Interview Markus Kaufmann Virage

Markus Kaufmann

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Depuis le match contre Manchester United, THOMAS TUCHEL a pris une autre dimension au PSG. Ce n’est pas vraiment une surprise quand on s’intéresse de près à la carrière du technicien allemand. C’est le cas de MARKUS KAUFMANN que nous avons rencontré pour parler de son livre « THOMAS TUCHEL, FAIRE GRANDIR PARIS » dans lequel il revient en détail et avec talent sur la carrière du natif de Krumbach.
Et où il est beaucoup question de PROCESSUS.

Tout d’abord explique nous ton parcours.

Je suis né à Paris. Je suis franco-suédois. J’ai passé la majorité de mon enfance à Saint-Germain-en-Laye, à 10 min. du Camp des Loges en vélo. J’ai joué deux ans au PSG quand j’étais petit. J’allais au Parc quand j’étais ado et durant les années 2000. J’ai fait mon lycée à Moscou, suis rentré à Paris pour mes études et j’ai ensuite fait une prépa à Paris au Lycée Henry IV. Puis j’ai intégré l’Essec pour étudier le management du sport. Avec comme objectif de travailler dans le sport et le foot en particulier.

Tu n’as donc pas une formation de journaliste à la base ?

En fait durant mes études à l’Essec je travaillais à mi-temps pour So Foot. J’ai commencé mon blog « Faute tactique » où je faisais des récits romancés sur le foot, plutôt du côté supporter, et des analyses tactiques. J’ai fait ça pendant 3 ans. A la fin je voulais prendre ma carte de presse et partir en Amérique latine pour écrire une année et travailler sur un livre. Mais ça ne s’est pas fait. Je suis rentrée en Europe, à Londres, pour travailler pour des clubs, et me former au niveau du sportif. Je suis d’ailleurs en train de passer mes diplômes de coach. J’entraine une équipe de jeunes à Londres. Ce sont des moins de 14 ans, dans une académie du Nord de Londres.

Quelle équipe suis-tu en Europe en plus de Paris ?

J’ai vécu en Italie quand j’étais petit et je suis tombé amoureux de l’Inter là bas. Il y avait en plus un lien avec le Paris de l’époque en la personne de Youri Djorkaeff.

Pourquoi avoir choisi Thomas Tuchel pour ce premier livre ?

En fait ce n’est pas moi qui ait choisi. Ce sont les éditions Marabout qui me l’ont proposé. Au départ ça devait être une biographie pour raconter sa personnalité dans le sens où on ne la connaissait pas en France au moment où il est arrivé. Mon premier reflex a été de rencontrer des joueurs et des gens qui l’ont connu. Pour voir si il y avait de la matière pour raconter une histoire. Je m’attendais à ce qu’on me décrive Tuchel comme quelqu’un de très froid, calculateur, manipulateur dans sa façon de gérer le vestiaire. Car c’est ce qui se dégageait de loin quand il était à Dortmund. Mais tous les gens que j’ai rencontrés m’ont dit que c’était un mec en or, très drôle, très différent de celui qu’on voit devant les caméras. En plus il a une histoire intéressante dans le sens où il a eu une carrière de joueur, écourtée par une blessure. Il est sorti du football, il est revenu. Ce n’est pas un personnage très exposé publiquement, mais il a eu une ascension qui se prête très bien à un long format comme ce livre. J’ai eu l’occasion de le rencontrer rapidement et j’ai été aussi surpris par son caractère très jovial.

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Thomas Tuchel à Mayence

Tu as donc du revoir ta façon de construire le livre ?

Oui, ça m’a motivé. Et j’avais aussi envie d’apporter une partie tactique. Pour permettre d’interpréter ses choix au PSG. En analysant comment ses équipes avaient joué à Mayence et à Dortmund. Et voir quels défis tactiques, sportifs ou institutionnels il avait du relever dans sa jeune carrière.

Est-ce que le personnage te fascine et pourquoi ?

Il est fascinant par son parcours. A l’image d’un José Mourinho. Il a commencé de rien. Il n’a pas été invité dans l’élite du football professionnel. Il a gagné sa place au mérite et à la compétence. Son profil raconte aussi l’histoire de tous ces éducateurs qui travaillent dans l’anonymat chaque semaine et qui n’ont pas de reconnaissance. C’est pour ça que sa première partie de carrière, en tant que formateur, lorsqu’il conduit son Audi break un peu partout dans le sud de l’Allemagne, est intéressante. Car beaucoup d’entraineurs vont se reconnaitre dans ce portrait là. C’est l’histoire d‘un type qui essaye de faire son boulot de la meilleure façon possible avec intelligence et avec talent. Et aujourd’hui il arrive à un poste où l’on attendait que des ex-champions du monde ou des entraineurs qui ont déjà gagné la Champions League.

Pourquoi signer à Paris ? Ambition ou curiosité intellectuelle ?

Il y a une histoire de circonstance. Le PSG est arrivé au bon moment, juste après son année sabbatique suite à son départ de Dortmund. Quand on analyse sa carrière avant d’arriver à Paris, soit 7 saisons en tant qu’entraineur, 7 fois il n’a pas eu les conditions qu’il voulait pour mettre en place un schéma de jeu ambitieux. A Mayence il perdait des joueurs chaque été et la construction du nouveau stade prenait le pas sur le recrutement. A Dortmund c’est le « modèle Dortmund » qui a réussi à vaincre ses ambitions lorsqu’ils ont vendu Gündoğan, Hummels et Mkhitaryan au milieu de son projet. Il a du se re-inventer avec une équipe de jeunes joueurs. Il s’est dit qu’à Paris il aurait les moyens de construire quelque-chose de nouveau. Même si pour l’instant on ne lui a pas donné toutes les conditions espérées.

Tu décris Tuchel comme un personnage à la fois perfectionniste, cérébral mais aussi sanguin. Ça rappelle un peu Emery. Qu’est-ce qui les différencie selon toi ?

Ils ont un gros point commun tous les deux quand il arrivent au PSG. Ils sont à un moment de leur carrière où ils ont rempli leurs objectifs sportifs chaque saison avec leurs clubs respectifs. Quand le PSG a recruté Emery, il y avait cette idée d’un entraineur qui va grandir en même temps que le club. Maintenant le mariage entre Tuchel et le PSG est un mariage pertinent. Si on regarde sur les 20 dernières années, les plus grandes dynasties qui associent un club et un entraineur ont été construites avec des entraineurs qui n’avaient pas gagné les titres qu’on aimerait qu’ils gagnent dans le futur. Zidane et le Real, Guardiola et le Barça, Simeone et l’Atletico, Wenger et Arsenal, Ferguson et Manchester. C’est un mariage de compétence et de méthode.

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La récital tactique de Manchester

Beaucoup de ses anciens joueurs disent que Tuchel les a changés. Tu penses qu’il est capable de faire de même à Paris ?

C’est quelqu’un de très humble, très ouvert tactiquement. Il privilégie souvent le groupe et la construction d’un esprit collectif plutôt que la tactique. Il va toujours allié la psychologie et l’analyse tactique pour dresser le profil d’un joueur. Par exemple, Rabiot il l’a décrit comme un 6 parfait techniquement et tactiquement, mais pas psychologiquement. Marquinhos c’est l’inverse. Il a cette vision associée aux compétences d’un formateur. On le voit avec Marquinhos. Il progresse devant la défense que ce soit dans la rotation de son corps et dans sa lecture du jeu. On l’a vu aussi avec Alvès qu’il a mis au milieu du jeu car il sait conserver le ballon, car il a une vraie science de la possession et beaucoup d’expérience. Mais aussi qu’il était vulnérable sur les côtés. Tuchel n’a pas peur de faire ces choix. Comme mettre Draxler au milieu, alors qu’il est arrivé à Paris comme un joueur de dribble, un allier ou un Neuf et demi. Il joue maintenant devant la défense et il a l’air heureux. Tuchel peut faire grandir ces individualités. Et le plus grand défit du PSG aujourd’hui, dans le contexte du Fair-Play financier, est aussi de faire progresser les joueurs moyens de l’effectif pour, soit réaliser des plus-values, soit des grosses performances.

Dans le livre tu décris précisément les ateliers et exercices mis en place dans ses précédentes équipes. Tu penses qu’il a du adapter ses plans à Paris ?

Il est dans un contexte très différent à Paris. A Mayence il avait 5 jours pour préparer ses matchs avec un mix de vétérans n’ayant jamais joué à ce niveau là et de très jeunes joueurs qui avaient envie de signer un jour à Dortmund, Shalke ou au Bayern. Il a créé un environnement positif pour la progression de ses joueurs. A Dortmund il a commencé à jouer tous les 3 jours mais avec un effectif beaucoup plus jeune qui avait envie de progresser. A Paris il a un effectif beaucoup plus difficile à lire et à interpréter. J’imagine que la partie entretien et observation de la personnalité des joueurs a été importante au PSG quand il est arrivé. Le problème c’est qu’on ne lui a pas donné un milieu de terrain digne de la Ligue des Champions. Si Marco Verratti se blesse, il n’a personne pour le remplacer et il devra jouer dès qu’il reviendra de blessure. C’est difficile pour lui d’appliquer les mêmes méthodes que dans ses anciens clubs, en terme de rotation et de confiance.

Il y a aussi le cas unique de gestion d’un joueur comme Neymar.

On parle beaucoup du coté psychologique avec Neymar. Comment il s’occupe de lui en tant qu’artiste. C’est la première fois qu’il a un joueur d’un tel niveau. Et surtout un joueur qui peut faire autant de choses sur le terrain. Il s’est rendu compte qu’il devait construire son projet de jeu autour de Neymar. C’est un peu le drame de ces dernières semaines. Pendant 6 mois il a construit son animation offensive autour de lui. On l’a vu à Naples où le PSG a installé une structure défensive bien en place qui aspirait le pressing napolitain. Mais quand on récupérait le ballon dans le camp adverse, c’est autour du brésilien que quelque-chose se créait.

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Coaching Vocal à Dortmund

Tu utilises souvent le terme de Processus pour parler du système Tuchel. Couplé avec une notion de vision à long terme. Pas facile à mettre en place au PSG ?

Je n’arrive pas à savoir si c’est lui qui essaye de convaincre le PSG de se lancer dans un redimensionnement du projet. En tout cas dans les derniers discours de Nasser, ce dernier parlait d’aller le plus loin possible et de progresser. Peut être que le club est en train de changer dans ce sens là. En tout cas ce qui est important et qui ressort du livre c’est que pour Tuchel, qui a été très bien formé à Stuttgart et qui se range toujours du côté de la compétence et du travail, c’est difficile de voir des collègues à lui ou des amis entraineurs jugés sur des défaites où il y a des joueurs blessés ou des conditions de préparation difficiles. Il a cette méfiance du jugement hâtif. C’est pour ça qu’il parle de processus tout le temps. Il a une étique de travail. J’irai même plus loin. Il aimerait que sa façon de voir les choses dans le foot ait des répercutions dans la vie réelle sur l’éducation et le travail. On a toujours tendance à regarder ce qui a mal fini plutôt ce qui a été mal fait.

Tu penses que le PSG a eu conscience de tout cela en recrutant Thomas Tuchel ?

Je ne suis pas sur. De ce que l’on sait, le choix ne vient pas de la direction du club mais de l’Emir directement. Au départ je pense qu’ils étaient plus dans la logique de recruter le nouveau Guardiola. De jouer le football le plus spectaculaire de la planète. En réalité, si on lit le livre on se rend compte que le football de Tuchel n’est pas toujours très spectaculaire. Il s’adapte beaucoup à son équipe. Son admiration de Guardiola n’est pas basée sur le style de jeu et la possession mais sur le reste du travail de l’entraineur et sur la passion qu’il met dans son métier.

Se pose aussi la question de sa relation avec son directeur sportif, Antero Henrique. On sent qu’il y a divergence de point de vue ?

Tuchel a déjà de l’expérience dans ces batailles institutionnelles. Ce qu’on lit dans la presse c’est qu’Antero aurait caché certains dossiers à Tuchel et refusé certaines de ses pistes. Tuchel a toujours respecté le métier de directeur sportif. Il ne s’interdit pas cependant de proposer des joueurs car il regarde lui aussi beaucoup de football même si il a moins de temps. Il l’a fait à Mayence et à Dortmund. Ça s’est très bien passé à Mayence pendant 5 ans avec Christian Heidel avec qui il est resté très proche. A Dortmund il a du faire face à la stratégie du club mais il a quand même collaboré sur certains dossiers. A Paris il a pu le faire avec quelques joueurs. Je pense à Kehrer ou Choupo-Moting. Paredes était aussi sur sa liste. C’est un choix pertinent par rapport au projet parisien d’aujourd’hui. Mais ça m’étonnerait qu’il trouve à Paris un club avec les pleins pouvoirs. Dans le sens où le PSG a les limites financières qu’on connait et que Henrique a d’autres contraintes que Tuchel…

En cas de disqualification prématurée en C1, tu penses que la direction saura le soutenir ?

Je pense que le club a pris conscience du discours et du processus de Tuchel. Ce dernier parle de la Ligue des Champions comme une compétition de générations. Il faut construire un noyau de joueurs forts pendant des années pour espérer la gagner une fois. Si on analyse froidement les derniers vainqueurs, il y a eu des cycles très importants pour arriver à la victoire. Le United de Sir Alex, l’Inter de Mourinho, le Chelsea de Di Matteo, le Bayern de Heynckes, puis le Real Madrid de Zidane. Il y a eu des années de construction tactique et de groupe pour arriver à gagner. A Paris on a construit un groupe. Ça fait des années qu’on a les mêmes leaders. Mais je pense qu’il manque une culture de l’humilité. Et c’est très difficile à installer en ligue 1 dans la mesure où il y a une telle différence entre le niveau des joueurs et le reste du championnat, mais aussi une différence de niveau en Ligue des Champions. C’est très difficile d’entrainer le PSG entre décembre et janvier. Car il n’y a plus la stimulation de la grosse performance. Tuchel parle de ce besoin de « scène » pour les joueurs. Il évoque le cas d’Ousmane Dembélé à Dortmund qui malgré les ateliers mis en place ne se sentait pas suffisamment challengé. Il fallait qu’il affronte une grosse équipe dans la semaine pour arriver tôt à l’entrainement. Depuis plusieurs saisons il y a ce problème à Paris. On a des joueurs qui viennent d’autres championnats, habitués à jouer la Ligue des Champions et pendant deux mois ils n’ont plus cette stimulation. Si on prend l’exemple contraire de Monaco en 2017 qui va jusqu’en demi-demi-finale de C1, l’effectif était composé de jeunes de ligue 1 ou de joueurs venant de championnats dit « inférieurs » comme celui du Portugal. Jouer en ligue 1 était déjà un défis important pour eux.

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Choupo In Love

Ne doit-il pas dans ce cas lancer encore plus de jeunes franciliens qui ont comme objectif de jouer dans l’équipe Pro ?

Oui bien-sur. Il en a déjà besoin pour concurrencer le reste de l’effectif. Il l’a très bien fait à Dortmund et surtout à Mayence où c’était un besoin vital pour que le club survive. Je pense que la capacité du PSG à repérer des jeunes qui pourront avoir un impact en équipe première est un défis important. Quand on regarde le match contre Bordeaux, beaucoup de supporters ont été déçus des performances de Diaby, Nkunku ou Nsoki. Alors que c’était justement le moment de prouver qu’ils pouvaient prendre une place de titulaire. Si on avait un jeune Verratti formé au Club, capable de concurrencer le vrai, Marco Verratti aurait une autre approche dans son comportement.

Est ce que Tuchel a déjà planifié notre potentielle élimination en C1 cette année pour construire, changer les mentalités des joueurs et de la direction ?

Il est toujours très honnête en conférence de presse. Il sera le premier à féliciter son équipe si elle a bien joué, et si c’est pas terrible il va le dire aussi. La veille des confrontations européennes, il fait toujours passer des messages. Contre Manchester, il a dit que Paris venait pour marquer. Pour mettre la pression sur Manchester tout en précisant que Manchester était favori, car ils avaient une attaque extraordinaire et que ça allait être très difficile pour le PSG. En tout cas il est très lisible dans ses conférences de presse. Il a aussi ajouté qu’on était Paris, qu’on devait avoir un jeu offensif. Ça fait bizarre aux supporters d’entendre un coach étranger dire « on est Paris ». Il utilise ça pour flatter notre égo. Mais aussi pour nous installer parmi les équipes spectaculaires qui jouent un football offensif depuis des dizaines d’années.

Le livre s’intitule « Faire grandir Paris », et non faire gagner. Tout le processus dont tu parles part de là ?

Oui. Tuchel n’a pas l’intention de gagner la Ligue des Champions sur un coup de chance. Le PSG a l’obsession de la remporter alors qu’on devrait avoir l’obsession d’aligner la meilleure équipe possible, pour progresser et ne pas gagner qu’une C1 mais plusieurs. Quand on voit le parcours du Real Madrid, on constate qu’il y a eu beaucoup d’années de construction entre les victoires en C1 et l’arrivée de joueurs clés comme Ramos et Marcelo. Ce n’est pas quelque-chose de complètement inaccessible.

Question piège pour finir : Pourquoi avoir fait venir Choupo-Moting à part le fait qu’ils se connaissaient tous les deux de Mayence ?

Ma lecture de ce joueur c’est que ça rentre dans sa logique de construire un groupe. Dans le sens où c’est quelqu’un qu’il connait très bien, qui apporte une énergie très positive dans le groupe, qui parle le français et l’allemand très bien, qui peut faire le lien, un grand frère pour les jeunes et un relai pour le staff. Choupo a la réputation d’être très sérieux à l’entrainement et de ne jamais se plaindre quand il ne joue pas. Ça permet à Tuchel de traiter certains cas de joueurs se plaignant de leur temps de jeu en leur disant « Regarde Choupo, il s’entraine depuis le début de la saison et pourtant il a moins joué que toi ». Ça rentre dans une logique de gestion, comme Deschamps qui sélectionne Adil Rami plutôt que Aymeric Laporte pour garder cette énergie positive. Ça m’étonnerait qu’il ait pris Choupo-Moting pour jouer à la place de Cavani…

Crédits photos (c) Panoramic & Editions Marabout


Déjà disponible (Editions Marabout)

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Xavier Chevalier

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