Eric Rabésandratana
« Si j’avais pu rester 10 ans… »

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Il a été lancé par Aimé Jacquet à Nancy quand il avait 17 ans. A 24 ans, direction le PSG, ses champions du monde Raí, Leonardo, et des coéquipiers quasiment tous internationaux. Eric Rabésandratana a d’abord dû gagner sa place, puis ne l’a plus vraiment quittée, jusqu’à se voir confier le brassard de capitaine. 1997-2001 : « Rabé » au Paris Saint-Germain : une histoire sincère pour un joueur qui ne l’est pas moins.


Virage : Eric, quand apprenez-vous que Paris vous convoite ?

Eric RabésandratanaLe tout premier contact, je dirais que c’est en novembre 1996, via Jean-Michel Moutier (directeur sportif du PSG, NDLR) que je connaissais de Nancy. En décembre, on va gagner au Parc (1-2). Je vois Ricardo après le match, cela a été assez succinct mais j’ai compris qu’il souhaitait ma venue.

Virage : Et vous signez sans hésiter ?

E.R. : Totalement. En fait 2 clubs m’ont appelé : Paris et Marseille. D’un côté j’avais le discours de Jean-Michel Moutier, de l’autre celui de Marcel Dib. J’étais plus réceptif à celui de Paris. Mon choix a été direct, limpide : le PSG. Je suis Parisien, né à Epinay-sur-Seine (93)…

Titi parisien, avec un shlass dans la poche comme un Tunisien…

Virage : Vous avez 24 ans et rejoignez une équipe de « stars », un choix non sans risque ?

E.R. : C’est la question que tout le monde me posait: « Eric, tu vas jouer où ? ». Avec l’effectif de ces années-là, les « années Denisot », les gens s’inquiétaient. Moi, au fond de moi, je savais qu’il fallait être patient, mais aussi que ça se passerait bien.
Quand j’ai signé, il y avait une blague qui disait qu’on allait voir arriver des grands noms au PSG, c’est ce qu’avait dit le président (Michel Denisot), et effectivement, Rabésandratana était un grand nom… 14 lettres ! (rires). C’était drôle.

PSG-Bucarest, je n’ai pas les mots

Virage : A peine arrivé, vous vivez un match historique au Parc : PSG-Bucarest 5-0 (27 août 1997) !

E.R. : Cette soirée a été extraordinaire. Il n’y a pas de mots. J’étais remplaçant. Je devais rentrer à la toute dernière minute, dans les arrêts de jeu, pour faire gagner du temps. J’étais au bord du terrain, prêt à rentrer, quand l’arbitre siffle la fin du match. OK, ce sera pour une prochaine fois (sourire). Le scénario, l’ambiance, le vestiaire… Dans le vestiaire avant le match, c’est difficile à expliquer mais tu sentais qu’on allait le faire. Les mecs étaient prêts à réaliser l’exploit. Ça se sentait. Paris était plus fort sur le papier, restait plus qu’à le prouver. Dans la tête, psychologiquement on était prêts. Ensuite, ce fut le scénario idéal.  Le Parc c’était quelque chose. En Coupe d’Europe j’ai connu les ambiances les plus extraordinaires de ma vie : PSG-Bucarest, PSG-Rosenborg 7-2 (2000). Je me souviens aussi du 2-1 face à Marseille en 1999, Bruno Rodrigues qui marque à la dernière minute (88e), après Marco Simone (84e). Très grosse ambiance.

Virage : Un autre match « marquant », d’abord pour vous : votre premier PSG-OM, le penalty de Ravanelli…

E.R. : Chaque année, les journalistes m’appellent pour PSG-OM, chaque année, on me pose la même question, et chaque année je  dis la même chose : je n’ai pas fait faute. Cela me fait sourire car chaque fois, je ne dis rien de plus que ce que j’ai déjà dit l’année d’avant. Cela n’empêche pas que l’année d’après, on me pose la même question, faute ou pas faute (sourire). Pareil quand Ravanelli venait au Parc avec Ajaccio, on m’appelait. Lui dit pareil depuis 20 ans, moi aussi.

Le clin d’oeil de l’arbitre à Ravanelli

Virage : Que s’est-il exactement passé ?

E.R. : Quand l’arbitre a sifflé, j’ai ressenti une grande frustration, une injustice car je me suis arrêté exprès, j’ai levé les bras pour montrer qu’il n’y a pas faute. Je savais exactement ce qu’il allait faire, donc j’ai stoppé ma course. Ce que je me reproche, c’est au début de l’action, je me fais avoir sur le dribble. J’ai anticipé le fait qu’il allait se mettre sur son pied droit, il est parti avec le gauche. C’est là où ça se joue. Je ne le touche pas, il m’effleure tout au mieux. Il se fait un croche pied tout seul. Et quand je suis rentré au vestiaire, déjà bien énervé, j’ai vu l’arbitre faire un clin d’œil à Ravanelli.
Autre chose aussi m’a énervé : Canal n’arrêtait pas de repasser les images en boucle, dans tous les sens. Ils faisaient intervenir plein de gens. Moi en revanche, ils ne m’ont jamais appelé. Pourquoi ? Peut-être pour faire plus de buzz. 

Le bon, la brute et le truand

Virage : Tout ce bruit, la polémique, peu après votre arrivée au PSG : comment l’avez-vous vécu ?

E.R. : Compliqué… Mes coéquipiers ne m’en ont pas voulu, ils savaient qu’il n’y avait pas faute. Mais bon c’était plus autour, c’était chiant après, pesant. Non seulement c’était mon premier Classico, en plus tu le perds, sur un penalty imaginaire. Avec l’abattage médiatique, tu te retrouves presque comme un criminel. 

J’aurais aimé marquer plus

Virage : Vous marquiez souvent de la tête, la première fois en Ligue des Champions à Göteborg ?

E.R. : Souvent, c’est beaucoup dire (sourire). Là j’avais mis cette tête sur un centre de Franck Gava (0-1). J’aurais aimé marquer plus avec Paris (134 matches, 9 buts), comme à Nancy où je jouais plus offensif, milieu de terrain (meilleur buteur du club en 1995-1996, 16 buts, NDLR). Le PSG m’avait recruté pour jouer en défense.

Virage : Vous avez aussi marqué face à Nancy (2000), un but à la 95ème  au Parc !

E.R. : Oui… D’ailleurs à Nancy, on m’en a un peu voulu, certains m’ont « accusé » d’avoir fait descendre le club, alors qu’on était en février. Il restait plusieurs journées après.

B-Real et son tube « I Wanna Get High, So High… »

Virage : Au début, des joueurs vous ont-il pris sous leur aile ?

E.R. : Je me suis bien entendu avec Laurent Fournier, je connaissais Franck Gava de Nancy, mais j’étais bien avec tout le monde. C’est facile de s’intégrer au milieu de joueurs de cette qualité, footballistique et humaine. A l’entraînement, ça jouait à 1 ou 2 touches de balle, il faut se mettre au diapason tout de suite. A Paris, rien que les entrainements te suffisent à progresser. Mais bon, au début le plus dur a été vraiment la patience avant de jouer. Un truc « horrible » hyper frustrant, c’était les lendemains de matches : pendant que les titulaires vont faire un footing de décrassage dans la forêt de Saint-Germain, toi tu t’entraînes dur à côté. Là, c’est une grosse frustration. Joël Bats m’encourageait à ne pas lâcher. Ce que j’ai fait.

La solution avec 3 défenseurs derrière

Virage : Votre première titularisation arrive le 25 octobre 1997, au Parc, face à Lens (2-0) ?

E.R. : J’ai « bénéficié » de la suspension de Paul Le Guen (après un tacle sur Charles-Edouard Coridon, fracture du péroné, NDLR). Petite pression en amont mais après ça allait. Je l’ai plutôt bien vécu, concentré sur ce que j’avais à faire. J’étais prêt.

Virage : Vous restez ensuite dans le onze ?

E.R. : Oui Ricardo avait trouvé la solution avec 3 défenseurs derrière : Roche, Le Guen et moi. Cela n’a pas trop mal marché avec notamment le doublé Coupe de la Ligue/Coupe de France en fin de saison.

Y a pas que la tête, y a la technique aussi

Virage : Au Stade de France face à Bordeaux (Coupe de la Ligue), séance de tirs au but : vous tirez le premier ?

E.R. : On me demande si je veux tirer, je dis oui je veux bien mais je tire le premier. A Nancy, c’était moi qui tirait les penalties donc je pense que cela m’a aidé. J’avais l’habitude mais là, en finale,  j’avais quand même de la pression.

Virage : Que se passe-t-il alors dans votre tête ?

E.R. : Je pars du rond central, et le seul truc qui m’importe : me conditionner. Le meilleur des conditionnements, en tout cas pour moi, c’est choisir un côté et t’y tenir. Ce soir-là, je la mets à droite en l’air. Je l’ai mise exactement là où je voulais la mettre. Ces 2 trophées (Coupe de la Ligue, Coupe de France) sont les 2 premiers de ma carrière. Gagner avec Paris, c’est magique et en plus j’étais titulaire les 2 finales. C’était une grande satisfaction.

Face à Gueugnon, j’ai vraiment eu honte

Virage : En revanche face à Gueugnon en 2000…

E.R. : C’est la première fois de ma vie où j’ai eu honte sur un terrain de foot (défaite 2-0 en finale de la Coupe de la Ligue). Si tu as une conscience, ce n’est pas possible, tu ne ressors pas indemne de ce match. J’ai vraiment eu honte.

Virage : En 1999-2000, vous êtes le seul Parisien à figurer dans l’équipe type de Ligue 1. La saison suivante, vous devenez capitaine du PSG, une surprise pour vous ?

E.R. : Une fierté. A la fin du stage de préparation à Orléans (2000), Philippe Bergeroo m’en parle. C’était un peu dans la continuité. une récompense peut-être aussi par rapport à l’état d’esprit. Je n’ai jamais triché. Parfois tu peux être mauvais, mais dans la disposition, j’ai toujours tout donné. Avec Paris, j’ai connu une certaine progression, c’est allé crescendo. Du premier au dernier jour, j’ai été dans le même état d’esprit, ne jamais rien lâcher, tout donner pour un club que j’aime. Quelque part, c’est une fierté d’être arrivé dans une grande équipe d’Europe, et progressivement d’y avoir fait ma place.

Capitaine Caverne !

Virage : Jusqu’au retour de Luis Fernandez…

E.R. : Luis est arrivé après Sedan-PSG (5-1), le 2 décembre. 3 jours après, on joue à Galatasaray, on perd 1-0. Je suis titulaire et toujours capitaine. On enchaîne direct avec un déplacement à Bastia. Lors de la mise en place, il me donne le dossard de remplaçant. Sans un mot. Le lendemain, je suis sur le banc, Déhu est capitaine. Je n’ai eu aucune explication, rien.  Quand Luis est arrivé, ça a été le début de la fin pour moi. Je n’ai jamais eu d’explication. Je suis allé 3 fois dans son bureau pour lui poser la question, à chaque fois rien, c’était un mur avec moi. Peut-être qu’il ne m’aimait pas, que mon personnage le dérangeait. Je ne sais pas, peut-être qu’il m’a assimilé à un mec de Bergeroo, peut-être qu’il me trouvait mauvais. Je ne sais pas, mais qu’il me le dise tout simplement.  Le fond du problème, ce n’était pas qu’il ne me fasse pas jouer, c’était de savoir pourquoi, et ce sur quoi je devais travailler. L’été 2001, il m’a donné une date de reprise 4 jours après le groupe… Il y a prescription maintenant mais moi je ne suis pas un faux cul, je n’oublie pas.

Virage : Du coup, vous quittez Paris à l’été 2001 ?

E.R. : Pas le choix. Je pars frustré, à contre cœur. Un gâchis car il me restait un an de contrat. Je devais rester 5 ans à Paris, je n’en n’ai fait que 4. Moi, je ne serais jamais parti, si j’avais pu rester 10 ans, je serais resté 10 ans.

Un cauchemar qui m’a beaucoup marqué

Virage : Direction l’AEK Athènes ?

E.R. : J’avais envie d’une expérience à l’étranger. J’ai pris la première qui s’est présentée à moi, j’ai joué la sécurité. Une connerie. J’aurais dû attendre les autres options. Surtout quand on sait comment cela s’est passé à l’AEK Athènes…

Virage : Racontez-nous ?

E.R. : Une galère sans nom. Déjà je vous raconte comment j’ai signé. J’étais dans des bureaux, à Paris, avec l’agent et les dirigeants de l’AEK. L’agent, c’est Milan Calasan, et pendant que je suis en train de signer, il reçoit un appel des Glasgow Rangers, il sort du bureau, m’appelle et me dit de déchirer le contrat : « les Glasgow Rangers te veulent ». Moi c’est clair que j’aurais préféré les Rangers, il me dit : « arrache la feuille », par téléphone interposé. Moi : « tu es marrant mais je viens de signer ». Bref, j’arrive à Athènes, où j’ai signé 4 ans. C’était Fernando Santos le coach (champion d’Europe 2016 avec le Portugal, NDLR), un super mec, avec lui tout s’est toujours bien passé. Tôt dans la saison, je me blesse (déchirure aux abdos). A partir de là, le cauchemar commence. Le président, un mafieux, plusieurs fois condamné, me dit : « Quand est-ce que tu rejoues ? Si c’est comme ça, on va revoir les termes de ton contrat ». Ça commence comme ça…

Rabé chez les Grecques

Virage : Ensuite ?

E.R. : D’abord, je n’ai plus le droit de jouer les matches, juste de m’entraîner. Santos était complètement désolé pour moi. A partir de janvier 2002, je n’ai ni le droit de jouer ni le droit de m’entraîner. Le président me l’interdit… Je ne suis plus payé.  Je ne m’entraîne pas, mais je vais pointer tous les matins au centre d’entraînement. Je signe la feuille de présence et donc je repars. Un matin, je pars signer la feuille, je rentre chez moi et là je n’arrive pas à ouvrir ma porte. Les clefs ne rentrent plus. Le président avait changé les serrures pour me faire partir… J’étais enfermé dehors. J’appelle un serrurier. Un peu plus tard, le président me convoque : « Il faut que tu t’en ailles, que tu rendes les clefs », il insulte ma femme. La discussion tourne court. Je rentre chez moi et là, serrures à nouveaux changées… il les avait faites changer pendant notre rendez-vous ! C’était un fou. Je pars porter plainte au commissariat, bien sûr j’appelle le serrurier, je récupère tout à la maison et avec ma femme on prend le premier avion pour la France à 5h45. Cette expérience m’a beaucoup marqué. J’avais signé 3 ans et au final, malgré les procédures j’ai été payé… 3 mois de salaire. Je suis passé par les lois grecques avant la FIFA, c’est le processus.

Bosser avec Buno Salomon, France Bleu, c’est que du bonheur !

Virage : Vous rebondissez à Châteauroux, avec Michel Denisot président et Jimmy Algérino, votre ancien coéquipier au PSG ?

E.R. : Oui c’est cela (2002-2004), et puis ensuite la Belgique, 3 saisons à Mons. Une expérience mitigée… A un moment, je suis arrivé vraiment à saturation du foot, beaucoup de galères. Du coup j’ai arrêté ma carrière, sans que cela soit planifié. J’ai arrêté car je saturais.

L’Algérino avec le sourire

Virage : Du coup comment s’est passée votre reconversion, que faites-vous aujourd’hui ?

E.R. : La reconversion a été un peu compliquée parce que j’étais partagé entre m’éloigner du foot ou y rester et accepter la mentalité. Finalement La radio s’est présentée à moi quand je suis revenu vivre à Nancy. Je commentais les matches avec aux commandes Laurent Pilloni qui m’a beaucoup aidé. La radio, c’était un bon compromis et j’y prends beaucoup de plaisir. Et puis depuis le début de l’année, France Bleu Paris m’a sollicité par l’intermédiaire de Bruno Salomon avec qui j’avais déjà fait quelques matches dans le passé pour commenter le PSG et j’ai tout de suite accepté. Bosser avec Bruno et Ségolène Alunni qui est en studio pendant les matches, c’est que du bonheur. Maintenant pour l’instant à la radio je n’ai pas de contrat à l’année donc je suis toujours à la recherche de quelque chose de supplémentaire qui me permettrait d’avoir un vrai salaire.

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