Oh! Mon Parc Des Princes

par

En marge de la présentation du nouveau sponsor maillot du Paris Saint-Germain, Nasser Al-Khelaïfi a accordé un entretien au journal Le Parisien,
publié le 22 février 2019. En voici un extrait de deux questions-réponses :

(Le Parisien) Quels sont les prochains axes de développement de vos ressources financières ? (NAK) Il reste beaucoup de choses à faire. On travaille sur les droits de naming, sur le nouveau centre d’entraînement. Et on peut trouver d’autres sponsors. (Le Parisien) Le naming du Parc des Princes est-il une piste de réflexion importante ? (NAK) Pourquoi pas ? C’est un sujet sur lequel on réfléchit.
Tous les clubs ont un naming aujourd’hui
.

Inutile d’être un expert en communication pour saisir l’annonce intrinsèque.
Une petite phrase lâchée, mine de rien. Comme une porte entrouverte.
Une perspective effrayante, à laquelle il me semble d’une importance capitale
de fermer dès aujourd’hui toute possibilité.


Nasser Al-Khelaïfi dit vrai, le naming est une forte tendance dans l’économie actuelle du sport en générale et du football en particulier. Devenue une étape indispensable aux Etats-Unis, l’Europe est depuis quelques années fortement sujette à l’appropriation nominative. Les enceintes sportives et les compétitions sont des cibles de choix. Tous les nouveaux stades construits ou rénovés récemment en France, en Angleterre ou en Allemagne y ont eu droit, à Marseille, Lyon, Bordeaux, Nice, Le Mans, Le Havre, la salle de Paris-Bercy, pour ne citer que les plus connus dans notre hexagone. Quasiment tous ces exemples concernent de nouvelles constructions, l’impact du naming sur l’identité et l’histoire du lieu est alors restreint, voire inexistant. Ceci ne serait pas le cas du Parc des Princes.

Il paraît qu’il faut être lucide. Le naming est une rentrée d’argent supplémentaire et à moindres frais dans cette société de consommation qu’est le sport business, celui où le commerce à plus de poids que la tradition. Il faut vivre avec son temps. L’argent d’abord, le respect après, l’histoire au placard. Peu importe ce diktat économique. Il faut savoir poser des limites. Le naming ne peut pas être concevable pour le Parc des Princes. Juste l’envisager est déjà insultant. Ce stade fait partie du patrimoine parisien et français. Il n’est pas une banale enceinte sportive construite il y a peu sur une friche abandonnée en périphérie d’une zone périurbaine à réhabiliter. Son nom n’est pas et ne doit pas être un espace publicitaire.

Oh! Mon Parc des Princes - VIRAGE - PSG
Les Princes de la Ville

Le nom Parc des Princes remonte au 18ème siècle. L’emplacement actuel du stade était alors un vaste bois prolongeant le Bois de Boulogne jusqu’à la Porte de Saint-Cloud. Ce lieu était prisé par le Roi et les Princes pour des promenades et des parties de chasse. C’est à cet endroit que fut inauguré le 18 juillet 1897 un stade vélodrome d’une capacité de 12 000 places, portant le nom de Parc des Princes.

Le 23 avril 1932 il devient une enceinte de plus de 40 000 places et les tribunes, séparées du terrain par une piste cyclable, sont baptisées Tribune Présidentielle, Tribune Paris, Tribune Auteuil et Tribune Boulogne. C’est alors le Racing Club de Paris qui y prend place, partageant l’enceinte après la seconde guerre mondiale avec le Stade Français. En 1967 le stade est amputé de deux tribunes, détruites pour permettre la construction du boulevard périphérique. Notre Parc des Princes tel que nous le connaissons aujourd’hui, œuvre de l’architecte Roger Taillibert, a été inauguré le 25 mai 1972 par un France – URSS Espoirs qualificatif pour les Jeux Olympiques et remporté trois buts à un par les soviétiques.

Cliquez ici pour voir les images de France-URSS de 1972

Petit clin d’œil pervers de l’Histoire, le premier club à gagner un match dans ce nouveau Parc des Princes fut l’Olympique de Marseille, victorieux du Sporting Club de Bastia en Finale de Coupe de France le 4 juin 1972. Le Président de la République Georges Pompidou ayant assisté au match, celui-ci est parfois considéré comme le véritable match inaugural.

Alors que le Paris Football Club est le résident du stade, le Paris Saint-Germain, évoluant en Division 2, y joue son premier match le 11 novembre 1973. La rencontre Paris SG – Red Star n’est alors qu’un simple lever de rideau d’un Paris FC – FC Sochaux de Division 1. A l’intersaison suivante, le Paris Football Club est relégué en Division 2 et le Paris Saint-Germain fait le chemin inverse. Il en profite pour devenir le club résident. Depuis 1974, l’histoire d’amour entre le Parc des Princes, le Paris Saint-Germain et les supporters des rouge et bleu n’a plus jamais cessé. Un nom et un stade plus que centenaire. Une relation bientôt cinquantenaire. Un naming ? Pourquoi faire ?

Une première victoire, et pas des moindres, fut le maintien du Paris Saint-Germain au Parc des Princes, ceci pour les décennies à venir. Il est de toute façon indiscutable que le Paris Saint-Germain ne peut jouer dans un autre stade que dans son jardin, entre la Porte d’Auteuil et la Porte de Saint-Cloud. Sans quoi il ne serait plus réellement le Paris Saint-Germain. Pour abreuver les envies de grandeurs de nos dirigeants, on nous parle de travaux pour augmenter la capacité à 60 000 places. Une première interrogation est de voir comment cela pourra se traduire architecturalement sans dénaturer l’enceinte et son cachet aussi unique qu’exceptionnel. Une seconde interrogation est de savoir comment ces travaux seront financés ? Le naming semble alors une réponse évidente à cette deuxième question. Mon esprit simplet à une autre réponse, encore plus évidente. Si le naming est imaginé pour payer ces travaux d’agrandissement, alors ma réponse est claire et nette : ni l’un, ni l’autre.

Oh! Mon Parc des Princes - VIRAGE - PSG
Le vaisseau amiral

On nous dit dans les médias que ce ne serait pas pour tout de suite, qu’à l’échelle du budget du club cela ne rapporterait pas beaucoup d’argent, une dizaine de millions d’euro maximum. Mais attention, le jour où le Président du PSG nous l’annoncera, il sera trop tard. La désapprobation, c’est maintenant. Connaissez-vous le syndrome de la grenouille cuite à petit feu ? Cette fable stipule que si vous plongez une grenouille dans de l’eau chaude, elle réagirait immédiatement en cherchant à s’échapper. Au contraire, si vous la plongez dans de l’eau froide correspondant à son environnement naturel, et que vous montez la température de l’eau très progressivement jusqu’à ébullition, la grenouille s’habituerait sans réagir et s’ankyloserait jusqu’à finir morte ébouillantée. Attention à ce que les grenouilles rouge et bleu que nous sommes ne finissent pas de la même manière !

La progression de notre club vers les plus hauts sommets ne doit pas nous endormir. Evidemment, sa transformation est normale et son évolution économique est souhaitable. Mais le besoin d’argent, l’ambition ardente et les paillettes parisiennes ne doivent pas engourdir les têtes. Toutes les manœuvres ne doivent pas paraitre normales. Le sentimental que je suis est parfois traité d’aigri, de nostalgique et de conservateur. Je réponds qu’être moderne et vivre avec son temps n’est pas incompatible au respect de certaines valeurs et au principe d’identité.

L’argent justifie les hautes œuvres. Le Fair Play Financier a bon dos. Il faut faire comme tout le monde. C’est dans l’ère du temps. Etre un grand club, respecter son histoire et son identité, n’est ce pas justement de ne pas faire comme tout le monde. Etre l’un des seuls à ne pas succomber au mercantilisme abusif et proclamer « non, nous avons un stade unique, un nom mythique, une identité historique, nous n’associerons pas son nom à une quelconque marque pour seule raison de gagner encore plus d’argent. » Nasser Al-Khelaïfi, ne soyez pas qu’un Président visionnaire, soyez précurseur d’une certaine idée de la grandeur, soyez un Président brillant et remarquable, celui qui aura fait grandir le club sans en brocanter tout son patrimoine.

Oh! Mon Parc des Princes - VIRAGE - PSG
Une arène éternelle

En plus du nom du stade, ou s’arrêterait la porte laissée entrouverte ? Les tribunes mais aussi plein d’autres choses pourraient se voir accoler une dénomination mercantile. Je propose, comme ça, pêle-mêle, de dénommer les joueurs, les transferts, des buts, la pelouse, les vestiaires, les poteaux de corner, et que sais-je encore. Certes cette énumération parait presque ridicule, mais je ne vois là aucun confin infranchissable. La multiplication serait certainement contre-productive, mais admettez que l’exercice n’est pas si improbable que cela. Tout se vend, tout s’achète, ne l’oubliez pas. Un jour ou l’autre, quand les grenouilles seront ébouillantées au fond du seau, le nom du club sera lui aussi marchandé. Les films d’horreur finissent mal, en général.

Imaginez dans un avenir proche, en direct de la tribune de Presse -Total du Parc des Princes – BNP Paribas, un journaliste commenter ainsi le premier match – Axa des deux demi-finales – Crédit Agricole de la Coupe de France – EDF : « C’est la fin de cette première mi-temps – Visa qui a vu l’ouverture du score par le Paris Saint-Germain – Apple, premier but -Engie inscrit par Edinson Cavani – Airbus suite à un corner tiré par Angel Di Maria – Quilmes, depuis le poteau de corner – Samsung, côté – Siemens de la pelouse – Leroy Merlin, au pied de la Tribune Boulogne – Bank of China. On avait entendu à la mi-temps – Facebook, à la sortie du vestiaire – Nestlé, Thomas Tuchel – Volkswagen annoncer cette combinaison – ArcelorMittal. Lors de son transfert – Burger King, l’attaquant parisien avait annoncé qu’il atteindrait la barre des trois cents buts – Leonidas. » Il s’agit bien évidemment d’un extrait de science-fiction, reprenant par inadvertance des noms et des marques existantes.

Notre centre d’entraînement de Saint-Germain en Laye, le camp des Loges, a depuis 2013 était baptisé du nom d’un opérateur de télécommunications qatari. Une première marche franchie, qui ne nous a guère émue. Le prochain centre d’entraînement de Poissy le sera très certainement, et tant mieux si cela peut nous rapporter de l’argent, beaucoup d’argent. Peut être était-ce là le propos de notre Président. Mais peut être voyait-il plus grand ? Concernant notre stade, certains affirment que peu importe le naming, il suffira de ne pas citer le nom de la marque. Les supporters continueront à dire « Parc des Princes », sans rien ajouter. J’ai une autre suggestion à faire, encore plus simple d’utilisation : il suffit de ne pas lui faire de naming. Rien n’oblige à se prostituer. Avoir des limites est aussi une marque de progrès et d’intelligence.
Peuple parisien. Supporters du Paris Saint-Germain. Amoureux du Parc des Princes. Soyons vigilants. Et ne laissons pas notre joyau devenir un banal support publicitaire.

Le Parc des Princes est à nous. Le naming on s’en fout. Merci Président.

Crédits photo (c) Panoramic


Benjamin Navet

Laisser un commentaire

Découvrez les articles de