Des retrouvailles princières

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Je n’imaginais pas, en réservant la date de ce PSG-Strasbourg comme remboursement de places annulées suite au COVID, que ce match donnerait lieu à la présentation
au public de Lionel Messi. Et que ce qui ne devait être que l’occasion de retrouvailles avec le Parc des Princes après une trop longue pause
tournerait au voyage en pays inconnu.

À chacun son Parc des Princes. Le mien est celui des années 2000, question de génération. Si notre rencontre date de l’époque Raí – Weah – Ginola, je me suis abonné bien plus tard et n’ai appris à bien connaître notre stade qu’au temps des Anelka – Okocha – Ducrocq, pour le perdre de vue après le plan Leproux. Inutile de vous dire qu’en une douzaine d’années de fréquentation continue, on en construit des anecdotes. Alors depuis, chacune de mes visites dans l’antre du PSG prend des accents de réunions d’anciens amis. On met quelques minutes à faire tomber la gêne, on se remémore nos émotions passées, on rigole en vérifiant du coin de l’œil si l’autre ne serait pas un peu devenu chauve depuis la dernière fois, et on finit ivres morts, en se jurant que cette fois, promis, on mettra moins de deux ans avant de se revoir, obligé.

Bon, eh bien pour ce PSG – Strasbourg, les choses ne se sont pas tout à fait passées de la même manière. Tout avait pourtant bien commencé, porte de Saint-Cloud, au pied de l’église, meilleur site de people watching du monde. Plaisir absolu de voir défiler les flots de Parisiens vomis par la bouche de métro : des maillots Messi, des Hechter vintage, du Neymar version jaune fluo (mais qui s’est dit un jour que c’était une bonne idée de mettre 150 balles là-dedans ?), des jeunes, des filles aux jambes bronzées, des anciens, à 18 heures à peine la marée rouge et bleu envahissait déjà tout le quartier, sous le soleil.

Une ambiance de début de saison en mode déjà vu. Les supporters gagnés par l’excitation de la présentation des recrues n’avaient que Messi à la bouche, et parce que l’on a les références que l’on a, je m’imaginais déjà l’Argentin faire le tour des tribunes bras nus et jambe du survêtement relevée, un gilet en peau de chèvre négligemment jeté sur les épaules…

Sauf que pour assister à cet édifiant spectacle, encore fallait-il parvenir à les rejoindre, ces tribunes. Quand vous êtes un ancien, vous maitrisez les trucs. Quel barrage de police est engorgé de supporters égarés, quelle rue il faut éviter, vous connaissez jusqu’au guichet qui fonctionne mal et le rang qui avance le mieux à la fouille. Privilège de l’expérience. C’est donc le front haut et le visage un peu méprisant pour la foule de néophytes que je me présentais aux abords du Kop de Boulogne (ou plutôt devrais-je dire de « Boubou »…), m’imaginant fendre une foule à demi médusée par ma prestance et la classe de mon maillot Pauleta.

Est-ce que ça s’est passé comme ça ? Alors là pas du tout. Pas du tout parce que déjà, croyez-le ou non, j’ai entendu un gamin demander à son père si mon maillot était un fake sorti de chez Ouish™, cette éducation que les gens donnent à leurs gosses de nos jours, faut pas s’étonner que le niveau s’effondre. Mais en plus, pas moyen d’avancer. Un tas bien compact de supporters, des CRS la main sur la gazeuse, des blocs de ciment qui bouchent le passage, des stewarts dont je n’ose imaginer le régime alimentaire, des hôtesses charmantes qui vous indiquent le chemin dans un petit guichet, et… Attendez ?

Des hôtesses ? Des hôtesses dans un guichet, dans la rue devant Boulogne, pour indiquer le chemin ? M’enfin mais de quoi t’est-ce donc ? Depuis quand on a besoin qu’on nous indique le chemin ? Que celui qui n’a jamais erré sans fin autour du Go Sport et des dealers de merguez crues de la station-service me jette la première pierre : ON N’A JAMAIS VU ÇA ! C’est clairement un rite initiatique pour tout Parisien qui se respecte : il faut s’être paumé aux abords du Parc au moins une fois dans sa vie ! Ne serait-ce que pour pouvoir ensuite se moquer de ces péquenots qui n’arrivent pas à trouver la tribune A, la honte… Alors que la tribune A, chacun sait que… M’enfin mais de quoi t’est-ce donc ENCORE ? Ils ont changé de place la tribune A !?! Ils ne respectent donc rien…

Et le blocage au pied du stade de perdurer. Encore. Encore. Encore. Vieilles blagues au sein de la foule, on s’interpelle gentiment, attendant l’inévitable petite vague, portée par le chant adéquat. Sourires à gauche, petit mouvement à droite, les vieux sentent monter le truc et se campent sur leurs jambes, quand le chant retentit enfin : « ça va pousséheuuuuu, ça va pousséheuuuu… ». On frissonne un coup, remontant quelques années en arrières, avant que… rien. Pas de poussée. Pas de gros bourrins qui s’excitent. Pas de vague. Et dans le silence, une clameur qui monte pourtant, loin derrière.

Des bruits indistincts, étouffés. On jurait entendre une foule, des cris. Et parce que la rumeur augmentait, se rapprochant, le groupe de supporters englués se retourna comme un seul homme. Le supporter parisien, curieux, cherchait à savoir de qui viendrait le prompt renfort.

Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l’offensive et presque la victoire ;
Il tenait le CRS acculé sur un bois,
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit : « Léomessi ! » – C’était des camions publicitaires.

Deux camionnettes, recouvertes d’écrans éructaient au travers d’enceintes géantes les enregistrements d’une foule. Vous aveuglant de vidéos de la dernière recrue, elles venaient de déboucher de la rue parallèle au Parc. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, et chacun attendit placidement qu’on lui permit de passer pour rejoindre sa tribune, comme un âne.

Un peu déboussolé mais heureux, ayant fini par franchir mille fouilles plus ou moins sanitaires, j’assistais enfin depuis mon petit strapontin au show que vous avez tous pu suivre en mondovision. Sagement assis, comme les autres, j’applaudissais à tout rompre la énième meilleure recrue de toute l’histoire de mes années de supporter, tout en agitant le drapeau offert par monsieur Nasser, filmant la scène avec mon smartphone, ce qui suppose d’avoir encore plus de mains qu’un pervers de la ligne 13, si vous comptez bien. À côté de moi, un père de famille portait à ses lèvres une briquette d’eau UHT estampillée « Premium Water » pendant que ses filles savouraient leur part d’une pizza dont le prix aurait sans doute permis de rembourser la moitié de la dette de la mairie de Paris.

Le speaker déroula le nom des joueurs strasbourgeois sans qu’un seul supporter imagine seulement leur prêter des mœurs que reprouve encore l’Église. Puis, devant un public attentif et bon élève, Michel Montana nous prévint : à la fin du match, il faudrait rester assis, mains sur les genoux. Les braves stewards feraient alors œuvre de pédagogie pour nous expliquer qui pourrait se lever et quitter le stade, en bon ordre. Une évacuation tranche par tranche… Et les gens applaudirent.

On leur annonçait que quoi qu’il advienne, il ne serait pas question de sortie joyeuse ou colérique, chantante ou abattue. On leur annonçait qu’ils étaient privés de ce qui a pu nous laisser parmi les meilleurs souvenirs d’une vie de supporters (remember le but de Pastore et la sortie après Chelsea…). Et ils applaudirent.

Il fallait se rendre à l’évidence, depuis qu’on s’était quittés, le Parc des Princes a changé. Il roule désormais avec un coffre de toit, il a un chien, trois gosses qui vont à l’école internationale et s’habillent en Cyrillus. Désormais ce vieux frère, ce compagnon de soirées qui hésitaient entre bonheur absolu et indicible tristesse se couche tôt parce que demain il faut aller au marché et après 9 heures, tu vois des légumes bio il n’y en a plus. Cet ami trop peu fidèle, cette relation qui m’avait mille fois entraîné sur des pentes que réprouvent à la fois la morale, la médecine moderne et ta maman, s’était rangé. Alors il gagne bien, il attend la golden hour pour faire de jolies photos de couple sur Insta, il a un boulot avec des responsabilités. Et franchement, plus j’y pense, plus je me dis que sa nouvelle vie a quand même l’air sacrément chiante.


Arno P-E

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