Supras Virage PSG

La Saga Supras #2

par et

Suite de l’entretien avec Boat, Bobine et Selim, 3 anciens présidents
des SUPRAS AUTEUIL. Dans cette deuxième partie on évoque avec eux
la création du groupe et l’évolution de sa mentalité. 

Revenons sur la création des Supras, Bobine, tu peux nous en dire plus ?

Bobine : Le principal a été dit quelques lignes plus haut ; une fois la porte du Virage ouverte par le club aux Supras, les gars ont fait leur vie. Le premier match des Supras a été contre l’Olympique Nîmois le 26 octobre 1991, 1 mois après le dépôt des statuts. Un adversaire anecdotique comparé à la formidable et inoubliable bicyclette d’Amara Simba, qui concrétisera 2 buts ce jour-là. Par ailleurs, le club a naturellement accompagné les Supras, comme tous les groupes d’ailleurs. Il nous donnait une subvention de 6.000 Francs environ à l’époque, nécessaire pour démarrer. Il nous a clairement sponsorisé dans la création des premières voiles (je pense à la « Vaincre pour Nous » destinée au Virage), pour la matière première des tifos et l’organisation des déplacements. Nous sortirons peu à peu de ces 3 axes pour revendiquer notre autonomie. On avait aussi un local, celui dont Selim parlait, en Auteuil rouge, commun avec les Lutece Falco, Dragon’s et plus tard les Tigris Mystic, ce qui nous permettait d’avoir une certaine cohésion. Au moins, on se croisait ! Dès qu’on sortait à la fin des matchs, tout le monde était ensemble, toutes les malles étaient dans le local. Il y avait une certaine unité, même si il y a toujours eu une petite guerre de clocher entre Lutèce et Supras. Mais c’est plus une rivalité de bonhommes avec leurs caractères que de groupes en réalité.

A ce sujet, c’est curieux parfois comme des choses purement matérielles comme des parpaings et du ciment séparent des gens. Je m’explique ; le local était donc commun à tous les groupes puis d’un commun accord, on sépare le local en deux avec Auteuil rouge. Atelier de maçonnerie avec Amar, président des LF, en construisant donc un mur entre Auteuil bleu et Auteuil rouge. Puis en 1998, je demande à sortir définitivement du local en demandant la construction d’un autre local, plus grand à dix mètres toujours en rouge. Avec le recul, peut-être la plus belle connerie que l’on ait faîte, s’isoler chacun chez soi… Par ailleurs, les symboles manquent, le groupe est très jeune, l’histoire est en marche, mais l’organisation nous fait défaut. C’est normal, Paris ne s’est pas fait en un jour ! Le décor est planté. Il fallait maintenant le structurer. C’est mon but. Le groupe a commencé avec un premier logo « SUPRA » et un pouce en l’air. Vous comprenez, ça faisait un peu « Vichy Saint-Yorre, ça va fort ! » si tu veux. C’était un truc « un peu trop positif » pour des tribunes populaires. Mais c’est facile de dire ça, quand les gars de l’époque partaient d’une feuille blanche. Et c’était il y a bientôt 30 ans. Mais il fallait bien commencer par quelque chose…

Bache Supras Virage PSG
la bâche « Pouce en l’air » © Collection personnelle

Qui a eu l’idée du nom SUPRAS ?

Bobine : C’est la contraction de Supporters et Ultras, de ce que nous étions et allions devenir. Aussi, dans Supras, vous avez quasiment toutes les lettres de Paris. D’où ça vient ? C’est simplement venu petit à petit, l’idée de rapprocher ce que les gens sont quand ils viennent au stade : des supporters et l’autre idée, de ce que certains deviennent : des Ultras. Il y a avait donc « SUPRA », mais sans le S en terminaison puis SUPRAS. Ensuite une évolution du logo, une main qui se durcit et se referme pour laisser apparaître un poing avec en son majeure une chevalière PSG. A noter que beaucoup de références italiennes ont naturellement été importées. Franck et « Mac Méga » avaient de réelles références en Italie. 

« Le couturier » raconte : « De cette saison (94/95), je garde également le souvenir de mon premier tournoi à Gênes par le biais de « Mac Méga ». Il était passé aux Lutèce, avec qui j’avais gardé des contacts et avait sympathisé avec les Ultras Tito de Gênes, lors de la Coupe du Monde en Italie en 1990, auquel il assistait, pour suivre l’Ecosse, basée donc à Gênes. Notre équipe s’appelait « Celtic Paris » et était composée de Supras (Les deux Laurent,, Gelaad, Raph, Seb, Bill…) et de quelques Lutèce (Gilles, Oliv et Seb). Les saisons suivantes, nous y retournions et nous retrouvions, Franck qui jouait avec des collègues à lui, supporters de l’Inter sous le nom de « l’Inter Club Paris ». C’est de ce tournoi à Gênes, que nous nous inspirions pour organiser à notre tour notre premier tournoi international (à la Varenne Jarcy, club de foot où je jouais, ainsi que Gilles et les autres membres des Lutèce du « Celtic Club Paris »). Puis Franck pris la main et organisa de nombreux tournois entre Supras »… à Bagatelle et ailleurs. Naîtra la SAFT (Supras Auteuil Football Team) et les tournois de foot qui deviendront une tradition, perpétuées encore aujourd’hui par les générations successives des SA. »

Saft Supras Virage PSG
Supras Auteuil Football Team © Collection personnelle

Selim : Franck avait peut-être des références à la Samp’ aussi.

Bobine : La « Samp » et ses Ultras pour « Mac Méga » donc ont suscité beaucoup d’admiration dans les rangs. C’est vrai. Quand j’entendais parler de leur organisation, j’exultais. Attention on parle d’un groupe de 1969 ! Aucune comparaison possible mais un exemple, c’est certain. Pour revenir aux nombreux symboles, prenons l’exemple de « The Screaming Hand », très en vogue dans le monde ultra, dessinée en 1985, par Jim Philips, légende de l’industrie du skate-board. « La main hurlante » qui figura sur une de nos écharpes. Nous sommes à cette époque en recherche de ces symboles transalpins, comme presque tout le monde. J’insiste sur le fait que les Supras n’étaient pas dans la rivalité dans la rue, mais en tribune : les chants et les Ttifos. Point barre. Et j’étais du même avis. Les SA ont été considérés à leurs débuts comme la « maternelle ». Ensuite les gens ont grandi. Cela n’a pas fait que du bien. Si tu veux boxer, monte sur un ring, ne va pas voir un match de foot !

Supras Virage PSG

Et une devise ?

Bobine : « Notre ferveur est sans limite » sur une de nos écharpes et « Vaincre pour nous » à l’échelle du Virage sur une des premières voiles.

Boat : 1994, l’écharpe Briques.

Bobine : Il y a un fait historique et une anecdote malheureuse sur deux de nos bâches. La toute première bâche (qui faisait domicile et déplacement) que l’on peut apercevoir sur certaines photos du match européen contre Salonique (bleue et rouge) a été piquée par les Urban Service à Nantes. Une deuxième a été fabriquée en PVC, la blanche. J’avais demandé un jour à Fred : « mais cette bâche blanche, où est-elle ? ». Ce que faisait les gars à l’époque, c’est qu’ils décrochaient la bâche et puis il fallait évacuer le Parc, alors ils revenaient le lendemain. Mais le nettoyage était passé. Elle est partie à la benne. No comment. Ce qui explique qu’entre septembre 91 et noël 92, nous en étions à la troisième bâche, la Supras Forever (+ pouce).

Selim: C’est important dans l’appropriation de la culture ultra par les différentes générations. Tu vois qu’à travers cette anecdote, on est dans le symbolique, mais sans toute l’application que ça implique derrière. Tu es en train de créer une identité. Elle n’est pas assez forte. Tu n’as pas encore les codes, qui viennent de l’Italie. « Il faut protéger la bâche coûte que coûte ».

Où alliez-vous chercher l’information sur la culture ultra ? Il n’y avait pas internet à l’époque.

Selim : C’est vrai. Il y a un fanzine qui s’appellait Supertifo, il fallait s’abonner depuis l’Italie. (ndlr : Supertifo, fanzine italien lancé en 1984, arrêté en 2012*)

Boat : Oui, et puis il y avait Sup’Mag (ndlr : fanzine français lancé en 1992, arrêté en 1995*)

Selim : Il faut aussi comprendre que par rapport à 2020, au début des années 2000 tu n’as pas Internet tel qu’il existe actuellement. Aujourd’hui, tu vas sur You Tube, tous les groupes ou presque se mettent en scène, les spectateurs filment les animations des tribunes, tu peux avoir un panorama mondial des ultras en quelques clics, des barras argentines aux groupes ultras marocains ou même indonésiens. A notre époque, tu avais quelques happy few qui avaient des VHS de groupes étrangers ou des compilations et qui les faisaient tourner aux copains. C’était très difficile de te faire une idée d’une tifoseria sans être allé sur place. Dans le même ordre d’idée, à un moment, t’as un exemplaire de « I Furiosi » traduit en français qui tournait à Auteuil. C’est un roman qui raconte les aventures des Brigate Rossonere. T’avais une traduction amateur imprimée sur du A4 qui circulait et les copains te pressaient chaque semaine pour que tu finisses de le lire et que tu le fasses tourner. L’accès à l’information était difficile, donc précieux, et on tentait de tirer des leçons de ce qu’on lisait, de ce qu’on visionnait ou des expériences qu’on pouvait vivre en direct quand on se déplaçait voir des tribunes à l’étranger.

*source : « Le dictionnaire des supporters : côté tribunes. », de Franck Bertheau, édition Stock.

Vous aviez des correspondants ?

Selim : C’est pas mon époque, parce qu’internet arrivait déjà. C’était 1999-2000, c’était le début. Tu commençais à voir les channels de discussion sur IRC. (Ndlr : « IRC », Internet Relay Chat). Mais j’ai connu des gars qui écrivaient encore à l’ancienne à leurs correspondants.

Poing Supras Virage PSGBobine : En 1991, les gars ont investi le Virage, c’étaient des supporters du PSG mais pas des ultras. Ensuite, une partie a commencé à s’intéresser au mouvement et à se cultiver, ils ont adopté des codes, c’est venu petit à petit. Certains s’y sont identifiés, d’autres non. On peut dire qu’au milieu des années 90, le groupe commence à être dedans. On parlait tout à l’heure de symboles, j’estime qu’ils sont loin d’être aboutis. Nous sommes passés de notre bâche de groupe « SUPRAS FOREVER » avec le pouce (un intitulé qui a un sens tout particulier aujourd’hui) à une nouvelle, la « SUPRAS AUTEUIL », avec un poing mais très mal dessiné, un pouce démesuré et en guise de chevalière le logo PSG « 3 lettres » version Canal+ que nous rejetions. On défendait le logo originel dit « Berceau ». J’avais en tête de refaire dessiner le poing, changer la chevalière et donc à terme la bâche. Un jour, en flânant Boulevard Malesherbes, je passe devant un troquet et je vois sur la devanture le logo de la bière munichoise « Paulaner », c’est le déclic, il était aux couleurs parisiennes ! J’insérerai le poing « revu », dans un logo circulaire comprenant le nom du groupe, sa date de création et le nom du Virage où nous évoluions.

Je continuais dans ma quête aux symboles (ndlr : « Bobine » sort de son sac un écrin, avec une chevalière dedans). Je courais après le temps et je voulais avancer. Mais là c’est très personnel. Mais au service du groupe, toujours. C’était mon anniv’, je dis aux mecs : « pas besoin de cadeaux, mais si vous voulez, venez remplir la cagnotte parce que j’ai quelque chose à faire ». J’ai fait réaliser par un joaillier avec un cahier des charges très précis : la chevalière du groupe. La chevalière qui se devait exister. Aujourd’hui elle est au coffre. Pour revenir à internet, une dédicace à notre webmaster JF qui mettra sur la chaîne mondiale notre groupe. Essentiel et novateur en 1998 !

Tu prends visiblement beaucoup de responsabilité ?

Bobine : Tout est relatif mais ça commence.

Boat : C’est ça. 97, c’est une époque où, de mémoire, tu te poses la question avec « The Boss » si il ne faut pas dissoudre le groupe parce qu’il n’y a plus grand monde.

Selim : Tu as une défection déjà de génération. Parce que nous on arrive, enfin notre équipe de jeunes qui ont 15-16 ans. On arrive alors que le noyau a fait défection, des gens que je n’ai pas connus, que je n’ai pas fréquentés. Le changement de génération dans un groupe ça peut foutre le bordel.

Bobine : A cette époque, tu as que quelques gars qui font tourner le groupe. Il suffit de quelques évènements personnels entre des membres du bureau et la machine se grippe. Cela a été le cas. Des points de désaccord entre moi et ceux qui ont « formé » par la suite la Kriek entraineront leurs départs. C’était eux ou moi ! mais ils ne se sentaient pas capables de diriger le groupe et ils sont partis vers d’autres horizons.

Selim : Je crois que c’est ce qui s’est passé avec le départ de Franck, le groupe a eu beaucoup de mal à s’en remettre.

Bobine : « The Boss » s’était retiré aussi. Lionel prendra la suite. Mais il lâche très vite, après une saison et là il n’y a vraiment plus grand monde. Je prends les rennes et je reconstitue peu à peu une équipe qui était vraiment chouette (Zoran, « Udc », etc…). Comme dit Selim, j’ai recruté un de mes amis, « l’Ultra des Cavernes » auquel j’ai ouvert les portes du Virage. Il avait vraiment une sensibilité et une culture ultra. Il avait à peu près ton profil (regardant Selim), dans l’approche et dans le verbal. Il avait une vraie intelligence de tribune. Il était pondéré. Ça faisait la balance avec moi (rires).

On parle d’un groupe qui fait quelle taille ?

Bobine Supras Virage PSG
Bobine avec la C2 © Collection personnelle

Bobine : Il y a les années 90 et les années 2000. J’étais à la transition entre deux époques (1997-2003). Un groupe se quantifie de différentes façons : un groupe à domicile, un groupe en déplacement et un groupe dans la vie de tous les jours. A domicile, à cette époque (la moins bonne) on tombe à 180 membres mais toujours beaucoup de sympathisants qui ne sont pas cartés. L’éternel paradoxe entre les membres, ceux qui pensent l’être mais ne le sont pas et ceux qui aiment bien le groupe mais ne veulent pas s’engager. Ces derniers sont très sympathiques mais ne participent pas à la vie du groupe. En déplacement, c’est le problème de tous les groupes, la proximité du match, son coût et quand ça tombe (la semaine et le samedi, c’est pas pareil). C’est donc très variable et pas la meilleure époque. En dehors des matchs, il n’y a pas à proprement dit de vie de groupe dans les années 90 (pas de local extérieur).

Selim : A l’apogée, tu es en 94-95, c’est ça ?

Bobine : En termes de membres.

Selim : Et d’influence dans la tribune.

Bobine : Absolument, et puis c’est nouveau, c’est l’endroit où il faut être pour certains.

Selim : Et tu as une poignée, moins de dix gars, qui font tourner le groupe.

Bobine : Dix gars, je ne sais plus mais c’est un grand maximum.

Après ça décline un petit peu. Tu parlais de recrutement ?

Bobine : Nous étions déjà dans la pente descendante. Mais nous allons d’abord revenir sur le fonctionnement du club avec les tribunes. Les associations considérées et reconnues par le club sont dites officielles avec des statuts déposés en préfecture, elles sont de type loi 1901, à but non-lucratif. Les relations avec le club s’établissaient via le service animation dont le responsable était Bruno avec des réunions régulières. Suite aux incidents de PSG vs Caen, le 28 août 1993 entre les CRS et certains du KOB, les Képis sont retirés des tribunes et remplacés par des stewards. Le club s’inspire alors très largement du modèle anglais. Dans la même dynamique, le département Supporters est créé, remplace le service animation, avec à sa tête, un ancien de Boulogne pour les relations avec le KOP et une autre personne, Fred, pour le Virage. C’est la première génération du département Supporters. Ces personnes sont donc des salariés du Paris Saint-Germain. Suite à des dis-fonctionnements internes, l’équipe du département Supporters changera et nous verrons arriver une seconde génération, une équipe 100% Kopiste avec deux personnes. Le climat va très rapidement se tendre, voire devenir invivable et pour répondre à ta question initiale, cette période n’est pas salutaire pour gérer normalement un groupe et le recrutement en pâtit. Nous sommes une cible.

Selim : On peut dire ta devise ?

Bobine : Non, ça c’est très personnel.

Supras Virage PSG

Selim : Non, c’était une très bonne devise, qu’on a retenue, et c’était vraiment les mots de Bobine, c’était …

Boat : « Les hommes assis, le Groupe debout ».

Bobine : Mon père était Officier de réserve dans l’Armée de terre. Lors de la remise de son grade d’Officier, la cérémonie a débuté par un « Les Hommes à genou, les Officiers debout ». Je m’en suis inspiré. Je l’ai même accentué. Elle me semblait salutaire.

N’est-ce pas finalement la mentalité des Supras ?

Boat : Si.

Bobine : Cela m’a inspiré, comme beaucoup de choses et comme tout le monde.

Boat : Si, si. Le groupe debout, les hommes assis. Si, si, bien sûr. Le groupe est plus important.

Selim : L’idée c’était que les gars se mettent au service du Groupe, et pas l’inverse. Que les mecs, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, ne mettent pas en avant leur histoire personnelle au-dessus de l’histoire collective du Groupe. Les meilleures années du groupe sont celles où les gens prouvaient leur valeur et s’intégraient par ce qu’ils accomplissaient dans le groupe et non parce qu’ils profitaient des facilités d’intégration offertes par les gens « bien placés » qu’ils connaissaient dans le groupe.

Bobine : Parce que les gens passent, c’est une réalité. Le groupe, lui, reste.

Au moment où tu avais les rênes du groupe, est-ce que tu t’es inspiré de cette mentalité ?

Bobine : Au fond de moi bien entendu mais dans un groupe qui réussit, je le répète, l’organisation est de rigueur. Je remarque que l’on a fait certainement une erreur : c’est de ne pas s’être professionnalisé au milieu des années 2000. Le bénévolat a ses limites surtout pour des jeunes qui débutent leurs vies professionnelles et personnelles.

Qu’entends-tu par professionnaliser ?

Bobine : On entendait dire qu’en Italie ou dans le sud de la France, les groupes avaient leurs locaux. Les mecs y vont, ils ont leur cuisine, leur bar, ils ont leur lieu ! une organisation bien en place avec un foyer. Ce sont des choses qu’on a réalisées, mais bien après. C’était tendu. Tu ne peux pas tenir longtemps avec un système uniquement axé sur le bénévolat. Un moment ça craque à la maison ou au boulot ou les deux et tu ne revois pas la personne. Et l’organisation du groupe est compromise. On a réussi à avoir notre local en deux étapes (à Bagnolet pour un test mémorable, début 2000 puis en 2003 à Saint-Denis près du Stade de France). C’est un vrai défi avec un loyer supérieur à 1000€ tout de même et une vraie réussite dans notre quête d’autonomie. Nous avions refusé depuis longtemps la subvention, nous avions notre propre organisation au niveau des dép’… et le Graal : nous avions notre QG où tout le monde se retrouvait. Pour le coup un vrai symbole, Durant le premier semestre 2010, il prendra feu, l’immeuble sera ravagé, aucune victime mais cela aurait pu être dramatique (on va dire que c’est le hasard !). Cette période nous sera fatale…

Local Supras Virage PSG
Le bar du local SA91 de Saint-Denis © Collection personnelle

Boat : Dans le groupe tu choisissais. Soit tu avais une vie de groupe, soit tu avais une vie de famille.

Bobine : C’est exactement ça. Ou alors tu as une relève derrière, tu fais des bébés Supras qui reprennent les compétences pour relever les mecs qui vont partir. Mais ça n’existe que dans tes fantasmes à cette époque.

Boat : Tu te rappelles ce qu’on avait vu en Italie ? On s’était promis que plus tard au Parc, il y aurait une porte où on mettrait tous les gamins du groupe, tu vois tous les petits qui naissent, ça aurait été leur porte à eux, et nous on aurait été dans le bloc. C’est ce qu’on s’imaginait, à l’époque.

Bobine : On aurait pu le faire, mais ça ne s’est pas fait. Nous n’avons pas eu le temps. A Gênes justement ils ramenaient leurs gamins. Les mecs étaient déjà des darons, la transmission de génération était en cours.

Selim : Les Titos datent de 69, ça te place un peu la pyramide des âges (ndlr : Ultras Tito Cucchiaroni, groupe de la Sampdoria de Gênes).

Bobine : On ne pouvait que s’en inspirer. En 95 et en 96, avec « The Boss » et Lionel, nous sommes partis à Milan puis Florence, et c’est là qu’on s’est rendus compte de la culture ultra italienne, en se promenant dans les deux villes. Et même si nous regardions à Florence la Curva Fiesole de l’extérieur (pas possible d’y accéder), nous voyions le comportement des joueurs comme Batigol à l’égard des tribunes, sa statue en sortant du stade ; c’était très séduisant. C’était l’époque où ils avaient fait un tifo travelling de Florence, tout en feuilles, simplement, mais ils avaient réussi à faire tous les monuments de la ville. Simple mais efficace. On avait acheté du matos, des photos pour notre butin matériel, un très beau souvenir.

Vous n’aviez aucune référence anglo-saxonne ?

Bobine : On a tous été marqués par Liverpool en déplacement. (ndlr : 24 avril 1997, demi-finale retour Coupe des Vainqueurs de Coupe, Liverpool – PSG, 2-0) et bien sûr celui de Celtic en 1995 : Enorme ! « The Boss » et moi-même, avions une grosse sympathie pour Liverpool mais sinon rien de plus au niveau du groupe. Ce n’était pas ancré dans les gênes des SA.

Selim : Vous, mais pas ma génération par exemple. Vous aviez fait les déplacements européens. Vous étiez beaucoup plus marqués inconsciemment par la culture anglo-saxonne. Parce que vous aviez fait les grands déplacements de l’histoire du PSG en Coupe d’Europe, à Liverpool, Celtic, Arsenal. A notre époque, en tout cas notre génération, c’était Italie, Italie, Italie. Il n’y avait que l’Italie. On s’en foutait du reste.

La culture britannique est quand même très prédominante dans le monde du supporterisme ?

Selim : Oui bien sûr, mais pour ma génération ce n’était clairement pas notre référence au niveau des inspirations. En tout cas pour ce qui concerne le supporterisme parce que paradoxalement mes influences musicales sont principalement anglo-saxonnes, beaucoup de punk-rock, two-tone, reggae. D’ailleurs il n’était pas rare de croiser des mecs de Boulogne, souvent des Rangers ou des Gavroches quand on allait à des concerts. Ça ne s’est jamais mal passé alors que dans le contexte du stade ça pouvait être beaucoup plus belliqueux.

C’était une façon de se différencier de Boulogne ?

Selim : C’est l’histoire du groupe déjà. Parce que les deux tribunes se sont construites sur deux modèles différents.

Selim, tu n’es pas allé voir des matchs à Manchester ou Liverpool ?

Selim : Non, j’ai fait les déplacements à Chelsea ou à Glasgow par exemple avec le PSG, mais je ne me suis jamais dit « Allez on se fait un trip quelques jours voir des matchs en Angleterre » parce que le modèle de supporterisme non organisé ne m’intéressait pas. Alors qu’on a fait plusieurs fois des visites en Italie pour voir comment ça fonctionnait là-bas. On en revient à ce qu’on disait tout à l’heure sur la difficulté de se faire une opinion sans être allé sur place. La démocratisation d’internet a tout changé par rapport à ça.

Bobine : Différentes expériences en Grande Bretagne comme le soulignait Sélim, déplacement à Liverpool où on s’est fait chasser dans les rues avant de trouver refuge dans un pub (je n’ai jamais vu autant de verres voler à travers une pièce, une vraie image), mais surtout cette atmosphère si particulière de cette ville ouvrière quand vous vous baladez dans les rues et où mis à part le musée des Beatles, Anfield et les pubs, il n’y a rien. On comprend que le foot soit si important. Celtic que l’on ne présente plus, Glasgow où deux choses m’avaient marqué en dehors du stade : un gigantesque portail avec le logo et devise du club pour une entrée de livraison et le merchandising avec une boutique où tu pouvais mettre ta maison aux couleurs du club du sol au plafond, en passant par la chambre des enfants, des bouteilles pour ton bar, des bijoux pour ta femme… En marge du Paris SG, un Manchester vs Dortmund, je crois, le 23 avril 1997, avec le grand Canto juste avant sa retraite. Nous avions fait un petit « On the road again » avec certains qui étaient coutumiers de l’Outre-manche et avaient leurs petites habitudes (acheter des sauces indiennes au supermarché du coin par exemple). Mais là, tu ne vas pas y voir des supporters organisés. Mais il y a une atmosphère. En Italie, tu as du visuel. Tu peux parfois t’introduire dans un local, voir un tifo, acheter du matos. Il y a de la matière. En Angleterre tu n’as pas ça. Tu as généralement un chant traditionnel en ouverture, puis à quelques reprises dans le match. Point barre. Tu regardes le match principalement et les seuls sons que tu perçois, ce sont les réactions du public au jeu sur le carré vert. La culture italienne, c’est du continu, c’est différent. Ce n’est pas un jugement sur le fond mais un constat sur la forme. Les gens sont des supporters sincères et impliqués dans les deux pays mais cela se manifeste différemment. En Angleterre, du coup, tu te concentres d’avantage sur le jeu. Tu as moins la tête tournée vers les tribunes.

Brigate Rossoneri Supras Virage PSG
Brigate Rossonere en action © Panoramic

Selim : Culturellement ce sont des modèles qui sont organisés sur des bases différentes. La culture foot anglaise c’est une culture très ouvrière, même si ça a beaucoup changé aujourd’hui. Les prolos qui viennent dans les stades et qui communient. Les surnoms de certains clubs en sont directement issus : les Gunners, les Hammers. Mais ce n’est pas organisé, tandis que l’Italie, c’est une culture construite sur la base de groupes organisés, c’est la fin des années 60, début des années 70, c’était les Brigades Rouges, les groupes politiques.

C’est de l’activisme ?

Selim : C’est une culture de l’activisme au sens large qui se transmet au stade. Tu as par exemple au Milan un groupe qui s’appelle les Brigate Rossonere (ndlr : groupe ultras du Milan AC fondé en 1975), « les Brigades rouges et noires », le nom fait clairement référence aux Brigades Rouges, mais le groupe choisit pour emblème un genre de Totenkopf. Donc les groupes italiens font cohabiter des noms et des symboles outranciers parfois même contradictoires, plus dans une forme de développement d’une culture de la provocation que l’expression d’une véritable culture politique. Mais tu as indéniablement cette culture, vraiment, du supporterisme activiste en lien avec l’activisme politique qui marque les années soixante-dix. Les noms de leurs groupes en portent les stigmates : les Fedayn, Settembre Bianconero… la liste est longue. D’ailleurs le modèle d’Auteuil s’est sans doute développé en mouvement de balancier par rapport à celui de Boulogne. En tout cas à l’époque il y a deux modèles : il y a le modèle anglais et le modèle italien, et tu n’as pas d’autre alternative. Les Espagnols n’existent pas, les Allemands pas encore, les Suisses, les Autrichiens, ou l’Europe de l’Est. L’Allemagne c’est une scène extraordinaire aujourd’hui, mais ça n’est pas du tout une référence à notre époque.


Benjamin Navet
Xavier Chevalier

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