Viola, 2ème Partie

par et

Découvrez la suite de l’interview de VIOLA, ancien Capo des LUTECE FALCO.
 On revient avec lui sur l’après février 2010
avec la dissolution des groupes et la lutte qui s’en est suivie.


2010, le plan Leproux. Avec le recul penses-tu que tout ceci aurait pu être évité ou pas ?

Non car le conflit Auteuil-Boulogne a toujours été lattant. Il y a eu de rares périodes d’entente, puis des guerres froides, des guerres chaudes. Auteuil a toujours été éduqué dans ça, dans le fait que Boulogne s’est opposé à notre mouvement ultra, même s’il y avait les Boys 1985. Le terme ultras déplaisaitEt en 2003 il s’en sont pris aux Tigris. Et pourtant il y a eu des fronts communs entre les 2 virages lors des contestations contre Larue et Graille. Ou à Auxerre quand on a attaqué le car des joueurs durant la sale période ou le PSG jouait le maintien. Tout le monde était ensemble mais ça a dérapé de plus en plus. Il y avait des gens intelligents et des gens cons. Certains à Auteuil, les plus jeunes, en avaient marre de subir des insultes racistes. Les plus anciens essayaient d’expliquer qu’on pouvait cohabiter sans être amis… Mais ça a été de moins en moins entendu. Et puis la dernière génération Boulogne était très marquée par un retour du nationalisme. Il est vrai que le mouvement nationaliste et identitaire en France a repris du poids à cette époque. Il y avait aussi une responsabilité des pouvoirs publics. Et je ne fais pas partie de ceux qui sont dans la théorie du complot. Mais il y a toujours eu un jeu trouble de la Police dans la gestion du Parc des Princes. Il n’y avait pas de méconnaissance du mouvement ultra car il y avait des services de police qui ne faisaient que ça. Les mecs étaient même contents d’être là. Plutôt que d’être en banlieue, sur du terro, dans la surveillance politique ou syndicale ou dans l’administratif, ils faisaient du renseignement au Parc et ils kiffaient je pense Les RG du Parc, c’était comme un groupe dans le Parc. Ils grenouillaient, ils faisaient leurs trucs, des répressions puis des indulgences, ça a toujours été trouble. Et ils connaissaient tout le monde, ils avaient leurs têtes de turc… A force ça n’a pas forcément aidé. Et puis la France a toujours été très mauvaise en maintien de l’ordre. Le soir du fameux PSG-OM de 2010, au mieux c’était de l’incompétence, au pire du pompier pyromane.

Leproux, je lui voue une haine éternelle, mais très symbolique, parce qu’effectivement le mec n’était pas con et c’était plutôt un pantin. Mais il restera à jamais associé à ce plan. Je vais le maudire sur vingt générations, mais je ne suis pas dupe. Pendant très longtemps c’est la Préfecture de Police de Paris et le Ministère de l’Intérieur qui ont géré le dossier sécuritaire et la politique au PSG. Là il y a eu un retournement de tendance avec le retour du CUP, parce que je ne pense pas que la 3P (ndlr : Préfecture de Police de Paris) soit très contente, mais le PSG a réussi à un peu reprendre la main. Non, je pense qu’il n’y avait rien à faire, je n’ai aucune solution globale à donner. Tu ne peux pas laver les cerveaux, tu ne peux pas effacer les haines, les rancœurs, tu ne peux pas enlever l’histoire. Il y a eu un mort. Qu’est ce qu’ils auraient pu faire ? Après ils ont été très maladroits dans les amalgames, entre agresseurs et agressés, et Leproux a été clairement odieusement insultant envers le Virage Auteuil avec son truc de « tout à fait blanc »… mais au Virage Auteuil on les faisait chier aussi, parce qu’on craquait des fumigènes, on avait ce côté syndical à vouloir se mêler de la politique marketing, tarifaire et de plein de choses, donc ça permettait d’éliminer tout le monde. Le Qatar n’aurait certainement pas acheté le PSG avec ses supporters, c’était quand même un point sensible, médiatique, en terme d’image, c’était difficile. Mais avec le recul, non, il n’y avait pas de solution.

ITW Viola Virage PSG
(c) Merry Moraux

Du coup l’auto-dissolution des Lutece Falco qui découle de tout ça, et la dissolution administratives des autres groupes, tu le vis comment ?

Ce PSG-OM est mon pire souvenir au Parc. Déjà on perd, même si on ne jouait que le ventre mou, tu ne jouais que ton honneur mais c’est toujours important de battre l’OM, mais là à la rigueur on s’en foutait. Il s’était passé ce qui s’était passé avant le match, tu savais que c’était The Final Countdown. Ils sont venus devant ta tribune, on s’est battu avec eux, on les a chassés, on a défendu notre tribune. Moi j’ai toujours détesté les embrouilles internes. J’avais même parfois de bons rapports avec des mecs de Boulogne, ce que certains dans mon virage pouvaient me reprocher, et je disais « c’est de l’embrouille interne, c’est vraiment de la merde ». Mais bon là tu n’avais pas le choix, les mecs ils viennent, et caetera, et malheureusement tu as un mort et tu sais que c’est la fin.

Cliquez ici pour voir des images des incidents du 28 février 2010

Là tu as senti que c’était terminé ?

Oui. Tu vois ce match là j’ai eu des larmes de rage qui ont coulé tout le match. Je n’avais pas envie de chanter. Tu savais que c’était terminé, qu’il allait se passer quelque-chose. Soit que ça allait continuer, une guerre nucléaire des supporters, ou alors qu’il allait se passer quelque chose. Ta saison elle est quasiment finie. Tu as eu un mort. Le club n’avait presque plus rien à jouer. On est tombé dans une apocalypse. Tu te dis « tu fais quoi ? Comment ? ». On est dans un climat où on a toujours été en porte-à-faux, on nous appelait les suisses, de façon péjorative, mais à côté de ce côté suisse tu pouvais donner un côté Casque Bleu positif où on a essayé de parfois faire les médiateurs. Ce qu’on nous a parfois reproché, ce qui a pu parfois être appréciable. Rien n’est blanc, rien n’est noir. En tout cas nous on a essayé, on était dans cette doctrine « nous c’est le PSG avant tout », on n’est pas obligé d’être copains mais on peut justement éviter des drames comme ça et puis on pensait à l’intérêt du club et même de nos tribunes parce que quand Boulogne et Auteuil étaient ensemble, par exemple contre Twente, c’était juste incroyable et fantastique, c’était du « haut niveau rue » européen. Encore faut-il s’entendre.

Et là tu dis qu’après, non, ce ne sera plus possible, il s’est passé ça, il y a eu ce côté sacrilège où ils sont venus un soir de PSG-OM. Nous on se battait avec la Police à ce moment là, on a vu les mecs qui arrivaient de dos. Tu es là, tu te bats avec les flics, et les mecs arrivent… Tu te dis c’est terminé. Tu ne peux plus continuer comme ça. Le conflit était très pesant sur les groupes. Les plus jeunes se disaient « il faut arrêter d’être conciliant avec Boulogne et de parler, il faut qu’on rejoigne les autres groupes, qu’on se défende et qu’on prenne partie au conflit ». On commençait à avoir des avis divergents, c’était compliqué. Le plaisir des tribunes devenait rare, pourtant c’était essentiel car hélas le plaisir sportif était rare. Après c’est ça aussi le mouvement ultra, un sacerdoce, avec une part de dureté, de galères, d’embrouilles, mais c’est pesant surtout quand tu consacres 200% de ta vie à ça, à ton groupe, à ton club.

ITW Viola Virage PSG
(c) Merry Moraux

Et puis tu vis dans une pression policière. Tu as une structure associative où les gens qui sont dans le bureau, sont convoqués parce que c’est le bordel au Parc des Princes, ça fait le deuxième mort en cinq ans, entre temps il y a eu X frasques. Ça commence à devenir plus tenable. Là tu dis qu’il faut passer à autre chose, analyser la situation. On était plusieurs à dire que le groupe, en tant que grand groupe, avec une grande banderole, une cohérence et une seule voix, ce n’était plus possible. On ne pensait pas encore qu’on n’allait plus retourner au Parc des Princes la saison suivante. Donc on s’est dit qu’il fallait dissoudre le groupe et continuer à aller dans notre coin de tribune, à l’animer, que chaque petite entité fasse un drapeau, une bâche. C’est ce qui s’appelle le faire à la Véronaise, parce que les supporters de Vérone en Italie pendant les années 90, la Brigate Gialloblù (groupe emblématique), très bon en tifo, et hélas très extrême-droite, a subi une très grosse répression. Les mecs ont dit non. La Brigate, en tant que structure, est trop attaquée, donc on vient comme ça mais on continue à chanter tout le long du match, à l’italienne, et à faire un bâchage un peu à l’anglaise, un mix. Donc on s’était dit pourquoi pas essayer de faire ça, d’animer notre tribune mais ne plus avoir de structure. Les Greens Angels à Saint-Etienne ont fait ça plus tard je crois, en tout cas dissoudre l’asso, se protéger, même si pour eux le groupe existe toujours de façon unique et cohérente. Au finale le groupe Lutece Falco ne sera plus obligé de prendre position par rapport à Boulogne, par rapport à des coups de pression de la Police. Moi je m’étais dit que c’était peut être aussi la fin du modèle du Virage Auteuil, avec de grands tifos, mais même si la créativité était toujours là et qu’on pouvait sortir des idées sur le fond et sur la forme, il y aurait un mode de supportérisme du PSG un peu différent, une nouvelle histoire à créer, un nouveau mode d’animation de tribune, toujours dans le chant et le visuel, mais de façon différente, moins organisée, plus spontanée mais toujours avec cette toile de fond de chanter pour tes couleurs, de donner du mouvement et de la couleur à ton bloc, dans le virage.

Et puis il y avait eu la dissolution administrative des autres groupes à côté donc on allait pas continuer tout seul, par décence vis à vis des Supras et des ATKS (ndlr : Authentiks Paris), mais surtout des Supras, nos voisins de tribune, avec qui on avait des relations constructives, cordiales, amicales, parfois tendues mais comme ça peut être tendu avec des amis. Tout n’a pas toujours été rose mais depuis 1991 les Lutece et les Supras à Auteuil Bleu avaient tout de même fait de belles choses. Et puis même intérieurement on ne pouvait pas. Moi personnellement et pas mal de gens. Donc on avait fait une Assemblée Générale, noyau dur, des gens voulaient continuer mais la plupart ont dit « on arrête ». Après tu pars un peu dans l’inconnu. Toi tu peux imaginer des choses, en te disant qu’on va revenir, chaque bande aura son machin, mais tu ne sais pas comment ça va se passer et on n’a même pas eu le temps de le mettre en oeuvre et d’y penser que le Plan Leproux est arrivé et là tu passes à totalement autre chose.

Et du coup le Plan Leproux, sur le moment ?

Le Plan Leproux tu ne comprends pas. Tu commences à avoir les premières rumeurs. C’était un jour de match au Mans, où j’étais mal d’ailleurs, où tu sens que tout ton mode de vie, ta passion de groupe, sont en train de mourir. Depuis ce fameux PSG-Marseille, la mort de Yann Lorence, tu es interdit d’aller en déplacement. On avait fait avec des potes un match à Saint-Etienne en latérale, en allant en Italie la veille voir Torino-Cesena, et en essayant de continuer à suivre le PSG. Mais tu sens que ton activité ultra est en train de finir, donc ce n’est pas très cool. Et ce n’était pas encore les qataris, c’était Colony Capital. Colony capital, ils étaient clairement plus là pour les actifs immobiliers du 16ème sud, le Parc, le stade Jean Bouin, la piscine Molitor, tisser des bonnes relations avec la Mairie et dans une logique très finance, rationnelle, pas pour faire du Paris SG un grand club de stature européenne, c’était pas des mécènes. La première saison c’était sympa, on a failli jouer le titre mais après… Tu disais « que va devenir le PSG », les tribunes sont en train de mourir, et là tu te pointes et tu te prends le truc sur la gueule. Les premières rumeurs, tu te dis « mais non, ce n’est pas possible », et puis finalement ça arrive. J’étais fougueux, j’avais de l’espoir, j’ai dit « bon, le premier match de la saison il faut qu’on fasse un truc, qu’on aille manifester devant le Parc ». Dans mes rêves les plus fous on aurait été plein et on aurait forcé les barrages de CRS, sachant que ce n’est jamais facile en août, parce qu’il y a les vacances. Et tu te dis « qu’est ce qu’on va faire », il y avait déjà eu le match avant, contre la Roma, un amical et puis tu sais que ça va être difficile parce que tes camarades de tribune, les Supras et compagnie, eux c’était autre chose, ils subissaient une répression policière énorme, il y avait quand même eu un mec qui était mort. Il y a eu de longues gardes à vue, des perquisitions, et eux étaient partis dans le discours « ça suffit », contre le racisme et autre, ce qui n’était pas mon délire mais que je pouvais comprendre parfaitement. Parce que ça avait été beaucoup, beaucoup trop loin. Au bout d’un moment il fallait que ça s’arrête. Deux décès autour du Parc, un climat de guerre civile, le club du PSG qui passait dans les médias pour pire que Daesh ou la Gestapo, des gens qui parlaient de dissoudre le PSG, c’était une période terrible.

Cliquez ici pour voir les images du 15 mai 2010 au Parc

On avait fait une manif le jour du dernier match de championnat contre Montpellier. Parce que le Plan Leproux avait été annoncé. Il n’y avait pas tout le Virage Auteuil mais il y avait tout de même pas mal de monde, des Lutece, des Kriek, des Karsud et puis pas mal de gens gravitant autour de la tribune. On était resté dans le stade très longtemps jusqu’à ce que les stewards nous virent, c’était le 15 mai 2010. Je m’en souviens, parce que c’est mon dernier match à Auteuil, et tu te rends compte que c’est peut être ton dernier match, et tu sors à 2H du matin… Je me suis dit « merde, c’est là, on va sortir et c’est probablement la fin », et oui effectivement c’était la fin parce que je ne suis pas retourné à Auteuil depuis. Et ce match arrive, PSG-Saint-Etienne (ndlr : 7 août 2010). Des gens viennent, comme ils sont venus depuis X années. Premier match de la saison, même si ils savent qu’ils ne vont pas rentrer dans le stade. Moi je tannais les gens, à dire il fallait qu’on appelle à la manifestation, qu’on fasse un truc cadré, organisé, si ce n’est même commando. Mais après il faut des soldats pour aller à la guerre. Donc il y a ça, premier match, on est là, tous un peu hébétés, hagards, on va vers le Parc, en chantant des chants contre le Plan Leproux. Et on se retrouve à se dire qu’on va faire un sitting, pacifique, devant des barrages. Complètement hallucinant.

ITW Viola Virage PSG
(c) Merry Moraux

Tu avais l’impression d’assister à une scène du G8, où le Parc était blindé de camions, de murs anti-émeute. Je ne pensais pas que le dispositif serait comme ça, et là je me suis dit « ah ouais, ils ne rigolent pas vraiment, ils ne veulent pas qu’on se réabonne, ils ne veulent pas qu’on revienne », tu prends vraiment le truc dans la face. Je voyais les flics, la tenaille, la nasse qui commençait à se mettre en place. Avec les plus âgés on se dit « on se casse » parce que, d’une, ce barrage on ne le forcera pas, et de deux on va rester à chanter comme des cons, à faire les baba cools pacifiquement et on va se faire arrêter quand même. On est parti, et dix minutes après, ceux qui étaient restés, surtout les plus jeunes, ont continué le sitting et ils se sont tous fait rafler, pour rien, ils faisaient juste un sitting pacifique. Les mecs ont fini dans des bus de Police pour aller dans des dépôts à Clignancourt ou autres, passer la nuit, prendre des interdictions administratives derrière, pour n’avoir rien fait si ce n’est chanter et s’asseoir. Et là le match commence, tu entends un peu le speaker, le coup d’envoi, pas d’ambiance parce que le Parc n’était pas tellement plein et il y avait eu l’appel au boycotte. Tu te retrouves à voir la deuxième mi-temps chez un pote, tu te dis voilà, c’est le premier match de la saison du PSG.

Les premiers matchs de la saison, tu étais toujours excité, content de retrouver tes potes, de préparer un premier tifo, ou de partir en car en déplacement, et là tu vois la deuxième mi-temps de ce PSG-Saint-Etienne à le regarder sur un pseudo multiplex de l’Equipe 21, le truc à l’italienne, en fumant des joints et en buvant des bières. Tu te dis merde, tu ne comprends pas, et après j’ai vécu un mois d’août à essayer de réfléchir, à me dire que faire ? Contester ? Il y avait LPA (ndlr : Liberté pour les abonnés) qui s’était créé, je ne savais pas trop comment les jauger, l’idée pouvait être bonne, mais j’étais perdu. Je l’ai ressenti physiquement. A l’époque j’étais quand même encore pugnace. Pugnace mais sous le choc aussi, déprimé, apathique, le manque de Parc, de virage, de bloc Lutèce, de car en déplacement, se faisait douloureusement ressentir. Tu ressens une tristesse profonde, t’es en manque comme Mark Renton ou Sick Boy d’héro dans les romans d’Irvine Welsh.

On avait joué Tel Aviv en préliminaire de Coupe d’Europe, on était parti avec 4-5 jeunes Lutece avec qui je m’entendais bien. On avait fait des stickers, on sticke autour du Parc, et à un moment : voiture de Police. On se fait arrêter, on se retrouve emmenés dans le commissariat sous le Parc, où un mec me dit « ouah, mais Viola, quel plaisir de vous voir », un mec que je ne connaissais pas. Il me dit « mais vous êtes très connu, vos compte-rendus, grand capo », mais je lui dis « vous êtes qui? », c’était un officier de Police judiciaire. Il travaillait au SARIJ, un autre service de Police que les RG. Je me suis dit qu’on allait prendre une interdiction de stade administrative, finalement on n’a rien eu. Mais tu te retrouves arrêté, menotté, amené au commissariat, et là tu te dis « ils ne vont vraiment pas lâcher l’affaire ». Ils sont sur une politique de tolérance zéro. Au sein du groupe on s’était dit « on va essayer de faire des choses, des contestations », tout seul ou avec LPA. Il y avait eu le tirage au sort de l’Europa League que le PSG jouait à Dortmund. On savait qu’il y aurait une mobilisation parisienne un peu massive. Les Supras jumelés avec la Wilde Horde de Cologne ce n’était pas très loin. Et aller en Allemagne ça pouvait intéresser du monde. Ça sentait le traquenard. Mais finalement les allemands ont géré dans le bon sens du terme, parce qu’ils ont fait rentrer toutes les grappes et les bandes de parisiens, partout, dans plusieurs endroits du stade. Il y avait peut être un millier de parisiens, qui normalement ne devaient pas y aller, le parcage était interdit, mais ils sont rentrés. C’est là où la culture allemande du maintien de l’ordre est différente et où les allemands gèrent très bien. Je l’avais vu à la Coupe du Monde 2006, les flics anti-émeute allemands c’est efficace. C’est une main de fer mais c’est aussi un gant de velours.

Cliquez ici pour voir les images du parcage parisien à Dortmund

Donc on n’avait pas fait Dortmund. Mais on avait été à Toulouse en championnat. A Toulouse le stade n’est jamais plein, tu sais que tu peux prendre des places. Et puis on connaissait, on avait un peu sympathisé avec des ultras toulousains qui sont assez cools dans le délire. Il y avait eu l’histoire de Brice Taton. On fait un contre-parcage, on rentre chacun un peu séparé, sans couleur, et puis on se pose. On est 20-30, avec du noyau dur et un peu de sympathisants Lutece. Il y a quelques RG du Parc qui nous font un peu chier mais au final pas trop… C’était régénérant et un gros kif, de revoir un match en vrai, de chanter, mais surtout de se retrouver ensemble, en déplacement, en famille pourrait-on dire, avec une partie du noyau, de retrouver cette joie du déplacement, et du simple plaisir de rentrer dans un stade.

Au final tu lâches un peu l’affaire ?

Non, pas sur la première saison. Je comprends que ça va être compliqué. Je comprends que la lutte va être pour le principe, pour le baroud d’honneur, mais dans ma tête je sais très bien qu’on ne récupérera pas nos abonnements et que le truc est mort. Mais pour continuer à avoir une vie associative de groupe et, entre guillemets, de stade, et pour aller au bout de ses idées, tu le fais. A côté de ça certains avaient essayé de discuter un peu avec le PSG. Moi j’étais assez vénère car je ne voulais pas faire de compromis avec des gens qui venaient de nous mettre dehors. Donc on va à Toulouse. Et on va en Coupe d’Europe. Un déplacement incroyable à Lviv où il fait -20°. On rigole bien, on est torse nu en Ukraine en décembre. Il y a un parcage au Parc en latérale qui est fait aussi contre Monaco. Je trouvais que c’était trop tôt. Depuis le début de la saison le boycotte marchait bien, le stade n’était pas très plein, il n’y avait pas de chant, et donc tu te dis tu vas en latérale, un petit millier, deux milles et puis tu te fais entendre. Chose qu’on a faite, mais ça a été très difficile, de revenir, d’aller en latérale comme ça et de voir le Virage comme il était. Ça m’a fait plus de mal que de bien. Il neigeait pas mal et avant le match je n’avais pas tellement envie de retourner au Parc dans ces conditions. Je me suis dit « putain il faut que ce match soit annulé par la neige ». Finalement on fait ça, et après les contre-parcages continuent, et grossissent d’ailleurs, parce que d’autres entités comme la K-Soce Team ont commencé à le faire. LPA s’est structuré. Donc on a commencé à faire un peu ces contre-parcages, ce qui n’était pas toujours facile. C’était de l’orga, il fallait partir discrètement, il fallait avoir des places en latérales ce qui n’était pas toujours facile. Et puis après se regrouper. Avec le risque d’avoir une interdiction administrative de stade pour avoir chanté contre le PSG, ou insulté Robin Leproux et Sébastien Bazin.

ITW Viola Virage PSG
(c) Merry Moraux

Ça se fait la première saison. Mais je sais très bien au fond de moi que de toute façon il n’y a pas de retour possible. Et puis après les gens sont moins motivés. C’est assez compréhensible parce que c’est usant. J’en voulais aux gens de ne pas continuer et être jusqu’au boutiste mais avec le recul tu te dis que c’est normal aussi. On a continué un peu à contester, à Annecy au début de la saison suivante, où on jouait Evian-Thonon-Gaillard. On a toujours bien aimé la Haute-Savoie, on avait une section là-bas, on s’est fait une espèce de baroud d’honneur. On n’était pas les Lutece Falco parce qu’on était dissout mais on était encore un peu vu comme ça. Au bout d’un moment il faut arrêter car il n’y a presque plus que des coups à prendre avec la répression. Et on l’a vu derrière avec les gens qui ont continué la contestation. LPA et tous les autres groupes qui se sont créés et qui sont au CUP maintenant, ils ont quand même morflés sévère en terme d’interdiction administrative de stade. Ou quand tu te retrouves devant l’entrée d’un stade en déplacement où le Responsable de la sécurité du PSG a suffisamment le bras long pour dire au Préfet ou au Responsable Sécurité du club adverse de ne pas te faire rentrer… donc tu arrêtes.

Certains anciens des virages et des Lutece retournent au Parc, toi tu n’y es pas retourné depuis août 2010 ?

J’ai fait le dernier match à Auteuil de la saison 2009/2010, le 15 mai, et après j’ai fait deux matchs de contestation, ce fameux PSG-Monaco, et un PSG-Brest, où j’ai eu la chance de voir Javier Pastore marquer. J’étais quand-même très content, c’était sympa ! Et depuis je n’y suis pas retourné. Je sais que j’ai plein d’amis qui y retournent, en latérale, parce qu’ils ne veulent pas retourner en Virage. C’est symbolique, la cassure est faite et ils seraient trop malheureux, mais ils vont voir des matchs en mode « bon père de famille ».

Et toi alors ?

Pendant longtemps non, parce que la cicatrice était trop présente. Et puis le Parc des Princes, était un mouroir, il n’y avait pas d’ambiance, il n’y avait pas de chant, des sifflets intempestifs. Même les joueurs s’en plaignaient. C’est aussi pour ça que les qataris ont poussé quand la fenêtre de tir s’est ouverte après l’Euro 2016. C’est une question d’alignement des planètes, rien ne pouvait se faire avant l’Euro 2016, où tu devais forcément avoir une gestion sécuritaire. Et la personnalité d’Antoine Boutonnet bloquait (ndlr : ancien responsable de la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme, décédé par suicide en novembre 2017). Après ça s’est rouvert et le CUP a pu revenir. Mais je ne voulais pas aller au Parc avant le retour du CUP car je me suis dit que ça allait tuer ma passion. Mais ma passion pour le PSG elle n’est pas morte. J’ai réussi à faire mon deuil car cette vie d’ultra est terminée, ça n’empêche pas qu’il y a un bel historique, de belles amitiés, une passion qui est là depuis 1988, et ce club je l’aime de toute façon.

Aujourd’hui tu regardes tous les matchs ?

Je regarde tous les matchs. J’ai eu cette période un peu de latence, les deux premiers mois du plan Leproux où je sentais que mon amour du PSG pouvait s’estomper, qu’une sorte d’indifférence poisseuse était en train de poindre. Et puis on a refait quelques matchs de contestations alors ça rebooste et au fond la passion du club était toujours là, groggy mais pas morte. A partir de là je continue à regarder tous les matchs, avec des Lutece et d’autres fans du PSG. Le jour de PSG-Barcelone en poule de Ligue des Champions, quand on gagne 3-2, avec Verratti qui marque de la tête, un mec a voulu m’inviter au Parc. Il connaissait ma passion pour le PSG. Je lui ai répondu non. Je ne me sentais pas prêt. Je craignais de mal le vivre. Pendant longtemps je me suis dit « non, je ne vais pas au Parc ». Le temps a fait son œuvre, et le fait qu’il y ait à nouveau de l’ambiance, là j’aimerais bien aller voir un match, une rencontre de Ligue des Champions en latérale, posé comme un daron. Je kifferai vraiment ça. Mais le problème, c’est les prix. J’aimerais aller au Parc avec ma femme, on n’a jamais été au Parc ensemble, avec son filleul qui est supporter du PSG. Inconsciemment je veux le faire mais je remets toujours le truc au prochain match. Il y a donc l’inconscient et le côté pratique. Une chose est certaine, je ne retournerai jamais dans le Virage. L’idéal serait de pécho des invitations avec open bar Champagne en loges et d’insulter l’adversaire avec le frère de Marquinhos.

Des déplacements, par exemple à Naples, tu n’as pas eu envie ?

ITW Viola Virage PSG
(c) Merry Moraux

Mais je suis partagé, tiraillé entre l’envie d’y retourner un jour et tout le mal que ça pourrait faire, c’est assez étrange, j’ai appris à vivre ma passion de façon différente, hors du stade, dans des rades devenus un peu comme un nouveau coin de tribune, sur un canapé magique, devant un écran de smartphone, dans des salons d’apparts parisiens, devant des grands écrans ou même des trop petites télés, des studios à 15 dedans, des hôtels en Inde, des terrasses en Italie, des bars de stations de ski, des pizzerias à l’ambiance digne d’un virage, des troquets de province hostile au PSG.

Quand mes potes partent en déplacement européen, je suis le premier sur Whatsapp à voir comment ça se passe au stade et même en ville. J’aimais les déplacements européens. On partait  en Low Cost, trois jours à Athènes, à Bucarest et autres, on découvrait la ville, on se faisait des trips, il n’y avait pas que le stade. Oui, ça me manque. J’ai envie de le faire. J’ai fait deux grands chelems de suite, j’ai fait plein de déplacements européens, mais j’étais célibataire, et quand tu as un boulot c’est plus difficile. Je peux moins poser de jours facilement comme avant, j’ai aussi une femme, c’est pas pareil, mais oui, je pense qu’un jour ou l’autre je referai un déplacement européen, ou si il y a une finale j’irai, parce que c’est une finale. Après, même si je ne fais pas de déplacement ou si je ne vais pas au Parc, ça ne m’empêche pas de vivre ma vie de supporter devant ma télé de façon très active. C’est à dire que l’âme d’enfant de supporter, avec mon tatouage sur le bras, elle est toujours là. J’ai de la critique par rapport aux qataris et au football moderne, mais ma passion intrinsèque pour le PSG est toujours là. Je suis excité comme un gosse avant les matchs importants de Ligue des Champions, je mets des écharpes les jours de match et je vis les matchs, pas comme avant, mais il y a quand même un truc. Tu y penses, t’appelles tes potes, tu te fais des apéros d’avant-match, sauf qu’au lieu de rentrer dans le Parc, tu es déjà dans le bar, ou tu changes de bar. J’ai un bar fétiche où je vais assez régulièrement, un bar de quartier dans le 11ème, avec des ex-Lutece et d’autres potes hors stade qui sont fans du PSG, qui n’ont jamais été actifs mais qui connaissent l’histoire du club. Avec qui on peut parler tactique, et après quatre pintes de picons, on peut reparler du 3-5-2 de Luis Fernandez. Y a des mecs originaires de Strasbourg, on parle de José Cobos ou de Godwin Okpara, on a une vraie bande et une vraie vie par rapport à ça, un amour du foot et du club qui s’exprime vraiment et c’est chouette.

Tu vois le sapin de Noël que je n’ai pas encore enlevé (ndlr : dans son salon ou il nous reçoit), les guirlandes ce sont mes écharpes du PSG. Tu peux vivre des bons moments, des explosions collectives qui ne sont pas des explosions de virage. Tu es dans un bar et tu te sautes dessus, tu te renverses de la bière, tu t’embrasses. Par exemple la qualification contre Chelsea après prolongation, le 2-2, on n’était pas dans un bar mais dans l’appart d’un pote. Sur l’égalisation de Thiago Silva, la table, les bouteilles, les verres, l’appartement, tout a explosé, la joie pure. Cette émotion où tu as les larmes, où tu t’embrasses, même avec des mecs qui sont aujourd’hui beaucoup plus critiques par rapport au PSG, à se dire « non je n’aime pas, et caetera, Zlatan c’est un con, et caetera », les mecs redeviennent supporters du PSG. Ce Chelsea-PSG reste dans mes meilleurs souvenirs de match all-time. Comme inversement, le Barcelone-PSG. Tu as beau ne plus être au stade, ne plus être ultra, il est dans mon Top 5, voire Top 3 et peut être même Top 1 de la douleur, de la déception et de la tristesse sportive comme la demi de C3 face à la Juve en 93, la défaite contre le Barça en finale à Rotterdam. Même si la douleur est intrinsèque au PSG, le côté club maudit. Ces émotions tu les vis peut être différemment, mais au fond tu les vis pareil. Je crois que de 7 à 77 ans tu restes l’enfant supporter passionné de ta jeunesse.

Le tatouage représente quoi ?

Le logo du PSG des années 80 avec le Parc en dessous. Le logo avec le berceau bien sûr.


Benjamin Navet
Xavier Chevalier

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