour les insultes omniprésentes dans notre quotidien, comme par exemple sur les réseaux sociaux, sur les terrains de sport, dont ceux de Ligue 1, ou bien même dans les cours d’école. Pourquoi un tel intérêt soudain alors que cette problématique existe depuis des décennies ? Il ne s’agit pas d’une découverte du dernier été. Ne soyez pas surpris, je n’ai pas les réponses à ces questions.
Puisque certain(e)s veulent se concentrer uniquement sur les supporteurs, absorbons le dans son intégralité. La libre interdiction s’avère être le leitmotiv. Alcool interdit. Fumigènes interdits. Interdiction de se lever dans la majorité des tribunes. Libre-circulation bafouée sous des prétextes souvent douteux. Des arrêtés préfectoraux et ministériels ubuesques en veux tu en voilà. Ne doutons pas que les banderoles et toute autre forme d’expression seront bientôt elles aussi prohibées ? Les vrais débats sont là, et j’en oublie certainement. Existent-ils vraiment ? Des tables rondes réunissant tous les acteurs sont-elles instaurées ? Des dialogues constructifs sont-ils mis en place ? De véritables concertations avec comme finalité le soucis de trouver un compromis et des solutions sont-elles proposées ? Bien au-delà des chants pouvant être tendancieux et homophobes, sujet certes existant, les problématiques liées aux tribunes françaises sont bien plus vastes, et tout aussi structurantes. Mais qui s’en soucie ?
Certaines associations de défense des supporteurs sont très actives sur ces sujets, soumettant régulièrement des initiatives et recherchant le dialogue. Certains parmi les instances et quelques interlocuteurs gouvernementaux leur prêtent l’oreille, écoutant leurs revendications, leurs arguments et leurs propositions. La réussite d’une collaboration constructive entre les acteurs et les décideurs passera par l’instauration permanente de ces échanges et par la recherche de véritables réponses dénuées de toute démagogie. Malheureusement, une poignée de politiciens, appuyés par des journalistes et des consultants complaisants, préfèrent toutefois prôner l’usage direct du bâton et des menottes plutôt que d’instaurer des préliminaires qui seraient pourtant plus agréables pour toutes les parties.
Interdire d’abord. Réprimer ensuite. A moins que ce ne soit l’inverse. Sur-réagir finalement pour mieux expliquer l’interdiction et légitimer la répression. Imposer un discours autoritaire semble être leur sport préféré. Discriminer pour mieux régner. Ce comportement me paraît être faussement viril. La question est de savoir, à la fin de la partie, qui se sera fait sodomiser ? Sans dialogue et consentement préalable, ne poussons pas l’affaire jusqu’au viol. L’agression n’est certes pas physique, mais ne négligeons pas les séquelles psychologiques et intellectuelles. Et même pris à sec, il faudrait que les supporteurs restent calmes, impassibles, et sans réaction. Ne poussons pas le bouchon trop loin.
Stop à l’homophobie.
Stop à la démagogie.
Stop à l’ultraphobie.
La Haine n’aura jamais le dernier mot.