Au-delà du virage psg

Au-delà du Virage

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Après de longs mois d’absence en raison de l’épidémie de Covid-19,
le football a fait son retour dans l’actualité. Mais pendant que les clubs étaient à l’arrêt et que les médias n’avaient plus rien à dire, des groupes de supporters s’organisaient pour apporter leur contribution pendant cette période difficile.


Beaucoup de clubs et de joueurs ont fait des dons pour soutenir les hôpitaux pendant la pandémie. Mais dans le monde du football français personne ne semble s’être impliqué aussi spontanément que les ultras. Dès les premières heures de l’épidémie, les actions se sont multipliées, à destination du personnel soignant mais aussi des personnes dans le besoin. D’abord, des bâches avec des messages de soutien ont été déployées aux abords des établissements de santé, notamment par le CUP. Puis très rapidement des fonds ont été récoltés à l’appel de différents groupes. Du côté du Paname ReBirth (présents en tribune Boulogne), en lien avec l’association Les Mains Unies de Saint-Denis, l’argent récolté a permis de distribuer un millier de repas en deux mois à des familles en difficulté. Une action a également été menée auprès des résidents d’un foyer d’hébergement à Boulogne avec une distribution de repas et de kits d’hygiène (brosse à dent, gel douche…).

A Nîmes, les Gladiators ont suivi le même principe de l’appel aux dons et en ont fait bénéficier le Centre Hospitalier de Nîmes ainsi qu’une polyclinique, puis un EHPAD, un service de gériatrie et les pompiers. En lien avec la Croix Rouge, des produits d’hygiène ont été distribués à des personnes sans domicile et à des migrants. A Dijon, l’approche des Lingon’s Boys a été légèrement différente puisque leurs actions se voulaient complémentaires de celles déjà menées par le Dijon FCO en direction des hôpitaux régionaux et des soignants. Ils ont donc choisi d’apporter leur soutien aux autres personnes qui étaient elles aussi au travail pendant le confinement :  pompiers, centre de ramassage des déchets, supermarchés, ambulances privées, La Poste. A Orléans, les Drouguis ont d’abord mis en place une cagnotte en ligne au profit du personnel soignant du Centre Hospitalier Régional d’Orléans. Puis le groupe a organisé des livraisons de produits frais locaux aux soignants, provenant directement de producteurs du Val de Loire qui étaient eux aussi impactés par la crise sanitaire et économique. Ou comment faire d’une pierre, deux coups. Dans le même temps, les maraudes auprès des SDF orléanais, initiées avant le confinement, ont été accentuées et ont permis de distribuer des masques, des produits d’hygiène et des repas chauds toujours élaborés avec des produits locaux dans la cuisine professionnelle d’un adhérent du groupe. Des repas ont aussi été livrés aux bénévoles de la Protection Civile du Loiret. Cette période d’activité intense a finalement donné naissance à une structure dédiée aux actions solidaires au sein des Drouguis.

Toutes ces actions ont été réalisées avec la seule volonté d’aider, sans rechercher la lumière. Le mouvement ultra est connu pour cultiver un certain sens du secret, mais durant ces derniers mois, il s’est surtout distingué par son sens du collectif. Ce qui n’est finalement pas une surprise. La solidarité et le soutien à sa communauté locale font partie de la mentalité ultra. C’est en tout cas le point de vue que défend Nico chez les Lingon’s Boys de Dijon : « L’un des principes d’un ultra est son attachement à son club mais surtout à sa ville. (…)  La liste des actions solidaires menées par l’ensemble des groupes de supporters français tout au long de l’année est très longue ». Confirmation à Nîmes avec Yakari, des Gladiators, qui dit être « Nîmois avant d’être ultra » et qui rappelle que d’autres actions similaires avaient été menées les années précédentes. Ibrahima, du Paname ReBirth, fait écho à cette déclaration : « Nous sommes humains avant d’être supporters et les membres du Paname ReBirth sont comme une famille. Aider son prochain est un choix. » Chez les Drouguis, à Orléans, Arnaud n’hésite pas à faire de la solidarité une composante de l’ADN des ultras : « Nous offrons systématiquement un soutien financier à nos adhérents poursuivis juridiquement pour un acte en rapport avec l’activité du groupe. Il y a cette habitude de ne jamais abandonner quelqu’un. Transférer cette solidarité dans la ville a été assez naturel ».

Un tel engagement force le respect. Mais dans un football professionnel qui ressemble de plus en plus à un laboratoire de l’ultra-libéralisme le plus débridé, cette volonté de solidarité peut sembler un peu vaine, voire anachronique. Certains n’y prêtent pas attention, d’autres admettent une certaine nostalgie du foot d’avant. Chez les Lingon’s Boys, on reconnaît volontiers les dérives du football mais on note aussi quelques signes encourageants, comme les dons faits par les clubs mais aussi la décision de ne pas reprendre le championnat là où d’autres pays ne voyaient qu’une urgence à remettre
la machine économique en marche. A Orléans, Arnaud voit chez les les groupes de supporters « une utilité sociale et un rôle de syndicat. (…) Les ultras amènent de l’humanité dans un milieu détestable dirigé par des financiers ». Les ultras seraient donc un contrepoids à la course au profit. Et même si c’est bien trop léger pour inverser la tendance, ça a le mérite d’exister et de poser le débat. Après tout, si on écoute des présidents de club geindre à longueur de temps sur les moyens de leurs concurrents, on peut au minimum prendre le temps d’écouter ce que les ultras ont à dire. Et ce serait bien de voir les médias sportifs donner l’exemple.

Cette dimension sociale chez les ultras pourrait-elle en faire émerger une autre plus sociétale ? La crise sanitaire a provoqué une crise économique qui s’annonce longue et douloureuse. Des mouvements de soutien au personnel soignant ont lieu, pour la sauvegarde du service public de la santé. Des manifestations dénonçant les violences policières, sur fond de lutte contre le racisme, ont pris de l’ampleur. Les ultras pourraient-ils avoir un rôle à jouer dans ces contestations ? Sont-ils prêts à porter des revendications en dehors des stades, comme cela a par exemple été le cas en Algérie l’année dernière ? Sur ce point, mes interlocuteurs se montrent plus réservés. Globalement, l’engagement politique n’est pas au programme. Si les Gladiators et le Paname ReBirth mettent en avant la tolérance qui règne au sein de leurs groupes, il ne perdent pas de vue que des sensibilités différentes peuvent y cohabiter. Une vision confirmée chez les Lingon’s Boys, même si Nico précise que certains membres peuvent prendre part à des manifestations de manière personnelle mais pas sous la bannière du groupe. Il ajoute : « La différence est qu’impliquer un groupe entraîne de facto tous ses membres dans le mouvement, qu’ils soient d’accord ou non avec les revendications. Certains peuvent aussi penser qu’ils sont déjà assez réprimés par les flics au stade, sans avoir envie de prendre de risque supplémentaire en manifestation ».

Il est vrai que les ultras n’ont pas été épargnés par la répression et qu’ils souffrent d’une image médiatique pas franchement flatteuse. Souvent présentés négativement comme des sauvages, sectaires, violents et intolérants, ils ont su pour beaucoup mettre leurs rivalités de côté pour défendre leurs droits communs, notamment au sein de l’ANS pour ceux qui en font partie. Et dans une période noire pour notre pays, ils ont incarné ce qui manque cruellement au football aujourd’hui : un peu d’humanité.


Café Crème et Sombrero

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