De l’indigestion de saumon en environnement footballistique

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Ces derniers temps, nous sommes peu enclin à l’introspection : les pétro-dollars qataris nous font tourner la tête. Pour la génération de supporters qui n’a connu que Zlatan et Neymar ou pour celle, antérieure, qui a volontairement oublié ce qu’il s’est passé, il semble utile de rappeler un épisode que je considère pertinent et structurant pour comprendre le parcours du PSG, aujourd’hui encore.

Et pour ça, il faut descendre dans le métro. C’est une sorte de cave dans laquelle habite un grand serpent mécanique (cet article a aussi été écrit pour un public d’enfants de 3 ans dans l’objectif de massifier la cible de Virage Paris). J’y ai retrouvé le souvenir d’une soirée magnifique qui explique, très partiellement certes, l’errance du PSG – errance dont il n’est pas sorti depuis, du moins pas encore, malgré les centaines de millions d’euros investis – et apporte un éclairage rétrospectif, quoique lointain, sur ces défaites lamentables contre Barcelone, Madrid et Manchester United, qui finalement explique aussi l’échec des dirigeants actuels, plutôt tennismen que footballeurs.

Ligne 13, compressé entre plusieurs viandes humaines. Heures de pointe. Élue « pire ligne du monde ». Suis nez à nez avec un contribuable lambda, membre manifeste des classes macron-compatibles, qui procédait, ce fasciste (la suite explique ce qualificatif désagréable), à une prise d’air buccale, non par le nez donc, mais par la bouche, pour assurer un des besoins fondamentaux de l’homme : respirer. Mais pourquoi donc ai-je insulté ce chaland médian ? La réponse revêt la nudité de l’évidence : parce qu’il puait de la gueule. Attention, pas comme un picolo ou une bouche mal lavée, plutôt comme quelqu’un qui a des restes de chair humaine en décomposition coincés entre les dents depuis plusieurs semaines. Réexpérimenter, même en souvenir, le miasme exhalé par son four inamical heurte mon odorat en pensée. Et là, va savoir, j’ai lié dans mon esprit cette haleine fétide, la même que celle de Jabbah le Forestier, à un repas très arrosé : une grosse tablée de bouffe qu’il aurait ingurgité, avec ses doigts, baigné de jaja râpeux, une espèce de banquet du Moyen-Age, avec des faisans rôtis, des sangliers à la broche, du saucisson d’âne et beaucoup de saumon fumé LIDL.

Suivant le fil de mes souvenirs dans des instants d’apnée obligatoires, la réduction drastique d’air m’a provoqué une hallucination : tout à coup, est apparu Emile Zola qui me tendait L’Assomoir, ouvert en deux sur les pages de description du repas gargantuesque que Nana organise chez elle, au milieu du livre. Tu ne te souviens pas, Lecteur, c’est un souvenir très enfoui, mais tu as été au collège… ou pas, il est vrai que tu es supporter de football. Ce souvenir planté, Emile a disparu et le monsieur est descendu. Seul face à ce bouquin épais, flottant dans l’espace au-dessus des passagers du métro, là, j’ai compris…

Avant d’aller plus loin, je voudrais dire que j’ai bien conscience, à ce stade, de vous avoir complètement perdu, et que plus personne ne lit ce papier… C’est pourquoi, je pourrais glisser ici, à l’aise, un lien vers un site Tor zoophile ou des insultes à la mémoire de l’Abbé Pierre, sans qu’absolument personne ne s’en aperçoive.

Nico face aux Vikings © Icon Sport

Ce dont je voudrais parler, j’y viens, c’est du PSG-Rosenborg, le 7-2. Et te dire à toi, unique lecteur survivant, insomniaque et dépressif, pourquoi ce long détour. Ma thèse est la suivante : ce soir-là, les ennuis du PSG ont commencé, des ennuis sportifs mais aussi éthiques, en suite de ce premier carton en Ligue des Champions. Et ces ennuis, si j’essaie de leur donner un début, j’espérais du même coup au fil des années leur donner une fin : la défaite magistrale contre le FC Barcelone, 6-1… le coup de grâce fatal au PSG que l’on a vu naître la nuit du 7-2. La secousse parfaite qui vient conclure le parcours ! Puis, il y a eu le 7-1 face aux Celtics ! Une victoire ! Le même nombre de buts que face à Rosenborg. Un jalon complémentaire au renouveau ou une nouvelle chute ? Les Celtics sont-ils le nouveau Rosenborg ? A-t-on troqué des Suédois pour des Écossais ? De l’aquavit pour du whisky ? Bref, est-ce à nouveau le début de la fin ? Peut-être, car il y a eu cette défaite contre Madrid… cette pathétique défaite l’année suivante, qui ne nous a pas préparé à celle contre Manchester United, où le ridicule a côtoyé le nul.

Je me rappelle Courbis, notre grand ami, dire un jour, en substance : un match c’est comme un film, si les spectateurs trouvent que les acteurs ont été bons, ils se diront que le réalisateur n’est pas trop con. Que penser des deux années Unai Emery alors que le PSG n’a jamais eu jusqu’à elles les moyens qu’il a eu ? Pour trouver une quelconque qualité à Emery, il faut être un croque-mort alsacien, ascète protestant chiant comme un dimanche pluvieux à Colmar, qui vit depuis trente ans sur une réputation éculée et rabotée comme les dents d’une octogénaire, il faut être Arsène Wenger et proposer la Coupe du monde tous les deux ans. Quant à Tuchel, tout le monde semble en être satisfait, mais je ne sais pas pourquoi. Qu’est-ce qu’il a fait Tuchel ? Rien de plus que ses prédécesseurs, voire moins avec plus. Ah si, une finale de Ligue des Champions l’année précisément où elle ne valait pas un clou car jouée sur un tour, sans public, dans le contexte d’incertitude puissant qui pèse sur la première pandemie planétaire post-mondialisation. Quant à la Pochette, il fera un petit tour puis il circulera, comme les autres avant lui. En dehors de Laurent Blanc, quel entraîneur nous a marqué, réellement, avec lequel nous avons vu une différence dans le jeu ? Qui nous a surpris ? Avec qui on s’est dit qu’il y avait quelque chose qui se passait ? Si j’avais su un jour que je défendrais Laurent Blanc…

Ce 7-2 contre Rosenborg est un des piliers sur lesquels le PSG que nous avons tous connu s’est construit. Je parle du PSG tel qu’il vit aujourd’hui, à travers ses supporters historiques, dans leur diversité, et ce peu importe ses propriétaires. Ces derniers vont et viennent, ils achètent, vendent. Le PSG est une marque, une entreprise, c’est comme ça, c’est le monde dans lequel nous vivons et que nous acceptons plus ou moins en fonction du portefeuille réel de l’actionnaire. Ces derniers temps, nous ne nous en plaignons pas. Les Qataris sont blindés et ils n’hésitent pas à sortir le « cheikhier » à feuilles d’or pour écrire plein de zéros. Oui, ce 7-2 est un des piliers sur lesquels repose aujourd’hui notre perception du PSG : un club qui n’avance pas parce que tout le monde s’y sent très à l’aise…

Laurent de Gala © Icon Sport

Ce soir-là, rappelle-toi, on a vu un Laurent Robert de gala, un Frédéric Déhu à son meilleur, un Anelka-champagne, bref, une constellation de talents organisée pour flinguer du Suédois, ces géants blonds qui nous narguent parce qu’ils ont 4% de chômage et une dette réduite. On les a pulvérisés les Vikings et ils sont rentrés chez eux la corne entre les jambes, sur leurs drakkars bouffer du saumon et faire du ski de fond. Dieu, ce que je me sens étranger au nord du monde ! Et ce soir-là rappelle toi aussi cette latence morbide, cette satisfaction d’être les meilleurs, cette absence d’humilité de joueurs qui se sont vus trop beaux. Le 7-2 nous a laissé de magnifiques souvenirs et beaucoup d’espoir. Nous étions heureux au sortir de ce match, confiants dans les capacités de notre équipe à bâtir sur les fondations de cette soirée. 7 buts ! Incroyable, non ?

Ce 7-2 était un sommet de gloire. Mais pas le genre de sommet qui entre dans la légende du PSG. Peu de gens se rappellent de ce match somme toute anecdotique, le genre de sommet qu’on pourrait plutôt assimiler à un pic sur un encéphalogramme plat. C’était un festin de but et comme lorsque l’on a trop mangé on s’endort. Le PSG s’est senti ce soir-là un potentiel pour faire mieux que d’éclater Rosenborg, il s’est imaginé un destin européen, peut-être pérenne. On connait la suite et la suite n’a pas encore pris fin. Depuis, ils dorment, repus, ils ont fait bombance. Et le recrutement de Neymar a été le jalon complémentaire et spectaculaire à cette dépense qui dure et qui dure depuis quinze ans, sans parler de l’arrivée de Messi, le radin assis sur des centaines de millions incapables de retourner à 33 ans la faveur que le Barca lui a faite de lui signer 5 ans avant le plus gros contrat de l’histoire du sport. Il terminera comme Beckham, dans le ventre des convives de Nana.


Mehdi C.

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