Le premier des derniers

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2023. La Ligue 1 est pliée. Nantes, avec douze points d’avance à six journées de la fin, peut dormir tranquille. Le titre est pour les Canaris. Les experts exultent, les spécialistes applaudissent, les footix ravivent une nostalgie rance et tellement française. On parle de Loko, Touré, Suaudeau, même de Landreau, aujourd’hui directeur sportif du club de Loire-Atlantique.

Nantes vient au Parc le coeur léger. Une défaite ne ferait que retarder, un peu, l’échéance. Valdemar Kita prend la pose avec diverses célébrités. Son bronzage toujours plus orange permet à ses dents immaculées de briller sans complexe. Et puis, contre un Paris moribond, un Paris très Paris, le danger ne guette pas vraiment. Une routine. La messe est déjà dite.

Les Parisiens ont fait leur le ventre mou du classement depuis plusieurs années désormais. Les Qataris partis vers d’autres cieux, l’argent et les touristes de tribunes avec, l’équipe de la capitale a dû réapprendre à souffrir pour souffrir, à perdre pour exister encore. Ce soir, le PSG ne peut pas l’emporter. Ou alors, comme Strasbourg, en 2017, quand la bande à Neymar avait chuté en Alsace en refusant de jouer. L’exploit est possible parce que le football accepte l’exploit. C’est tout et ce n’est pas grand chose. David et Goliath…

Il sera le premier à rester. Pour la vie.

Avec l’une des pires attaques du championnat et une défense offerte, Paris ressemble à une victime idéale. Dans un Parc blindé de supporters agressifs (les coeurs brisés se moquent bien de l’objectivité et du fair-play), où les chants nantais sont systématiquement avalés, on assiste à un match fermé, où les Parisiens vendent chèrement leur peau. Sirigu parvient même à arrêter deux pénalties, généreux cadeaux d’un arbitrage partial qui ne se cache même plus. Hoarau, qui a rechaussé les crampons avec Gameiro (remplacé à la 75ème par Jean Kevin Augustin), pour tenter de sauver son Club de coeur de la relégation en 2020, rate deux occasions énormes mais aucun sifflet ne vient le sanctionner. Dans la tourmente, les coeurs parisiens ont toujours préféré l’ironie ou l’appartenance au suicide collectif.

Et puis, alors que le score est toujours vierge, à la 87ème minute, un homme, un seul, va bouleverser l’évidence et écraser les certitudes. Parti du milieu du terrain, il dribble, efface, vole, une plume le mec, arrive aux 18 mètres, s’arrête pour éviter un méchant tacle nantais, crochète encore avant de déposer le ballon en pleine lucarne, sans forcer, comme si la gravité n’avait jamais figurer dans le moindre dictionnaire. 1-0. Un silence de cathédrale et puis un séisme de magnitude 9. 45 000 âmes déchirent le voile de l’amertume et chantent avec des larmes et de la fierté dans la voix: “Pastore, Pastore, Pastore, il n’y a qu’un seul Pastore et c’est ici, à Paris !”. Il salue la tribune Boulogne, sourit comme un enfant, se retourne vers sa famille, il ne voudrait être nulle part ailleurs. Il est chez lui, il l’avait dit: “Je serai le dernier à partir.” Il avait menti. Il sera le premier à rester. Pour la vie.

Il n’est pas parisien. Il est Paris.

La partie est terminée. Paris a gagné, pour rien. Les Nantais l’ont mauvaise. Pascal Praud, l’entraineur, ne décolère pas en conférence de presse, il parle de faute professionnelle, préfère évoquer les deux pénos manqués que cette fulgurance divine argentine. L’Équipe met 6 à Javier Pastore, considérant “qu’une action de génie ne suffit pas à oublier les nombreuses passes ratées du milieu parisien…”.

Les supporters, eux, refusent de quitter le stade et chantent encore, pour les étoiles, pour ceux qui ne sont plus, pour cet homme qui a fait mentir la réalité en choisissant le coeur plutôt que les billets. Le romantisme aujourd’hui est une tare, quelque chose de presque inavouable. Une perte de temps. Javier Pastore se moque de ces contingences. On le disait fragile, sur courant alternatif, surestimé. On avait, au début, parlé surtout du montant de son transfert, on avait critiqué, souvent, ses absences répétées pour mollet capricieux, muscles aléatoires, mental boiteux.
Javier Pastore n’est pas parisien. Il est Paris.

 La poésie avant le rendement

Il a peut-être un peu grossi. Ses cheveux, noirs, luisants, ont un peu poussé et recouvrent sa nuque. Le regard, lui, est resté le même. Le regard d’un gamin qui, peu importe l’état de la pelouse, sait qu’il n’a qu’une mission : Aller là-bas, en face, aller là-bas et casser les lignes, pour la beauté du geste et rien d’autre. Pour le jeu. “Le plus beau but était une passe” écrivait Michéa. Voilà. Voilà tout Javier. La poésie avant le rendement, le ciel avant la terre, l’absolu avant les statistiques.

Il aurait pu signer à l’Inter, à Manchester (le bleu ou le rouge), à la Juve, au Bayern, à Madrid, partout. Mais non. Il n’a jamais dit pourquoi. Ce n’était pas nécessaire. Les plus fanatiques prétendent que le Parc des Princes a été construit pour lui et que, certains soirs d’hiver, si l’on tend bien l’oreille, on peut entendre le vent murmurer son nom, au détour d’une avenue abandonnée.

Javier Pastore est notre Histoire

Dahleb, Sušić, Ronnie, Pauleta, Cavani et Pastore. Les cinq premiers sont aujourd’hui des souvenirs, des statues, des tatouages. Javier, lui, respire encore, il s’échauffe encore, il se met au vert encore, il aime la balle, encore. On n’oubliera jamais ses chorégraphies solitaires, ses buts nonchalants, ses visions hallucinées, ses passes sniper, shrapnels de velours, ses ratés délicieux, ses sourires et cette voix d’une douceur de vertige.

2017. Javier ne partira pas. Ni cet hiver ni l’été prochain, jamais ! Tous ceux qui répètent qu’il est un poids financier, un espoir déçu et déchu, un fantasme pour idéalistes sont des ânes. Voire pire (connards, trous du cul, rabats-joie, traîtres, jaloux, baltringues, pragmatiques foireux, faites votre choix).

Javier Pastore est notre Histoire, toute notre histoire. On allume la Tour Eiffel pour Neymar ! Quelques milliers d’ampoules qui clignotent, en appuyant sur un petit bouton. Une kermesse de riches en somme. Javier, lui, a illuminé nos coeurs. A fait reculer les ténèbres. Avec lui, l’éternité pointe au chômage. Il ne nous manquera pas parce qu’il sera toujours là. Là où aucun agent, aucun président, aucun journaliste, aucune censure, ne parviendra à tuer la passion. Notre passion.


Jérôme Reijasse

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