Nous savions depuis longtemps que cette année 2020, cinquantenaire oblige,
ne serait pas comme les autres. Nous attendions les plus fortes émotions,
nous rêvions des plus fameux trophées, nous imaginions les plus belles célébrations. Depuis plusieurs semaines, nous savons que l’édition Covid 19-20 de la Ligue des Champions ne ressemblerait à aucune autre. Une qualification pour les quarts de finale – enfin – nous a transporté de joie, même à distance.
Puis, la compétition s’est retrouvée confinée, et nous avec, sans que personne ne sache si elle reprendrait un jour. Sa conclusion sera inédite, aoutienne et caniculaire. En cette période étrange, propice aux réflexions inhabituelles, un doute m’habite.
Je me pose cette question invraisemblable : faut-il la gagner ?
Le Paris Saint-Germain l’attend depuis 50 ans. Sa première participation en Coupe des Clubs Champions, en 1985/1986, fut une brève mise en bouche, éliminé au premier tour. Une décennie plus tard, la seconde apparition fut une extraordinaire épopée, avec une élimination honorable en avril 1995 au stade des demi-finales, contre le Milan AC. Cette année-là nous y avions vraiment cru. Ce fut la première, et peut-être même la seule fois. Depuis 2012 et la prise en main qatarie, nous sommes persuadés que nous allons la gagner un jour, mais nous n’avons à aucun moment approché du Graal. Il s’agit pourtant de notre huitième campagne d’affilée et nous n’avons jamais atteint les demi-finales. 1995 est une exception, notre seule fois à cette hauteur de la compétition. Depuis trois saisons nous n’avons même pas passé les huitièmes, avec les diverses infortunes que tout le monde connait, pas besoin de les rappeler.
Et si 2020 était la bonne année ? Cette saison, fini le syndrome des huitièmes, nous sommes passés sans encombre et le match aller au Borussia n’est plus qu’un vague souvenir sans importance. Voilà que nous nous remettons à rêver à voix haute. Nous n’aurions quasiment jamais été aussi forts, aussi complets dans toutes les lignes, aussi sûrs de nos qualités, aussi aidés par un Neymar motivé et que partiellement blessé. Certes, cinq mois sans compétition officielle sera un handicap face à des adversaires qui auront tous repris la compétition en juin. Mais n’est ce pas quand on ne l’attend pas que l’équipe parisienne est la plus surprenante ? Tout est permis, même les rêves les plus fous. Pourtant, je sens monter en moi une certaine appréhension. Mes certitudes sont ébranlées. La situation me rend perplexe.
Voilà qu’une perspective de victoire suprême m’empêche de dormir. Et si cette Ligue des Champions Corona, il ne fallait pas la gagner ? Je vois déjà les qualificatifs jaillirent dans les journaux. Cette Ligue des Champions remodelée, déportée au mois d’août, allégée de plusieurs matchs, conclue en forme de Final 8 décidé en cours de route, centralisée dans une seule ville, avec des matchs à huis-clos ou à la jauge très réduite, sera une Coupe au rabais. Le mot est lâché. Rabais, ou dévalorisée, déconsidérée, dépréciée, sacrifiée, autant de discrédit qui colleront au vainqueur de cette édition insolite. Nous aimons tellement tendre notre joue pour nous faire baffer, que cette issue me paraît presque évidente. Je perçois déjà la crainte d’être critiqué, de dire que nous ne sommes pas capables de gagner une Ligue des Champions sauf celle qui est galvaudée. L’image est importante de nos jours, nos dirigeants ne vivent même que pour ça. Notre fierté d’enfin remporter cette Coupe tant désirée ne serait-elle pas altérée ? Les critiques de nos opposants, que dis-je, de nos ennemis, seraient acerbes. Une victoire, même la plus belle, ne peut pas être appréciée à sa juste valeur si elle est raillée par tous. Une première fois ça ne se rate pas.
Par définition, nous n’en avons qu’une seule. Si cette première fois était cette contrefaçon de Ligue des Champions, imaginez quel gâchis ce serait. Quel dommage d’avoir tant attendu, tant voyagé, tant espéré, tant souffert, tant regretté, tant pleuré, tant persévéré, pour gagner une Coupe grippée. Nous aurions vécu une si longue espérance pour vivre les émotions d’une demi-finale, d’une finale, d’une victoire, cela peut bien attendre encore un peu. Un an, ou même quelques saisons de plus, nous ne sommes plus à ça près … Certes, en ce mois d’août 2020, alors que nous aurons été sevrés de notre Paris SG depuis cinq mois, gagner la Ligue des Champions pourrait être une libération, l’apothéose d’une période sombre mais alors révolue. Honnêtement, ne trouvez-vous pas que cela aura plutôt le goût d’une Coupe Intertoto, pour la version à l’ancienne, ou d’un tournoi estival d’International Champions Cup, pour la version business moderne, plutôt que la vraie saveur de la Ligue des Champions ? Lisbonne en août, c’est pour les touristes, pas pour les héros.
Je me pince, alerté par de tels propos qui sortent de mon cerveau, et je renfile mon écharpe de supporter, laissé depuis trop longtemps inerte sur le dessus de ma commode. Des arguments pour aller chercher la victoire, j’en ai aussi, et pas des moindres. Nous parlons de Ligue des Champions. Peu importe les on-dit et les quolibets qui de toute façon auront cours. Gagner une C1, même dite « au rabais », vaudra toujours mieux que la ligne vierge au palmarès. On peut lire « rabais », on peut ricaner « Intertoto », mais la vérité est que cette Ligue des Champions sera unique. Elle sera celle dont on se souviendra. Peut-être pas pour sa finalité sportive, mais elle restera dans toutes les mémoires, un symbole planétaire qui volera bien au-dessus des simples considérations du ballon rond.
Avec ce format revisité en Final 8 à match simple, la compétition sera légèrement modifiée, mais l’essentiel sera préservé, à savoir l’équité sportive et le respect des clubs engagés. Au contraire de la décision prise pour finir la version handball de cette joute européenne, laquelle est une véritable escroquerie. Le Final Four de mai est déplacé fin décembre 2020, un lundi et un mardi, entre la buche de Noël et les bulles du Jour de l’An, et qui plus est avec les effectifs de la saison prochaine. Le Paris Saint-Germain, qui participera à la fête, verra ainsi deux de ses meilleurs joueurs actuels lui faire face, la pépite norvégienne Sander Sagosen et le gardien espagnol double Champion d’Europe Rodrigo Corrales. Paris, qui devait jouer en mars les huitièmes de finale, a été désigné pour le Final Four administrativement et à posteriori, exempté des huitièmes et des quarts de finale. Certes les quatre meilleures équipes de groupes ont été qualifiées, mais leurs autres adversaires peuvent se sentir lésés. Celle-là non plus de Ligue des Champions je ne veux surtout pas la gagner, bien que le PSG Handball court aussi après une première C1, et ce depuis plusieurs années. Revenons-en au football, où la quête est la même, mais les échéances plus proches, et l’équité plus juste.
Pour le Paris Saint-Germain, si victoire il y avait, ce serait donc une première C1. En aucun cas il ne s’agirait d’un aboutissement. Il faudrait alors s’en servir de tremplin, comme un déclic, presque une séance d’entraînement, pour mieux la regagner par la suite, dans son format normal. Je vois loin, je vois grand. Avec cette hypothétique double victoire, portant ainsi notre compteur à 2, nous passerions devant l’OM et leur étoile jaunie. Ils ne pourraient alors plus rien dire, ces nostalgiques d’un autre temps, adorateurs de papy Basile et de sa Ligue des Champions obsolète, avec Nanard à la baguette. Pour effacer cette rivalité qui n’a que bien trop durée, il nous faut donc commencer par en gagner une, et peu importe la qualité. L’OM nous l’a bien prouvé, seul le résultat compte, la manière c’est pour les esthètes.
2020, une première qui serait au rabais, finie à la mauvaise Corona, mais qui a y regarder de plus près, sera déjà bien plus dure que celle arrachée par l’OM au siècle dernier. Même avec un Final 8 sur un seul match en quart et en demi, l’épreuve est déjà bien plus garnie. Rien de tout cela n’existait en 1993, un tour préliminaire champêtre, une poule à l’allure désuète, et direction la finale. A la loterie tout est possible, et je n’irai pas jusqu’à dire que les dés étaient pipés. Recentrons-nous sur notre nombril, des sudistes j’ai déjà bien trop parlé, et examinons notre parcours 2019/2020, jusque-là très bien géré.
Si nous remportions cette Ligue des Champions certes rocambolesque, notre victoire ne serait pas usurpée. Notre phase de groupe a été digne des plus grandes écuries. Cinq victoires et un match nul nous ont permis de finir devant le Real Madrid, club pourtant favori. Un 3-0 à l’aller, les espagnols n’ont pas bronché, un 2-2 chez eux et quelques décisions arbitrales douteuses, Paris n’a vraiment pas démérité. Victoire à Istanbul, des belges giflés sur leur terrain, des turcs également corrigés au retour, Paris a sonné le tocsin. L’Europe se met à frémir. Une fausse note dans la Ruhr ne nous aura cette fois pas fait trembler. Le mois de mars a vu scintiller les fumigènes, jusque tard dans la nuit, le parvis d’Auteuil coloré de centaines d’âmes en liesse, devant un stade vide de ses fidèles mais submergé de notre humanité. La malédiction a été vaincue. Le Covid nous a rattrapé. La Confinada a frappé. Les mois ont duré une éternité. Mais août va nous faire vibrer. Un couronnement serait si mérité.
Quelle récompense cela serait pour deux joueurs qui vont nous quitter. La gagner pour Thiago et pour Edi serait un point final fabuleux. L’aboutissement de huit années pour El Monstro et de sept pour son meilleur buteur, une façon de conclure en beauté la première ère qatarie, pour encore mieux commencer la seconde. Une transition entre deux décennies, pour ouvrir celle des années 20 sous les meilleurs auspices. Rêvons plus grand, et pourquoi ne pas imaginer les dix prochaines saisons comme étant la décennie P.S.G. A l’inverse, même si nous ne gagnions que celle-là, et qu’ensuite nous revenions à nos déboires habituels, alors nous en aurions au moins une, et pas n’importe laquelle, Capitaine Thiago Silva soulevant le trophée, Edinson Cavani à ses côtés, l’image serait belle, à perpétuité.
Pour conclure, en survolant tous ces arguments, il parait évident qu’il faut la gagner cette Champions League 2020. Mais je sais d’où vient mon doute. Pourquoi ai-je cette interrogation ? J’entrevois ma plus grosse crainte : ne pas être au stade pour le quart de final libérateur, puis pour la demi-finale victorieuse. Ne pas vivre ces matchs au Parc des Princes. Ne pas suivre l’équipe en déplacement. Et chose impossible, ne pas être présent en tribune pour la première finale de l’histoire du Paris Saint-Germain. Alors imaginer gagner le match et soulever la Coupe en étant bloqué devant la télé, à proximité ou à des milliers de kilomètres, cela n’est tout simplement pas imaginable. Ne pas assister en chair et en os au triomphe suprême. Il y a de quoi être traumatisé à vie. Gagner ta Ligue des Champions, oui je le veux, mais par pitié Corona, ne nous laisse pas sur le côté.