Lionel Justier Virage PSG

Lionel Justier

par et

Avec Jean-Marc Pilorget, François Brisson et Thierry Morin, Lionel Justier fait partie
des fameux 4 mousquetaires, ces premiers joueurs sortis du tout jeune
centre de formation du PSG, ayant disputé un match sous les couleurs Rouge et Bleu. C’était un soir de 1975 face à Reims. « Juju » c’est le prototype du mec de banlieue
du début des années 70. La gouaille facile, l’humour et la décontraction font de lui
un type attachant. Il s’est souvenu pour nous de ces années adolescentes,
du club un peu rock’n’roll qu’était le PSG de l’époque. 

Tout en nous installant sur la terrasse de sa gentille maison dans l’Oise (à 45 mn de Paris), et en nous servant un café, Lionel Justier se demande avec nous pourquoi PSG a rarement su, pu, voulu faire éclore en son sein une jeunesse francilienne qui déjà dans les années 1970 vibrait pour le foot…

PSG venait juste de naître, juste avant nous, notre génération. Et au tout début, il y a eu des fusions, des associations entre clubs, etc. Donc peut-être que les jeunes connaissaient encore mal ce club. De D2, PSG est monté en D1. Je me souviens, on avait une belle équipe, la première année qu’on a joué… les mousquetaires. On pouvait battre n’importe qui sur un match, mais on n’était pas réguliers, sur la saison on ne tenait pas la distance.

Pourquoi ?

Parce qu’il y avait un peu trop de… je sais pas ce qui se passait avec cette équipe ! On jouait contre Saint-Etienne, Nantes, chaque fois on faisait des grands matchs. Et puis ben, quand on jouait un petit… peut-être qu’on arrivait la fleur au fusil, je ne sais pas. Et c’est comme ça qu’on passait à travers du match. Donc on végétait au milieu de tableau.

Que vous dit Hechter quand vous êtes en milieu de tableau ? Même si PSG vient de monter, lui il constitue une équipe de vedettes, il ne peut pas se suffire du milieu de tableau…

Ben non… Mais après, il y a eu aussi les changements d’entraîneur, des crises. Et puis, Hechter, on ne l’a pas laissé longtemps en poste, il y a eu le scandale de la billetterie, il a été remplacé. C’était un bon président et un bon mec dans la vie. Il était toujours derrière nous, avec nous. Des fois, il mettait des primes exorbitantes. Tu vas jouer Saint-Etienne au Parc, il y a une ambiance, le stade, quelques joueurs huppés… lui, on le voyait tourner, il venait dans le vestiaire. Nous, on jouait là nos premiers matchs. On était dans nos pompes. À l’époque, tout n’arrivait pas sur place avant nous, tu venais avec tes pompes. Plus que le capitaine, le leader, c’était Mous’ (Dahleb). Il aimait chambrer, blaguer. Il observait Hechter qui tournait. Soudain Hechter dit « double prime » ! Mous’ derrière dit « triple ! » Hechter répète « triple ! » (rires)

Lionel Justier Virage PSG
Hechter Football Club © Collection personnelle

Quand tu es arrivé à Paris, tu étais international espoir, déjà. Comment ton entourage a perçu ta signature à Paris ? Ils n’ont pas eu peur que ce ne soit une équipe folklo ?

Mon premier match, c’était le 21 décembre, contre Reims. J’avais 19 ans. On m’avait mis dans la tranche d’âge de François (Brisson), Jean-Marc (Pilorget) et Thierry (Morin). Alors qu’en définitive, j’ai deux ans de différence avec eux. Ce qui fait qu’ensuite j’ai été le plus jeune buteur de PSG. Et le premier à avoir fait un doublé au PSG (contre Nîmes), et ça je le resterai tout le temps. Tout ça a fait mousser un peu tout le monde autour. J’ai reparlé de ça y’a pas longtemps, parce qu’on a du refaire un résumé de ma carrière pour le site. C’est mon fils qui s’occupe de ça, moi… Comme le jeune Kouassi (félon parti depuis en Germanie, ndlr) a marqué récemment un doublé, j’étais au match, ils le mettent « deuxième » plus jeune joueur à avoir réussi un doublé. Alors qu’il a 17 ans ! Un jeune comme ça, tu ne peux pas le priver du titre de plus jeune joueur du PSG à inscrire un doublé, c’est injuste. Alors j’ai appelé mon fils, je lui ai dit, « je sais que tu étais content que je sois le premier, mais essaie de faire corriger le truc. » Je lui ai dit : « si tu veux, pour toi, je reste le plus jeune auteur de doublé ! (rires)

Tu étais au match de Kouassi, tu as pu le rencontrer, ça aurait été beau comme un passage de témoin ?

Non. J’étais en tribune, invité, très bien reçu par le président Nasser.

Ça compte pour lui, Nasser, les anciens ?

Ben là, justement, nous recevoir, c’était valoriser le club et son histoire en mettant les anciens en avant. On a vraiment été très très bien reçus. Il y a eu beaucoup de photos, une vidéo…

À part toi, qui était convié ?

Plein de monde. Y’avait Carlos… Bianchi. On s’est revus là ! Ça faisait une éternité !

Il t’a reconnu ? (rires)

Ben oui, on s’est reconnus… bon, moi je l’ai reconnu tout de suite, il a toujours la même tête ! Moi, bon, j’avais une chevelure ! Mais aussitôt que je suis venu vers lui : « JUJU ! » J’étais aussi avec Michel Bibard (un des innombrables Nantais recrutés alors par PSG, ndlr), que je vois assez régulièrement, avec les anciens quand on fait le tournoi au château de l’équipe de France. Tous les ans, on fait ça, le tournoi de la finance, ça s’appelle. Ce sont des sociétés financières, des banques qui montent ça. Et c’est Guy Adam (historique coordinateur sportif au PSG, ndlr) qui organise. Nous on se retrouve au château la veille. On se fait une bonne bouffe et le lendemain, le tournoi. Moi je coache. Les premières années, je jouais, mais j’ai eu des problèmes à un orteil. Parfois je rentre juste dix minutes, c’est agréable de taper un peu dans le ballon.

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Dédicace avec Guy Adam © Collection personnelle

Revenons à l’accueil de Nasser. C’était au Parc, donc, ça t’a fait de l’effet d’y revenir ?

C’était bien. Mais il y avait beaucoup de monde, et pas mal de joueurs des générations suivantes, que je ne connaissais pas personnellement.

Tu étais à l’hommage rendu à Mustapha Dahleb en 2019 à la mairie de Saint-Germain-en-Laye ?

Oh oui ! Et comment ! Mais Mus’, c’est…

On va y venir après, t’inquiète. Plus personnellement, gamin, dans la cour de récréation, t’étais plutôt un dribbleur ou un buteur ?

J’étais pas buteur. Ce que j’aimais, c’était courir, me dépenser. Même dans la cour, où l’entrée des toilettes servaient de cage (rires).

T’étais où à l’école ?

Je suis d’Asnières. Je suis né à Asnières-sur-Seine. Je crois même qu’à l’époque on était encore dans le 75.

T’étais le meilleur dans la cour ?

On était quelques-uns, mais je faisais partie des meilleurs. Pas le meilleur. On jouait aussi, avec des potes, près d’une église, rue Raymond Poincaré. Y’avait des bidonvilles et, derrière l’église, le curé nous avait fait un terrain. Réduit. Après, dès 12 ans, on jouait aussi avec des adultes, des plus grands. Sans compter les tournois de sixte. On les faisait tous. En club, j’ai commencé à jouer en minime. J’ai fait une saison à Asnières. Puis un copain algérien, qui avait un an de plus que moi, et qui venait de signer à l’ACBB (club réputé de Boulogne-Billancourt), m’a dit « viens, ça me fait chier de me taper le trajet tout seul ! » Ça faisait loin. On avait des entraînements après l’école en semaine. La nuit tombait. On rentrait à la maison vers 23 h… le train jusqu’à Saint-Lazare, puis le métro pour aller à Boulogne, station Marcel-Sembat. Et c’était au stade Le Gallo, sur les quais de Seine. J’ai joué là jusqu’en cadet. En junior, comme pas mal d’autres, j’ai suivi le coach au BAC (autre club de Boulogne), qui était d’un niveau inférieur, mais quand même assez relevé.

Le BAC ?

Justement, il y a eu un quiproco. Un journaliste prenait des notes, on a parlé du BAC, Boulogne Athletic Club. Je sais pas comment il a enfilé ses notes en faisant son article, mais j’ai appris en lisant son papier que je préparais le bac… (rires) J’étais mort de rire, parce que à l’école, moi, j’étais pas trop bon. Tout le monde me disait, t’as eu le bac alors ? Je disais, ben ouais hein ! (rires)

Un peu avant ça, quand tu avais 10-12 ans, qui était la star du foot ?

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En pleine lecture de « Cruyff Superstar » avec Farina au centre de formation © Collection personnelle

10-12 ans… ça nous met dans les années Cruyff ça. C’était mon idole.

Et chez les Français ?

J’ai pas plus de souvenirs que ça… en équipe de France, je me souviens de Marius Trésor et de la charnière noire avec Jean-Pierre Adams, qui est devenu un super pote, un ami. Je suis toujours ému quand je pense à lui. Ça me prend… L’équipe de France, à l’époque, c’était Saint-Etienne.

Y’avait pas un joueur français qui t’impressionnait particulièrement ?

Non. Après, il y a eu Michel…

Henri Michel ? Ou Platini ?

Platini, Platini. Henri Michel, c’était un grand joueur. J’aimais beaucoup l’impact qu’il avait sur son équipe (FC Nantes), on voyait qu’il était le patron. Et c’était un joueur agréable à voir jouer. C’était le fameux jeu à la nantaise. C’était un club où je rêvais d’aller jouer à cause de ça. J’étais fier de jouer au PSG, mais je continuais de rêver aussi de retrouver à Nantes mes potes qui étaient internationaux aussi en espoirs : Éric Pécout, Loïc Amisse… Donc, en France, la grande classe, c’était Michel, et à l’international, Cruyff.

Tu l’as vu jouer ?

J’ai joué contre lui ! Avec le Barça au tournoi de Paris. Y’avait Neeskens (sur une action aérienne, Johann II et Lionel ont eu un tête-contre-tête assez rugueux, ndlr). L’année d’avant, le Barça était venu déjà, et Carlos Bianchi, qui évoluait à Reims, avait joué contre le Barça sous le maillot parisien, mais il s’était cassé la jambe ! J’ai joué contre le Barça en 1976. Mais c’était un match amical, pas le tournoi de Paris.

Il était rempli le Parc pour le Barça et Cruyff ?

J’ai pas de souvenir précis, mais je dirais que oui, pas mal. Ne serait-ce que pour voir Cruyff, qui était LA star. Bon, pour moi, même si pour beaucoup c’est aujourd’hui un ancêtre, le dieu, le football incarné, c’était Pelé. Je suis en photo avec lui, dans le salon (une photo prise le 14/09/1976, lors du match opposant au Parc, devant 18 000 spectateurs, PSG au New York Cosmos, où le roi Pelé acheva sa carrière). Sur la photo, il y a cinq joueurs parisiens, dont moi, juste derrière le roi, autour de Pelé. Ça dit tout.

Quand tu as joué face à Cruyff, tu as vraiment senti sa supériorité, il était différent du reste des joueurs ?

Ben ouais, je l’ai senti ! Quand tu l’as en face de toi… ça me rappelait la finale de la Coupe du monde 1974. J’avais une action en tête : les Allemands avaient accroché Vogts à Cruyff dès le début du match. Et dans les deux premières minutes, il place une accélération, prend deux mètres d’avance, alors l’autre le descend, pénalty… Mais, cette action-là, il la répétait régulièrement : démarrage arrêté, accélération foudroyante. À un moment, contre le Barça, on est sur le côté droit, il a le ballon. Il est presque arrêté. Il marche avec le ballon. Tu arrives sur lui et pile au moment où tu arrives sur lui, boum, il démarre ! Je me suis accroché au maillot ! (rires) Je te jure que sur son démarrage, il m’a tiré sur plusieurs mètres ! J’étais allongé derrière ! Là, tu sens le joueur qui est « au-dessus ». Michel, c’était plus la « vista », avoir vu avant de recevoir le ballon. À Nancy, en plus, à droite, il avait une bombe, Olivier (Rouyer). Mais Cruyff ! Dans nos buts, c’était Michel Bensoussan. Cruyff est côté gauche, angle des 16 m. Il reçoit un ballon, il le reprend direct et lui met côté opposé en pleine lunette ! (rires)

Tu l’as un peu évoqué plus haut, Mustapha Dahleb. C’est une question que nous nous posons souvent, est-ce que c’était un vrai numéro 10 ?

(Après un temps de réflexion) Ouais, parce qu’il était tellement adroit et avait une énorme influence sur le jeu.

Pour ceux qui n’ont pas pu le voir jouer, on parle souvent de ses plaisanteries, on dit qu’il était jovial, etc. Mais sur les images d’archives, il a l’air très sérieux quand il joue. Dribbleur qui allait un peu partout, il me ferait penser à Youri Djorkaeff, une sorte de huit et demie… Avec aussi un côté Neymar, vu qu’il était rarement plein axe, souvent au départ sur le côté gauche…

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Mus’ le grand frère © Collection personnelle

À l’origine, il est ailier gauche. J’ai souvenir de PSG-Nantes où il te mettait Maxime Bossis sur le cul ! Ou Janvion ! Avec une facilité… petit pont, grand pont, il faisait tourner le ballon, puis hop il se barrait de l’autre côté. C’est le meilleur joueur avec qui j’ai joué. La classe pure. Il n’a pas eu la carrière qu’il méritait. S’il n’avait pas eu tant de blessures…

C’est un demi dieu. Des fois on se demande si ce n’était pas aussi parce que la France était encore un petit pays de foot. Est-ce que, pour toi, Dahleb aurait eu sa place au Real ou dans un club de ce niveau ?

À mon avis, il aurait même mieux réussi. Le Real, c’était autre chose. Sa technique, sa vista, son intelligence, son pied gauche…

C’était un leader sur le terrain ?

Il était naturellement le leader. Si Mus’ était pas dans un grand jour, ça se voyait en regardant l’équipe. À l’inverse, dans un grand jour, il t’emmenait toute l’équipe derrière lui. On avait tous envie de se battre pour qu’il puisse s’éclater.

Des fois on se dit qu’on a eu, peu de temps, ensemble Dahleb et Sušić…

Ouais, mais avec une différence de mentalité. Sušić, j’ai joué avec lui au tournoi des anciens. Il n’a pas été agréable du tout. En plus il se conduisait comme si c’était lui la star, alors qu’on a fini nos carrières hein… On pourrait rapprocher Mus’ de Neymar, peut-être, pour le positionnement. Neymar est extraordinaire… Il a fait des choses dingues. Et depuis longtemps. À Barcelone, il était dans l’ombre de Messi, mais contre Paris par exemple, c’est lui qui fait tout.

Comme joueur, tu n’aurais pas pu le blairer quoi (rires) ?

Je sais pas. Dans la vie, c’est un fêtard, j’aime bien ça. (rires) Pour revenir à Mus’, comme Neymar ou plus encore Messi, ils ont un don. Je suis plus à valoriser quelqu’un de moins doué au départ, comme Cristiano Ronaldo. Je suis admiratif, c’est une bête de boulot. Il a bossé sur sa technique, ses coups de pieds arrêtés et sa vitesse. C’est un type qui a tout gagné, à part la Coupe du Monde. C’est un phénomène, il a remporté des trophées dans tous les clubs où il est passé.

Revenons à Paris. Quand PSG naît, on entend souvent aujourd’hui dire qu’à l’époque il y avait un courant, une demande pour une grande équipe à Paris…

Je ne suivais pas tellement la presse. J’allais peu au Parc, d’abord parce que j’avais pas les ronds pour y aller. Et il n’y avait pas de matchs à la télé comme maintenant.

Le premier match télévisé de PSG, c’est la finale de la coupe de France 1982 (aussi la première fois qu’au lieu d’être rejouée en cas d’égalité finale, la coupe se décernait à l’issue des tirs aux buts).

Alors à mon époque… J’ai un neveu, qui m’a toujours suivi à mon époque pro. Pendant le confinement, un soir d’insomnie, il a plongé dans l’ordi et il est tombé sur le match PSG-Saint-Etienne de 1976 (le match durant lequel Juju se signala au monde du foot). Il m’a dit, « dans le match, c’est pas qu’on te voit beaucoup, mais ce que les commentateurs disent, ça fait chaud au coeur ! » C’est Thierry Roland qui parle…

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Revue d’effectif dans les vestiaires par Michel Hidalgo, avec Gérard Soler © Collection personnelle

On a vu cette séquence…Il parle d’un joueur qui crève l’écran, d’un grand blond, etc. Luis Fernandez raconte que lorsqu’il était tout jeune joueur, en arrivant au vestiaire, les Dahleb, les Bathenay lui jetaient leurs chaussures à nettoyer. Qu’on entrait qu’après avoir toqué à la porte. T’as connu ça ?

Ouais, ouais. Pantelic, il arrêtait pas de nous mettre des petites claques derrière la tête. Avec les paluches qu’il avait… (rires)

Lui aussi, c’était vraiment un grand gardien ?

La première année où j’ai joué avec lui, c’était un top gardien. Ensuite, il a baissé, il avait 34 ans, on sentait qu’il faiblissait, il faisait quelques boulettes.

Mais tu as ressenti ces petits bizutages…

Ouais, mais dans notre génération on venait d’endroits divers de la région parisienne. Thierry (Morin), il était de Saint-Germain. Bien élevé, etc. Jean-Marc, François et moi, on venait de quartiers où on déconnait. Encore aujourd’hui, si on se voit avec François, on passe notre temps à rigoler. Aussi, on se rebiffait. Et puis, pour Jean-Marc et moi, on est entré en équipe première en décembre et on n’en est plus jamais sorti. Quand tu t’imposes footballistiquement, dans le vestiaire aussi.

Le coach à ce moment-là, c’est Velibor Vasović (ancien défenseur yougoslave du grand Ajax, vainqueur de la C1 et devenu coach) ?

Non, c’est Fontaine.

Justement, parle-nous de Fontaine…

Ah Fontaine, pour moi… d’abord, c’est l’entraîneur qui m’a fait débuter. Hormis sur les systèmes de jeu, et tout le monde pourra discuter des systèmes de jeu de l’époque… mais Justo, à partir du moment où il t’avait choisi, il n’y avait pas de retenue, il ne te cloîtrait pas. Il y a des entraîneurs, ils te mettent en couveuse. Il y en a d’autres, ils font attention à toi, mais discrètement. Ils ne vont pas comme Guy Roux t’espionner, machin. Fontaine, lui, c’était confiance. Déjà, tu sortais le soir, il n’en avait rien à foutre. Tu fumais, c’était pas son problème. En revanche, sur le terrain, il fallait pas que tu te goures. C’était son optique. Moi, j’étais vachement à l’aise dans ce truc-là. Il me faisait confiance, je le lui rendais sur le terrain. C’est presque le seul avec qui ça s’est passé comme ça. J’ai eu de bons mecs, plus tard, en D2, comme Prudent Bacquet (coach de Châtellerault). Mais j’avais mûri, j’étais un homme. Alors qu’avec Justo… Il y avait déjà dans la presse des ragots, untel qui disait qu’on avait vu tel autre sortir, etc.

Lionel Justier Virage PSG
Brisson + Justier + Pilorget = Titis © Collection personnelle

Parles-en à Verratti ! (rires)

Justo entendait tout ça. Des fois aussi, il te chambrait, t’étais où hier soir ? (rires) Lui, tu le baratinais pas. Bon, ben, j’étais en boîte. Il répondait, bon, tu t’es éclaté ? Bon, maintenant, au boulot.

Et Vasović ?

Différent. Déjà, il y avait le problème de la langue.

On vous l’avait amené comme une star ?

Ben, déjà, nous, on savait qui c’était ! Il avait joué avec l’Ajax. Mais dans l’équipe de l’Ajax, c’était pas lui que j’avais retenu. Je connaissais tous les noms des joueurs de l’Ajax. De Krol à Keizer, qui était capitaine jusqu’à ce que Cruyff arrive et devienne le patron. Johnny Rep était tout jeune, mais top.

Comme entraîneur, Vasović ne vous a pas fait passer de cap ?

Non, je pense pas. D’autres te diront peut-être le contraire. Moi, j’avais l’armée à faire. Mais je souffrais régulièrement d’une sciatique. Du coup, je me suis fait exempter. Mais en match et même aux entraînements, ça m’handicapait beaucoup. Donc Vasović me faisait jouer, puis plus. Après, quand j’ai été mieux, c’est Larqué qui est arrivé.

Tu ne veux jamais parler de Larqué ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Ben parce que je veux pas polémiquer. Je veux pas obliger Larqué à répondre. C’est loin. Comme Jean-Michel nous écartait souvent, Jean-Pierre Adams et moi, mes copains, Jean-Marc, François, etc, nous surnommaient « Les bannis ». En référence à une série télé que vous êtes trop jeunes pour connaître (flatteur va !, ndlr). Avec Earl Corey et Jemal Davis. Deux chasseurs de primes, un Blanc du sud et un Noir affranchi du Nord.

Larqué avait écarté Adams ?

Ben oui. Il ne jouait pas tous les matchs. Bon, après, Larqué, je ne cherche pas à semer la zizanie, à faire en sorte qu’il se défende… Il en a sûrement en plus rien à foutre aujourd’hui. À l’époque, j’étais sûr que c’était lié à mon fameux match référence contre…Saint-Etienne. J’étais jeune, j’avais fait des déclarations. On m’avait demandé ce que ça me faisait de jouer Saint-Etienne, j’avais répondu que je jouais au foot pour disputer ce genre de matchs, mais qu’on allait jouer comme contre n’importe quelle équipe. Le journaliste m’avait demandé aussi ce que ça me faisait de devoir marquer Larqué, puisque j’étais 6 et lui 10. Alors j’ai dit que Larqué était exceptionnel techniquement, très adroit, mais que, alors, il était plus sur la fin que sur le début… J’avais 19 ans, mon point fort, c’était le physique. J’ai une technique correcte, je suis capable de mettre de bons ballons. Donc, j’ai dit que le plus dur ce serait pour lui : me suivre. Quand j’aurai pas le ballon, il l’aura, mais je serai derrière pour le lui prendre. Et quand moi j’aurai le ballon…

Mal joué.

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Pas de coiffeur au PSG © Collection personnelle

Ouais. Depuis Fontaine, je jouais 6, mais lui me poussait à monter plus, à avoir confiance, à oser. Fontaine disait, « un autre derrière va colmater si tu montes, alors vas-y ». Pour Larqué, j’avais juste dit ça, il faudra qu’il coure, sinon je vais avoir des ouvertures dans le jeu. Après, comment lui a pris ça… En plus, quand il est arrivé comme coach : interdiction de fumer, de boire du champagne dans les réceptions, etc… Souvent, Jean-Pierre (Adams), qui habitait près du Pecq, passant devant chez moi pour aller s’entraîner, me ramassait en bagnole. Dans sa grosse mercedes, en y allant, on se faisait une clope. Une fois, qui était derrière nous, dans une grosse BM grise ? Larqué ! Ah putain, y’avait de la fumée partout dans notre bagnole… (rires). Une autre fois, je ne sais plus où c’était, mais dans les buts, c’était Daniel Bernard… entre parenthèses, avec Larqué, lui aussi il a pris grave : un lendemain de match, il débriefait dans le vestiaire et parlait de chaque joueur… t’avais côte à côte sur le banc, Adams, Bernard et moi. Il arrive à Daniel Bernard – qui avait pas fait un très bon match. Daniel, c’était un sanguin. Et Larqué lui dit, il serait peut-être temps que tu arrêtes le football, quoi… Daniel, ça a pas raté, il a décollé du banc ! Jean-Pierre et moi, on l’a rassis, « fais pas de conneries » ! Tout ça a mis un peu un frein à mon début de carrière, alors que Vasović allait revenir après que Larqué se soit fait virer (ça, c’est Paris !, ndlr). Borelli, entretemps, avait succédé à Hechter. Il me restait un an de contrat. Borelli me convoque et me dit, « je sais que ça se passe pas bien avec Jean-Michel. Plutôt que de faire un banquette, on pense vous prêter un an au Paris FC (qui jouait en D1 alors, ndlr) ». J’ai hésité. Si je restais, j’allais faire banquette. J’ai accepté mais un peu à contre-cœur. C’était mon club. Je savais que je pouvais réussir là, quoi. Le Paris FC, c’était un jeune club qui montait, avec le président Zeppelini. Ils avaient pris comme coach Robert Vicot et des joueurs que j’appréciais, comme Jean-Noël Huck, Georges Éo, Bernard Lech, qui avaient tous la trentaine. En plus jeune, avec moi, il y avait Michel Bensoussan, qui partait en même temps que moi. Putain ! J’aurais été patient, cette saison-là ! Larqué se fait virer au bout de six mois… Quand j’ai appris ça, je me suis dit, quel con ! En plus, au PFC, ça se passait pas super bien. Vicot me faisait jouer latéral. Je comprenais plus rien… l’impression de sombrer. Du coup, cette année-là, on est redescendus. En plus, j’ai été dans la merde financièrement, parce que le président Zeppelini m’a arnaqué. Heureusement, Brest m’a contacté. Je suis parti à Brest. Un contrat de trois ans, de 79 à 82. Après, je suis parti à Nîmes.

Quand tu étais dans ces clubs, tu pensais qu’un jour tu pourrais revenir à Paris ?

Au départ, j’avais fait une croix dessus. Ce que j’espérais, c’était de continuer à jouer en D1. Je pars du PFC, qui descend. Il y a des joueurs comme Thouvenel, qui avait fait une bonne saison, à son poste, lui, et qui a rebondi à Bordeaux et fait une belle carrière là-bas, avec la coupe d’Europe, l’équipe de France, etc. Je me retrouve à Brest, promu. Là-bas, il y avait Vabec.

Bénie époque où il y avait un Yougo par équipe française !

Pareil, lui, il faisait ce qu’il voulait. L’entraîneur Alain de Martigny le laissait libre. Il fumait dans le vestiaire ! (rires) On était plusieurs joueurs à fumer, comme moi, Daniel Bernard (à Brest aussi après PSG, ndlr). Bon, on se prenait une clope, mais à la fin du match, tu vois, vestiaires, la douche, hop. (rires) Mais Vabec, avant le match, pendant la causerie du coach, à la mi-temps et à la fin ! C’était un peu exagéré. Tu peux te passer de fumer pendant un match ! Mais il était tellement bon pour l’équipe !

Qui était président de Brest, Yvinec ?

Non, c’était juste avant, c’était Michel Bannaire. Mais c’était un super club où j’ai passé trois super années, à part un peu la dernière… J’aime la Bretagne, je suis un peu breton par ma mère. Promu alors, pour eux tout était nouveau. Je retrouve Patrick Martet, que j’avais connu à l’ACBB, qui avait déjà été deux ou trois fois meilleur buteur de D2 au Havre, à Rouen ou à Brest.

Encore un parigot qui était allé jouer ailleurs…

Ouais. Après l’ACBB, il avait joué à Poissy. Puis au Havre, où il jouait avec un Yougo sur l’aile gauche…

Žarko Olarević ?

Je crois que c’est ça, ouais. Après, il s’est installé vers Quimper. On s’appelle pour les vœux, on est en contact. C’était un joyeux drille ! Lui qui n’avait jamais joué en D1, la saison où Brest la joue, il se blesse dès son arrivée, du coup, il avait presque pas joué quand on est redescendu. Par contre, pour aller voir le président, c’est lui qu’on envoyait ! (rires) Pour les primes, tout ça. Il faisait peur à tous les présidents…

Revenons sur le Parc, comme bâtiment. Tu te rappelles la première fois que tu y es entré ? L’effet du stade sur toi ?

Ah ouais ! Ça te marque à vie ! Quand tu entres là-dedans… Bon, déjà, on était allés en stage à Deauville. Avec les pros ! Fontaine nous avait emmenés tous les quatre. On ne savait pas du tout qu’on allait jouer. On avait été méritants en D3. Fontaine avait eu des problèmes avec certains joueurs, le match avant qu’on joue Reims. Il y a eu une petite coupure, il emmène tout le monde au vert. Là, il a directement sorti quatre joueurs de l’équipe. Ils avaient perdu, je crois, 3 – 0 à Monaco. Là-bas, on a fait des entraînements sur le sable, tout ça. On n’en revenait pas de l’hôtel où on était logés, avec des suites… c’était fabuleux : massages par jets ! (rires). Avant de repartir pour Paris, repas du midi, sieste. Fontaine vient nous voir un par un dans nos chambres. Il me dit « Tu vas jouer numéro 10, à la place de Jean-Pierre (Dogliani). » Donc il avait sorti Jean-Pierre… qui était quand même le Monsieur. Pareil pour les autres, Thierry Morin remplace Jacky Novi (international), Jean-Marc (Pilorget) remplace Denis Bauda… François Brisson sera remplaçant mais entre pour le seconde période. Et moi, donc, il me met numéro 10.

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Pilorget et Juju au MudDay de Saint-Germain © Collection personnelle

Fontaine fait un coup à la Le Guen…

C’est ça. Alors quand on arrive au Parc, dans les vestiaires, il y a Jean-Pierre (Dogliani) qui vient me voir. Il me prend à part, « Viens, Lionel… ». Peut-être même qu’ils ne m’appelaient déjà plus Lionel mais Juju, mais bon. Après le match contre Saint-Etienne, tous m’ont appelé Juju. Il m’emmène dans le hall du Parc. Il me dit : « Ton match, tu joues comme tu sais. Tu joues libéré. Comme quand tu jouais en D3, comme quand tu jouais en amateurs. T’as les qualités. Tu ne t’occupes pas de ce qui se passe autour. » Le fait est que je suis entré sur le terrain sans aucune appréhension. Bon, après, quand ça se lève dans les tribunes, t’as le pincement. Encore qu’à l’époque, c’était pas blindé. Je sais pas, il y avait peut-être 30 000… (31 976, pour être précis,ndlr). Il y a eu de l’engouement, une partie du public était là parce qu’il y avait quatre jeunes dans l’équipe. C’est après ce match, qu’on a commencé à parler de « mousquetaires ».

Tu le connaissais, toi, le public du Parc, tu connaissais des gens qui y allaient régulièrement ?

Ah oui ! Mais autre époque. Aujourd’hui tu ne peux plus les approcher, alors qu’à ce moment-là tu allais au Camp des Loges, tu pouvais parler… Quand on revenait au vestiaire, y’avait du peuple qui nous attendait. Tu discutes avec les uns. D’autres, tu deviens presque pote, à force. Le jour de Reims, le car nous avait déposés devant le Parc. Pas en dessous. Il y avait une barrière qui allait jusqu’au hall. Tout le monde qui gueulait « Allez les jeunes ! On est derrière vous ! » Ils te prennent la main, te tapent dans le dos, sur la tête… et là, tu les as là. Émotion. Ils étaient nombreux.

Eux, ils étaient contents qu’il y ait des titis ?

Ah ben eux ouais ! Pour eux, c’était un peu comme une révolution au club. Ça leur faisait plaisir.

C’étaient des banlieusards et des Parisiens, ce public-là ?

Oui ! Sinon, tous les matches qu’on jouait régulièrement contre les gros, c’était moit’-moit’. Les Nantais de Paris, les Stéphanois de Paris, etc. En plus, les Parisiens étaient aussi un peu stéphanois, à cause de la coupe d’Europe. Mais quand on a gagné 2-1 contre Saint-Etienne, ils ont changé de maillot ! À la fin du match, le Parc était rouge et bleu. Une autre époque… tu vois, il y a un petit jeune qui m’a contacté, qui m’envoie des photos d’époque, des liens. Il voulait une photo dédicacée. Il a été surpris, parce que je lui ai dit tout de suite, « D’abord, tu me tutoies. » Je lui ai fait accéder plus directement à d’autres joueurs. Il a des photos de Brisson… Moi, sur les réseaux, via mon fils, je suis accessible. C’est comme ça que j’ai donné une interview dans le sud, il y a pas longtemps.

C’est celle qui est sur youtube. Réalisée par le seul supporter parisien qui a l’accent du midi !

C’est ça. J’avais loué là-bas pour les vacances, et comme il avait contacté mon fils, on l’a fait. Les mecs, ils sont amoureux du football, alors je trouve inadmissible qu’on ne leur réponde pas. Y’en a, on a parlé comme ça, si je sais que je vais au Parc, je suis invité, je le leur dis, comme ça on se voit, on discute. Pareil, le jour des retrouvailles avec les anciens, Bianchi, etc, dont on parlait tout à l’heure, je sors du Parc après le match avec Michel Bibard… et là, il y a un mec, 35-40 ans peut-être, il vient vers nous, avec ses albums photos ! « Ah, monsieur Bibard, monsieur Justier… » Moi, je lui dis, « c’est Lionel ou Juju, t’enlèves « monsieur » » !

T’étais peut-être déjà trop grand, mais tu as eu des figurines Panini de toi ? Parce que moi je t’ai eu en PSG et en PFC !

Ouais, je les ai eues.

Tu en as gardées ?

Ouais, ouais. J’ai les albums photos. C’est ma mère qui faisait tout. Moi j’aurais jamais fait d’albums.

Pas de collection de maillots ?

Si, j’en ai.

T’as les maillots de PSG avec lesquels tu as joués ?

Ouais. J’ai tellement donné de maillots. Même les plus beaux que j’avais reçus d’autres joueurs.

T’es pas fétichiste…

Lionel Justier Virage PSG
Dans l’ombre du Roi © Collection personnelle

Non… J’ai le livre de Pelé, il me l’avait dédicacé. J’avais été dans le vestiaire, au départ pour échanger le maillot. C’était quand le Cosmos est venu. J’ai commencé par lui demander s’il pouvait me signer mon livre de lui. Il m’avait mis Amitiés, je crois, et puis Good Luck.

La classe.

Mais moi, au départ, je voulais le maillot. Mais il y avait un petit jeune en larmes dans le hall des vestiaires. Les agents de sécurité voulaient le faire sortir. Pelé, de l’intérieur, l’a entendu crier. Il est sorti. Il a pris le môme et il l’a fait entrer avec lui dans le vestiaire. Il lui a mis le maillot dans les mains… C’est pour ça que je n’ai pas eu le maillot de Pelé. Si j’en avais demandé un, ils m’en auraient filé un. Mais moi, celui que j’aurais voulu, c’était celui qu’il avait porté.

Tu disais que c’était plus ton fils et ta mère qui s’occupaient de collectionner…

J’achetais un peu la presse, l’Équipe et le journal du coin où je me trouvais. Ma mère m’obligeait à garder les articles qui parlaient de moi. Quand elle venait à la maison, elle les récupérait et elle achetait tout ce qui sortait pour vérifier. La première année à Paris, elle est devenue supportrice du club !

Abonnée ?

Ouais. Mais de toute façon, ils l’invitaient pour tous les matches, elle faisait même les déplacements en province.

Une ultra quoi ? (rires)

Ouais. Elle était dans l’autocar. Ils venaient la chercher à Asnières et l’emmenaient au rendez-vous du car des supporters. Elle rentrait avec l’autocar et sous le bras tous les articles ! (rires)

On entre dans le virage final de cet entretien : le club a 50 ans, si on l’envisage par décennie, quel serait ton PSG préféré ?

En dehors du mien, celui dans lequel j’ai évolué… j’ai toujours un peu suivi ce qu’il se passait au PSG, pendant toute ma carrière. Bien sûr, j’ai suivi de plus près les années Coupe des Coupes…

Les années Canal…

J’étais quand même heureux. Je me disais, c’est mon club. Mais j’ai bien aimé la période Guérin, Ginola, Le Guen…

Les Brestois ! (rires)

Ouais, c’est vrai, même Lama a été brestois. Mais j’aimais bien aussi la période Joël… Joël Bats.

Idéalement, si PSG devait gagner la Ligue des champions, tu préférerais que ce soit avec un PSG de Galactics ou de Franciliens ?

Avec des gamins d’ici. Mais ça n’arrivera pas… Tu en auras quelques-uns qui sont d’ici. Franciliens plus que parisiens. Ce serait bien pour Paris qu’il y ait un ou deux vrais Parigots. Ce serait bien, tant qu’il est là, de gagner avec Mbappé, qui est de Bondy, avec Kimpembe…

Lionel Justier Virage PSG
Juju face à Reims en 1975 © Collection personnelle

NDLR : Un grand merci à Jeremy Justier pour toutes les photos d’archive


Gregory Protche
Xavier Chevalier

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