No remontada Virage PSG

Oh! No Remontada

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 Le supporter que je suis n’a jamais fait de thérapie. Non pas que cela m’effraie,
ou que je sois contre le principe, mais je n’en ai jamais ressenti l’envie.
Et pourtant, le Paris Saint-Germain n’a jamais ménagé les nerfs de ses fans,
ni leur esprit. Dites FC Barcelone à un parisien, il frémira obligatoirement.
Psycho Saint-Germain
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La veille de la Remontada, je me baladais sereinement sur Las Ramblas, la fameuse promenade de la cité catalane, observant de nombreux supporters se pavoisant et affirmant avec fierté leurs couleurs rouge et bleu logotées Paris SG. J’étais moi-même très confiant, la victoire 4-0 à l’aller ponctuant une partition quasi-parfaite. Interviewé par Bruno Salomon, je lui fis part de mes certitudes, et d’un petit doute très enfoui, que l’on pourrait résumer ainsi : « Bruno, nous allons certainement perdre, le Barça va vouloir effacer le match aller. Nous encaisserons sûrement plusieurs buts, mais nous allons aussi marquer. Et nous ne pouvons pas perdre 6-1, pas après notre performance au Parc des Princes, donc nous nous qualifierons, il n’y a aucun doute possible… » Mes propos passèrent ainsi en boucle sur France Bleu et France Inter le jour même du match, jusqu’à l’heure du coup d’envoi. Cette veille de match, nous étions donc en terre déjà conquise. Nous profitâmes tranquillement de la douceur locale et des plaisirs barcelonais. Dégustations de tapas, tournées de cervezas, pintes de sangrias, nous passâmes des heures insouciantes en boîte de nuit sur le fronton de mer de la Barceloneta. Lorsqu’à une heure avancée, un puissant chant parisien tonna entre deux chansons, stupéfiant la clientèle espagnole peuplant par centaine la discothèque, nous pûmes affirmer avec ardeur « on est chez nous » !!

L’invasion de milliers de supporters parisiens était à la hauteur de l’événement. Le match s’annonçait comme un tournant dans l’histoire du club : se qualifier pour la cinquième fois d’affilée en quart de finale de Ligue des Champions en éliminant l’ogre barcelonais sur son propre terrain du Camp Nou. Chanter des « Barça Puta » en toute légèreté, ne pas réagir aux provocations de l’horripilante police catalane, narguer les socios blaugrana, et perchés tout en haut du stade, profiter du couché de soleil au dessus de la tribune, voilà quel était notre programme de la soirée. La réalité fut toute autre. Du parcage visiteur, la visibilité du terrain est toute relative, sans compter le plexiglas non nettoyé placé pour l’occasion juste devant nous, frontière visuelle et auditive avec le reste du stade. Nous occupâmes une tribune enclavée mais vivant en heureuse autarcie, du moins jusqu’au coup d’envoi. Pendant le match, nous n’avons pu que subir l’évolution du score, nous rendant compte de la fragilité de notre édifice, mais sans comprendre totalement toutes les mécaniques du soir et les trop nombreuses erreurs d’arbitrage. Je prendrai personnellement connaissance de la performance de Deniz Aytekin que le lendemain soir, me plongeant dans Twitter pour occuper mes 15 heures de trajet retour en car vers Paris.

Je n’oublierai jamais en revanche, à la 88ème minute, les chants de trop nombreux supporters parisiens, agitant les mains et chantant à plein poumon « bye bye Barcelona » aux fans catalans résignés par la médiocrité de leur équipe et commençant par poignées à quitter le stade. Ahuri par un tel comportement orgueilleux et inexpérimenté, je réprimandais des jeunes du Collectif Ultras Paris présents autour de moi en les avertissant : « le match n’est pas fini, attendez le coup de sifflet final ». Prendre trois buts en cinq minutes alors que le Barça n’a quasiment rien montré du match ? Les jeunes ultras du CUP me regardèrent mi-amusé mi-méprisant, je pouvais lire dans leurs yeux cette pensée ironique, « qu’est-ce qu’il raconte le vieux, pas de place ici pour les rabat-joie… ». Oui, 34 ans, pour un ultra, c’est vieux. Quelques secondes plus tard, Neymar tira un maître coup-franc dans la lucarne de Kevin Trapp. Les certitudes vacillent. Les doutes pointent. Six minutes de plus, et nous sommes terrassés. Plus rien n’existe, à part la honte, et l’incompréhension. Le stade exulte, les supporters barcelonais jubilent et nous invectivent sarcastiquement, mais rien ne peut plus nous toucher, nous sommes déjà des morts-vivants, pulvérisés, atomisés, exterminés. Black-out total. Autour de moi, les jeunes du CUP me regardent, le regard mauvais, comme si de mes paroles d’avertissement quelques minutes auparavant j’avais moi-même déclenché le cataclysme. Qui étais-je pour avoir osé ainsi les admonester tout en laissant croire que l’impossible n’était pas à négliger ?

J’aime à penser qu’ils ont ce soir-là accru leur amour du Paris Saint-Germain. L’ADN Rouge et Bleu pris en pleine face dans les hauteurs du Camp Nou. L’apprentissage par le plus déshonorant des scénarios. « Depuis de longues années, On marche à tes côtés, C’est du rouge et du bleu qui coule dans nos veines, Alors pour toujours, jusqu’au dernier jour, PSG, nous sommes tes soldats, ta fidèle armée. » Plus que de simples paroles, un véritable état d’esprit, une ligne de conduite qui s’acquiert, une expérience commune trans-générationelle. Le 8 mars 2017 n’est pas notre premier traumatisme, ni le dernier. Pour ma part, je pourrais citer Clermont en mars 1997, le fax de Laurent Fournier quelques mois plus tard, le Maccabi Haïfa l’année suivante, la finale contre Gueugnon en 2000, l’affligeante défaite à La Corogne le 7 mars 2001, l’humiliant match nul 0-0 contre les minots en mars 2006, et plus récemment, le 6 mars 2019, la désespérante élimination face à Manchester. Un constat apparaît comme un signal d’alarme : attention au mois de mars ! Le Paris SG est paraît-il souvent en crise courant novembre. Il semblerait que le mois de mars ne soit pas toujours plus reluisant.

La souffrance n’est-elle pas intrinsèque au supporterisme, qu’il soit de club ou d’équipe nationale ? Les défaites en sont une partie intégrante, et les désillusions un passage obligé. Le football est fait d’émotions, dont de multiples déceptions. Les victoires n’en sont que plus belles. Leur rareté en multiplie l’intensité. Face à tant d’affectivité, il semblerait primordial de consulter. Une séance chez le psy devrait être inclue dans notre abonnement. Aux désillusions sportives s’ajoutent les affres de l’extra-sportif. Pour survivre aux violences malsaines de et d’avant 2010, conclues par un plan Leproux liberticide, puis la reprise du club par l’État qatari, tout en gardant la foi et l’amour du Paris Saint-Germain, un brun de folie est nécessaire. Un ami, lui aussi sympathisant parisien, bien que beaucoup moins acharné que moi, m’a dit un jour : « être supporter du Paris Saint-Germain, comment ne pas finir schizophrène ? ».

Au contraire de ses supporters, la plupart des joueurs et de l’encadrement sportif n’étaient pas au club pour la Remontada. Certains étaient tout de même présents sur la pelouse, titulaires comme Marquinhos, Layvin Kurzawa, Marco Verratti et Julian Draxler, entré en jeu pour les dernières minutes comme Angel Di Maria, ou aussi Presnel Kimpembe, héroïque lors du match aller, mais resté bizarrement sur le banc pour l’intégralité du retour. Nul ne sait si ils ont consulté un coach mental ou un psychologue du sport, mais cela n’aurait sûrement pas été superflu. 

Dans l’ultime épisode de la série en vogue du moment, En Thérapie, le désormais célèbre Docteur Philippe Dayan, psychiatre lui-même névrosé, est ainsi averti par une de ses homologues : « Le pire n’est jamais sûr. En général ça veut dire que si on pense avoir touché le fond, on n’est jamais certain que ça ne peut pas encore empirer. ». Ces propos résonnent dans ma tête, comme un éternel recommencement. Le Paris Saint-Germain en est le spécialiste, pour le pire, mais aussi, il faut le dire, pour le meilleur. Rien n’est jamais sûr, ni l’impossible, ni l’inimaginable. La seule certitude, c’est que le fond, on l’a touché à plusieurs reprises. En général, pas longtemps après, on a atteint le meilleur, ou presque.

Nous voilà prévenu. Le 10 mars 2021, le moindre faux pas serait impardonnable. Malgré la leçon donnée au match aller, ce retour est tout sauf une banalité. Nous avons 100% de chance de se qualifier ? Cela me rappelle un double souvenir douloureux. Tous les ingrédients ou presque sont réunis pour n’avoir aucun doute sur l’issue de cette rencontre : nous jouerons à domicile, contre un adversaire que l’on dit moribond, à qui nous venons d’infliger une correction, nous avons l’expérience de la Remontada, il ne s’agit plus des mêmes équipes, Neymar est désormais de notre côté, l’arbitre ne pourra pas être pire qu’Aytekin et la VAR sera là pour l’appuyer. Aucun vent n’est contraire. Tout semble parfaitement orchestré. Un seul indice doit pourtant nous mettre la puce à l’oreille : nous sommes le Paris Saint-Germain, et tout, même l’impossible, est à envisager.

Nous avons, la saison dernière,  surmonté notre crise récurrente des huitièmes de finale, pour ce qui restera à jamais notre premier match de la période Covid, et dans un Parc des Princes à huis-clos. Comme je l’écrivais ici-même il y a tout juste un an, avant ce match retour contre le Borussia Dortmund*, « Jouez comme des guerriers, faîtes les trembler, soyez sans pitié !! ». La Remontada n’est pas effacée. Elle ne le sera d’ailleurs jamais. Mais pour atténuer l’affront, pour que désormais ils ne nous regardent plus jamais comme une équipe qu’ils peuvent démonter en cinq minutes d’arrêts de jeu, il nous faut les écraser à nouveau, et pour cela, quoi de mieux qu’une nouvelle déculottée, un rappel du passé, une victoire 4-0 nette et sans bavure. 

Ne pas réveiller les vieux démons. Ecrire, pour conjurer le sort, tel aurait pu me dire un psy face à mes doutes et mes névroses de passionné – supporter du PSG. 

Joueurs parisiens, ce 10 mars 2021, soyez grands, soyez forts, soyez sans pitié. Ne nous faites pas trembler.


Benjamin Navet

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