Luis Enrique, le maître à bord

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Un nuage d’incertitude planait sur Paris avant la reprise de cette saison 2023-2024, qui laissait augurer un début d’exercice pour le moins difficile.

Il y eut d’abord l’affaire Mbappé, relégué dans le loft parisien pour cause de refus de prolonger (refus confronté à la volonté pour une fois inflexible du président, qui finira pourtant par céder), et absent du match d’ouverture face à Lorient ainsi que de la tournée asiatique estivale. S’amorça ensuite une véritable révolution de palais avec les départs de Messi, Neymar et l’historique Verratti, prié d’aller voir ailleurs après plus de dix ans de bons et loyaux services, lui le chouchou du Parc toujours fidèle et qui se voyait bien finir sa carrière à Paris. Puis vint le premier match contre Lorient début août, avec un improbable trio Lee-Asensio-Ramos en attaque. On assista alors à une caricature du football luisenriquien, basé sur une possession omnipotente et des échanges à n’en plus finir (plus de mille passes réussies par les Parisiens) mais débouchant sur une stérilité offensive affligeante qui ne manquait pas de rappeler les affres de la Roja lors du mondial qatari. Etait-ce cet infâme brouet qu’on allait nous servir toute la saison ? Un jeu dépourvu de vitesse et d’étincelles, ennuyeux, roboratif, hispanisant et pour tout dire triste comme un week-end sans football ? Avait-on vraiment bien fait de se séparer du Ney et du petit hibou, deux créateurs capables de faire sauter à tout moment le verrou adverse ? Allait-on pouvoir se priver indéfiniment de Mbappé, toujours prompt sur un exploit à faire basculer le cours d’une rencontre ? Les questions ne manquaient pas pour Luis Enrique, dont on se demandait non sans raison ce que diable il était venu faire dans cette galère.

Quelques semaines plus tard, après dix matches de championnat et trois rendez-vous européens, le bilan s’avère pourtant satisfaisant : 2,1 points de moyenne en Ligue 1 et une seule défaite au compteur concédée face au solide leader niçois, 6 pts en CL malgré un groupe dense et la sérieuse déconvenue à Newcastle, voilà qui a de quoi satisfaire a priori le plus exigeant des supporters. Outre Mbappé, toujours aussi indispensable et décisif, un homme est à l’origine de ce début de saison réussi, et il n’est autre que l’entraîneur Luis Enrique. Le technicien ibérique a su poser sa patte sur l’équipe et imposer sa vision du jeu, fondée sur une maîtrise constante du cuir, un contre-pressing féroce et un investissement défensif collectif. Il a su relancer Hakimi, éblouissant face à l’OM et Dortmund, alors que le Marocain se voyait trop souvent délaissé du temps de la domination de la MMN. Il a fait d’Ugarte, en qui beaucoup voyaient une belle arnaque, une formidable sentinelle devant la défense et peut-être le joueur que l’on attendait depuis le départ de Thiago Motta. Il a imposé le wonder kid Zaïre-Emery au milieu, à qui l’on ne fixe désormais plus aucune limite et dont l’avenir semble devoir s’écrire en bleu. Il a responsabilisé Vitinha, qui n’hésite plus à prendre sa chance et a signé quelques belles passes décisives. Il a aussi su redonner confiance à un Marquinhos métamorphosé, lui qui était très en souffrance mentalement depuis quelques années et souvent fébrile lors des grands rendez-vous.

Ce qui frappe également dans la façon d’opérer du nouvel entraîneur parisien, et il s’agit là d’un changement majeur, c’est sa volonté constante de faire tourner et d’impliquer l’ensemble de l’effectif dans son projet de jeu. Ainsi a-t-on pu voir contre Strasbourg un bon Carlos Soler (incroyable mais vrai) et un joli but du souvent décevant Fabian Ruiz. Danilo est régulièrement aligné malgré la concurrence de Skriniar, Lee est entré en jeu et a clos la marque contre Milan, Mukiele remplace parfois Hakimi en fin de match et même le tricard Kurzawa a eu droit à quelques minutes sous les sifflets du Parc, ce qui montre bien que Luis Enrique se fout comme de sa première paire de protège-tibias de ce que le public et la presse peuvent bien penser de ses choix (il se montre même volontiers provocateur et semble prendre un malin plaisir à voguer à contre-courant).

© Icon Sport

Seuls quelques joueurs paraissent inamovibles aux yeux du coach parisien : Donnarumma, jamais remis en question, Hernandez, qui bénéficie de la blessure longue durée de Nuno Mendes, Hakimi, revenu au niveau des meilleurs spécialistes mondiaux à son poste, et Mbappé, véritable glouton qui n’aime rien de plus que d’empiler les minutes et les buts. Avec Pochettino et Galtier, on avait toujours droit à la même inexorable composition, si bien qu’un onze de sénateurs s’était formé, et on attendait bien sagement que les stars de l’attaque fassent la différence. Sous la baguette de Luis Enrique, (pratiquement) personne n’est assuré de ne pas tâter du banc de touche.

Tout est-il alors pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Pas tout à fait à vrai dire, car se pose d’abord la question du poste d’avant-centre que n’occupe pas Mbappé, qui prèfère évoluer sur le flanc gauche. Gonçalo Ramos fournit beaucoup d’efforts, notamment sur le plan défensif, mais propose trop peu d’appels et de solutions et son rendement s’avère globalement insuffisant. Son concurrent Kolo Muani, de par sa vitesse et son efficacité en contre-attaque, ressemble davantage à un ailier droit qu’à un véritable numéro neuf, malgré sa jolie collection de pions avec Francfort, ce qui pose la question de la qualité du recrutement. RKM, qui il n’y pas si longtemps n’était qu’un honnête bon joueur de Ligue 1, vaut-il réellement 90 millions quand au même moment une valeur sûre comme Harry Kane signe au Bayern pour seulement dix de plus ? Pourquoi le PSG ne s’est-il pas positionné sur Bellingham, qui marche littéralement sur l’eau avec le Real ? Asensio peut-il être autre chose qu’un remplaçant de luxe ? Fallait-il vraiment miser sur Dembelé, joueur certes naturellement talentueux mais également terriblement fantasque et irrégulier dont l’incapacité à exister sur le plan statistique pose question ? Pourquoi avoir prêté Xavi Simons, brillant avec Leipzig, alors que ce profil de passeur-buteur-détonateur manque cruellement au milieu ? S’il faut laisser le temps au temps, une question a déjà trouvé réponse : oui, il fallait vendre Neymar, qui s’est à nouveau gravement blessé au genou et ne ressemblait plus que de loin à un footablleur de haut niveau, et ainsi repartir sur un nouveau cycle.

Alors que l’on se montrait volontiers intransigeant avec le PSG époque Pochettino-Galtier, parce que l’on n’a pas le droit de perdre ou de sombrer dans la médiocrité avec autant de millions sur la pelouse, il faudra faire preuve d’indulgence et de clémence envers ce Paris new look. Il y aura des défaites et des déconvenues, peut-être même pas de titre de champion en fin de saison (même si on voit mal qui pourrait bien finir devant Paris), mais il faut comprendre que le club s’est lancé dans une opération tabula rasa de grande envergure qui mettra du temps à porter ses fruits. Nous sommes prêts à accepter les accidents de parcours s’ils s’inscrivent dans le cadre d’un projet à long terme, si Luis Enrique reste plus d’une saison, si les cadres historiques du club s’engagent à encadrer des jeunes à fort potentiel dans leur progression et si tout le monde s’accorde à ne plus faire une obsession d’un succès en Champions League dans un délai court. Après des années d’incohérence et d’inconsistance passées à naviguer à vue, on a enfin le sentiment qu’il y a un capitaine dans le navire et que le club s’est fixé un cap à suivre. Espérons simplement qu’ils le mènent à bon port.


Denis Ritter

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