Kylian est mort, vive Mbappé

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Je me suis réveillé habité par cette troublante certitude : Kylian est mort hier.
Un de ces cauchemars qui garde ses ongles plantés dans vos premiers battements
de paupières et vous poursuit bien trop longtemps, au fil de votre journée…

Je l’ai vu, je pourrais le jurer, je l’ai vu. Son corps sans vie. Mon esprit, encore embué s’est attaché à décrire l’image sidérante. Sans montrer la moindre pitié, il m’a infligé tous les détails susceptibles de me convaincre, pour dépasser ma stupeur. Pour ne me laisser aucune chance d’échapper à la nouvelle. Kylian gisait sur le dos, allongé dans cette pelouse made in England du Parc des Princes, les mains sur la poitrine. Je l’ai vu en noir et blanc, ses yeux fermés, en short et maillot de nos couleurs. Un Kylian de match mais arrêté, le visage pétrifié dans un mélange de douleur et d’abattement. Mort. L’immobilité de ce corps, sa raideur, déjà, le froid d’une peau de marbre : la dépouille avait l’exacte pose de ces statues de chevaliers que l’on peut croiser sur les tombeaux des églises médiévales. Un gisant. Le souvenir d’une image fixée pour l’éternité, surplombant un corps avouant sa défaite face à l’épreuve du temps. Kylian est mort hier. Et la journée de commencer avec ce poids.

Il faut écarter la couette qui pèse désormais des tonnes. Poser ses pieds nus sur un parquet sans consistance. Se lever. Cela semble impossible. Nous ne le reverrons plus. Parce que l’ironie de ce cauchemar, l’horreur de la chose, c’est que justement ce n’est pas un rêve. Oui, il va falloir affronter cette vérité : mon esprit ne m’avait joué aucun tour. Ce Kylian là est vraiment parti.

Voilà nos vies désormais. Devoir porter cette écrasante vérité alors même qu’on sent son corps privé d’énergie : Kylian ne rira plus de son air de garnement après avoir marqué, mi désolé, mi fripon. Plus jamais. Comment avancer face à cette injustice ? Il ne courra plus dans le dos de défenses sidérées par sa vitesse. Il ne tissera plus ses charmes d’enfant à des journalistes conquis d’avance. Tout est passé, sans espoir d’y pouvoir changer quoi que ce soit. On ne remontera pas le temps, ce Kylian nous a quittés. Voilà… Et désormais nous devrons tous marcher accompagnés de cette tristesse, lui le premier. Kylian est mort hier. À Mbappé de prendre le relais maintenant.

L’analyse des derniers matches est sans pitié : les défenseurs ne se laissent plus prendre. Le charme de la vitesse pure n’hypnotise plus, il ne suffit plus à entretenir les stats de buts que le champion du monde connaissait les saisons passées. Et les journalistes ont assimilé la désarmante alliance de l’ambition et de la finesse de Kylian. Tout cela a vécu. La fraîcheur, l’éclat de la jeunesse se sont évanouis. Tout ce qui faisait la spécificité du génie Kylian s’est écoulé entre nos doigts, comme du sable trop fin. Maintenant que le gamin s’est épaissi, sa morphologie n’évoque plus la fragilité mais la puissance. Les traits du visage se sont durcis. L’âge de l’insouciance est révolu.

Il n’y a qu’à le voir sur les terrains depuis son retour de blessure pour comprendre que tout est devenu plus difficile pour lui. Il récupère moins vite. Les adversaires ont été prévenus et s’adaptent. Les supporters se sont habitués et demandent aujourd’hui davantage. Ces courses qui paraissaient pourtant surréalistes la saison passée n’amènent plus à retenir son souffle. Oui, c’est Mbappé, il sait faire ça, on le sait, alors merci pour cette course balle au pied mais la question c’est est-ce qu’après il va réussir sa frappe ou pas ?

Kylian et Mort Virage PSG
Kylian qui rit, Kylian qui pleure ? © Luc Braquet

Mbappé va devoir dépasser les qualités extraordinaires de Kylian, et en faire ressortir autre chose. Parce que le gamin est mort. Et tout est à retravailler. Le jeu : trouver son poste, arrêter ces dribbles qui ne lui réussissent pas, faire progresser son jeu de tête. Miser sur ses qualités et combler ses défauts. L’image : faire oublier le gamin lisse, tout mignon, trop bien élevé, pour dévoiler l’adulte et ses défauts. Passer du Kylian qui fait la fierté de sa maman au Mbappé qui fait la misère à celles des défenseurs.

Le gosse avait toutes les qualités pour réussir cette mue : une mentalité de gagneur, une énorme ambition, un talent et une précocité jamais vus. Mais Kylian est mort hier. Et aujourd’hui Mbappé traîne entre deux mondes. Il lui faut passer de l’autre côté. Accepter de renier son ancienne vie, pour trouver la force d’avancer. Le plus simple pour lui serait de tenter sa chance ailleurs. Un nouveau club pour une nouvelle vie. Fresh new start. Mais le plus beau serait de franchir ce palier au PSG. Dans son royaume. Travailler, persévérer et avec un peu de temps et de patience, offrir aux supporters parisiens le Mbappé 2.0.

Kylian Mbappé est un joueur à part. Cela ne changera pas. Il faut juste accepter de le voir grandir, lui laisser cette liberté. Parce que désormais, l’homme a besoin de place. Alors peut-être qu’il gueulera davantage sur le terrain, oui il était plus réservé avant. Peut-être qu’il exigera un statut au sein de l’équipe, que l’on mette davantage en valeur ses qualités de percussion. Oui, il était plus humble avant. Mais voulons-nous d’un joueur modeste ou d’un champion ? Peut-être qu’on le verra en soirée, accompagné d’une blonde ou d’une autre. Oui, on ne lui connaissait aucune relation avant, et il s’en vantait. Mais voulons-nous d’un eunuque frustré ou d’un homme équilibré, qui assume sa vie amoureuse ?

Peut-être que cette période compliquée pour lui s’étendra encore quelques semaines. Aujourd’hui on lui demande plus. Laissons-lui du temps. Il faut accepter que Kylian meure, pour que Mbappé le remplace. Plus puissant. Plus râleur. Plus sombre peut-être, plus vicieux, en un sens. Comme tous les hommes, Mbappé a droit à sa part d’ombre… surtout au regard de ses qualités lumineuses, qui elles ne changeront pas. L’homme a des valeurs. Il ne trahira jamais ses ambitions : gagner, et faire gagner. Il ne trichera jamais avec ses couleurs : donner son maximum et se dépasser. Il ne se cachera jamais sur le terrain et s’il échoue, ce sera toujours en ayant tenté, jusqu’au bout. S’il manque de fraicheur ce sera pour avoir voulu revenir trop tôt. S’il peine ce sera après avoir trop donné. Parce qu’il a la victoire dans le sang.

Malgré ses dons, ne demandons pas davantage à ce joueur qu’à un autre : qu’il mouille le maillot. Qu’il ne nous mente pas. Et acceptons sa vérité, même si parfois elle nous dérange. Alors nous ne serons jamais déçus. Laissons-lui la place de s’épanouir ici, dans sa famille. Affrontons la réalité : Kylian est mort. Vive Mbappé.


Arno P-E

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