Bouquin, deuxième partie

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Dans cette deuxième partie, BOUQUIN nous parle sans détour de la création
des RANGERS, de la vie dans la tribune BOULOGNE, des chants,
de ses débuts en tant que Capo et de la VIDA LOCA ULTRA.


Tu montes les Rangers en quelle année ? Etait-ce en réaction à ce qui se passait aussi du côté d’Auteuil ?

C’était en 1992, année qui vit la naissance de plusieurs nouveaux groupes et firmes, dont les fondateurs étaient presque tous issus des Boys. Les Rangers entre autres en faisaient partie. À la base, on est 5 potes, tous ex-Boys, et on se place à coté des Gravroches, au niveau de la troisième porte d’accès pour une nouvelle aventure ultra. Non, ce n’était pas en réaction. Les groupes à Auteuil venaient à peine d’arriver. Ils n’étaient pas encore très nombreux derrière leurs banderoles. Et puis nos potes des Irréductibles Gaulois, après un bref passage en tribune K (qui étaient à notre droite) et avant de devenir les Lutece Falco à Auteuil étaient des anciens Boys, comme « Grande » par exemple. On se connaissait et on s’appréciait beaucoup. J’ai d’ailleurs toujours été un grand fan des Lutece et de leur esprit. Il n’y avait donc aucune tension ou réaction particulière à ce qui se passait en face à cette époque.

Ton but c’était de recentrer les ultras dans la Tribune Boulogne. Comment as-tu eu cette idée de créer les Rangers ?

Je voulais recentrer l’ambiance. Dès le moment ou tu prends le mégaphone, tu te rends compte de l’ampleur de la tâche, et c’est quasiment impossible à faire en restant dans le coin de la tribune. Si tu as tendance à ne regarder que le noyau des Boys, tu ne fais pas participer le reste de la tribune. Créer les Rangers, c’était le prolongement logique de cette idée puisque ça n’a pas été possible avec les Boys.

ITW Bouquin Virage PSG
Parcage Rangers. Bouquin, à droite, assis sur la bâche (c) Collection personnelle

C’était qui à l’époque aux mégas chez les Boys ?

Il y avait Dieu et les jumeaux qui n’étaient pas forcément là à tous les matchs. Le méga demandant beaucoup plus d’énergie que le micro d’une sono, il était rare qu’une seule et même personne fasse le match en entier. En plus il n’y avait rien, pas de podium ou d’installation prévue à cet effet comme tu en vois partout aujourd’hui. Tu ne pouvais que monter sur un siège du premier rang pour te faire voir, ou monter sur le bord en béton et pas très large de la tribune, mais ça pouvait être très dangereux quand il y avait des mouvements de foule. En gros ce n’était pas très glamour et il n’y avait pas beaucoup de prétendants.

A partir de quelle année as-tu récupéré le méga de façon régulière ?

A partir de la saison 1989/90. Je participais déjà beaucoup dans le noyau, sans mégaphone, en lançant ou en relançant des chants qui ne duraient pas assez longtemps à mon goût. Quand tu commences à râler parce que ce n’est pas le chant que tu aurais lancé à ce moment du match, ou que tels ou tels chants ont été oubliés, tu te dis qu’il est peut-être temps de passer à l’action. J’entendais aussi quelques chambrages à l’attention de Dieu, il fallait lui donner un coup de main et je ne me suis pas fait prier.

Tu es resté jusqu’à quand ?

Jusqu’en 1996, l’année où je suis interdit de stade pour trois ans. Sans rentrer dans les détails c’était pour allumage de fumigènes. Après j’ai eu des problèmes de santé qui font que je ne suis pas revenu tout de suite après la fin de mon IDS (Ndlr : Interdiction de stade).

Quand tu prends le mégaphone, tu te rends compte que tu prends en quelque sorte le pouvoir ?

Attention, les mots sont importants. À Boulogne, le mot pouvoir, c’est presque tabou. Honnêtement le pouvoir, tu ne le prenais pas avec le mégaphone dans une tribune aussi complexe. Ça pouvait même se retourner contre toi si tu n’étais pas prudent.

ITW Bouquin Virage PSG
Bouquin, dans une station service, le jour où naquit son surnom (c) Collection personnelle

En tout cas tu deviens connu, et reconnu.

Être connu c’est une chose, mais être reconnu et respecté, ça c’est encore autre chose. Il faut du temps. Entre le match où tu te fais charger par les skins parce que tu fais partie des Boys et celui où tu montes sur le tableau d’affichage pour t’adresser à toute la tribune, il s’est écoulé presque une saison et demie entière. Être respecté à Boulogne ce n’était pas une mince affaire. C’est venu avec le temps.

Quelle était ta volonté en prenant le méga ? Tu avais déjà réfléchi à une nouvelle structure ?

Non je n’étais pas encore dans cette réflexion. Mon seul objectif c’était que l’ambiance soit plus forte et que Boulogne devienne une référence également pour ses chants, qu’on supporte plus le Paris Saint-Germain, que toute la tribune participe. Je voulais faire changer les choses à ma manière, je me déplaçais dans la tribune pour faire participer un maximum de monde en plus des Boys. Entre les skins et les Boys, il y avait beaucoup de supporters dans la tribune qui n’attendaient que ça.

As-tu inventé des chants ?

Oui, bien-sûr. Si tu prends le méga et que tu n’es pas capable de lancer tes propres chants, tu ne fais pas de vieux os. Tu es vite remplacé par quelqu’un d’autre. Il y a toujours un jeune qui pousse pour te remplacer. Il fallait donc être productif et créer régulièrement des nouveaux chants qui venaient d’Italie et d’Angleterre à parts égales. Le Kop étant calqué sur le modèle anglais, il fallait leur balancer des chants en rapport avec leur culture et les chants à rallonge, c’était à dose homéopathique. Il fallait être capable de trouver le juste milieu entre les chants ultra et le côté anglais plus spontané. Ainsi, le répertoire se renouvelait assez rapidement et même si des classique comme « Si tu es fier d’être parisien » perduraient, d’autres chants, pourtant très simples comme le tendu d’écharpes à l’italienne « Ohé ého, ohé ého. Ohé ého, ohé ého » ou la Petite Musique de Nuit de Mozart sur laquelle on faisait tourner les écharpes, ont été très rapidement portés disparus !

Quand tu lançais un nouveau chant, il y avait une concertation avant ?

Bien-sûr qu’il y avait une concertation. Notamment dans les cars pendant les déplacements, car le laboratoire des nouveaux chants s’avérait souvent être le stade adverse (et le temps du trajet en car avant d’y arriver). Pour la bonne et simple raison que tu pouvais compter sur la motivation à 200% de ceux qui t’accompagnaient tout au long de la saison en déplacement pour aider à faire prendre le nouveau chant. Le bureau des BB85 faisait également des réunions où l’on abordait toute la vie du groupe, des projets de tifo à l’organisation des prochains déplacements en passant par la fabrication de la nouvelles écharpes… C’était vraiment une époque formidable. On n’avait pas de local, donc on allait à Franklin Roosevelt, à la (petite) boutique des Amis du PSG à côté des Champs-Elysées. Quand on n’avait pas accès à leur salle de réunion, on allait où l’on pouvait et ça se terminait parfois sur les pelouses des squares alentours. L’après Boys, c’était différent. On a fait les premières réunions Rangers chez moi, en petit comité puis au local du Parc, et on y passait pas mal de temps avant les matchs et même pendant la semaine.

Que penses-tu du terme capo ?

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Bouquin, look old school Bombers, Docks et Casquette Lonsdale (c) Collection personnelle

Je n’ai jamais été fan de ce mot-là. J’en ai vu des capi, parce que j’ai fait pas mal de matchs en Italie, notamment à Milan. Franchement en France, on était à des années lumières des capi mais ce n’est que mon avis. Ici on croit que prendre un méga pour faire chanter 40 guignols, ça fait de toi un capo …

Il n’y avait pas de sono à l’époque, toi tu étais au mégaphone ?

La sono est arrivée bien après. Oui, c’était au mégaphone et parfois sans, quand on oubliait de changer les piles et qu’elles tombaient en rade pendant le match. Après tu étais obligé de faire le reste à la voix. Ça ne me dérangeait pas même si dans ce cas précis, je la laissais souvent au Parc et qu’il me fallait plusieurs jours pour la récupérer. Au mieux il y avait maximum deux ou trois mégas qui fonctionnaient sans compter celui de Safet (du groupe PAC) qui était à l’autre bout de la tribune. La plupart du temps, un gros modèle et un plus petit. Je prenais le gros et je me plaçais le plus possible au centre de la tribune. Les emplacements changeaient en même temps que la configuration de la tribune, tableau d’affichage en triangle puis plat ou perché sur le plexiglas. Le second méga restait lui dans le bloc des Boys. En théorie c’est moi qui lançait le premier chant et il était repris sans décalage si possible. Blague à part, en France nous sommes les champions du décalage. Il n’y a qu’à voir comment on chante notre hymne national. On doit être les seuls en Europe, voir dans le monde entier, à ne pas savoir chanter notre hymne sans décalage, en rythme avec la musique.

Les mecs t’entendaient ?

Les premiers rangs oui, après c’était plus compliqué surtout à la voix mais tu t’arranges pour qu’ils t’entendent. Tu fais des gestuelles pour leur faire comprendre qu’on va faire tel ou tel chant. C’est chaud, mais ça peut marcher.

Justement, passer du mégaphone au micro, c’était pour avoir toute la tribune et pas uniquement le bloc ?

Dans l’absolu, oui, mais même avec la sono tout n’a jamais été parfait, plus d’une fois on a perdu un « cône » (Ndlr : une des enceintes) en plein match quand il n’était pas HS dès le début … mais le micro c’était bien après. Après l’arrivée de Canal. Avant c’était au mégaphone. Pour revenir au niveau des chants, c’est l’époque où les Boys sont officieusement jumelés avec la FDL de Milan (Ndlr : Fossa dei Leoni, groupe ultra du Milan AC). En fait il s’agit plutôt de la création d’une section fossa à Paris que le contraire. Mais cet échange nous permet de voir plusieurs matchs à San Siro, invités par les ultras italiens. Comme contre Verone, la Samp entre autres, et même contre l’OM en ligue des Champions, et toujours dans la Curva Sud ! C’était l’occasion d’enrichir notre répertoire. Pour revenir à une précédente question, un des premiers chants que j’ai lancés, c’était sur l’air du « Perché Il Milan è forte Alè » à Naples ! Ça m’a marqué car on l’a fait pendant 45 minutes sans arrêt tellement les gars étaient emballés et c’était eux qui le relançaient à ma place ! On gagne 0 – 2 (Ndlr : Naples vs PSG, 21 octobre 1992), on est que 80 dans un avion affrété par le club. J’avais fait très simple en collant des « Allez Paris SG, ohé, Allez Paris SG, oh oh oh, Allez Paris SG, Allez Paris SG, Allez Paris SG oh oh oh ». Et le moins que l’on puisse dire c’est que cela a fonctionné. A tel point qu’à la fin du match les Ultras Napolitains qui faisaient grève à l’époque contre leur direction et n’avaient fait qu’un  seul chant à la mi-temps;  un « Dieeeego, Dieeeego, Dieeego », sont venus nous voir pour nous saluer et nous dire « bravo, vous n’étiez pas nombreux mais on vous a entendus pendant toute la partie ». C’était une grande fierté pour nous !

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Bouquin, méga à la main, à San Siro (c) Collection personnelle

Il t’est venu d’où ce chant « Allez Paris SG Ohé » ?

Il vient de la Curva Sud du Milan A.C.. Alors ce déplacement à Naples il est spécial pour moi. En plus je me suis fait griller par mon prof de Communication ce jour-là. J’étais en BTS Communication et Publicité, et pour sécher les cours, j’avais donné une excuse bidon à mon prof du genre : « je vais voir ma grand-mère ». Le lendemain du déplacement, je rentre dans la salle et je vois le prof qui a une attitude bizarre. Il a une cassette à la main. Il met la cassette dans le magnétoscope. Il ne disait rien, alors que d’habitude ça ne se passait pas du tout comme ça. Tout le monde s’assoit. Il lance le magnétoscope. On ne sait pas ce qui nous attend, et là je vois le « Journal télé du 20H ». Je savais qu’il y avait eu un reportage à la télé sur le match, mais je ne m’attendais pas à des gros plans en travelling sur la tribune où l’on voit les 80 supporters parisiens. Et qui est-ce qu’on voit avec le mégaphone en gros plan ? C’est moi, et le prof qui enchaine « Et donc Monsieur Lemure est allé voir sa grand mère à Naples ». Eclats de rire dans la classe … et moi qui ne savait plus ou me mettre ! J’en rigole encore aujourd’hui !

Comment tu définirais l’ambiance à Boulogne ? Latine ou britannique ?

C’est un mix de tout à la sauce Parisienne : Français, Italien, Anglais, Grec… mais paradoxalement les chants que je suis le plus fier d’avoir lancés sont le fameux hymne du PSG « Allez les Parisiens » que j’ai toujours en 45tours et que j’ai remis au goût du jour et surtout le « Supporter du Paris Saint Germain, une chope de bière toujours à la main… » sur l’air de « Dirty Old Town » (la reprise des Pogues), même si on ne l’a pas fait longtemps car c’était deux saisons avant la fin des abonnements. Je me suis cassé la tête pour que les paroles collent bien à cet air magique mais je peux te dire que ça a été un grand moment de solitude quand je l’ai lancé pour la première fois au Parc. Je l’ai chanté quasiment seul pendant au moins 10 minutes non stop, le temps te parait une éternité dans ces moments-là, avant que les mecs ne commencent à l’imprégner et à le reprendre. De toute façon c’était simple. Quand tu voulais lancer un chant à Boulogne, si tu n’insistais pas, il ne partait jamais. Soit tu persistes et tu signes, soit tu oublies.

Revenons sur le fameux PSG vs. Caen de 1993. Quel était le contexte ?

Déjà on était tous en Rouge (partie basse du KOB) car la tribune Bleu était fermée. Tout le KOB était donc réuni en Rouge, toutes tendances confondues : casuals, indep’, ultras et compagnie. La raison officielle c’était qu’il y avait des travaux sur la structure de la tribune pour la sécuriser suite à des vibrations. Du coup pendant une moitié de saison on s’est retrouvé en Rouge.

Mais comment pouvais-tu réunir tout le KOB juste dans la partie basse ?

Il faut remettre les choses dans leur contexte. A l’apogée du KOB, il y avait environ 3000 membres actifs mais en 1993 le KOB n’était pas au complet, la tribune rouge était souvent quasi déserte et puis le match avait lieu au mois d’août … donc ça pouvait tenir d’autant plus qu’il n’y avait pas de siège. Rien à voir avec le futur Auteuil et son 1/4 de Virage plein. D’ailleurs si je dois définir mon rôle à cette époque en une phrase, au delà du support inconditionnel du PSG, c’était de faire en sorte que Boulogne relève toujours le défi d’Auteuil, qui se développait bien plus vite que nous, au niveau vocal bien entendu. M’adresser à toute la tribune et négocier avec les Boys pour que les enceintes ne soient pas tournées que vers le bloc des Boys, mais vers toute la tribune. C’était toujours dans cette optique. Je voulais que lorsqu’un « allez Paris » était lancé par Auteuil, on puisse leur répondre avec au moins autant de puissance vocale. Bref si on revient sur ce match de Caen, la situation était déjà tendue avent le match, des accrochages avaient eu lieu au niveau des tourniquets et les fouilles des CRS avaient été animées. En tribune, tout part de la tentative d’interpellation d’un  supporter qui a balancé sa chaussure sur la pelouse et qui est allé la récupérer tranquillement… Les CRS ne s’attendaient pas à être repoussés aussi violemment au point d’oublier un des leurs dans leur fuite. Le match fût interrompu à cause des gaz lacrymogènes. Je suis persuadé qu’ils n’avaient aucun ordre pour intervenir. Celui qui a pris cette décision, il l’a prise seul et il avait 2 grammes d’alcool dans le sang, mais ça on ne te le dira jamais. Après quelques coups de gazeuse, le « CRS oublié » est tombé à la renverse après avoir reçu un coup de pied en pleine face. Les coups n’arrêtaient plus de pleuvoir sur lui… D’autres CRS sont venus ouvrir tant bien que mal les grilles qu’on avait fermées, pour le sortir en le trainant par terre car il avait vraiment pris cher.. C’était la dernière fois qu’on voyait des CRS à Boulogne.

Tu sais si le CRS en question a eu des séquelles, tu n’étais pas loin des faits ?

Oui, il a été gravement blessé. Ça avait été trop loin. Après on ne va pas se mentir. On a jamais été potes avec eux. Quand on arrivait à Boulogne, il y avait des rangées entières de camions de CRS. Mais il y en avait toujours un qui n’était pas rempli de CRS mais plutôt de « carburant ». Ils marchaient au même que nous. Il y avait des glacières avec des packs de bières les uns sur les autres. Tu les voyais rentrer un par un dans le camion pour se ravitailler, ça y allait quoi… Ensuite ils ne cessaient de nous provoquer, les compagnies venaient souvent de Province et donc n’étaient pas spécialement fans du PSG.

En tout cas, sur le moment je me trouvais pas loin du CRS. J’ai vu des anciens descendre avec des ceinturons et s’en prendre à lui. Sur le moment tu es pris dans le mouvement, tu débranches ton cerveau et tu y vas aussi pour faire mal, mais heureusement pour moi, je ne l’ai pas touché, il y avait trop de monde devant moi. Je n’ai jamais pris part à une fight, mais comme tout le monde à Boulogne, il m’est arrivé de faire le coup de poing. C’était spontané, jamais programmé.

Tu as justement des souvenirs de « rencontres » avec des supporters adverses ?

Oui, contre Marseille en Coupe de France au Parc en 1995. Autour du Parc, tu as plein de petits squares. Comme d’habitude on était tous regroupés dans le « petit parc », certains tisaient, d’autres fumaient, ça discutait. Et d’un coup on voit arriver un car avec un drapeau South Winners qui s’arrête juste devant nous. C’était Noël avant l’heure. C’était le groupe marseillais le plus détesté des parisiens. Alors forcément on y va tous. Les rats sont sortis du car armés avec des battes, des couteaux… Ça a été assez bref. Je me souviens que j’avais une canette de bière à la main et que j’ai trouvé le moyen de rater le car ! Pas mal… C’était loin d’être ma meilleure canette ! En tout cas on ne s’attendait pas à ça. En fait le chauffeur du car s’était planté de sortie et avait pris Boulogne au lieu d’ Auteuil. Les gardes mobiles sont arrivés assez vite sur place pour éviter que ça ne s’aggrave car il y avait déjà quelques blessés dont un à l’arme blanche de notre côté.

Après Caen, comment perçois-tu le traitement médiatique en France.

C’est un choc national. Ça dépasse tout ce qui avait pu être dit, lu et vu. La France du football savait qu’il y avait des hooligans dans les tribunes, mais là, c’est le grand public qui s’en rendait compte pour la première fois. Et le Kop a perdu beaucoup d’unité. Les politiques se sont emparés de l’affaire pour légiférer et les IDS tombèrent en masse.

Revenons-en au groupe que tu as créé. Pourquoi ce nom, les Rangers ?

On en revient toujours au Milan. Les Rangers c’est un nom que j’ai piqué à un petit groupe de supporters du Milan. Certes il y avait la Fossa dei Leoni et les Brigate Rossonere, mais il y avait aussi des petits groupes qui étaient placés au dessus ou en dessous dans la curva. Les Rams, le Gruppo Brasato et les Rangers en haut, les Commandos Tigre, plus anciens et moins actifs, en bas. Les gars ont adhéré tout de suite à ce nom qui fût préféré aux « Viking Korps » et autres « North Warriors » !

ITW Bouquin Virage PSG
Incendie dans le parcage Rangers (c) Collection personnelle

Comment les autres mecs de la tribune ont réagi aux Rangers ? As-tu demandé l’autorisation ?

Non, on a pris la liberté de le faire sans demander l’autorisation aux anciens. Et donc le retour de manivelle était inévitable. Lors d’un PSG vs Sochaux, on avait été une mi-temps à Auteuil, pour montrer la bâche. On avait allumé quatre ou cinq torches derrière et on était revenu à Boulogne. Le match d’après, on était en train d’installer la bâche, et hop, tu vois la bâche qui descend en tribune rouge. Je me suis pris un rappel des Commandos. Pas méchant, mais c’était « Quand tu fais un truc comme ça, préviens nous » et c’était tout à fait justifié. C’était notre « erreur de jeunesse » mais les choses sont rentrées rapidement dans l’ordre avec les anciens. Les Commandos aimaient bien mettre un petit coup de pression de temps en temps quand ils en avaient envie. Je me rappelle d’un des premiers matchs où j’ai pris le mégaphone, je suis sorti tout seul du Parc, ils m’attendaient dehors, ils étaient dix, ils m’ont entourés et gentiment « secouer ». Le mégaphone, ils en avaient rien à taper, ce n’était pas spécialement leur vision du foot. Aujourd’hui je fais la bise à certains d’entre eux.

Comment tu arrives, en partant à cinq gars des Boys, après avoir créé votre groupe, à recruter dans le reste de la tribune ? Vous étiez une asso officielle ?

Oui, on était une association loi 1901. Pour le recrutement, ça revient au fameux potentiel que je vous ai décrit. Je savais très bien que la tribune ne se résumait pas seulement aux Boys ou au futur bloc B3 qui regroupait les Indeps. On a mis en avant le groupe au maximum. On bâchait au Parc et en déplacement, en plus de nouveaux grands drapeaux et deux tambours, la première écharpe voit rapidement le jour, notre devise est « Nous sommes tous Fous » donc on fait un Fanzine « Fous » (il n’y aura que deux numéros) et des cartes de membres pendant deux saisons. On organise des déplacements, on allume des fumigènes, beaucoup trop d’ailleurs sur certains matchs, ce qui nous a valu quelques reproches mais aussi des nouveaux membres. Je me souviens d’un match où on a craqué pendant 45 minutes. C’était une autre époque. Pots de fumée (militaires), torches, chlorate, tout y était passé, c’était balaise.

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Craquage dans le parcage (c) Collection personnelle

Vous les achetiez où les fumis ?

Au tout début ça ne s’achetait pas. Il n’y avait pas de fournisseurs de fumis, donc on se débrouillait. Et la nuit, on rendait visite aux gares parisiennes pour piquer les grandes torches SNCF qui se trouvaient en queue de wagon des trains Corail. Ensuite il fallait scier le bâton de fumigène en plusieurs morceaux d’une dizaine de cm de hauteur. Au final ça faisait bien une quinzaine de torches par bâton. Pour les rentrer au stade, il n’y avait pas 36 solutions. C’était soit dans ton ben, soit dans le sandwich ou la casquette pour les plus téméraires et tu passais la fouille comme ça. Que ce soit au Parc ou à l’extérieur. On avait un grattoir et un allumeur pour 10 torches. Une fois que les possesseurs de l’allumeur et du grattoir avaient allumé leurs torches, il fallait allumer les autres torches bout à bout et prévoir une bonne paire de gants. Là il n’y avait aucune protection et les brûlures étaient courantes.

Alors qu’aujourd’hui il y a des fabricants et fournisseurs de fumis ?

Bien-sûr maintenant c’est très simple et moins risqué pour se procurer du matos. À l’époque où j’ai bossé à Sup’Mag, il y avait bien un fournisseur français qui faisait de la publicité dans le magazine mais ça n’a pas duré bien longtemps. Les choses évoluent aussi et grâce aux amitiés italiennes ou avec la BU88, la Brigade Ultra de Mulhouse, on arrivait à se procurer du matos plus facilement en Italie. Puis aux Rangers on avait notre propre fournisseur qu’on appelait le « Rital ». Il nous fournissait tellement bien qu’on craquait parfois un peu trop en tribune.

ITW Bouquin Virage PSG
Bouquin (casquette sur la tête), fumi à la main (c) Collection personnelle

Donc vous arrivez à cinq au milieu de la tribune avec les Rangers. Après que se passe-t-il ?

Ce n’est pas simple. Mais on ne part pas tous seuls non plus. En plus de quelques Boys qui nous suivent, il y a l’Army Korps, dont on est très proche. Quand on jouait au foot à Bagatelle (Ndlr : terrains de football en libre accès dans le bois de Boulogne), on jouait avec eux. À cette époque on était fier de porter le maillot du PSG car il y en avait très peu qui le portaient. Tout les dimanches, on jouait contre des équipes qu’on ne connaissait pas. Ça m’est d’ailleurs arrivé de mettre quelques beaux tacles à des mecs qui portaient le maillot de l’OM. Quand on jouait contre eux on s’en donnait à cœur joie. L’Army Korps nous aidait un peu, même si leur truc à eux c’était plus la baston. Ils étaient aussi au milieu, à notre droite en tribune. Ils n’étaient pas dans le même délire, le côté ultra il était là, parce qu’ils avaient été formés comme nous aux Boys. Ils ont gardé les bases et au moins ils chantaient et participaient à leur manière à l’ambiance de la tribune. Et puis après, à force, tu vois qu’il y a quelque-chose qui commence à prendre, tu as des gens qui arrivent, des jeunes que je ne connaissais pas. Ils viennent me voir et ils demandent si ils peuvent faire partie du groupe. On leur donne des tâches à faire, cela fonctionne. Ils restent. Tu as même des mecs d’en face qui viennent. Des ex Sus Scrofa qui nous rejoignent. D’ailleurs avec David, on avait fait un délire avec les Parc Kaos. On avait fait une bâche et on craquait comme des malades. C’était une autre époque. C’est comme dans le foot, on a fait notre mercato. On n’a jamais été un noyau extrêmement grand, on n’était pas 150 comme les Boys. Au départ, on pouvait compter sur 25 personnes actives, pas plus.

ITW Bouquin Virage PSG
Bouquin, debout au milieu de Boulogne (c) Collection personnelle

Avez-vous eu l’ambition de devenir un « grand » groupe, en s’ouvrant à tout le monde ?

Peut-être qu’inconsciemment je l’espérais mais la réalité te rattrape vite. Malgré les cartes de membre, le groupe n’a jamais dépassé les 100 membres… Mais le but était quand-même atteint puisque c’était suffisant pour faire participer le reste de la tribune et faire des tifos avec les Boys, avec qui on a toujours été en bonne intelligence.

Quelles sont les dates du groupe ?

Les débuts, c’est août 1992 jusqu’à… aujourd’hui… même si on a pas pu fêter nos 20 ans en tribune. Ce sera sans doute un de mes plus grands regrets pour le groupe. Moi, j’arrête en 1996 et une nouvelle génération reprend les rennes du groupe.

La première partie de l'interview est disponible ICI 

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