Oh! Rouge et Bleu…

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Les Reds de Liverpool. Les Blues de Liverpool. Les Red Devils de Manchester. Les Blues de Manchester. Les Blues de Chelsea. La Casa Blanca de Madrid. Les Blaugrana de Barcelone. Les Rojiblancos de Madrid. Les Bianconeri de Turin. Les Rossoneri de Milan. Les Nerazzurri de Milan. Les Giallorossi de Rome. Les Biancocelesti de Rome. Les All Blacks de Nouvelle-Zélande. Les Bleus de France. Les Verts de Saint-Etienne. Les Sangs et Or de Lens. Les Rouge et Bleu de Paris…


Je suis certain que vous avez trouvé instantanément quelle équipe et quel club se cache derrière chacune de ces associations. Et si je vous demande les Noirs de Paris, que me répondez-vous ?
« C’est un maillot de foot ou de basket ? » est la réponse de certains supporters du Virage Auteuil, en avant match de PSG – Reims le 26 septembre dernier.

Une réponse en forme de questionnement faussement naïf qui aura eu le mérite de créer au sein du microcosme parisien un début de buzz, à défaut de débat. On reproche à ces gardiens du temple d’avoir mal choisi leur moment. Il serait sidérant de chatouiller Sa Majesté des airs et roi du business, présent ce soir-là dans une loge du Parc des Princes. Les alerteurs ont donc été raillés, eux qui auraient égratigné « His Airness » !! Le ballon, je ne parle pas de l’orangé, ne tourne plus rond…

Quel autre timing aurait été meilleur ? Certainement aucun. Une semaine plus tard, le Paris Saint-Germain recevait l’Etoile Rouge de Belgrade pour son premier match de la saison à domicile en Ligue des Champions. Eclipsé par le score fleuve et par les divers incidents autour du match, dans les tribunes ou en dehors du stade, le fait le plus marquant de la rencontre n’a été relevé par aucune voix dissonante. Il y avait pourtant matière à discorde. Les joueurs de la capitale ont joué ce soir-là dans leur antre avec un maillot de couleur noire. Un soir de deuil, assurément, celui du respect des couleurs du Paris SG.

Ce n’était, malheureusement, pas une première fois. Déjà, à l’automne 2015, en Ligue des Champions, les suédois du Malmö FC et les ukrainiens du Shaktar Donetsk avaient affrontée à Paris la bande à Zlatan habillée tout de noir. Il est possible que d’autres matchs au Parc des Princes dont je n’ai pas le souvenir soient concernés par cette tunique sombre, les historiens du PSG nous apporteront peut être la réponse. Quoi qu’il en soit, la répétition interpelle et ne doit pas rester sans réaction.

Revenons en à notre maillot PSG – Jordan Brand de 2018. Je ne serai pas aussi évasif que la banderole du VA et mon intention n’est pas de critiquer la collaboration entre le club à la Tour Eiffel et le Jumpman. L’équipementier à la virgule a parfaitement réussi son brainstorming. L’inattendu coup marketing est indéniablement ingénieux et l’opération commerciale, génératrice de revenus encore plus importants, est une aubaine en ces temps indécis de fair play financier pas très fair play… Ces évidences dans le football moderne ne peuvent et ne sont absolument pas remises en cause. Mon malaise est ailleurs. Le prétexte de subsistance économique ne peut légitimer toutes les manœuvres artistiques. L’automne 2015 s’est passé sans contestation. Excepté le timide message du Virage Auteuil, l’automne 2018 confirme la tendance. L’aberration testée en 2015 semble être bien rentrée dans les mœurs, et même de certains fans du club.

Certes, les puristes et les historiens les mieux avertis répondront que dans les faits les couleurs et le maillot dits historiques ne le sont pas tout le temps. C’est le cas pour la plupart des clubs, dont certains parmi ceux cités dans mon introduction. Pour n’évoquer que le PSG, le maillot Hechter, si cher aux plus fervents supporters, également appelé le maillot B-B-R-B-B, pour « Bleu Blanc Rouge Blanc Bleu », n’est pas le premier maillot domicile du Paris Saint-Germain FC, lequel en 1970 était tout rouge avec le col et les bouts de manches en liserés bleu et blanc pour rappeler le Stade Saint-Germanois. A son arrivée au club en 1973 Daniel Hechter dessina sa merveille, laquelle fut adoptée selon les saisons en maillot domicile ou extérieur.

En 1976 le maillot domicile fut une alternative en inversant les bandes bleu et rouge, lequel fut reconduit en maillot extérieur la saison suivante. Durant les années 80, le maillot domicile n’était plus le BBRBB mais un modèle tout blanc avec sur le côté du blason deux bandes, une rouge et une bleue, lesquelles prirent en 1990 et pour deux saisons la forme d’une Tour Eiffel. Le maillot Hechter fit son retour au Parc des Princes en 1995, avant de disparaître parfois dans d’obscurs dérivés de bandes et de tons au fil des années 2000. La même saison, le maillot extérieur fut une nouvelle adaptation du bijou d’Hechter sous la forme « Blanc Bleu Rouge Bleu Blanc ».

Pour les supporters parisiens du siècle passé, cette œuvre de haute couture BBRBB est le maillot historique, celui qui donne toute sa particularité au club, celui qui reprend les couleurs de Paris et de Saint-Germain, celui qui est tout simplement unique et se reconnait parmi tous les autres maillots du monde. Il en est la signature. Il en est une évidence. Il est non négociable.

Les parisiens n’ont donc pas toujours joué en maillot home BBRBB, toutefois les couleurs du club, bleu et rouge pour la ville de Paris, blanche pour le Stade St-Germanois, furent quasiment toujours conservées. Le respect de son identité doit être impératif lorsqu’on évolue à domicile. D’autant plus quand il s’agit d’une rencontre de Ligue des Champions diffusée en mondovision. Parés d’un maillot noir sans âme ni histoire, quelle sera l’identité des joueurs parisiens lorsqu’ils affronteront prochainement au Parc des Princes les Azzurri du Napoli et les Reds de Liverpool ?

Le jargon marketing endort les esprits avec des sémantiques approximatives. Maillot domicile, maillot extérieur, maillot third, comment doit-on appeler ce maillot noir brandé Jordan avec lequel les parisiens ont affronté Belgrade ? L’étiquette third est trompeuse. Je le qualifierai plutôt de maillot domicile bis. Mes pinaillages vous font sûrement sourire, ils ne sont pourtant pas de minces détails. Nous, amoureux de nos couleurs, avons déjà tiré un trait depuis bien longtemps sur celles du maillot away, laissées de longue date en libre imagination aux designers créatifs, un coup marron, un coup grise, un coup noire ou un coup jaune. Deux maillots par saison ne suffisant plus, les équipementiers ont créé le maillot third, modèle dont l’utilité autre que commerciale n’a jamais été prouvée. A ce rythme et sans préavis, c’est bientôt l’identité du maillot domicile qui disparaitra, dans l’indifférence et l’acceptation générale.

En 2010, pour ses 40 ans, le PSG avait ressorti en maillot domicile une tunique toute rouge, version modernisée de celle de 1970, et le maillot BBRBB pour l’extérieur. Certains affirment déjà sur les réseaux sociaux que le maillot Hechter serait rendu aux amoureux du club pour la prochaine saison ou la suivante, celles du cinquantenaire. Un clin d’œil symbolique comme une offrande historique. Attention que ce geste louable ne soit pas qu’un éphémère contentement. Les nouvelles mauvaises habitudes du pseudo maillot third ne doivent pas prendre le dessus sur les évidences identitaires. La singularité n’est pas un gros mot mais une valeur inestimable qui ne doit pas être ébranlée.

Il est interdit de malmener l’icône absolue du basket-ball, dieu du sport au culte vivace dont les adeptes traitent de tous les noms ceux qui osent s’interroger sur le fondement d’une telle union. Ses admirateurs s’offusquent d’un tel affront. Concernant le Paris Saint-Germain Football Club, dont les couleurs sont délibérément bafouées sous prétexte d’un logo modifié, les voix qui s’élèvent pour les défendre sont bien moins nombreuses. Les rares qui s’y sont essayés ont été traités d’imbéciles. J’accorde le fait qu’il faut être bien bête aujourd’hui pour penser qu’il existe encore une once de respect, de valeurs et d’identité autres que celles dictées par les règles aussi impitoyables qu’insensibles du fair play financier. Ce système dans lequel le supporter affectif et romantique est traité de fanatique. Le compromis ne doit pourtant pas être totalement impossible.

Ouvrons un débat. Evitons la stérilité. Mettons de coté la stupidité. L’authenticité peut rimer avec originalité. Quelles sont les limites acceptables d’un club marketisé ? Quelles sont les valeurs sur lesquelles un supporter ne peut pas transiger ? Quels sont les mesures du respect de l’identité ? A quel moment l’héritage devient une absurdité ?
Bientôt, au delà du maillot, ce seront même les chants les plus anciens qui se feront décolorés.

Ensemble nous sommes invincibles,
Unis par la même passion,
De notre virage terrible,
S’élèvent en chœur nos chansons,
En rouge et bleu allez,
En rouge et bleu allez,

En rouge et bleu allez,
En rouge et bleu allez…

Crédit photo illustration (c) Panoramic


Benjamin Navet

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