Mad Dog In the Fog – San Francisco / Haights – 17 février 2015, 12AM
Il y a des jours où la vie est une question de priorité.
Des jours où après avoir décidé de prendre enfin des vacances bien méritées, après avoir acheté tes billets d’avion, tu regardes a posteriori ton agenda, et tu te rends compte (trop tard) que tu as juste omis de vérifier que pendant tes vacances, tu ne ratais rien d’important, comme par exemple le match de l’année au Parc des Princes.
Ce match pour lequel tu payes ton abonnement et le rentabilises enfin symboliquement… toi le supporter qui en a vécu des matchs pourris pendant des décennies…
Ce match pour lequel tu vas enfin voir ton club disputer le haut du pavé en Ligue des Champions.
« Putain, le con ! » Trop tard donc.
Et il est évident qu’il est impossible de faire machine arrière. Parce que tu n’es pas tout seul à partir…
Donc me voilà dans l’avion qui m’emmène à San Francisco.
Préalablement, j’ai eu quand même la délicatesse d’offrir ma place (enfin offrir… Vla-l’gogo) à un ami, de surcroit supporter de l’OL, pour qu’il vive enfin un match de C1 autrement que devant sa Playstation.
Et pendant le vol, je fais vite mes calculs. 9 heures de décalage horaire, en moins.
Donc il sera midi en Californie le mardi 17 février 2015.
Si je me démerde bien, c’est donc possible de voir ce match chez l’Oncle Sam.
Sachant que Madame m’a autorisé, compassion féminine magnifique, à sacrifier 90 minutes de nos vacances à mon culte avoué et toléré. Et DIEU sait que c’est important dans ce pays qui croit à tout et n’importe quoi.
A peine arrivé à l’hôtel, code Wi-Fi, consultation du web, mot clé « Pub Soccer San Francisco ». Et là, la satisfaction avec un rictus. Le seul pub qui remonte du moteur de recherche est…
UN REPERE OFFICIEL DE SUPPORTERS DE CHELSEA !
La page web du pub présente allègrement des photos de mecs avec la tunique bleue…
Le Mad Dog In The Fog donc, en plein quartier de Haights, pourtant réputé pour sa communauté de Gays et de Skateurs… Je me marre.
Et là je regrette de ne pas avoir pris mon maillot.
Narguer des ricains fans de Chelsea en plein Frisco. L’AMERICAN DREAM !
Des gueules d’universitaire en short
Bref, le jour J, direction le Mad Dog.
Accompagné de Madame qui trouve l’expérience comique. Son père est fan du SCO d’Angers alors les causes perdues, elle connait.
Il est 11H45, on rentre dans le pub qui vient d’ouvrir à l’instant où le serveur est en train de brancher les écrans TV géants. Petit stress, je demande au mec si ils ont bien prévu de passer le match, confirmation d’un signe de tête. On est rassuré.
Pour le moment il n’y a que deux types avec nous, sans maillot, des gueules d’universitaire bien propre et en short, visiblement venus pour la même chose que moi. Mais plus par curiosité que par passion.
Je suis déçu et commande une pinte.
La diffusion débute par un plateau sur une chaine US, avec des consultants que je n’ai jamais vu, et tout à coup apparait Edi & Zlatan à l’entrainement. Le parc, de nuit, quasi plein, il a l’air de faire beau, ça sent la grosse ambiance, j’ai envie de chanter seul dans le bar.
Ces images en direct de mon Eglise me file des frissons, presque de la Nostalgie alors que je ne suis aux USA que depuis 24 heures. Ridicule. Pas le temps de chialer, déboulent tout à coup une quinzaine de mecs avec des maillots de l’English Pride, CHELSEA !
Globalement ça fleure bon les petites fleurs dont parlaient les Mamas & Papas en 1968, on est loin de l’image du supporter tatoué au crâne rasé, fan de l’hospitalité du métro parisien. Non, ce sont clairement des Ricains vu leur accent, qui supportent Chelsea et le Soccer en général, car San Francisco c’est la capitale de la contre-culture.
Bref des mecs plutôt pacifiques, je suis déçu. Je reprends une goulée d’IPA locale.
Il y en a pourtant un qui me semble bien rosbif, une gueule de con, avec un accent cockney bien aiguisé. Soulagement. Au moins il y en a un qui sait de quoi on parle ici.
Petite surprise du chef, deux autres mecs déboulent, l’un a le maillot du Bayern qui joue aussi ce midi, et l’autre celui du PSG, modèle 2014/2015. Encore des footixs Ricains. Dommage et tant mieux en même temps. J’ai envie d’être le seul ambassadeur aujourd’hui.
Je t’interdis de chanter Oh Ville Lumière
Le match débute.
Je stress, tant mieux c’est bon signe, le décalage horaire n’y change donc rien.
Et très vite je fais comprendre à tout le monde pour qui je suis sur nos premières actions chaudes.
Ca joue, gros niveau, grosse ambiance au Parc de ce que je peux en entendre. Dès les premiers chants, je pense à mes potes en Quart de Virage Boulogne, je reconnais les paroles entre les commentaires en anglais « Allez Paris, Allez Paris, où tu es nous sommes là… » deuxième rasade de frissons. Je fredonne le chant doucement, comme un résistant en zone ennemie.
Ma nana m’entend : « je te préviens je t’interdis de chanter Oh Ville Lumière devant tout le monde ». Elle a senti que ma première pinte matinale commençait à faire son effet… pas faux.
J’en profite pour écouter les commentaires derrière moi. Ca supporte gentiment, ça fait des vannes, visiblement Willian en prend pour son grade, il sera la cible des critiques tout le match. Un Ricain bleu demande à ses potes « Who is this Matuidi ? Is he French ? ».
Je me retourne, le regarde et lui rétorque « He is ! » avec un air de vouloir dire « ta question est complètement con ».
Le mec me remercie de la précision. Des Ricains donc.
Le degoût et la rage
Je recommande une pinte.
Paris tient la dragée haute à Chelsea, putain si on avait ce niveau aussi en L1.
C’est beau, suis à fond dans le match, balance des insultes en français, fais exprès de les dire très fort. Le rosbif me repère, je sens que ça ricane dans mon dos. J’aime ça.
Ma nana trouve ça drôle, d’autant qu’elle a déjà descendu deux verres de vin rouge californien, et faut voir les doses dans les verres. Prévoyante en plus : « on commande un truc à bouffer à la mi- temps hein ? ». Par esprit fraternel avec le peuple anglais je décide que ce sera un fish & ships pour moi.
Et là, but d’Ivanovic sur une passe de Cahill en aile de pigeon qu’il ne fera plus jamais de sa vie… Ca hurle derrière moi, ça crie du « Iva Iva Iva » à tout va.
Et ça se re-calme tout de suite. Le dégoût et la rage.
Arrive la mi-temps.
Ma nana me demande si je vais tenir le coup.
Ca va mieux avec une troisième pinte.
J’ai les mains qui tremblent. Je vais au chiotte, je fais exprès en passant de raser le rosbif en le regardant bien dans les yeux. Puéril mais jouissif.

Le match reprend.
Egalisation d’Edi. Indescriptible joie et rage, j’hurle dans le bar en me levant comme si j’étais au Parc. Le silence derrière. Tout simplement FABULEUX.
Edi à jamais je te remercierai pour ce moment. J’ai eu le temps de voir son visage, son regard noir dans l’écran Samsung devant moi, cet air qui veux dire, « OK les gars, vous avez compris maintenant ? ». Je l’aime à cet instant.
Je commande une quatrième pinte.
Le match continue, je sens qu’on pourrait leur en coller un deuxième, on les mange. C’est dingue. J’ai laissé depuis longtemps mon plat qui refroidit comme l’ambiance derrière moi.
Sur un coup franc, David Luis déplace la marque en mousse de l’arbitre pour rapprocher le ballon d‘Ibra.
Ca réveille les schtroumpfs derrière moi, surtout l’anglais qui passablement éméché demande outré à l’assemblée :
« What the fuck is this rule, what the fuck ? »
Et là je me retourne, en français dans le texte « c’est ça le football papa ! »
Ma nana me demande de me rassoir et de la fermer. « je t’interdis de les provoquer, tu ne vas pas te battre c’est ridicule ». C’est vrai.
Javier Pastore rentre. Un ou deux spécialistes se rappellent de l’année dernière. Ca flippe un peu. Ca leur va bien.
Le match se finit. On méritait de gagner mais une immense fierté m’envahit. Sens la chaleur… des 4 pintes.
Derrière moi, pas un seul « Good Game », on sent les mecs tranquilles qui n’envisagent pas autre chose que la victoire au match retour. Aucun romantisme. Je sors du bar, le buste droit à la Cantona avec ma nana, je suis le seul accompagné d’ailleurs. Un Français quoi. Un parisien.
Un reportage sans concessions que je lirai peut-être un jour