Corto, membre fondateur des Lutece Falco a accepté de répondre à nos questions et de parler de sa vie d’ultra parisien, celle d’avant et celle d’aujourd’hui.
Préambule : Tout commence par un hasard. Vacances d'été 2022. Je suis en Corrèze. Je tombe sur une épicerie bio où trônent en vitrine deux PLV en forme de pinte de Guinness arborant chacune une tête de faucon avec marqué Lutece... Ça ressemble fortement au sigle d'un ancien groupe ultra parisien. Je me renseigne auprès de contacts qui me confirment qu'il s'agit bien du logo des Lutece Falco, groupe historique du Virage Auteuil d'antan. Et qu'un de ses fondateurs est justement parti s'installer en Corrèze il y a longtemps. Je rentre dans l'épicerie et tombe sur le patron, barbu, me toisant assis de sa caisse. Je me présente et lui pose la question suivante : "tu ne serais pas Corto des Lutece ?" Son visage change... C'est bien lui. Et on commence à parler football et PSG. On se promet après cette discussion qu'on va se donner RDV l'été suivant pour faire une vraie interview et se donner le temps. Promesse tenue. Cette interview a eu lieu cet été. Découvrez le fruit de cet échange chaleureux et sympathique, teintée de nostalgie.
Comment commence ta passion pour le football ?
Je jouais au foot à Choisy le Roi où j’ai grandi dans le Val de Marne. Je devais choisir un sport collectif et c’était le choix le plus facile. Mes parents n’étaient pas des fans de football. Je n’avais pourtant pas de passion pour ce sport. Je suis né en 1972, donc je n’ai aucun souvenir de l’épopée des verts, pareil pour la coupe du monde 1978. J’ai commencé à jouer dans les années 80, qui correspondent à l’émergence d’un « petit » club en Île-de-France, je crois qu’il s’appelle le Paris Saint-Germain. Et en 1982 mes parents m’ont autorisé à regarder la finale de la Coupe de France. C’était un samedi de juin, jour de grand barbecue à la maison. Et j’ai regardé le match (NDLR entre le PSG et Saint-Etienne).
Tu t’intéressais déjà au PSG ?
Non pas particulièrement, mais je suivais le foot à la radio. A l’époque c’était le media du foot : Europe 1, France Inter, Eugène Saccomano, les multiplex… Je notais déjà des infos, des statistiques sur des petits calepins, les infos qui concernaient le PSG. Et puis sont arrivés des joueurs comme Mustapha Dahleb, Dominique Rocheteau, Ivica Šurjak qui a été une de mes premières idoles, même s’il n’est resté qu’un an.
D’autres joueurs t’ont marqué ?
Safet Sušic évidemment surtout qu’il est resté plus longtemps que Šurjak. Et puis bien-sur les gardiens, Dominique Baratelli, Joël Bats, Bernard Lama, on a eu une grosse époque de gardiens à Paris. Et tout cas la passion pour Paris a commencé comme ça. Mon père était boucher et il travaillait le samedi, il ne pouvait pas m’emmener au Parc le samedi soir. J’y suis allé tardivement. Ça devait être en novembre 1986 pour un PSG-Monaco (Ndlr : 22 novembre 1986). Si je me rappelle bien c’était une défaite (Ndlr : 0-1), pour commencer, une habitude à Paris (rires). Hélas je n’ai pas trop de souvenir de ce match et de l’ambiance du Parc.
Qui t’emmenait au Parc ?
C’étaient des éducateurs de Choisy-le-Roi. On était 3-4 joueurs de l’équipe et on y allait avec eux.
Tu jouais à quel poste ?
Gardien de but, et je le suis toujours. J’ai repris le foot il y a quelques années, je me suis même fait l’année dernière une saison complète en 4ème division de district de Corrèze. Au CA Meymac. Et on a fini 2ème du championnat, avec la deuxième défense. Pas mal non ?
Revenons sur 1986 et tes premiers matches au Parc. As-tu été marqué par ce qui se passait en tribune ?
Non. C’était le foot avant tout. J’ai commencé à aller plus régulièrement au Parc en 1987 et 1988. J’étais souvent tout seul. Grâce à quelqu’un que je connaissais à la mairie de Paris, j’avais des places en F. Ancienne tribune visiteurs. J’avais des places gratuites et j’y allais avec un de mes frères qui lui supportait Marseille ! Notre rivalité était gentille car en vrai il supportait plus Bastia que Marseille, il avait connu le grand parcours du Sporting avec Claude Papi, ça l’avait marqué. Ou alors des vacances passées là-bas (rires). Mon premier PSG-Marseille, c’était à Boulogne en 1989, en tribune rouge. Je me souviens de lancés de PQ et de messages sur un club et une maladie, que je ne cautionnerai plus aujourd’hui (rires). J’ai lâché le foot en club, et j’ai commencé à aller plus régulièrement au Parc, toujours à Boulogne. Et seul car mon frère n’était plus là. Je me suis mis derrière les Boulogne Boys. Je me suis placé à l’endroit où ça semblait le plus bouger. J’ai des copains de Lycée qui allaient à cet endroit, donc on se retrouvait toujours ensemble. J’étais un supporter lambda, pas actif mais carté. Il y avait une certaine appartenance à une tribune.
Comment tu décrirais l’ambiance de l’époque à Boulogne ?
C’était un mélange bon enfant mais parfois aussi sauvage. Il y a un PSG-Toulon qui m’a marqué. Mais je n’ai jamais été attiré par la violence. Je ne me sentais pas en danger en tribune pour autant. En tout cas après ce PSG-Toulon, Didier Frontini m’a appelé. Je le connaissais des Boys. Il faisait partie de mes copains. Son surnom était « Grandé ». Il voulait me proposer de le rejoindre pour monter un nouveau groupe en tribune K. Un groupe qui s’appellerait les Lutèce Falco. Je n’ai pas réfléchi longtemps pour dire oui. C’était en septembre 1991. Le groupe a été créé officiellement le 26 octobre 1991. La combinaison Boulogne-violence ne nous correspondait pas. Dans ce groupe on retrouvait Yvon, son beau-frère, Renaud, et puis on a rencontré des gens qui étaient déjà en K, Amar et sa sœur Louisa. Et voilà…
Tu as tout de suite été actif dans ce groupe ?
Oui. Sans savoir vraiment à quoi ça correspondait. Mais ceux qui ont monté le groupe avaient la culture ultra. Ils avaient des correspondants en Italie, avaient été à des matches là-bas. Ils savaient où ils allaient. Ils étaient très influencés par l’Italie. Cette culture a toujours pré-dominé aux Lutèce, malgré l’image « Irish » du club. Car on finissait au Pub après tous les matches. On a fini par en faire une banderole (rires), c’est Aldo Lieghio le préposé aux banderoles qui l’a faite.
En tout cas on était une petite quinzaine à monter le groupe. Ça commençait à devenir compliqué en tribune K et on a vu qu’en face, à Auteuil, un autre groupe s’était monté. Les Supras. Ils ont été créés le même jour que nous. C’est assez drôle en fait. C’est un pur hasard. Et en janvier 1992, on rejoint Auteuil. Avec l’objectif d’animer tout le Virage Auteuil.
Quelles missions t’ont été confiées dans le groupe ?
La correspondance. J’étais la boîte postale des Lutèce Falco. Toutes les personnes qui voulaient du matériel ou des renseignements passaient par mon adresse et je gérais ça. J’ai toujours été dans le relationnel. Un gars comme Viola (NDLR : voir son ITW dans Virage) est arrivé aux Lutèce un peu grâce à moi. Je me suis toujours tenu à répondre à toutes les personnes qui prenaient contact avec nous. Je m’occupais aussi des sections LF en province. Il y en avait plusieurs. Beaucoup nous écrivaient. Les mecs créaient leur section, il y avait la fameuse section Haute Savoie, on y a passé quelques 31 décembre mémorables. Certains se sont même mariés avec des hauts-savoyardes. Il y avait aussi la section Gard avec Lionel Passaglia, la section Lot-Cantal avec Gasto… Je coordonnais ces créations et le nombre de places dont avaient besoin les mecs quand ils montaient à Paris.
Ton surnom Corto, ça vient d’où ?
De Corto Maltese. J’ai toujours été fan de ce personnage de BD créé par Hugo Pratt. C’est venu car j’avais un petit pins Corto Maltese sur mon bombers et puis un jour il y a quelqu’un qui m’a appelé « Corto », et puis voilà, c’était parti…
Tu as commencé les déplacements en groupe à partir de quand ?
Les premiers c’est avec les Boys, en bus. Mon premier c’est Auxerre, belle ambiance (rires). Ça s’était très mal passé à la fin du match avec nos amis CRS. Comme souvent aux débuts des années 90. Mes parents avaient eu vent des problèmes et du coup je n’ai plus trop eu le droit de faire des déplacements après (rires). Puis mon premier déplacement avec les Lutèce c’est à Monaco. Ça avait été un super souvenir. C’était en décembre 1991 (Ndlr : 21 décembre 1991). Ça a été difficile de dormir dans le car.
A cette époque tu es étudiant ?
Oui, à Créteil. Paris 12 en histoire. J’y ai rencontré certains avec qui je suis encore en contact comme les Old School Paname, Marianne Fort, Manu Celtic… Je deviens plus autonome à ce moment-là. Je m’implique à fond dans le groupe. De 1991 à 2000 ça reste les plus belles années. C’est 99,9% de bons souvenirs, le reste on l’oublie. J’ai été abonné jusqu’en 2003, l’année où je suis parti m’installer en Corrèze. Ça fait donc 20 ans cette année.
Je profite du fait que ta femme est avec nous pour cet entretien pour savoir comment vous viviez la passion de votre compagnon à ce moment-là ? Car la réputation des supporters parisiens n’était pas très reluisante auprès des media et de l’opinion publique.
Madame Le Roux : En vérité, je le laissais vivre librement sa passion, ça m’amusait de le voir heureux avec son groupe. Et je savais que la violence ne l’intéressait pas. Je n’étais pas inquiète pour lui. Je ne l’ai jamais senti en danger.
Corto : J’ai une anecdote au sujet de la violence et des déplacements. Ça concerne un déplacement à Milan en 2001. J’étais là-bas avec le fameux Aldo qui était venu accompagné de sa future épouse. On se baladait dans les rues. Ça se cherchait un peu dans Milan et Aldo avait dit à sa copine « Reste à côté de Michel, Si ça s’envenime, il va esquiver le truc ».
Durant ces années chez les LF, tu mettais le groupe au-dessus du club ?
Je vais te dire un truc : je n’ai jamais porté un maillot du PSG. A la base si on va au Parc, on vient voir jouer le PSG. Pas besoin de plus mais il est vrai qu’à un moment le groupe devient prioritaire. De toute façon ce n’est pas moi dans le groupe qui discutait avec la direction. Mais quoi qu’il en soit, un groupe se porte garant d’une identité. On le voit avec le maillot, bleu blanc rouge blanc bleu. Ce serait tellement simple de garder ce maillot pour le domicile. Il y a aussi le prix des places. Quand je vois la politique actuelle du club. On dirait du marché noir autorisé. Et puis, fixer un plafond à 100€ la place dans le VA… Désolé je vais faire mon vieux con mais 650 francs pour aller voir un PSG Marseille, tu as envie de pleurer. Cette logique du football m’échappe complètement.
Est-ce qu’il y a un match qui t’a marqué ?
Le fameux PSG-Bucarest (Ndlr : 27 aout 1997). Avec la mythique bourde administrative. Je crois que je n’ai jamais senti le Parc vibrer autant. Bien-sûr il y a eu Madrid où l’ambiance et la ferveur étaient à leur paroxisme. Mais c’est différent pour Bucarest. Les joueurs avaient un vrai sentiment d’injustice. Le public aussi. On était tous à bloc. Et puis on avait des joueurs qui se sentaient impliqués. Je ne sais pas si les joueurs d’aujourd’hui ont la même implication. Quand je vois les dernières déclarations de Messi… Ensuite mon meilleur déplacement je pense que c’est Glasgow en 1995 (Ndlr : 19 octobre 1995). Contre le Celtic. Je ne me souviens même pas comment je suis rentré dans le stade. On a dû faire 4-5 pubs différents. Le match devait être un jeudi, on était partis le mardi soir. Franchement extraordinaire. L’accueil des écossais. Arrivés à Glasgow, on a pu faire une photo sur la pelouse du stade, car il était ouvert ! On a croisé personne, c’était dingue. Puis la journée derrière a été très très longue… Au rayon également des belles anecdotes dans un grand déplacement, il y a Bruxelles en 1996. Je me suis fait une entorse de la cheville deux jours avant de partir. Le seul deux mats qui a pu rentrer dans le stade Baudouin, ce sont mes béquilles. Ça n’a pas été facile car la police belge n’avait pas été tip top.
Comment ça se passait en tribune avec les autres groupes ?
Les LF ont toujours eu cette réputation de bien s’entendre avec tout le monde. Notre surnom c’était « les suisses ». Le passé de certains LF à Boulogne nous a toujours permis d’être en bonne relation avec toutes les tribunes.
Comment tu qualifierais l’esprit du groupe ?
En un mot : festif. On était là pour s’amuser, pour se retrouver. Avant, pendant, après le match. Et puis on est toujours restés en contact entre anciens. Par exemple pour les 15 ans du groupe à Lorient on était partis avec 3 cars. Avec tous les anciens. C’était en 2006. J’étais déjà en Corrèze, mais j’ai fait le déplacement.
La Corrèze. Pourquoi ce départ ?
Car ma femme a été mutée là-bas pour son travail. On est arrivés en février 2003. Je n’avais pas de travail sur place, ni de permis. On avait deux enfants. Mais c’était aussi un choix personnel. Si je voulais aller au Parc, je prenais le train. Je faisais un mail aux personnes du groupe qui géraient les abonnements. C’est une époque où c’était facile de rejoindre le groupe en venant de province. Je faisais 3-4 matches par an. Sinon je regardais les matches à la télé avec les enfants. Et je n’avais plus de mission dans le groupe car une nouvelle génération était arrivée. J’avais un peu tout lâché. Bien sûr au début c’était un peu difficile, le Parc te manque. Et puis aussi quand tu vois certains événements à la télé comme ce Marseille-PSG où un groupe marseillais a déployé la banderole des LF dans le vélodrome, j’ai pété un câble devant ma télé. J’ai même vu Viola agrippé au grillage complètement fou… L’histoire c’est qu’elle avait été volée 20 ans avant dans le local du Parc par un parisien qui était fan de l’OM. Un employé du PSG avait oublié de fermer la porte. Vu les conditions du vol, il n’y avait rien de très glorieux.
En tout cas progressivement, le fait d’être loin de Paris fait que tu décroches un peu, surtout avec tous les événements survenus à la fin des années 2000. Les morts, les mouvances de supporters qui se sont perdues dans des conflits que j’aurais du mal à expliquer, surtout que j’en étais loin. Je n’avais pas tous les tenants et aboutissants pour les comprendre. Tout ça pour arriver à la fameuse année 2010. The End. Beaucoup de tristesse. Après la dissolution des LF, j’ai quand même gardé le contact avec des anciens. Grace notamment à Facebook. J’ai fait un match au Parc avec mon fils vers 2011, où j’ai retrouvé des amis. J’en ai refait un après, mais depuis plus du tout. J’espérais en faire un pour la sortie du livre sur les LF (uniquement disponible pour ceux qui ont été cartés), mais ça n’a pas eu lieu. Si certains lisent cette interview, sachez que j’attends avec impatience l’invitation au prochain dîner au pub !
Quel supporter es-tu en 2023 ?
Je me sens toujours supporter, mes enfants sont aussi supporters du PSG. Mais actuellement je dirais que je m’intéresse et je me désespère. J’ai l’impression qu’on a perdu l’âme d’un club de foot populaire. On a des têtes de gondoles pour vendre des maillots. Mais bon ce n’est pas que le PSG. C’est mondial. Quand tu vois que Canal+ va diffuser le championnat d’Arabie Saoudite… Les matches de préparation en Asie n’ont aucun sens à part le business, et il est beau le bilan carbone. Ce football ne me correspond plus. Pourtant dans les années 90 avec Canal+ on a vu grandir le business. Mais là on est passé à autre chose. Si je rate un match du PSG, ça ne m’empêche plus de dormir. J’aimerais juste savoir ce que QSI a en tête pour l’avenir du club. Ils ont investi beaucoup, il y a eu les titres, mais je ne sais pas quel est vraiment leur projet en tant qu’actionnaire. Quant aux tribunes, j’e n’ai pas trop d’avis, j’ai plus envie de dire aux mecs de profiter de l’instant présent. Et dans 10 ans ils diront comme moi « c’était mieux avant ». Tu vois c’est mon côté suisse, pas de polémiques (rire).