Souvenirs d’un non supporter

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Je suis né en 1974. Je suis un vieux assez récent. Je n’ai rien vu venir.
Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé, disait Groucho Marx. Ce n’est pas le sujet, je sais, le sujet c’est le foot, mais quand le temps vous maltraite, les souvenirs vous sauvent, et il se trouve que des souvenirs sur le football, j’en ai. Peu, car je l’ai toujours regardé de loin, mais marquants,
parce que le foot c’est quand-même le foot.

Mon premier souvenir est une orange. Naranjito, la mascotte de la coupe du monde 1982 en Espagne. Il m’a tout de suite été sympathique. Je l’aimais bien. Je n’ai rien vu de ce « mundial », mon premier, sauf le match. Ma mère avait invité un jeune pompier à la maison pour le regarder. Je ne sais pas d’où sortait ce type, mais il avait l’air content d’être là. A 8 ans, je savais ce que draguer voulait dire, mais je crois vraiment que ce soir-là, ni le pompier ni ma mère n’étaient dans la séduction. L’idée de ma mère était plutôt de ne pas me laisser regarder seul le match avec elle : j’aurais tout de suite vu qu’elle se fichait du foot. Enfin, peut-être que je me trompe, je ne veux pas savoir.

Sur le moment je n’ai rien compris. Je pensais qu’on avait gagné. Ce n’est qu’après que j’ai compris le drame. Une sorte d’accablement est tombé sur le pays. Je me souviens d’une phrase de Schumacher (les journalistes français prononçaient Schumaker, comme Georges Marchais disait Mittrand pour Mitterrand) : « Si Patrick a perdu des dents par ma faute, je veux bien lui offrir un dentier ». Depuis cette phrase, j’aime bien appeler les Allemands les schleus. Quand l’Italie a tapé les schleus en finale, naturellement j’ai savouré.

A la rentrée des classes, j’ai demandé à ma mère le maillot de la Juve. Floqué Paolo Rossi, notre vengeur. Il était très épais, ce maillot, presque en laine, j’étouffais dedans, mais la fierté est plus forte que la gêne. Je le portais à l’école, le torse bombé. Un samedi midi, mon père m’a emmené déjeuner dans une pizzeria rue Vavin, à Paris. Elle existe encore. Le serveur, un italien, a vu le maillot : « Ah, Platini ! ». Non, Rossi, ai-je répondu. Le serveur avait les larmes aux yeux. J’ai eu droit à un jus d’orange apéro gratuit.

Paolo Rossi 1982 © Icon Sport

Les années passent. J’oublie le foot. Pas dans la vraie vie : j’y joue beaucoup sur la dalle en bas de chez moi, mais je ne le regarde pas, ni à la télé, ni au stade. C’est bizarre. Je ne l’explique pas. Je jette quand-même un oeil au Heysel, pour Michel. Arrive Mexico. Tout de suite, j’adore le ballon, un Adidas avec des motifs astèques. Je vibre au quart. Michel, diminué, me déçoit, mais c’est Michel, alors je fais semblant d’être impressionné. On gagne, j’explose. Quelques jours plus tard, c’est la revanche de 1982. Je le sens pas. J’avais raison. Pour cette coupe du monde, Paolo laissera le rôle du vengeur à Diego.

1986, toujours. Ou avant. Ou après. Je mélange les périodes, les noms et les visages. Le moustacheux Chalana à Bordeaux. Un schleu très fort dont j’ai oublié le nom, aussi à Bordeaux. Toujours à Bordeaux, un type très jeune qui marque un but par match. Burruchaga à Nantes. Maradona en Buitoni. Bossis au Racing ? Boniek (il court le 100 mètres en 10 secondes, dira un jour Thierry Roland à son sujet). Didier Roustan maquillé en lion dans un reportage sur Fernandez (à moins que ce soit Fernandez sous le pinceau : oui, c’est évident maintenant que je l’écris, c’est lui, c’est Luis).

Diego Buitoni & Michel Ariston © Icon Sport

90. Coupe du monde (finalement les seuls moments où je regarde le foot). Je me prends de passion pour le Cameroun. Je veux leur maillot, ne le trouve pas. En désespoir de cause, j’achète à Go Sport le polo de Yannick Noah, dont le père est camerounais. Là aussi, je le porte torse bombé, mais moins, j’ai grandi. C’est n’importe quoi, ce polo.
D’autres souvenirs : en 98, je vais avec mon ami Julien en scooter sur les Champs après la demi-finale, quelques jours après j’insulte une fille vers la 70ème minute de France-Brésil parce qu’elle dit : « on va perdre ». La conne. Elle ne connaissait rien au foot. Moi non plus, mais je croyais avoir la passion.

Depuis, mes amis Jérôme Reijasse et Grégory Protche m’ont emmené quelques fois au Parc. On y voit moins bien qu’à la télé, mais l’écho Auteuil-Boulogne me donnait à chaque fois la chair de poule, la vraie. A la sortie d’une victoire du PSG contre je ne sais plus qui (mais pas Marseille), des supporters se sont mis à crier : « Marseille on t’encule ». J’ai trouvé ça bête et beau. Une passion se savoure mieux avec des haines dedans.

On en est là. J’ai bientôt 47 ans. Mon fils bientôt 24. Fan de foot. Un vrai, pas comme moi (j’ai pourtant acheté l’année dernière, pendant le confinement, je ne sais pas pourquoi, le maillot de l’équipe de France et de Paris sur Wish : très bonnes imitations). Je lui dis que le PSG n’a pas encore l’esprit d’équipe suffisant pour en être une grande. Il voit bien que je n’y connais rien, que je dis n’importe quoi, mais il fait semblant d’être d’accord avec moi.
Il est gentil, mon fils.


Manolis Mavropoulos

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