Virage : /vi.ʁaʒ/

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Le virage, c’est l’incertitude, le doute.

Qu’y a-t-il au bout, comment l’appréhender? Un frisson, la respiration qui se suspend le temps de découvrir ce qu’il cache en fin de courbe.

La trajectoire parfaite de Bernard Mendy qui après avoir enfumé Roberto Carlos dans son couloir, sert Wiltord sur un plateau en Equipe de France. Et on s’est tous demandés où il cachait ce talent le reste du temps.

Le virage, c’est également le changement, l’espoir, la révélation.

La sortie d’un tunnel, quand l’oeil se réadapte à la clarté du jour et aperçoit les premières montagnes…
Le refus de la fatalité du duo magique Léonardo et Raï, qui en 90 minutes renversait des scores et mystifiait un Parc des Princes en fusion.

Mais trêve de considérations philosophico-routières.

Bande d’énergumènes…

Le virage, c’est enfin, et surtout, la ferveur.

Au Parc des Princes, c’est la place du peuple supporter, le ticket le plus abordable pour qui veut découvrir l’ambiance du stade à l’écart des tribunes présidentielles, où l’on s’assoit pour consommer un match de football en parlant d’autre chose.

Et à Paris, les virages ont des noms. Célèbres et vénérés pour ceux qui les fréquentent, terrifiants pour ceux qui les observent à distance, ou par le prisme des media.

Auteuil et Boulogne : deux noms scandés d’une tribune à l’autre, épicentres des chants à la gloire du Paris Saint-Germain, faiseurs de rois et fossoyeurs d’entraîneurs, virages de tous les excès…

Mai 1982, le PSG affronte au Parc des Princes le Saint-Etienne de Platini en finale de la Coupe de France, et le tirage les désigne visiteurs dans leur propre stade… le jeune virage Boulogne est déserté pour laisser la place aux Stéphanois, et c’est Auteuil qui accueille pour l’occasion les plus véhéments des supporters parisiens. C’est d’ailleurs de cette tribune que descendront les « bandes d’énergumènes », selon les mots de Thierry Roland ce soir là, qui envahiront plusieurs fois le terrain durant cette finale à rallonge qui verra Paris gagner sa première Coupe et Francis Borelli embrasser la pelouse.

Auteuil deviendra au début des années 90, avec l’arrivée (et le soutien) de Canal Plus aux commandes du PSG, le pendant de Boulogne, aussi bien géographiquement dans le stade, que (socio-) politiquement. La réputation sulfureuse de Boulogne, qui s’est structurée sur le modèle des kops anglais, les incidents répétés impliquant ses membres en déplacement, certains d’entre eux appartenant à des mouvances radicales (jeunesses nationalistes, skinhead,…) rend nécessaire l’émergence d’un second pôle de supporters dans le stade.

Une scission s’opère entre les différents groupes de Boulogne, et certains d’entre eux migrent et contribuent à faire émerger le virage Auteuil, qui se rapprochera par la suite des canons de beauté des « curva » italiennes, célébrant à l’échelle européenne la gloire de ses équipes avec les plus beaux tifos, avec toutefois une politisation bien moindre de ses membres.

Car qui va seul au parc ?

A cette époque, le virage est l’agrégat de tous les profils, du simple spectateur passionné à l’ultra tournant le dos au terrain pour donner le ton des chants, et tous les yeux se braquent sur ces tribunes qui s’embrasent littéralement les soirs de matches.

Mes premières fois au Parc, je les ai vécues à l’aile de la tribune Auteuil, en tribune G, dans le virage du Virage, dans ces années là.

Les profs de sport de mon lycée récupéraient des places pour certains matches à domicile, et personne n’avait l’air d’en vouloir…

Avec quelques potes, nous avons ainsi pu goûter à la fureur et la fusion, la fumée et les flammes… Les premières minutes de match qui passaient à la trappe le temps que les feux de Bengale se dissipent, le tout Paris et le tout Banlieue qui se retrouvait dans une même enceinte pour pousser derrière son équipe, les chants personnalisés pour les joueurs hors normes (« Capitaine Raï, tu n’es pas de notre galaxie ») et l’hymne écossais qui résonnait dans tout le stade (« Oh Ville lumière »).

Le plaisir de prendre place dans le virage devient rapidement une habitude addictive. Un lieu de rendez-vous entre amis (car qui va seul au Parc?), celui qui se peuple le plus tôt chaque jour de match et adresse ses revendications à la direction du club, un exutoire bienvenu, mais surtout une boîte à souvenirs, les meilleurs comme les plus cruels.

Oui j’ai vu un soir Didier Drogba nous jeter à la figure son amour pour l’un de ses anciens clubs, comme j’ai assisté à des démissions collectives de joueurs pour faire sauter un entraîneur – coucou Vahid.

Mais par dessus tout, j’ai hurlé sur des buts du jeune Anelka contre Lens, de mémoire mon premier match au Parc, d’Okocha contre Bordeaux, mais aussi d’El Karkouri ou de Ljuboja… j’ai scandé les noms de Raï, Ronaldinho, Dely Valdes, Pauleta et du meilleur d’entre tous, Jerome Leroy. Je me suis senti invincible en prenant place derrière la cage de Bernard Lama, mais je me suis également demandé ce que je faisais là par -2 degrés un soir d’hiver à regarder un non-match concocté par Guy Lacombe, ou si Alioune Touré marquerait un jour un but…

J’ai passé d’incroyables soirées en tribunes, à entendre parfois l’hymne de la Ligue des Champions, à attraper des extinctions de voix qui me faisaient passer pour un con le lendemain au boulot, et à m’imaginer plus tard avec mon fils lui faisant découvrir le Parc de ma jeunesse. Puisse cette même ambiance être encore dans mon stade chéri le jour où il y mettra les pieds pour la première fois…

Si la ligne droite est le plus court trajet entre deux points, le Virage est le chemin tortueux qui nous fait passer par toutes les émotions….

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