Se réveiller champion d’Europe, c’est basculer dans une autre dimension, et c’est tout le regard qu’on porte sur le football qui change. C’est passer de l’amertume à l’extase, du doute à la certitude, du rêve à la réalité.
Des années à se plaindre de certains joueurs, stars ou pas, qu’on ne supportait plus. Et ce matin, on se réveille en se disant que ce titre leur appartient aussi, un peu, parce qu’ils ont participé, d’une manière ou d’une autre, aux décisions, aux trajectoires, aux sacrifices qui nous ont menés jusqu’à cette Coupe. Tout s’assemble maintenant. Tout prend sens. Cela fait près de cinquante ans que je rêve de ce moment, que je souffre, que je porte cette malédiction que Marseille a jetée sur le football français, et sur le PSG en particulier. Pendant 32 ans, on a entendu en boucle leur mantra : *« À jamais les premiers »*. Et cette nuit, j’ai eu le sentiment que le sort s’était inversé. Que cette formule allait désormais se retourner contre eux. Que leur exclusivité venait de prendre fin.
Se réveiller champion d’Europe, c’est comme si on souffrait depuis toujours d’une maladie chronique, douloureuse, et qu’un matin, tous les symptômes disparaissaient. Comme si on avait toujours connu le traitement mais qu’on s’était constamment trompé dans la posologie. Et puis, soudain, plus de douleur. La guérison. Instantanée. Inespérée. Le PSG a toujours été une équipe de Coupes. Il lui faut de l’éclat, du grandiose, de l’émotion brute. Et nous avons été servi. En 2020, on ne pouvait pas gagner dans un stade vide, dans une finale à huis clos, sans le moindre supporter. Même si un jour, on accroche une deuxième étoile sur notre maillot, synonyme de notre vingtième titre de champion de France, ce sera toujours cette Coupe-là, la Coupe aux grandes oreilles, qui aura le goût le plus intense, le plus doux. N’en déplaise à certains — ils se reconnaîtront — être champion de France dans un championnat sans réelle adversité, c’est pour moi un truc de laborieux. De routine. La C1 c’est l’histoire. La légende.
Laver des décennies de frustration
Cette victoire est venue laver des décennies de frustration, de moqueries et d’humiliations parfois silencieuses. Elle a effacé la honte accumulée au fil des défaites cruelles, des espoirs brisés, des « presque » qui nous collaient à la peau. Pour la première fois, ce n’est plus un complexe que l’on traîne, mais une fierté que l’on porte. En un seul match, on a retourné la honte en expérience, le poids du passé en force tranquille. Ce qui nous faisait baisser les yeux hier nous sert aujourd’hui de socle pour regarder l’Europe droit dans les yeux. Ce scénario, avec son intensité et sa maîtrise, oblige désormais les autres à nous considérer autrement. Ils n’ont plus le choix : ils doivent nous faire une place à la table.
Nous en avons qu’une, mais elle fait de nous une référence incontournable, un point de repère dans l’histoire moderne du football européen. Tant que notre record de cinq buts en finale ne sera pas battu, on parlera de nous chaque année, comme d’un sommet que les autres tenteront d’atteindre. Et puis il y a l’après. L’après avec les autres, qui va presque me faire regretter d’avoir gagné. Tous ceux qui vont nous expliquer le football, nous dire qu’ils l’avaient senti, qu’ils étaient sereins. Que Luis Enrique est le meilleur coach de tous les temps. Que Ruiz et Donna méritent le Ballon d’Or. Rien qu’à y penser, j’en peux déjà plus. Il faudra donc accepter cet « après ». Cet après qui a commencé dès le coup de sifflet final. Cet après qui me fait regretter de ne pas avoir pleinement savouré chaque minute de ce match, tant mon esprit était encombré, parasité, en alerte.
Il va falloir changer de logiciel
Je sens poindre en moi un étrange vide. Moi qui ne suis pas comme ça d’habitude. Il n’y a que le foot pour provoquer ça. Pour faire tomber les armures les plus solides. Il va falloir apprendre à assumer d’être aimé. À accepter qu’on nous encense, qu’on nous caresse dans le sens du poil, qu’on nous lèche de partout, qu’on nous aime. À accepter de perdre un peu de cette créativité que nous avions développée pour imaginer quoi dire, quoi faire, chaque jeudi d’après une désillusion européenne… Il va falloir changer de logiciel. Changer nos éléments de langage. Notre standard, c’était au minimum une Coupe de France, mais cette nuit du 31 mai 2025, on a appuyé sur « upgrade ». On a changé de statut. Définitivement.
En tout cas, une chose est certaine : ce qu’on ne pourra jamais m’enlever, c’est ça : nous sommes Champions d’Europe et notre victoire est devenue légendaire. Il aura fallu 20 ans à mon fils Victor pour enfin ressentir ce soulagement.