Pierre Ducrocq

par

Joueur totem par excellence, PIERRE DUCROCQ est le symbole du PSG
des années 90-2000. Courageux, hargneux et gouailleur, tels sont les traits
de caractère qui définissent le bonhomme. Ces valeurs l’ont suivi
toute sa carrière, de Paris à
Strasbourg en passant par Le Havre ou Derby County. Aujourd’hui il officie comme consultant sur RMC et s’est lancé dans une carrière d’agent de joueur, avec la même énergie qu’il déployait en milieu de terrain.
« Pierrot », c’est un peu notre frère à tous. Voici son interview. 


Comment es-tu arrivé dans le foot ?

J’ai commencé tout petit à 5 ans. Mon papa entrainait les débutants de l’ASSOA (AS Saint-Ouen L’Aumône). Je profitais du passe-droit pour jouer sans avoir de licence. J’ai fait une année comme ça. Puis j’ai pris toutes mes licences jusqu’à l’âge de 12 ans je crois. C’était un club qui était au top niveau en région parisienne et en DH, dans le Maratra minimes comme on le disait à l’époque. On s’affrontait toujours avec les équipes de Garges, de Sarcelles qui étaient elles aussi à un très bon niveau de la région. Ces années-là j’ai côtoyé déjà des joueurs que j’allais retrouver plus tard comme Pierre Issa avec qui j’ai fait mes classes. mais aussi Olivier Tallaron aujourd’hui chez Canal+ et qui était en cadet. On allait le voir jouer après nos matchs en pupille. Romain Del Bello également qui est journaliste aujourd’hui, Gregory Proment qui a fait sa petite carrière derrière… Voilà c’était un bon club du Val D’Oise qui m’a permis d’avoir mes premières sélections départementales. J’étais un petit garçon qui aimait jouer au foot, et pas forcément le regarder à la télé. De toute façon pour regarder du foot il fallait s’accrocher car tu avais Téléfoot le dimanche matin et parfois un match le samedi. C’était tout, en plus des matchs de l’équipe de France commentés par Jean-Michel Larqué et Thierry Roland. Ce sont mes premiers souvenirs de foot à la télé.

Tu viens d’une famille plutôt foot ?

Mon papa et ma maman faisaient beaucoup d’athlétisme. Petit, mon papa n’avait pas le droit de jouer au foot. Ma grand mère ne voulait pas car « on revient trop sale du foot ». Bref il a fait de l’athlétisme et il a détenu d’ailleurs, pendant près de 20 ans, un record des Flandres du 400 mètres en junior. Il avait cette fibre sport, ma maman faisait des cross. Ma soeur ainée a toujours fait du basket jusqu’en National 1 au Chesnay Versailles. Toute notre enfance, nos parents nous emmenaient aux entrainements. On a été bercé là-dedans. Dans cette atmosphère sportive, dans ces valeurs que ça véhiculait. Mon papa était facteur et ma maman travaillait au service des finances de l’hôpital de Pontoise. On était modeste mais on n’a jamais manqué de rien.

Tu as commencé à quel poste gamin ?

Toujours défenseur. J’étais toujours derrière. J’ai joué latéral droit à mes débuts jusqu’en minime. En sélection départementale, on m’a replacé au milieu de terrain. Ensuite j’ai joué en sélection d’Île de France où on disputait l’inter-ligue. C’est à ce moment-là que commence la pré-formation à l’INF Clairefontaine. Ils se sont beaucoup appuyés sur la sélection d’Île de France. Et j’ai la chance d’être sélectionné pour y rentrer. Là ça commence à devenir sérieux. On ne se rendait pas trop compte à l’époque de ce qu’était la pré-formation car ça n’existait pas dans les clubs pros.

C’était en quelle année ?

Mes deux années de pré-formation c’est 1989-1991. J’ai quitté l’ASSOA pour signer au PSG en moins de 15 ans afin de jouer le week-end. Car à l’INF il n’y avait pas d’équipe. On était la semaine là-bas et on jouait dans nos clubs le week-end. Mes parents ne m’ont pas lâché sur l’école. Mais le foot devenait sérieux. Et très vite j’ai mes premières sélections en équipe de France.

Pourquoi signes-tu au PSG ?

Pierre Ducrocq PSG Virage Paris Football RMC Kemari
Pierrot Bleu Blanc Rouge Blanc Bleu (c) Panoramic

Parce que c’est mon club. Il y avait le côté pratique certes. J’aurais pu jouer à Versailles car c’était une bonne équipe chez les moins de 15 ans. Mais je passais tout le temps devant le Camp des Loges, dans la forêt de Saint-Germain. Pourtant Sochaux, Monaco, Auxerre, le Matra-Racing me voulaient. J’ai fait un test à Sochaux mais je n’avais pas envie d’aller là-bas. J’ai signé au PSG sans aller voir quoique ce soit. Le PSG c’était le club de ma ville, même si j’étais un banlieusard et que je n’avais pas encore été au Parc. Je suivais aussi Bordeaux, Lens et Saint-Etienne que j’aimais bien regarder à la télé. Mais une fois que je rentre au PSG, là c’est puissance 10. Tu croises Joël Bats, Luis Fernandez au Camp des Loges. Très vite ça devient mon club. J’y étais heureux. Je me suis fait plein d’amis de ma génération : Greg Paisley, Didier Domi, Djamel Belmadi… On était entre potes, chez nous. Greg par exemple c’est mon meilleur ami. On a toujours été très proche et on l’est encore aujourd’hui. Et puis il y a aussi tous ceux qui n’ont pas réussi et que je revois toujours lors des rassemblements organisés par les Titis du PSG. On avait été ensemble jusqu’au U17 ou la réserve du PSG. C’était une époque où j’ai l’impression que l’esprit familial était un peu plus présent dans ce club.

Comment se passe ton arrivée dans le groupe pro ?

J’ai toujours eu un petit temps d’avance sur ma génération. Je ne me l’explique pas. Je n’étais pas le plus talentueux mais j’avais une bonne technique au poste de milieu défensif. Et puis j’avais une grosse volonté, un gros caractère ce qui m’a permis d’être mature plus tôt. Je suis passé directement en National 2 après les U17, j’ai sauté le National 3. Puis je me suis entrainé ensuite rapidement avec les pros, dans la très grosse équipe. Quand j’y repense… On ne savait pas où on mettait les pieds. C’était Weah, Ginola, Lama, Kombouaré, Roche, Le Guen, Valdo… Quand tu es jeune et que tu arrives là-haut ce n’est pas facile. C’était des anciens, il n’y avait pas de mauvaises intentions de leur part mais c’était dur, c’était pour te former. En 1995 je fais mon premier match avec les pros contre Lyon en Coupe de la Ligue au Parc (Ndlr : 24 janvier 1995). On est lancé avec Didier Domi par Luis Fernandez. On était tellement dedans, tellement formaté pour ça que ce soir-là, on n’a pas vraiment réalisé. Tu essayes de regarder tout ce qui se passe et surtout tu écoutes ce que les anciens te disent. Tu le fais et tu ne réfléchis même pas. Tu avais une telle bande d’anciens, que tu ne pouvais que les suivre, si tu n’étais pas trop con. Je crois que j’avais Alain Roche derrière moi qui a été très précieux dans ses conseils. C’était quelqu’un de très clinique sur le terrain. En tout cas je n’ai pas de souvenir particulier de ce match, si ce n’est que je me sentais à ma place. Et puis le Parc n’était pas plein ce soir-là. J’ai connu un Parc bien chaud plus tard. Car j’ai fait un an de prêt à Laval.

Résumé du match PSG-OLYMPIQUE LYONNAIS du 24 janvier 1995, cliquez ICI

Tu n’avais pas la pression lors de ce premier match ?

Non, absolument pas. C’était une de nos forces ou faiblesses à Greg et moi. On aurait peut être fait une autre carrière si on s’était mis un peu plus de pression. Peut être, je ne sais pas… Je me souviens de fou-rires sur le terrain à mes débuts, notamment avec Djamel Belmadi. Une fois on était dans le Novotel de Saclay pour une mise au vert. On fait la discussion d’avant match. Puis on a un fou rire avec Djamel devant l’ascenseur en sortant. En entrant dans l’ascenseur on tombe sur Luis qui était dedans. On n’arrivait pas à s’arrêter. Luis, on ne le connaissait pas trop à l’époque et il nous a sorti un truc du genre « Si à votre âge vous avez un fou rire avant un match important, vous n’irez pas très loin les mecs ». Je pense qu’il vannait maintenant que je le connais. Tout ça pour te dire qu’on était insouciant. Mais on était très discipliné. Et puis il y avait moins de pression médiatique que maintenant.

Il y a des joueurs avec qui tu avais une relation particulière au PSG ?

J’ai toujours eu une très bonne relation avec Bernard Lama, Antoine Kombouaré, Alain Roche et Paul Le Guen. C’était une relation entre un jeune et des anciens. On ne sortait pas au restau ensemble, et lors des fêtes pour les coupes, notamment en 1998, on venait mais, nous les jeunes, on s’excusait presque d’être là. Et encore aujourd’hui il y a ce respect, cette relation particulière. Ils m’ont permis de faire ce métier très bien dès le départ dans un des plus beaux clubs français.

Pierre Ducrocq PSG Virage Paris RMC Kemari
Ducrocq, époque poivre et sel (c) Panoramic

Tu parlais de Laval, mais tu as aussi connu une expérience anglaise à Derby County. Pourquoi ce choix ?

Ça n’a jamais été une volonté de ma part. Tout comme mon départ du PSG d’ailleurs. C’est parce qu’on m’avait conseillé de le faire. Avec le recul et l’expérience, ce prêt à Derby je ne le regrette pas. C’était riche sportivement et humainement car j’étais jeune et je découvrais l’Angleterre. Et puis tu te retrouves à jouer contre Manchester United, des clubs de malade, que tu ne voyais jouer que dans l’Equipe du Dimanche. Mon départ du PSG, c’est Luis qui m’a demandé de partir car des nouveaux joueurs arrivaient. Arteta, Heinze, Pochettino, Critobal, qui étaient de bons joueurs. Il y avait aussi des joueurs plus discutables, on se demande encore pourquoi ils sont arrivés, comme Agostinho et Vampeta. J’ai essayé de les oublier mais ça faisait embouteillage au milieu. Moi je voulais rester, deux ans avant la Juventus me voulait et je suis resté, je voulais gagner avec mon club. J’ai été mal conseillé, je n’ai pas pris les bonnes décisions. Mais je ne regrette rien. Et quitter le PSG, c’est rejoindre un autre monde. Car le PSG, même à l’époque c’était quelque-chose. C’est un club à part. Et je n’ai jamais rejoué de la même manière dans les autres clubs. Tout en étant professionnel, bosseur, j’y ai mis les mêmes ingrédients, mais il manquait toujours un petit truc.

Tu atterris alors au Havre.

J’y suis resté 5 ans. C’est Jean François Domergue qui m’a fait venir. J’arrive en ligue 1 dans ce club mais malheureusement on descend. J’y retrouve Greg Paisley qui jouait là-bas aussi. C’est dur car on n’avait pas une équipe taillée pour la Ligue 1. On avait Florent Sinama-Pongolle et Anthony Le Tallec devant, qui avaient 17 ans et qui venaient de signer à Liverpool. Ils étaient restés en prêt. Mais n’avaient pas encore le niveau. On se retrouve en Ligue 2 avec un football complètement différent. On m’attendait là-bas comme un joueur du PSG, qui allait orienter le jeu… Non. Moi je suis un besogneux, qui peut tout donner sur le terrain mais qui ne fera pas 4 dribbles avec une frappe enroulée lucarne. Les gens n’arrivaient pas trop à comprendre ça. J’ai été sifflé 3 mois lors de cette deuxième année. Jean-François m’avait proposé de me sortir de l’équipe le temps que ça se calme. Je lui ai dit qu’il allait me tuer si il faisait ça. Ils finiraient pas arrêter de me siffler à un moment. Je n’en avais rien à foutre. Ils allaient finir par comprendre qui j’étais. Et ça se passe finalement comme ça. Je finis capitaine de l’équipe. Puis il y a une vraie histoire qui se crée entre les supporters havrais et moi. 

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Haccident capillaire (c) Panoramic

Paris, Derby, Le Havre, il y a comme un goût de culture britannique dans ces choix de carrière ?

Peut être, c’est surement que ça correspondait à quelque-chose qui me ressemblait. Ce n’était pas volontaire du tout. Mais il devait y avoir quelque-chose qui m’attirait.

Le numéro 23, tu l’as toujours eu ?

Non car au début il était pris. J’ai eu le 21 mais pas très longtemps . Juste avant de partir en prêt à Laval. Quand je suis revenu, j’ai réussi à l’avoir car je suis un fan de Michael Jordan, comme tous les ados de mon époque. J’ai essayé de garder ce numéro sauf si je devais le piquer à un autre joueur. Quand j’arrive au Havre, c’est un petit jeune du club qui l’avait, Alexis Bertin. J’ai pris le 15. Je ne suis pas superstitieux, c’est un numéro que j’aime bien, mais je pouvais faire sans lui.

Il y a des joueurs qui t’ont marqué, dont tu t’inspirais ?

J’aimais beaucoup Jean-Philippe Durand qui a pourtant joué à Marseille. Il avait ce volume de jeu et cette élégance. A Paris, j’ai toujours aimé Vincent Guerin qui était un travailleur mais qui avait cette finesse dans la passe. Sur le plan international, j’adorais Del Piero.

Parlons des matchs face à l’OM. il y en a un qui se démarque des autres ?

C’est le premier en 1999 quand on gagne 2-1 (Ndlr : 4 mai 1999) avec les buts de Bruno et Marco. C’était le scénario parfait. Le Parc était parfait tout le match. Ce soir-là on ne pouvait pas perdre. Là, j’ai vraiment un souvenir de l’ambiance au Parc. Je ne jouais que pour ça et je ne te dis pas ça parce que je réponds à Virage. Je me rappelle de l’interview que je fais dans le couloir avant le match, je réponds vite aux questions, car c’était chaud dans les virages, je les apercevais, alors il ne fallait pas m’emmerder avec des questions. Je voulais rentrer sur le terrain, je ne voulais pas rater ça. Déjà, ça avait été chaud lors de l’échauffement. En tout cas ce n’était pas le match où il y a le fameux tête à tête avec Fabrizio Ravanelli. Ce match-là c’est celui d’après. Je rentre à la place de Vincent Guerin qui s’était hélas blessé. Quand j’arrive sur la pelouse, je vois Dugarry qui dit à Fabrizio « Le petit jeune, on lui fait péter un plomb ». Duga savait que j’étais un peu teigneux. 2 minutes après, il est par terre, je passe devant en courant, il m’agrippe par le bras pour me faire tomber, Fabrizio arrive, me pousse avec la jambe, je me relève, j’ai très envie de dégoupiller mais dans ma tête je sais que je ne peux pas. Il y a ce face à face que tout le monde connait. Lui, il sait ce qu’il fait et moi je me contiens, mais putain qu’est ce que j’ai envie de lui rentrer dedans…

Résumé du PSG-OM du 4 mai 1999, cliquez ICI

Cette rivalité, ce n’était pas que pour les media, elle existait vraiment sur le terrain donc ?

Je revois des images de ce match-là… Marco qui revient sur Robert Pires et qui le tacle à hauteur de cuisse… Il l’enroule et le fait tomber. Aujourd’hui c’est rouge direct. Luccin et Dalmat, quand ils arrivent au PSG, deux ans après, tu te dis que ce choix est bizarre. Alors on est des garçons bien élevés, on les intègre car ils jouent chez nous, mais bon… Ça devait être compliqué pour ces garçons qui passaient d’un club à l’autre.

Aujourd’hui c’est différent ?

Oui, déjà il y a un vrai écart qui s’est créé entre les deux clubs. La rivalité n’a quasi plus lieu d’être. Et puis on est dans un football où tout se voit, tout est décortiqué. Et ce n’est peut être pas plus mal. Il y avait des contacts à l’époque où il fallait s’accrocher. En terme d’intensité, de coups et de défis physique c’est aujourd’hui plus compliqué.

Il y a un match, hors Clasico, qui a été important dans ta carrière parisienne ?

Pierre Ducrocq PSG Virage Paris RMC Kemari
Le D.U.C (c) Panoramic

Ça va peut être moins parlé aux gens car c’est un match lambda, mais il représente vraiment pourquoi j’aimais jouer au Parc et symbolise la relation particulière que j’avais avec Auteuil et Boulogne. C’est un PSG-Nantes en Coupe, où Artur Jorge m’avait laissé sur le banc. (Ndlr : 20 février 1999) Ça faisait déjà plusieurs matchs que je ne jouais plus. Je m’échauffais derrière les buts et il y avait 1-0 pour Nantes. Et Auteuil a scandé mon nom car ils voulaient me voir jouer. J’ai eu l’impression que ça a duré 10 minutes… Je pense qu’ils s’identifiaient à mes valeurs qui étaient faites de combat. Et ils ne comprenaient par pourquoi j’étais sur la touche. Le scénario était parfait. Je rentre sur le terrain, il y a un coup-franc indirect, on me la décale, je frappe dans le mur, elle rebondit et je la frappe de volée. Elle finit dans la lucarne de Landreau. Ma première réaction est d’aller vers les tribunes mais tout le monde me saute dessus et je n’ai pas le temps d’atteindre Auteuil. Je te parle de ça, j’ai encore des frissons. C’est mon souvenir du Parc. Mon seul regret c’est de ne pas avoir rejoint le virage quitte à prendre un jaune. J’aurais du en profiter encore plus.

But de Pierre Ducrocq contre le FC Nantes le 20 février 1999, cliquez ICI

Un joueur qui t’a impressionné à tous les points de vue à Paris ?

Il y en a eu pas mal. A mes débuts je me souviens de mes premiers stages de préparation au Dreal à Châteauroux avec Ginola. Je lui faisais des transversales où je me déchirais. Je les voyais arriver en touche et le mec ne les prenait même pas de la tête. Il sautait et il faisait un amorti poitrine. On ne faisait pas le même sport. Pareil pour George Weah. Physiquement il me dégommait. Mais je ne jouais pas trop de matchs officiels à cette époque. Si je dois citer un joueur avec qui j’ai joué, j’ai l’habitude de parler de Jay Jay. Pffff… Un talent incroyable. Et puis il y avait le bonhomme. Il avait toujours la banane. Il parlait mal français mais il participait, il avait une vraie joie de vivre. Quel phénomène ! Je le regardais jouer, ses fameux dribbles passement de jambes-roulette, personne ne le bougeait avec ses grosses cuisses. Les mecs lui rebondissaient dessus. Il aurait été un peu plus carriériste ou travailleur, il aurait fait une immense carrière. Mais ce qui comptait pour lui, c’était de s’amuser. Il a pris beaucoup de plaisir à Paris et ça lui suffisait.

Tu as conscience d’incarner, pour beaucoup de supporters parisiens, le PSG de cette époque ?

Aujourd’hui oui. A chaque fois que je croise quelqu’un dans la rue qui était dans les virages, il me dit que ça lui fait plaisir de me parler, en me tutoyant souvent. Que j’incarne le PSG de ces années-là. Ce sont des mecs qui ont plus de 30 ans et jusqu’à la cinquantaine. Ça correspond à un PSG qui était moins fort. Encore que, l’équipe dans laquelle j’arrive à mes débuts était très forte. Mais quand j’y jouais, c’était un PSG qui incarnait autre chose, d’autres valeurs. Les supporters étaient plus proches de leur équipe. Je ne m’en apercevais pas trop en tant que joueur mais à chaque fois qu’on quittait le Camp des Loges en voiture, il y avait de supporters qui nous demandaient de les déposer à la gare RER, car il n’y avait pas de bus à côté. On les prenait avec nous. Même quand ça se passait mal, lorsque des supporters venaient, même si il y avait des stewarts, que je connais encore d’ailleurs, je pouvais sortir pour discuter avec eux. Je le savais. Ils n’étaient pas contents, nous non plus. On pouvait s’en parler. Bref c’était mon club, mes supporters, j’essayais de donner le max pour eux, et je me rends compte encore plus aujourd’hui à quel point c’était important pour eux.

Vous étiez amenés à côtoyer les Ultras ?

Très peu. Le bus se garait au Parc, et nos voitures y étaient aussi garées. Donc on ne les côtoyait pas. Il n’y avait pas de vraies réunions avec eux, après c’était un contexte différent. J’ai toujours défendu les Ultras car je les comprenais, mais pour le club, les relations étaient plus compliquées. C’est l’époque où les tribunes sont magnifiquement animées mais parfois un peu trop. En tout cas on savait ce qui se passait en tribune. Certains joueurs qui venaient d’arriver ne connaissaient pas le contexte. Nous parisiens, on savait comment étaient composés les virages. Là où ça craignait vraiment. Je me souviens d’un match où le bloc R1 à Boulogne avait envoyé des injures racistes à l’encontre de George Weah. Je suis parisien, c’est mon stade, je n’étais pas fier. Je ne pouvais pas cautionner ça.

Pierre Ducrocq PSG Virage GALATASARAY Paris Football
Les brochettes turques (c) Panoramic

PSG – GALATASARAY 2001. Tu es sur la pelouse ?

Oui. Pendant le match, je n’ai pas du tout conscience de la gravité de ce qui se passe en tribune. Je suis dans mon match. On est tous pareils à ce moment-là. C’est en rentrant dans le vestiaire qu’on apprend qu’il s’est passé quelque-chose. On n’avait pas les téléphones ni twitter. Juste les premiers Sony-Ericsson… Donc on prend notre douche et on rentre chez nous.

Mais le match a été arrêté. Vous aviez vu qu’il y avait des bagarres ?

Oui bien-sur mais on n’avait pas vu que c’était aussi grave. Les bagarres, il y en avait déjà eu, sur des matchs lambdas.

Revenons sur l’actualité. On pointe souvent du doigt le manque de joueurs de devoir dans l’effectif actuel. Tu penses toi aussi que c’est une des faiblesses du PSG ?

C’est une réalité. Le problème c’est que le « soldat », tu ne le trouves plus comme avant. C’est compliqué. Il doit avoir de la technique, être intelligent. Et il n’y en a pas beaucoup. Ce sont des joueurs hors-norme. Milner, Anderson, Casemiro, ce type de joueurs font un choix autre que le PSG. Le PSG n’est pas encore à la hauteur comme le Real, le Barça, Liverpool ou même un City. C’est triste mais c’est comme ça. Et il n’y en a pas au club chez les jeunes.

Tu penses que le mercato doit ressembler à quoi ?

Il y a des choses qui vont se passer, c’est sur. Je ne sais pas si Neymar et Mbappe vont partir ou rester. Ce sont des joueurs hors-norme qui apportent beaucoup offensivement. Leur départ peut permettre de recruter des joueurs qui peuvent apporter autre chose, qui peuvent tout équilibrer. Mais c’est compliqué. Après il y a des erreurs qui ont été commises. Un joueur comme Blaise Matuidi ne doit jamais partir du PSG. Tu dois tout faire pour le garder, car il a beau avoir des carences dans certains domaines, il a d’autres qualités que certains n’ont pas. Preuve en est, il fait encore du beau boulot dans un grand club européen.

Que penses-tu du traitement accordé par les supporters à Neymar ? Trop dur ?

Non. Je fais partie de ceux qui pensent que la majorité des gens en tribune connaissent le football. Même si la population changé dans les tribunes depuis que je suis parti. Ils ont une certaine idée du foot qu’ils veulent dans leur club. Et ils ne sont pas prêts, ou n’ont pas envie, de tout accepter. Ils n’ont pas la décision finale mais ils ont le droit de communiquer pour montrer qu’ils ne sont pas satisfaits de tout ce qui s’est passé. Ces gens-là ne remettent pas en question le talent de Neymar, comme à Montpellier, quand il a envie de faire quelque-chose, il peut y arriver. C’est un phénomène. Mais tu ne peux pas réussir qu’avec ça, en tout cas laisser une belle image derrière toi. Je pense que Neymar, une fois parti du PSG, ne laissera pas un bon souvenir aux vrais supporters, malheureusement. Car il manquera quelque-chose. Si il avait l’état d’esprit de Cavani, là les supporters feraient n’importe quoi pour garder Neymar.

Aujourd’hui tu as un rôle important en tant qu’agent de joueurs chez Kemari. Où te sens-tu plus à l’aise avec eux dans le discours et les conseils ?

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Pierre la Cigogne (c) Panoramic

Ma carrière me sert à gérer un tas de situations que j’ai rencontrées personnellement. Si j’avais eu une carrière au top niveau dans les 4 meilleurs clubs européens, je n’aurais pas la même approche dans mes conseils. Le prêt en ligue 2 quand tu es jeune, le prêt parce qu’on ne veut plus de toi, le départ d’un club que tu ne veux pas quitter, les années difficiles, l’étranger, les vestiaires où tu dois t’imposer… Tout ça me sert dans la gestion de carrière des joueurs qu’on représente. C’est mon vécu. Par exemple un joueur qui se plaint des relations qu’il a avec un coach, je lui dis « Tu sais quoi, fais-lui entendre raison, vas le voir, vas lui parler, tu verras sa réaction. Si tu as été niquel et droit comme un i, tu n’auras rien à te reprocher et on ira voir ailleurs ».

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Tu vois une différence entre les joueurs d’aujourd’hui et ceux de ta génération ?

Ce ne sont pas les joueurs qui ont changé mais le système. Un joueur avec l’état d’esprit d’il y a 20 ans ne serait pas adapté au système actuel. On met souvent tout sur le dos des joueurs mais c’est le système et aussi les clubs qui ont des comportements qui ont changé. Un joueur ne peut plus décider de rester dans un club où il se sent bien, il n’est plus considéré de la même manière. C’est juste un actif du club. Il faut coller à l’ultra concurrence et à l’argent qu’il y a dans le football. Avant, quand tu signais un beau contrat de 4 ans dans un club, ce dernier s’attachait à ce que ça marche. Tu ne devais pas mettre les finances du club en danger. Aujourd’hui ils s’en foutent, entre guillemets. Si ça ne marche pas, ils prennent un joueur ailleurs et c’est comme ça. Pour les joueurs c’est compliqué. On leur demande de faire attention, d’être impliqués, et puis un an après on te demande d’aller voir ailleurs. Tu n’as plus le temps.

Finalement le football suit les mêmes dérives qu’on retrouve dans la société ?

C’est ça. Les jeunes n’ont plus confiance, et puis d’autres, malgré leur talent naturel n’ont pas envie de forcer. De même, un garçon bien éduqué va devoir affronter un monde ou un vestiaire avec des valeurs différentes. Il faut s’adapter. Parfois il faut savoir dire merde à quelqu’un, voir plus que merde… Pas facile. On retrouve ça dans d’autres secteurs d’activité.

Tu arrives à trouver des réponses à toutes ces questions ?

Oui, et puis depuis les 8 ans que l’agence existe, on s’est rendu compte qu’on a des joueurs qui nous correspondent. On ne l’a pas fait exprès. Ils ont leur personnalité, mais la majorité ont certaines valeurs qui nous vont bien. Qu’ils soient en Ligue 1 ou en Ligue 2, ou international. On aurait du mal à travailler avec des individus qui ont certains comportements.

RMC c’est une récréation pour toi ?

Oui mais c’est un vrai métier. Bon par exemple hier j’ai commenté un Aston Villa – Leicester. J’ai kiffé. J’ai commenté un match de foot avec de l’intensité, du jeu. Tu fais ce que tu aimes et tu es rémunéré pour ça. Mais c’est un plaisir. Après il faut faire attention à ce que tu dis, surtout dans les émissions en direct. Et puis je refuse de rentrer dans un personnage. Je dois être moi-même. Pour l’instant ça marche très bien comme ça. Et puis j’ai une double casquette, je suis un ancien joueur mais je suis toujours dans le milieu. Parfois certains journalistes ou consultants, qui ne sont plus dans le milieu au quotidien, peuvent être déconnectés de la réalité. Ça peut être un avantage pour eux et les rendre plus libres dans leurs propos mais parfois c’est aussi un avantage pour moi car je suis plus tempéré. Je sais que tout n’est pas si facile.

Le côté un peu populiste dans les discours ne t’agace pas parfois dans les émissions ?

Si bien-sur. Hier par exemple on a failli tomber dans le piège. Boubacar Kamara de l’OM répondait à une interview où on lui demandait à quel poste il préférait jouer. Il a répondu qu’il préférait jouer en défense centrale. Si le coach lui demandait de jouer au milieu, il était OK mais il préférait jouer derrière. On commence à commenter en disant qu’un jeune joueur ne devrait pas répondre comme ça, qu’ils devrait se taire. Petit à petit on en arrivait à se dire que le petit avait mal parlé, qu’il imposait un choix à son entraineur. Là je suis intervenu en rappelant le contexte. On lui posait une question, et le petit répondait. Si il ne répond pas, on lui tombe dessus, où est le problème si il répond la vérité. A un moment, on n’est plus honnête intellectuellement dans ces analyses. Il ne faut pas tomber dans ce que réclame un certain public. Ceux qui attaquent et sont vulgaires sur Twitter ne le font de toute façon que sur Twitter. Jamais ils ne tiendront un argument en direct, à l’antenne, à visage découvert. On a la chance chez RMC d’avoir des auditeurs qui connaissent le foot. Ça se passe toujours bien avec eux. Je m ‘attache toujours à les respecter : bonjour, merci, au revoir, à les écouter.

Pierre Ducrocq PSG Virage Paris Football RMC Kemari
« Chat ! » (c) Panoramic

Tu aimerais continuer cette expérience ?

Oui, même si mes journées sont bien chargées. Ça me plait. Il y a le côté émission et le côté match. Les émissions c’est bien mais je préfère commenter les matchs, quitte à choisir.

Tu te verrais un jour revenir au PSG ?

Pourquoi pas. On m’a proposé de prendre le poste de la direction sportive féminine. J’avais rencontré Antero Henrique. J’avais refusé car ce n’était pas quelque-chose qui me branchait. Après c’est inconcevable pour moi de lâcher mes deux associés chez Kemari. J’ai mes joueurs aussi. Mais dans le futur pourquoi pas. Je n’ai pas de mal à imaginer un retour au PSG.

J’imagine que tu suis toujours l’actu du PSG au quotidien. Tu vas aux matchs ?

Oui toujours. Je me fais une bonne dizaine de matchs par an au Parc. Et je suis tous les matchs à la télé. Par ailleurs Michel Kollar et Christian Gavelle, le photographe emblématique du club, ont créé quelque-chose pour les anciens. Quand on veut aller au Parc, on passe par eux et ils nous reçoivent. Ça n’existait pas avant, maintenant c’est top. J’en profite pour les remercier d’ailleurs. Je sais qu’ils ont du se battre pour faire ça.

Tu restes donc supporters pour la vie ?

Oui. Après certaines personnes ne comprennent pas ça. Parfois je reçois des messages sur les réseaux où je me fais insulter, notamment quand il y a des victoires de l’OM… genre « Alors, ça te fait mal au … ». Sauf que je sais rester neutre quand je commente des matchs de Paris ou d’autres équipes. Je reste objectif même si j’ai un club dans mon coeur. C’est un tout petit peu irrationnel. La remontada, et ça fait chier de finir là dessus, mais je suis resté 3/4 d’heure assis sur un pouf devant ma télé après le match. Si c’est Lyon, tu te dis « mais comment ils ont fait », mais tu passes à autre chose. Car ce n’est qu’un match de foot après tout. Mais là, il y a une notion affective. C’est mon club.


Xavier Chevalier

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