Le 6 mars 1997, le Paris Saint Germain accueille l’AEK Athènes en quart-de-final aller de la Coupe des Coupes. La venue d’un club grec à Paris m’offre l’occasion de découvrir le Parc des Princes et de sceller, à huit ans, mon amour du PSG.
Il y a des moments qui marquent une vie, qui font naitre des émotions. Des souvenirs qui comptent, et qui restent à jamais gravés dans la mémoire. Ma première fois au Parc des Princes est de ceux-là. La saison 96/97 marque véritablement le début de ma passion foot et de mon engouement pour le PSG.
L’acquisition de mon premier maillot -logo Opel en relief-, la feinte de corps de Jérôme Leroy face à Vaduz, la défaite 6-1 contre la Juventus de Zidane. 6-1. Je savais pas qu’on pouvait perdre 6-1 au foot. Par les émotions qu’elle provoque, la coupe d’Europe attire immédiatement mon attention. La remontée face à une équipe en jaune, venue d’une lointaine contrée (Non je ne connaissais pas le Galatasaray et la Turquie me semblait être le bout du monde) m’enthousiasme, et lorsque mon père m’annonce qu’il m’emmène au stade pour les quarts-de-finale de la Coupe des Coupes, je ne peux cacher mon excitation.
Je suis tour à tour Raï, Leonardo et Bernard Lama dans ma chambre, faisant hurler ma mère autant que les lattes de mon lit.
L’occasion rêvée
Mon paternel étant Grec, tomber sur un club du pays offre l’occasion rêvée pour découvrir le Parc des Princes. Face à « ce club de puissants », il est d’autant plus heureux de pouvoir supporter une équipe hellène en plein Paris. Une manière de s’affirmer contre sa ville d’adoption. Le sentiment de supporter l’équipe qui, sur le moment, représente la minorité. Sa minorité. « Tu seras pour l’AEK évidemment ».
J’ose pas trop répondre parce que non, désolé papa, c’est le PSG qui me fait rêver. Ce maillot rouge et bleu, ce numéro 10 brésilien, ce gardien trop stylé dans sa tunique verte. Moi, c’est le PSG que je vais supporter. Et heureusement, Ricardo -son pote argentin- nous accompagne et sera mon allié.
Le jour du match arrive enfin. On traverse tout Paris depuis Ménilmontant pour atteindre la Porte de Saint-Cloud. Ligne 2 puis 9. En entier. Au fur et à mesure que les stations défilent, les personnes portant maillots, écharpes et bonnets aux couleurs du PSG se multiplient.
L’excitation monte d’un cran à la sortie du métro où je découvre un monde fou, partout. A hauteur du rond-point, dans les rues adjacentes, à l’intérieur du Mc Do… Le lieu est envahi par des fans de foot, des supporters du PSG.
Je serre bien fort la main de mon père pour ne pas me perdre dans ce qui représente à mes yeux une marée humaine. Vacciné par une manif’ contre Chirac, la foule ne m’inquiète pas tant que ça à l’inverse des policiers postés sur leurs immenses chevaux. Comme si mes playmobils s’étaient transformés en êtres vivants.
On se dirige vers le stade, le temps de s’adonner à quelques pronostics. « Victoire 1-0 de l’AEK, lance mon père, avec un but de Nikolaïdis ». L’ex-futur joueur du PSG est alors meilleur buteur de son club, et la plus grande promesse du football grec. « Et avec Atmatsidis dans les cages, on prend pas de but ».
Atmatsidis. Ce gardien exécrable dans les airs qui prétendait poursuivre sa carrière en Angleterre. Le Gianluca Pagliuca du pauvre. « Depuis quand les Grecs savent jouer au foot ? lui rétorque Ricardo. 3-0 pour Paris, facile » chambre-t-il en me lançant clin d’oeil.
Le Prince du Parc
Les odeurs de merguez embaument mes narines, les vendeurs d’écharpes suscitent mon désir. Soudain, le voilà. Tel un vaisseau spatial atterri là par erreur, il se dresse face à moi. Beau, grand, majestueux. Le Parc des Princes. Son nom suffit à évoquer la magie de cette enceinte atypique, et je vais prendre place à l’intérieur. Le temps d’un soir, moi, Alexandros Kottis, huit ans, je serai Prince.
On contourne une partie du stade et ses épines dorsales pour trouver la tribune Paris. Je suis tout fier de présenter mon billet au guichetier, et de pénétrer porte H. Les puissantes lumières, les immenses fanions Nike qui descendent du toit… Tout semble gigantesque. A peine 22 000 spectateurs selon les feuilles de match, des tribunes dégarnies, mais l’acoustique rend l’enceinte extrêmement impressionnante et mon regard ne cesse de courir d’un bout à l’autre du stade. De la pelouse aux gradins, des supporters parisiens aux fans athéniens.
Le parc c’est nous !
D’ailleurs ils sont nombreux les jaunes et noirs. D’où ils sortent tous ces Grecs ? J’ai du mal à comprendre que des personnes soient venus de Grèce, et il m’est difficile d’imaginer avoir autant de compatriotes à Paris… Ils sont 4 000 dans le kop qui leur est réservé, et font beaucoup de bruit. Mais pourquoi sont-ils parqués entre des grillages comme des animaux ?
A la sortie des joueurs, la tribune Auteuil se recouvre d’un gigantesque tifo bleu-blanc-rouge. « Le Parc c’est nous ». Et c’est beau. Pas d’écran pour filtrer les images, je vois la pelouse, les cages et les joueurs en vrai. Les notions de distance et de temps me semblent complètement différentes de l’ordinaire et je semble être en retard par rapport à ce qu’il se passe sur la pelouse, réagissant plus en fonction du public que du match.
L’intérêt est en tribunes
Dès la 2ème minute, Dely Valdes place une puissante tête sur un centre de Leonardo, mais Atmatsidis s’interpose d’un bel arrêt réflexe. Mon père a-t-il vraiment toujours raison ? Les joueurs de l’AEK se font sifflés à chaque fois qu’ils ont le ballon et ça me met mal à l’aise, comme si on insultait ma propre famille.
« Hé Ho! » Clap-Clap Clap Clap Clap «Hé Ho!» ; « laaaaalalalala Paaaaris SG ». Les chants sont pas si compliqués, mais j’ose pas encore donner de la voix, sans doute intimidé par cette foule qui se répond. « PPPPPPP » « AAAAAAA » « RRRRR » « IIIIIIIIIII » « SSSSSSSS » « PARIS! » clap-clap-clap « PARIS ! » clap-clap-clap. Comment est-ce qu’ils arrivent à se coordonner pour chanter tous ensemble ?
Mi-temps, 0 à 0, et des joueurs rentrent aux vestiaires sous les sifflets du Parc. Pas cool. Quinze minutes de pause, le temps pour moi de découvrir les toilettes dégueulasses, presque inondées.
Je passe la seconde mi-temps comme la première, omnubilé par ce qu’il se passe autour de moi. « Regarde le match » me lance mon père, alors que je n’arrive pas à décrocher mes yeux des tribunes. Des types tournent le dos à la pelouse pour haranguer la foule. Et eux, ils sont cons ou quoi à ne pas regarder le match ?
Trop d’émotions
70ème minute, Nikolaïdis devance Kennedy dans la surface mais se fait reprendre au dernier moment par un tacle de N’Gotty, et la défense parisienne peut se dégager. Mon père se lève, bras en l’air : « PENALTY!! C’était péno ça ! ». Faute ? Main ? Rien du tout ? On voit quand même mieux à la télé.
Le match n’est franchement pas terrible, peu d’occasions et pas de buts. Le temps passe et l’ambiance se fait plus hostile. Une bagarre éclate en tribunes. Et puis j’ai un peu froid. Je réalise que j’ai pas révisé mon contrôle du lendemain et je commence à stresser. Oui, le CE2 c’est sérieux. Les fautes se multiplient, « toujours à l’avantage du PSG évidemment » s’énerve mon père. Il est temps que ça se termine.
« Mais ils sont où ? Mais ils sont où ? Mais ils sont où les Parisiens ? » descendent des tribunes. Le coup de sifflet final de l’arbitre est suivi par ceux des supporters, déçus du résultat et de la mauvaise passe du PSG. Cyril Fouget (sic) il est nul de toute façon. La tribune grecque elle, ne s’arrête pas de chanter.
La victoire à Athènes deux semaines plus tard grâce au triplé de Patrice Loko, puis l’épique qualification face à Liverpool en demi-finale de la compétition donneront, après coup, une saveur particulière à cette soirée. Viendront ensuite mes premières larmes devant un match de football, la finale perdue contre le FC Barcelone et ce penalty transformé par Ronaldo. D’impérissables souvenirs.