Docteur Marqui & Mister Luan Virage PSG

Docteur Marqui & Mister Luan

par

Qui dit déconfinement ne dit pas reprise des compétitions.
Et dans toutes les conférences de rédaction, sur tous les sites de foot, ça rame dans son coin pour trouver du contenu : pas de match, pas de marché des transferts, certains vont finir en mode torticolis à force de pondre des « Retour sur… ».

Mais pas Virage. Pourquoi ? Parce que même si l’actu des joueurs du PSG est à l’arrêt, on n’a aucun remords à leur en inventer une. Et même si on sait pertinemment qu’on s’éloigne de toute trace de vérité, on se dit qu’au fond,
peut-être bien que d’une certaine manière on tombera juste.

Marquinhos redresse encore une fois l’écran de son Mac pour recadrer son image. Il l’avait un peu baissé tout à l’heure, pour que la lumière soit plus forte, mais quand il se rapproche de la caméra, on ne lui voit plus le haut du crâne.

Ou alors il reste adossé à son fauteuil ?
Il se dit que s’il reste adossé à son fauteuil,
c’est bon, la docteur elle le verra bien.

Marquinhos rabaisse l’écran de son Mac, pour que la lumière soit plus forte, juste un peu, et se recule dans son fauteuil. Comme ça oui, c’est mieux, voilà. À y regarder de plus près, il n’est pas tout à fait adossé d’ailleurs. En a-t-il conscience ? Il reste tendu, le dos à quelques centimètres à peine du dossier. 14h03 à l’horloge de l’ordinateur. Déjà trois minutes de retard sur le début de la séance, la psy n’est pas à l’heure. Marqui n’aime pas trop qu’elle soit en retard. Pas trop du tout. Elle lui a déjà expliqué que c’était à cause des autres patients, qu’il n’est pas toujours possible d’interrompre pile à l’instant prévu…

Lui, il a dit pas de problème,
il peut payer deux séances la suite,
pour être sûr qu’elle soit bien de l’horaire pile,
et que ça ne lui dérange rien…
Mais elle, elle veut pas.

« Vous êtes un patient comme les autres M. Aoás Corrêa, et vous avez besoin de moi comme les autres. Pas deux fois plus. Donc vous payez pareil que les autres et vous me verrez autant. Vous n’aurez qu’un créneau. » Bon… Le dos de Marquinhos est droit. Ses épaules contractées. Les minutes tournent. Il fixe l’écran avant de se rendre compte qu’il tapotait le tapis de souris de l’index.

Allons allons,
il ne devrait pas s’énerver autant comme ça,
ça ne sert de rien.

Il repose ses mains à plat sur le bureau de la chambre d’amis. Du coin l’œil il cherche une nouvelle fois s’il a bien tout réglé. Oui, la porte est fermée. Oui, la lumière bien dirigée. Oui, le cadrage vidéo. La fenêtre. Les mains. Et le silence. Ses yeux scrutent.  14h07, l’écran s’anime. La bouche de Marquinhos sourit. Ses dents lui ont coûté assez cher, il peut se permettre cette politesse. Avant il n’osait pas, mais sa mère lui disait qu’un garçon bien élevé devait sourire, alors quand la psychiatre apparait, la bouche de Marquinhos sourit.

« De quoi voulez-vous me parler aujourd’hui ? » Marquinhos hésite. Il ne sait pas. Il se rend compte qu’en fait, il n’a pas trop réfléchi à ça.  « Le déconfinement, une possible contamination au Camp des Loges, cela vous fait peur ? » Marquinhos réfléchit.

Peur, non. Il a lu les feuilles des textes de l’équipe médicale.
Les rotations entre les groupes c’est prévu.
Il comprend le système de flèches sur le sol, pour circulation.
Les zones de la lavement des mains qu’il a repérées sont rationnellisées,
et la désinfectation du matériel (ballon, chaussures, chasubles),
c’est très bien.
Tout ça paraisse sous contrôle.
Donc non Docteur, il n’a pas peur avec ça.
Le déconfinement, oui, un peu d’angoisse, la décontamination, non.

« Intéressant. Mais alors quel est l’aspect du déconfinement qui vous… angoisse ? » Marquinhos fait face à la caméra. Sans même baisser les yeux, il sent la surface du bureau sous ses paumes. La légère crispation de ses doigts. La sudation, infime. Il raconte qu’il sait, qu’il sent que dès qu’il quittera sa maison pour retrouver le groupe, il sera tenté. De nouveau. « Oui, c’est bien… Qu’est-ce qui vous tentera, M. Aoás Corrêa ? »

Il dit il va retrouver le groupe,
ils vont s’entraîner sur du physique pour reprendre le rythme.
Comme il a demandé les plannings des séances donc il le sait.
Aucun problème, le physique c’est du contrôlé.
Mais très vite, il y aura les ateliers, les jeux de ballons.
Et ils vont compter les points, oui.
Alors là…

« Continuez… ». Son dos le tire un peu. Il sent le souffle léger de la clim sur sa nuque. Il l’avait programmée, évidemment. Pour éviter le stress.

Il n’y avait plus de compétition.
Plus de classement depuis 52 jours.
Mais maintenant il va devoir retourner, recommencer de faire les duels.
Et de se retenir.

Mon Dieu, sa bouteille n’est pas là. La main gauche de Marquinhos la cherchait machinalement, mais la bouteille d’eau n’est pas là. Il aurait dû la poser à sa place. Il a oublié de la poser à sa place ! « Vous retenir de quoi ? Dites-le ! ».

C’est de compétiter.
Il appréhende la reprise de compétiter.
Il sait qu’il faut se battre pour gagner.
L’autre, il le lui répète TOUT LE TEMPS.
De battre, d’être le meilleur, c’est tout ce que l’autre sait lui dire !
Mais Marquinhos connait qu’il faut accepter aussi la défaite.
Accepter d’être battu, parfois. Sans s’énerver.
Garder le contrôle. Le garder sous contrôle.
Marquinhos devra recommencer à le gérer.

Il ne quitte pas la caméra des yeux. Voit-elle qu’il transpire ? Qu’est-ce qu’il a soif… « De qui parlez-vous ? Qui vous dit d’être le meilleur ? Qui devez-vous gérer ? »

Lui, l’autre là ! Comme toujours !
Elle le sait très bien qui c’est.

« Dites-le M. Aoás Corrêa ! Vous devez le dire. » Le hurlement lui échappe alors que ses poings frappent le bureau.

LUAN !
Lui !
Luan !

« Luan ? Votre frère ? Vous êtes sûr ? D’accord… Alors parlez-moi de ce frère. »

Il lui dit qu’il en a marre. Marre de ses tweets, de ses publications Insta.
Que au départ oui c’était drôle, de le voir délirer et se chambrer des équipes adverses,
parce que Marquinhos il n’ose pas dire ces choses-là.
Alors ça le soulageait.
Et puis c’est son frère, il doit respecter. Mais maintenant il en a marre.
Lui il fait attention, il pose toutes les limitations,
toujours à faire gaffe et Luan au lieu de montrer les exemples du grand frère,
il passe après derrière et il fait de la provocation n’importe comment ?
Ça suffit.

Ses mains brassent l’air. Le fauteuil s’est décalé et l’écran a bougé. Quand il se voit, Marqui se reconnait à peine. Les veines gonflées, prêtes à éclater, les joues déformées par la rage. Il sent qu’il parle moins bien, que la colère modifie déjà sa voix. Ce visage dans l’écran lui est insupportable. Il faut que ça sorte. Que tout sorte. « Avez-vous remarqué que finalement, ce que Luan fait, c’était ce que vous vous interdisez de faire ? »

Le fauteuil tombe, alors que Marquinhos bondit et se dresse, le poing face à la caméra. Non ! Il entend les bruits derrière la porte. Elle les a prévenus. Elle veut le faire parler pendant qu’ils arrivent… Évidement. Sauf qu’ils ne savaient pas qu’il avait une autre clef… C’est fermé, eh oui. Il s’est enfermé ! Alors il hurle, si il veut. Et ça fait du bien !

Comment peut-elle lui dire ça ? Elle ne comprend rien.
Oui il aimerait aller au Virage Auteuil, comme l’autre, mais lui il ne peut pas.
Marquinhos il doit toujours contrôler l’image, et pas de risque. Pas de vague, jamais.
Toujours poli. Toujours sous contrôle.
C’est Luan qui peut crier, Luan qui peut insulter, Luan qui peut se défouler.
Lui, jamais. Et c’est pas juste !
Elle ne voit pas qu’il ne le supporte plus ?
Assez que Luan lui il a le droit de tout faire.
Toujours là, toujours là, à le provoquer, le narguer.
Il ne peut s’en débarrasser que lorsqu’il va s’entraîner, ou jouer…
Et encore, de plus en plus souvent Luan le rejoint maintenant.
Juste tranquille pendant les matches.
Juste là.
Mais elle comprend pas que dès le demain, au réveil,
Marquinhos devra rattraper toutes les conneries que Luan il aura faites pendant la soirée.
Toujours pareil.
Il le hait.
Maintenant il le hait !

« M. Aoás Corrêa, je croyais que nous avions dépassé ce stade d’extériorisation de la colère. Je pense que nous devons réajuster votre traitement… ». Le souffle manque à Marquinhos qui cherche des yeux l’ordinateur… Bon sang, il a lancé le bureau contre le mur ? Il a l’impression de peser cent kilos. L’énergie qui traverse ses muscles le consume. Comme si son corps ne lui appartenait plus. Comme s’il changeait, se transformait. Ils sont en train de défoncer la porte. Cette imbécile ne voit rien ? Son traitement… Elle n’entend pas que c’est Luan qui ne veut plus qu’il le prenne son traitement ?

Il dit que ça nous gêne les réflexes !
Il refuse le traitement pour nous.
Ça nous ralentit nos actions en match.

Alors qu’il se retourne vers la porte, pour attendre le personnel envoyé par le club, Marquinhos entend sa femme tenter de rassurer leurs enfants. Il les entend pleurer. Et Luan qui lui chuchote qu’on s’en fiche. Qu’ils en retrouveront une autre. Son frère lui murmure qu’il faut se préparer maintenant. Avant que les infirmiers ne franchissent l’ouverture.  Derrière eux, l’ordinateur gît, l’écran défoncé. Seuls les haut-parleurs crachouillent encore vaguement…

« M. Aoás Corrêa, je ne vous vois plus ! Nous en avons déjà parlé et il faut que vous l’acceptiez, sinon vous ne progresserez pas. Vous n’avez pas à être parfait. Vous n’avez pas à tout contrôler. Vous aussi, vous pouvez lâcher la pression de temps en temps. C’est en vous. Et ce n’est pas la faute de Luan. C’est dans votre tête. M. Aoás, vous devez affronter la réalité : vous n’avez jamais eu de frère… C’est vous ! M. Corrêa ? ».


Arno P-E

Laisser un commentaire

Découvrez les articles de