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Le saut de l’ange

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Ligue des Champions en mode cordon sanitaire oblige, il est quasiment impossible
de savoir ce qu’il se passe exactement au sein du groupe parisien.
Mais cela n’empêche pas d’en rêver. De s’imaginer à leur place.
Et qui sait, peut-être que l’on tombera juste ?
Aujourd’hui, portrait de Di Maria, l’homme qui ne voulu pas devenir un ange.

Angel passe la main sur le miroir de la salle de bain pour en effacer la buée. Il étudie son reflet. Serviette autour de la taille, il réajuste sa mèche de cheveux et retourne dans la chambre du centre d’entraînement. Un coup d’œil sur son lit pendant qu’il serre son chrono à son poignet : le costume est prêt, la chemise aussi, il est dans les temps. Un sourire anime son visage pendant qu’une pensée saugrenue traverse son esprit. Si elle le voyait, bien peigné, bien propre, sa mère serait contente de lui. Tant mieux, c’est pas si souvent ! De toutes façons, que voulez-vous faire, une fois que votre mère a décidé de vous prénommer Angel ? Amusé, Di Maria ouvre la fenêtre de sa chambre, et pose les mains sur le cadre. Comment voulez-vous être à la hauteur du désir que cela cache ?

Les dimanches matins, le petit ange portait les habits qu’il ne fallait pas abîmer. Il assistait à la messe dans l’église débordante de statues, sur-recouverte de peintures, et les modèles étaient partout. Des anges, et des anges et des anges, à qui sa maman donnait vie en lui chuchotant leurs aventures. Des chérubins aux fesses pleines de cellulite portant la palme à des martyrs un peu trop sublimes. Des archanges descendants des cieux annoncer à une Vierge abasourdie la naissance divine. Et lui, assis à demi sur son banc de bois ciré, les pieds remuants de leur propre volonté, le bermuda déjà poussiéreux de la partie de foot d’avant messe. Lui qui n’écoutait rien d’autre que ses plans pour la seconde mi-temps.

Angel Di Maria. Rien que ça ! Avec ses oreilles décollées, son nez trop long et sa mère qui d’une main mouillée de salive tentait de lui plaquer son épi sur le crâne. Le tout surmonté d’un baiser devant les copains et d’une remarque extrêmement pas discrète pour lui dire qu’il était le plus beau. Qu’il était son ange… L’ange de Marie !

Allez, à l’évocation de ce souvenir Di Maria se marre franchement. Sa fenêtre surplombe les terrains d’entraînement désormais vides, quoiqu’il arrive le PSG quittera le Portugal demain. Et pour la dernière fois, le vent lui apporte l’odeur de l’herbe coupée. Sa peau encore mouillée de la douche en prend la fragrance. Ses tatouages en prennent la saveur. L’ange frissonne. Lui préfère rôtir dans les fortes chaleurs. Comme elle a pleuré la Mama quand il lui a montré ses tatouages, la pauvre ! Angel l’a embrassée, hilare. Il lui a dit qu’il l’aimait, que c’était comme un remerciement pour elle. Pour lui dire que finalement il acceptait son choix. Qu’il serait toujours son ange à elle, malgré tout. Même si ce n’était pas exactement celui qu’elle avait imaginé…

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Un enfer rouge et bleu © Panoramic

Il faut dire qu’Angel n’a jamais été très sage. Parce qu’il appréciait un peu trop le goût des matches de foot dans les rues. Il n’a jamais été doux non plus. Parce que, ma foi le goût des chocs avec les gars plus grands que lui l’avait vite enivré. Jamais gentil. Parce que le plaisir de gagner. À tout prix. Quitte à faire mal. Quitte à se battre. Quitte à revenir en sang. Du moment que l’adversaire était battu, et qu’on pouvait fêter ça. Alors les ailes dans son dos, c’était pour demander pardon.

« Pardon de ne pas être celui que tu souhaitais maman. Pardon de ne même pas avoir essayé. Dès le départ c’était trop dur. Pardon de ne pas t’avoir écoutée maman. Pardon de t’avoir fait pleurer maman. Mais si seulement tu savais combien ton ange est heureux, maintenant ! »

Il se voit, dans l’encadrement de la fenêtre. Il sait à quoi ressemble son dos, face à la lumière de la fin d’après-midi. C’est cette photo. Quand il était monté sur la rambarde en béton, en haut de la tribune, après Dortmund. Il y a des mois ! Tout le monde lui avait crié dessus. Angel, redescend, tu vas te tuer ! Et lui qui gueulait, hurlant de joie, avec les supporters. Il lui aurait fallu un fumi. Bien rouge. Le lendemain, sa sœur l’avait appelé, la gorge nouée. Maman a vu la vidéo, on a eu tellement peur… Angel, tu veux la tuer ? Il avait ri aux larmes, lui disant de l’embrasser fort fort fort. Comment aurait-il pu tomber ? C’était tellement bon !

La tête rejetée en arrière, il prend encore quelques rayons de soleil avant d’enfiler sa chemise. Et le plaisir qui l’inonde. Lui seul pouvait rester debout au bord du Virage. C’est dans le pacte. Les autres qui sont grimpés se sont vite assis. Lui, il aurait pu s’envoler. Parce que c’est ce que font les anges. Même les anges noirs. Il est temps. Angel embrasse ses doigts, et dans un dernier clin d’œil adresse une pensée à sa mère. Pas une prière, n’exagérons pas, ce serait de mauvais goût. Ce soir c’est la finale. Alors il va s’envoler. Il va sauter, enfin. Depuis le temps qu’il patiente, sur cette rambarde. Aucun match ne comptait. Même la demi-finale. Même la passe à Marquinhos, parfaite. Même le deuxième but, le sien, celui qui tue l’adversaire. Il n’y a que ce prochain match pour se révéler vraiment.

Il faudra que maman le regarde, ensorceler le ballon. Elle comprendra. Elle n’aimera pas, mais elle comprendra : elle verra qu’il aime ça, courir vers le but, et renverser un défenseur qu’il aurait pu éviter, juste pour récolter la faute. Chercher l’affrontement. Oui, elle lira sur ses lèvres l’insulte obscène pendant qu’ils se redressent. Celle qui salit qui l’entend et qui la profère. Elle comptera chacun des dribbles de son fils, même les plus inutiles, même les plus démoniaques. Ceux qui ne sont là que pour marquer l’adversaire, lui montrer qu’on le domine. Qu’on fait exprès de l’humilier. Et elle aura peur des coups qu’il cherche. Et elle aura honte des coups qu’il donne. Et lui de rire, et de rire… Il a sauté, enfin. Il a déployé une paire d’ailes noires incongrues, il vole au-dessus de ses adversaires, et son ombre qui les écrase porte le nom terrifiant : défaite.

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Mi Angel mi Presnel © Panoramic

Angel finit de boutonner sa chemise. Il est comme il a choisi d’être. Il a une coupe à aller chercher. C’est le pacte. Il sort dans le couloir, son sac sur l’épaule. Une coupe aux oreilles plus grandes que les siennes, faut le faire ! Kimpembe est devant lui, qui attend l’ascenseur. Une coupe pour laquelle certains donneraient volontiers leur âme. Dommage que Di Maria n’ait plus la sienne depuis longtemps. Kimpembe se retourne, surpris. Surpris et un peu inquiet. Angel a peut-être ri un peu fort…


Arno P-E

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