Looking For Nico

par

1998, génération Footix. La France se découvre un amour pour le football à mesure que Zinédine Zidane piétine l’Arabie Saoudite, dégomme le Brésil
de ses deux plus beaux coups de boule et marche sur l’eau.

1998 Je me découvre un amour immodéré non pas pour le football mais pour un seul et unique club : le Paris Saint-Germain. Alors oui, peut-être que le PSG est cette année-là premier au classement UEFA mais dans la caboche d’un gamin âgé de pas encore dix ans, ça ne compte pas. Non.

En ce samedi soir de l’automne 1998, je suis à table, chez mes grands-parents, 15 rue Léo-Lagrange, 56530 Quéven. Mamy a fait comme d’habitude : pâtes-steack haché (au beurre salé, s’il vous plaît), papy a encore dû râler parce que la moutarde n’était pas posée sur la nappe en toile cirée de la salle à manger. Surtout, à la fin du repas, papy quitte la maison. Qu’il passe ses matinées à chasser ou ses après-midi à taper les cartes dans son ancien bistrot j’avais l’habitude… Qu’il sorte ce soir, c’est impensable. Il me propose de le suivre chez « Papy Jean » (ou je l’implore, sans doute), quelques maisons plus bas, juste à côté de l’école primaire Saint-Méen que nous avons tous fréquenté. Papy Jean est l’ancien boulanger de ce qui n’est pas encore la banlieue pavillonnaire de Lorient. Surtout, Papy Jean a Canal +, et ce soir « y’a du foot ».

Francine, l’épouse dévouée de Papy Jean m’offre mon premier Citror alors que les compositions des deux équipes s’affichent. Je dois avouer que je m’en fous un peu du foot. Le petit gros du fond de la classe est toujours sélectionné en dernier à l’heure du chou-fleur. Je suis un meilleur poteau que gardien de but. Tout bascule quand apparaît le visage d’un homme rasé de frais. Petit épi rebelle, toison pileuse qui dépasse du superbe maillot Hechter : Nicolas Ouédec. Les grands-pères parlent du gamin du village, celui qui a marqué ses premiers buts en poussins à quelques encablures du Rallye Super, liquette rouge sur les épaules, du temps où l’aïeul était président du Cercle Sportif Quévenois Je serai fan du PSG, papy.

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Patrice Loko en liquette rouge et bleu et dreads (c) Panoramic

Après ce match de Division 1 quelconque, face à une équipe quelconque, je suis toujours aussi nul balle au pied mais j’ai enfin ma propre identité. C’est génial. D’autant que la grande majorité de mes petits camarades adulent un club du Sud. Mon esprit de contradiction va pouvoir s’exprimer à merveille. Et tant pis si Nicolas Ouédec ne passe que six mois au club. Tant pis s’il ne marque qu’un but pour l’équipe de la Ville Lumière. Tant pis si son principal fait d’armes a eu lieu contre « mon » équipe quelques années plus tôt, avec ses acolytes Reynald et Patrice. Je fais les carreaux de la BX de mes parents pour cinq francs. L’aspirateur ? Cinq francs. L’extérieur ? Cinq francs. Si on rajoute la R19, ça fait quand même trente francs à claquer en cartes Panini. Je suis dans tous mes états lorsque j’apprends que Patrice Loko signe au FC Lorient. Je vais pouvoir le voir jouer si mes parents veulent bien m’amener au Stade du Moustoir (ça n’arrivera pas). Lui aussi a porté le plus beau chandail du monde. Un jour, les Merlus passent juste devant la maison, le temps d’un footing. Je reconnais les petites locks. J’enfourche mon vélo pour essayer de le rattraper. Malheureusement je suis toujours aussi peu sportif.

29 février 2000, Ernest Corvenne, mon éminent grand-père, le boucher, le tenancier de bar, le président du CSQ, le puits de culture, le premier téléphone de Quéven, passe l’arme à gauche. J’ai onze ans et je ne retiens aucune larme. Les obsèques sont célébrées quelques jours plus tard et je me rend compte du nombre de personnes pour qui il comptait. Dans mes souvenirs, la queue pour bénir le cercueil est tellement longue qu’elle va jusqu’à la « Gina », la femme-fontaine de bronze que le maire socialiste a fait poser en face du clocher. Peut-être bien que les parents de Nicolas sont de la fête.

« Ni fleurs ni couronnes », avait demandé le vieux teigneux. Pourtant, le cortège en dégueule. Je suis furieux. Je n’ai que onze ans.

Le 16 décembre 2000, j’atteins la douzaine. Micheline Corvenne m’offre ce que je veux : le maillot de Nicolas Anelka. Enfin… un maillot du PSG floqué Nicolas Anelka avec le bon vieux lettrage « 3D » de la Coupe de la Ligue. Mon premier maillot du PSG et pas n’importe lequel, non, déjà celui d’un joueur qui échoue dans la capitale. Comme l’immense Nicolas Ouédec avant lui. Montpellier, Lausanne puis la Chine, bien avant Pocho, en précurseur, en pionnier « à jamais le premier ».

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Le bal des nantais (c) Panoramic

Passent sept années sans saveur, faites de doutes et d’échecs, comme tout bon ado. Mes parents m’offrent de belles vacances que je déteste, comme tout bon ado. En 2004, nous revenons des Pays-Bas. À Dunkerque ils me lâchent une poignée d’euros, comme tous bons parents. Je les claque immédiatement dans un France Football. Le PSG vient de relancer la filière nantaise. Armand, Ateba et Yepes débarquent. Ça y est ! On va de nouveau avoir une « vraie » équipe. Paris va marcher sur la Ligue 1 ! Non. On va simplement concéder un nombre record de pénalties. Les défenseurs prendront des rouges plus vite que « papy Nénesse » comme on en parle encore au village. L’ADN. Ce putain d’ADN. Cette sempiternelle scoumoune.

En 2007 je parviens enfin à mes fins : je vais étudier à Paris ! PARIS ! PARIS ! PARIS ! J’ai 19 ans encore peur de me rendre au Parc des Princes. C’est un nid de fachos ou de racailles. Il y a eu et aura encore des morts.

Et pour la première fois, mardi 18 mars 2008, je pose les pieds en Borelli. Une purge de Coupe de France contre Bastia. Everton, dramatique, est remplacé par Maxime Partouche, acclamé pendant vingt minutes par Boulogne et Auteuil. Strabisme divergent, priapisme. Je tombe une nouvelle fois amoureux d’un « beautiful loser ».

Résumé de PSG vs. Bastia cliquez ICI

Je dois remettre les pieds dans ce stade. Je dois en connaître les composantes. Je dois en comprendre la faune. Je dois y appartenir. Ça tombe très bien, j’étudie le journalisme : je dois apprendre à ne plus avoir peur, je dois apprendre à me fondre dans la masse… et à porter mes couilles en toutes circonstances. Un formateur issu de la chaîne cryptée me chahute lors d’un cours. Les supporters du PSG sont des fachos et des décérébrés, la banderole « Bienvenue chez les Chtis » en atteste. Il nous « commande » des reportages. Rendez-vous en Boulogne, connard.

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« Toujours vaincre » (c) Panoramic

Le Franprix, le « petit Parc », les flashs de Label 5. Me voici au contact des ex-Boys, du Borsalino et de la tête de mort. Des Bac +5 aux Licence 4 qui se rendent chaque semaine aux jeux du cirque. Du sang et de la sueur et des larmes : le virus est inoculé et je postillonne partout. Embarque mes amis, mes exs, mes occasionnelles. Pas politisé pour un sou je traîne mes Dunks en « Boubou », me déplace à Marcel-Picot au lendemain du décès de Yann Lorence. Un match nul. Complètement nul.

Commémorer le décès de Julien Quemener, doubler le 289 en moonwalk pour rentrer m’enquiller du rhum dans ma jolie banlieue ouest. Paris est à moi. Je suis dévoué à Paris. « Paris c’est nous. »

En tribune, je ne suis personne et j’apprends à débarquer au boulot sans voix le lundi matin, gage d’un week-end réussi. Alors que les tensions sont toujours plus fortes entre les virages, c’est un type d’Auteuil qui me dégote trois billets lors d’un nouveau déplacement. Mon track-top Adidas se souvient encore du grillage, comme je me souviens du balourd torse nu, Tour Eiffel rouge et bleue tatouée là où la bière et les hamburgers font des ravages. Je découvre un amour inconditionnel. Celui qui fait lâcher un billet pour des « frangins » en rade à la buvette. Bientôt, il me fera traverser la France et la perfide Albion avec des inconnus chargés d’herbe. Tout ça pour humilier Chelsea en tribune… et pleurer à cause de Demba Ba (et ou d’Edinson Cavani, vous choisirez).

En attendant, j’émigre à Montréal, regarde un ou deux matches sur un mauvais stream diffusé avenue du Parc, siffle de la Molson Dry ou de la Pabst Blue Ribbon devant TV5 Monde. Je m’offre, à mon retour, un maillot de Christophe Jallet ; frétille devant la signature de Biševac, Matuidi et Menez – encore un Breton. J’achète encore France Football.

Nous sommes en 2011 et, hasard (?) du calendrier, je passe une semaine par mois à Montpellier, me régale de la générale contre l’ETG de Dupraz. Je vois la clique à Giroud remporter le titre au nez et à la barbe du plus grand club du monde. Putain d’ADN.

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Jérémy, un soir de mai 2013 (c) Panoramic

Un an plus tard, je suis encore en larmes. Jérémy Menez m’offre le plus beau des cadeaux, Mamadou Sakho pose instinctivement devant le parcage. Écharpe tendue, grand angle. Postérité. Les genoux râpent le parquet flottant de mon appartement. Je pleure – de joie cette fois. Libéré, délivré. Enfin.

Depuis, j’aime toujours Paris. N’en déplaise à Dutronc fils. N’en déplaise aux ultras des réseaux sociaux ou des fascistes qui instrumentalisent le football avec leurs moustaches en rutilisme apparent, aux zouaves en surpoids qui jouent du « one-one » comme moi du pipeau, aux marseillais de Manchester (ou l’inverse).

On a notre ADN. Notre sang. Ma fille, née un sombre soir n’a rien d’un ange et son prénom -Gabrielle – lui donne plutôt le caractère d’un Allemand devenu Sud-Américain que celui de l’annonciateur. Les langes ont laissé place à une dégénérée qui hurle trois fois par jour « Kylian Mbappe » et « Presnel Kimpembe ».

Papa, maman, désolé : si elle porte Augustine pour troisième prénom, ce n’est pas pour la vieille tante, c’est pour l’éminent numéro 10 nigérian. Aussi vrai que si une cigogne m’apporte un fils, il y aura du Ernest et du Nicolas dedans.

Aussi vrai que Presko et Kyky n’étaient alors que des protozoaires quand j’ai rencontré « Nico ». Aussi vrai que nous, admirateurs, supporters, ultras, hooligans parisiens, savons que nous tous, c’est pour la vie. Aussi vrai que le FPF me les brise menu, aussi vrai que je suis trop vieux (et trop papa) pour être de la caste supporteriste supérieure. Je continuerai à croire en mon club comme d’autres croient en un dieu.

Moquez-vous, acharnez-vous. Nous sommes nés et avons évolués dans l’adversité. Jacobins et souvent philistins nous sommes les Parisiens. ET NOUS CHANTONS EN CHŒUR.


Justin Daniel Freeman

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