Body Double

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Patrick Sebastien a un jour dit “Quoi de plus stupide que les remplaçants d’une équipe de football assis sur un banc sous une cage de verre… Ils peuvent l’attendre longtemps le bus.”


Cette phrase a longtemps tourné dans ma tête, contrairement aux serviettes. D’abord parce que depuis « T’Aime », je porte en haute estime les pensées philosophiques de son auteur. Mais aussi parce que, personnellement ; je n’aimerais pas être remplaçante. Ainsi, je n’ai jamais accepté d’être le body double de Mimie Mathy, ou de coucher avec un homme en couple. Mais la question est : et si cet homme était Idris Elba ? Ou si on me demandait d’être la doublure corps de Sophie Marceau ? Je peux toujours argumenter que ça n’y changerait rien, que c’est un principe. Mais comme l’occasion ne s’est pas présentée, je ne suis sûre de rien. Et puis je ne fais pas partie d’une équipe, et là est toute la différence.

Cette année, une bonne partie des médias s’interroge, voire s’inquiète, à propos du banc parisien. Comment Cavani va vivre d’être relégué au second plan ? Comment Tuchel va gérer la compétition Icardi/Cavani ? Comment va-t-il faire pour faire jouer au milieu Verratti, Gueye, Paredes, Sarrabia, Marquinhos et Draxler ? Comment fera-t-il lorsque Neymar sera revenu ? En résumé : comment des joueurs de premier plan peuvent-ils accepter d’être remplaçants, ou de jouer à un autre poste que le leur : comment garder le banc motivé et serein ?

Ces questions, personnellement, je ne me les pose pas.
Parce qu’en Ligue des Champions, avec toutes les demi-joies des matchs de poule ou des matchs aller, suivies de la souffrance aigüe des contre-performances à répétition, j’ai une mémoire assez rectale de nos dernières années en terme d’effectif sur le terrain.
Le quart de finale aller contre Barcelone en 2013, sans Motta. Le retour, sans Matuidi, suspendu. Le quart retour 2014 contre Chelsea sans Zlatan, le quart de 2015 aller contre Barcelone sans Verratti, sans Motta, sans Zlatan et où Silva se blesse à la 20ème minute. Le retour sans Silva ni Motta. Le quart retour de 2016 contre Manchester sans Verratti, sans David Luiz ni Matuidi. Bon, 2017, je ne peux pas encore en parler, c’est trop douloureux. Et que le nom de cette infamie ait été choisie par les espagnols, et se dise dans leur langue ajoute à la colère. Gardons donc uniquement ces quatre années en exemple.

Chaque année où notre équipe a passé les huitièmes, on s’est retrouvé amputé de titulaires indiscutables mais surtout devenus indispensables. En mode Rocco émasculé. Comment des journalistes peuvent-ils encore discuter le bien fondé d’un banc profond quand on a les ambitions du PSG ?
Les buteurs décisifs des deux derniers vainqueurs de la coupe aux grandes oreilles vérifient aussi cette règle du banc. En 2018, indépendamment du fait que le Real a déjà gagné deux fois de suite et donc engrangé de la confiance, son banc est largement supérieur à celui de Liverpool. A la 61ème minute, alors que les deux clubs sont à égalité (un but de Benzema contre un but de Mané), Zidane fait entrer Gareth Bale qui renverse le match avec deux buts magnifiques ; un retourné puis un tir puissant de loin. Alors que beaucoup le trouvaient inutile, en doublure d’Isco préféré par Zidane, après avoir été blessé presque trois mois entre l’automne et l’hiver, le voilà qui offre une troisième victoire historique au Real.

En 2019, si l’on doit comparer Liverpool et Tottenham, encore une fois le banc le plus profond aura fait pencher la balance du côté de Liverpool. Origi, remplaçant entré à la 58ème, inscrit le seul but du match sur une action de jeu et entérine l’avance donnée par Salah sur penalty.
Mais surtout, si un club doit se doter d’un banc sérieux, c’est Paris. Car après avoir vécu pendant plus d’une décennie la fameuse « crise de novembre », nous voici maintenant avec « les blessures de mars ». Et cette année, mars est arrivé plus tôt que prévu.
Si l’on peut donc questionner la préparation physique et psychologique de nos joueurs, il me semble qu’il ne se pose aucune question sur le besoin de doublures de haut niveau : nous avons besoin d’une doublure d’équipe aussi forte que celle des titulaires.

La question qui se pose alors est plutôt : Tuchel est-il capable de gérer les egos des remplaçants, les frustrations de ceux qui ne commencent pas les matchs, les déceptions de ceux qui sortent trop vite du terrain à leur goût ? Sa proximité avec les joueurs, parfois critiquée, me semble un véritable atout pour leur faire accepter les sacrifices pour l’équipe. Sa propension à faire tourner l’effectif et à donner du temps de jeu à tout le monde peut aussi jouer en sa faveur. Je n’ai pas beaucoup d’inquiétude ici.

Et les discours de Leonardo sur l’implication et l’allégeance réclamées aux joueurs vis à vis du projet et du club, tout comme son expression d’ambitions plus réalistes, doivent permettre de placer toute l’équipe dans le bon sens.
C’est plutôt le niveau d’engagement de nos joueurs qui est en cause. Car à trop laisser passer de matchs ou de mi-temps quand il n’y a pas assez d’enjeu, l’équipe n’engrange plus d’invincibilité sécurisante. Depuis l’avènement de l’ère Qatari, l’équipe n’a jamais été aussi pleine et pourtant aussi fragile.
Là est le véritable enjeu de cette année charnière.

Et n’en déplaise à notre Président Cece – qui a autant d’arguments pour défendre ses positions que de cheveux sur son crâne * – si je nous souhaite de gagner au plus vite la Ligue des Champions, je ne pense pas que cela soit possible après avoir perdu deux huitièmes de suite. Cette année ressemble à une année de transition, pour oublier nos peurs, l’angoisse d’être maudits (le syndrome du supporter parisien), pour laisser à Tuchel le temps de rassurer Leo, ou à Leo de remplacer Tuchel si nous n’atteignons pas au moins une demi.

Il nous faut aller plus loin dans la compétition, caresser la coupe par en-dessous, pour forger l’expérience et exciter la frustration de nos joueurs. Comme l’a fait Liverpool en 2018. Et si notre entraineur a besoin de quelques conseils pour gérer un effectif ou un banc, on a un français assez expert sous la main, notre Dédé national dit l’homme a la chatte en or. Car cette année, notre entraineur ne peut pas avancer qu’il n’a pas la profondeur de banc nécessaire à l’exploit. Nous avons enfin un banc magnifique, un banc fantastique ; un banc cavanesque.


Et comme j’ai commencé avec une très belle citation, j’aimerais finir avec une autre d’une poésie sans égale :
“Quand on voit ce que les pigeons ont fait sur ce banc, il faut remercier Dieu de n’avoir pas donné d’ailes aux vaches.” Régis Hauser.

* petite vengeance gratuite après m’être faite traiter de footix sans raison dans le dernier Podcast du Virage.


Aurelia Grossmann

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