Pochettino Virage PSG

Carnaval Munichois

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Accrochée au mur cette peinture nous montre un stade vide, la nuit.
Des hommes en tenue de sport marchent vers la gauche du tableau.
L’éclairage artificiel y fait pétiller une myriade de flocons de neige, figés dans les airs. Au premier plan, de dos, un joueur s’apprête à frapper le ballon.
Vous l’aurez tous reconnue : aujourd’hui dans notre rétrospective des plus grands chefs d’œuvre du musée du PSG, nous avons choisi de revenir
sur la célèbre toile du Maître argentin, Maurice Lapoche (Mauricio Pochettino), intitulée « Un Carnaval à Munich ».

Mauricio Pochettino (1972 – …)
Un Carnaval à Munich, mars 2021
Peinture à l’huile sur toile, 1,25m x 2,42m
Musée du PSG, Paris

 


Représenté au premier plan, il a la posture élancée du danseur de Samba, un bras en l’air, une jambe tendue, merveille d’équilibre et de légèreté. Numéro 10 dans le dos, Neymar (joueur controversé du début du XXIe siècle) incarne ici ce que le football promet de plus beau, une éducation brésilienne à un jeu décomplexé et provocateur, et un poste de meneur de jeu, chef d’orchestre capable d’animer de géniales symphonies. Immortalisé au moment où son pied va rencontrer la balle, Neymar est placé en contre-pied des autres personnages de l’œuvre.

Peintre du mouvement et des contrastes, dans son Carnaval à Munich Pochettino joue sur les oppositions : les couleurs, les trajectoires, les destinées… Reprenons la composition du tableau : le maître argentin a représenté les deux équipes mélangées, mais se dirigeant de la droite vers la gauche de la toile. Flous, perdus dans le lointain, malgré leurs maillots les joueurs se confondent dans la neige. Le pas est lourd, lent, le mouvement uniforme. On sent toute la charge des affrontements précédents, les corps marqués duel après duel par le froid terrible. Ce mouvement d’ensemble des deux équipes déclenche chez le spectateur une certitude : Neymar va dégager vers son gardien de but. Vers cette force invisible placée hors cadre symbolisant tout à la fois la sécurité, et l’assurance.

Pourtant, et c’est là tout le génie de l’artiste, à y regarder de plus près, loin devant Neymar un personnage fait contrepoint. Peint derrière la mêlée, en retrait de cette foule, lui seul fait face au n°10 : c’est son compatriote Marquinhos. Celui qui passe devant la toile sans y prêter attention ne le verra pas, et pourtant, une fois repéré il n’y a plus que lui : le n°5 parisien va changer la face de la rencontre. D’infimes détails détachent le défenseur brésilien de la mêlée des autres personnages : ses attributs, sa posture et sa gestuelle. Un brassard, qui le désigne comme capitaine. Si son pas l’amène lui aussi vers le même sens que la foule, son torse en revanche se tourne déjà vers la droite, dans une ébauche de demi-tour. Et surtout, son bras très légèrement décollé du corps, qui semble pointer vers le but adverse, comme dans un rêve.

Ode au mouvement, mais aussi et surtout au regard, le Carnaval de Munich pose la question du génie dans le sport : qui a vu quoi ? Pourquoi Marquinhos est-il en retrait du groupe ? Comment Neymar pouvait-il le distinguer d’aussi loin, malgré la neige, malgré les autres joueurs ? À quel moment l’un décide-t-il de faire l’appel, et l’autre d’offrir la passe ? Rien n’est évident dans cette peinture du maître Argentin qui, toute sa carrière durant, se refusera à donner les clefs de ses œuvres. En laissant le mouvement du bras de Marquinhos à l’état d’esquisse, il laisse libres toutes les interprétations : Neymar a-t-il vu que son coéquipier demandait discrètement la balle ? L’a-t-il deviné ? L’a-t-il anticipé ? Parce qu’il a choisi de composer cette scène au ras du sol, Pochettino nous met au plus près de son meneur de jeu, il nous place dans la peau de celui qui, déjà, réalisera l’action. Le ballon roule encore, le pied gauche le frappe déjà, le n°10 regarde l’impact, le défenseur fait un geste, ne se retourne pas tout à fait… Le lien entre les deux hommes a déjà passé, par le regard ou l’esprit peu importe, ils se sont compris et vont agir. C’est fini. Le lien entre les deux homme naît sous nos yeux, Maurice Lapoche nous offre l’étincelle, le moment zéro de la passe, l’action débute. C’est maintenant. Le lien entre les deux hommes n’est pas encore réalisé, car seule la balle, témoin passé d’un joueur à l’autre pourra donner corps à cette connexion. Rien n’est encore fait. Moment hors du temps, moment de tous les temps à la fois, le génie créatif s’exprime au travers des deux Brésiliens.

La suite est bien connue : Marquinhos marquera le but du deux à zéro avant de devoir quitter le terrain, bouleversant la donne quelque jours avant le mythique match retour au Parc des Princes, match épique dont le résultat fait bien sûr parti de l’Histoire maintenant. Inutile de vous en rappeler le score ici…

L’œuvre de Pochettino pose donc pour l’éternité la question du doute entre action préparée à l’entraînement et géniale improvisation : il illustre la balance entre travail technique et don divin, entre artisan et artiste. Jusqu’à nous amener à nous demander dans quelle mesure le peintre lui-même n’est pas dépassé par ses propres personnages, si vivants, qu’une fois jetés sur la toile verte ils lui auraient échappé, tissant entre eux deux ce lien qu’aucun créateur, fut-il génial, n’aurait pu anticiper. Un chef d’œuvre.


Arno P-E

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