Mauvaise foi. Un supporter sans elle n’est rien.
Je suis encore abonné. Chaque mois, 64 euros disparaissent de mon compte. Et je ne vais plus au Parc. Une première depuis 17 ans.
J’ai d’abord été triste, haineux, envieux, dégoûté, frustré. L’euphémisme est doux. Aujourd’hui, le PSG, le vôtre, le leur, c’est à la télé. Avec Paco, parfois avec Ronan. À la télé.
Terminé la ligne 9 de bout en bout, en lisant le Parisien ou un roman d’un écrivain mort. Terminé le coeur qui menace d’exploser avant de franchir les portiques de sécurité.
Terminé les larmes retenues quand les virages chantaient, l’hiver, alors que notre équipe humiliait encore une fois le football.
Et je vends mes tickets sur Viagogo. En attendant le mois de juin pour mettre un terme à mon abonnement. Le Qatar, Sarkozy et le libéralisme ont fait de moi un petit commerçant, un aigri, un célibataire.
Il faut savoir quitter la table quand l’amour est desservi
Voilà. La fin d’une grande histoire d’amour. Une femme pour la nuit, PSG pour la vie…
J’y ai cru à cette blague. J’avais gardé cette naïveté d’enfant, cette magie inébranlable, indiscutable: quoiqu’il arrive, le PSG, ce serait pour toujours, au Parc, seul ou avec quelques amis triés sur le volet. Rires.
Maintenant, je subis les commentaires navrants et orientés de Sauzée, de Dugarry, de tous les autres chaque week-end (seul Di Meco, qu’on ne peut suspecter d’être pro parisien, reste à peu près digne dans ses analyses). Bien sûr, quand le PSG gagne, je sautille encore de joie.
Et quand il perd, je serre encore les poings. Mais c’est comme si ce n’était plus vraiment moi qui vivait la chose. Je suis un drogué en phase de décrochage. Les plus purs ne sont jamais revenus au Parc après l’humiliation des placements aléatoires et des hausses de tarifs à gerber. Ils ont compris que c’était fini.
Pour calmer les méchants supporters, augmentons les prix ! C’est connu: le peuple est un salaud qui n’aspire qu’à la violence brune, qu’au chaos ! Les nantis, eux, se comportent bien, ils arrivent à l’heure, font la queue sans sourciller, payent sans broncher, applaudissent quand le speaker le demande… Ils consomment et ferment leur gueule. Sont-ils plus fréquentables pour autant ? Quand j’aperçois depuis mon poste la tribune VIP ou les gros plans sur cette foule touriste, un doute m’envahit pourtant…
“Il faut savoir quitter la table quand l’amour est desservi” chantait Aznavour.
Oui. Malgré les stars, malgré les titres qui tombent comme des corps soumis, le PSG ne m’appartient plus. Ma schizophrénie, elle, grandit à chaque nouveau match. Serai-je heureux si l’équipe (avant, j’aurais écrit nous) gagnait la ligue des Champions ? Même pas sûr. Ce serait presque normal. Prévu.
Et cela n’aurait donc plus du tout la même saveur. La souffrance est allée voir ailleurs. Ne reste que le spectacle (et encore, cette année…). Les tifos, les choeurs fiévreux, les âmes brûlantes, plus besoin.
Suis-je le seul à les regretter ? Suis-je le dernier à maudire l’hypocrisie totale qui a accompagné l’éradication de la ferveur ?
Et qu’on ne me dégaine plus jamais les deux cadavres parisiens (Julien Quemener et Yann Lorence) pour justifier la politique de nettoyage! Ce serait donc la décence et la morale qui auraient vidé les tribunes de ses inconditionnels ? Ah bon ? “Mais Jérôme, il y a eu des morts, c’est grave !”, combien de fois ai-je pris en pleine face cette remarque débile ? Et les morts de Karachi, on peut en parler ? Et ceux du sang contaminé, de l’amiante, du diesel, des bombes larguées depuis nos sémillants Rafale ?
Que la morale aille se faire foutre, elle n’est là que pour servir les intérêts supérieurs.
Pastore, on ne l’a pas payé assez cher
La seule chose qui me pousse vraiment à encore supporter le club?
Pastore.
Une évidence.
Oui, celui que tout le monde a noyé d’insultes pendant deux ans avant de l’applaudir.
Voilà le public du Parc aujourd’hui ! À genoux devant Ibra et prêt à brûler Pastore à la première passe loupée. Ah ah ah. “Pastore, on ne l’a pas payé assez cher”, voilà ma nouvelle devise. C’est un ange, un fantôme formidable, un loser flamboyant, un mec à l’ancienne, qui choisit ses fulgurances. Qui joue au foot, comme dans la cour d’école, quand le cynisme n’avait pas encore tout baisé.
Mauvaise foi. Un supporter sans elle n’est rien.
Et la mauvaise foi reste une foi.
N’en déplaise à celui qui occupe désormais ma place en K Bleu Bas et à tous les autres.