Mathieu Zagrodzki, la Pologne à Boulogne

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Vous avez sans doute déjà croisé notre supporter expert-multicartes à la télévision. Mathieu Zagrodzki y donne régulièrement son avis, non pas sur l’emploi raisonné
du 4-4-2 au PSG, mais plutôt sur l’usage de la force publique en France ou aux USA. Mais rassurez-vous, dans cet entretien partagé un jour pluvieux de PSG – Lille,
c’est bien du Paris Saint-Germain dont il sera question.

Homme aux mille visages, Mathieu Zagrodzki se plaît à jongler avec différentes identités. Entre ses cours de sciences politiques à l’université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines et ses rédactions d’expertises sur les forces de l’ordre, il anime un compte Twitter (@MatZagrodzki) dans lequel sont abordés ce que ce supporter du PSG considère être les vrais enjeux du monde contemporain. Dans le désordre : la pizza à l’ananas, la décoration d’hôtels en Pologne, la carrière de Nicolas Cage et, de plus en plus rarement malheureusement, notre club. Et si on commençait par là ? 

Je publie moins à propos du PSG sur Twitter pour deux raisons. La première c’est que j’ai globalement moins suivi le football en général l’an passé. Les matches dans des stades vides, ce n’est plus le même sport. Qu’est-ce qui fait l’essence du football de haut niveau ? Le fait que les joueurs réalisent une grande performance sportive physique, mais dans un contexte anormal. Il n’y a rien de plus anormal que de travailler avec 50.000 personnes qui gueulent autour de toi. La seconde raison c’est que j’ai rejoint une commission de la LFP en janvier. Même si mon rôle n’est que consultatif, j’ai un certain devoir de réserve quant à mes expériences stade et au football français en général.

Plan en deux parties, question rhétorique, débit de parole lent et mesuré, tout y est. Mathieu s’inquiète dans son impeccable chemise blanche : doit-il laisser plus de temps pour la prise de notes ? On croyait échanger avec un supporter, raté, on est tombé chez un universitaire. Alors quoi ? On repose notre part de tarte aux poires (délicieuse), et on se barre ? Bien sûr que non. Déjà parce que la tarte n’est pas finie, et ensuite parce que le Zagrodzki ne cache jamais son jeu bien longtemps… Passons à sa relation actuelle avec ce PSG version 2021. Supporter ou pas ?

Je ne suis plus abonné. Je l’ai été de 2000 à 2010, j’ai arrêté avec le plan Leproux. Même si je vais encore dans des stades, je ne me réabonnerai pas. 

Surprenante remarque, pour un habitué des médias, quelqu’un qui prend le temps de la réflexion. On parle foot, il répond stade. Et le jeu alors ?

Le jeu m’intéresse, bien sûr, mais ce que j’aime ce sont les stades. Chacun a son ambiance propre. Un stade, c’est un lieu de rituels : il y a l’arrivée, ce qui s’y vend, comment on s’y rend, s’il est en périphérie, dans une zone commerçante, dans un parc… Je reste supporter avant tout : focus sur le résultat. Je sais faire la différence entre un bon match et un match fermé, mais si on me demande de choisir entre une partie pourrie que le PSG gagne, ou un beau match que le PSG perd, je n’hésite pas. Pour moi, si tu es supporter, rien n’égale une victoire. Ou un but de ton équipe. Quand je vais voir un Clermont – Lille, comme ce fut le cas récemment, je peux intellectualiser. Pour le PSG… Même si je suis quelqu’un de plutôt réfléchi, là en revanche l’émotion prendra le pied sur l’intellect.

Glissement imperceptible. Sa dernière phrase est venue avec une tonalité différente. S’en est-il rendu compte ? On pose la cuillère, parce que la tarte Bourdalou (de chez Stohrer, on ne se refuse rien) n’a plus la priorité. Mathieu ne parle pas que « enceinte sportive ». Il y a autre chose derrière. Il faut creuser encore. Sa relation au PSG prend-elle la forme d’une exigence de résultats ?

Les comptes seront faits au printemps. Si on se fait sortir tôt, alors on se posera des questions. Tout résultat en deçà d’une finale sera une déception. Mais d’ici là, je ne m’interdirai pas d’être heureux. Si on marque, je gueule. Disons que si je reste attentif et lucide quant à la qualité de notre jeu, je trouve que les réactions du type « ils ont gagné alors qu’ils n’avaient que 47 % de possession et 2,7 expected goals » me gonflent. Cette posture d’expert en beau jeu, c’est à la limite du snobisme. Marseille en 1993 ils battent le grand Milan en finale mais gagnent la C1 après un parcours digne de Benny Hill. Est-ce qu’ils le soulignent ? Non. L’histoire ne retient que les vainqueurs. Pas comment ils jouaient.

La qualité offerte ne déclenche donc pas de réaction passionnée. Serait-ce plutôt une histoire de transmission ? Chez les enseignants, ces valeurs transmises revêtent souvent une importance particulière. Le PSG, un héritage ? 

Mon père supporte le Legia Varsovie : je suis issu d’une famille d’immigrés polonais. C’est avec lui que j’ai découvert le football. Par coïncidence, aujourd’hui c’est ma mère qui va au Parc pour la première fois, je l’ai invitée à ce PSG – Lille. Moi, ma première c’était avec le Racing. Décembre 1987, un Racing – FC Metz. Je crois que Fernandez était blessé. Il y avait tout de même Olmeta, Francescoli, Guérin, Germain. Le Racing n’a jamais été à la hauteur de ses ambitions. Comme quoi, c’est possible d’avoir d’excellents joueurs et de ne rien faire en championnat.

Et voilà. Discours structuré, ton posé, on espérait avoir enfin attrapé le Mathieu Zagrodzki supporter du PSG, et alors que l’on aborde le thème de la famille, pourtant souvent propice aux confidences, on retrouve le pro de la rhétorique. Voyons tout de même cette première fois, au cas où…

Je jouais au PUC, et je suis allé au Parc des Princes avec mon club pour l’arbre de Noël. J’avais gagné ma place lors d’un tirage au sort. Je me souviens avoir crié de joie, à l’idée que j’allais voir des joueurs de football en vrai. J’avais 9 ans et je n’oublierai jamais. Quand tu arrives aux abords du Parc, la nuit alors qu’il est éclairé… Du dehors, depuis le trottoir on aperçoit déjà des bouts de tribunes. Je vois l’intérieur du Parc par les ouvertures qui mènent aux sièges. Je suis ébloui. J’ai été comme frappé par ces traits de lumière qui sortaient du stade… 

Petit frisson. Grand silence, le nez dans le carnet de notes. Autant laisser le gamin des 80’s remonter seul à la surface. Quand Mathieu reprend la parole, à Paris le Qatar n’existe pas. Chirac est encore maire et au PSG, c’est Borelli qui invite les Parisiens à venir en tribunes sauver leur club…

En 88-89 j’ai tanné mon père pour retourner au Parc. À force il cédait et m’y emmenait trois fois par an. Mon plaisir c’était de retrouver l’ambiance du stade. Là, je suis supporter du Parc des Princes. Même aux 3/4 vide c’est une enceinte incroyable. Côté ambiance, il y a Boulogne, avec ses bons et ses mauvais côtés. Les lancers de sièges, les incidents sérieux aux abords du stade. Une dualité avec ce côté limite coupe-gorge dû au hooliganisme, mais en même temps très familial. Tu te présentes au guichet, à l’heure du match, de toutes façons c’est pas la peine d’acheter tes places avant, et là le gars derrière la vitre te dit « non, non, le gamin il rentre gratos, au pire s’il y a trop de monde vous le prenez sur vos genoux ». 

La porte était là, évidemment, depuis le début. Au Parc des Princes. Et il suffisait d’y retourner. De le laisser en parler.

Pour un enfant le stade, c’est le sport de haut niveau, mais c’est aussi l’immensité, le gigantisme. Jamais ailleurs tu ne peux pénétrer dans des bâtiments aussi grands. À 10 ans, à Paris, quel est ton rayon de vie ? 500 mètres ? Tous tes potes habitent dans ton quartier, à Montparnasse pour moi. Vous allez dans la même école, vous jouez dans les mêmes jardins. Alors gagner la Porte d’Auteuil c’est une expédition pas possible. On prenait soit le 62, soit le taxi, quand on était pressé. On partait et je ne connaissais plus les rues ni les immeubles. On allait voir les joueurs en vrai.

Séduit par le Parc des Princes, d’accord. Mais Mathieu est allé bien plus loin dans sa passion pour le club. Qu’est-ce qui l’a transformé en supporter du PSG, au début des années 1990 ?

C’est lorsque j’ai fait mon premier match sans mon père que j’ai réalisé que j’étais supporter. À 15 ans, une bande de copains m’apprennent qu’ils vont au Parc. Je leur dis que je viens avec eux. PSG – Cannes, 1993-94. Boulogne Rouge. Toute la semaine avant, je ne montre rien mais je suis terrifié. Et le samedi je me retrouve à chanter, et à gueuler dans le KOB. J’ai découvert un groupe soudé, uni autour des mêmes chants qui peuvent paraître débiles mais qui me font marrer. Le « paysans, paysans, paysans… » auquel tous les visiteurs avaient droit, c’est plus bête que méchant, je me reconnais dans cet esprit. À Boulogne j’ai immédiatement ressenti une identification : « Je suis Parisien ». Je ne connaissais rien d’autre que Paris en France, mes vacances, si je bougeais c’était en Pologne. Après ça, c’était fini pour moi : le virus m’avait attrapé. C’est ce stade qui m’a fait supporter.

Supporter, oui, mais pas de n’importe quel club, ni dans n’importe quelle tribune. Comment compose-t-on avec les spécificités du KOB de cette époque ?

En 1994, quand je suis arrivé à Boulogne, j’étais debout à côté de gars qui avaient sans doute fait les finales de 82 et 83. Des mecs qui se tapaient des déplacements traquenards pour leur club à Nantes, au Havre, à Bordeaux. Au KOB j’étais chez eux, alors même si j’étais pas d’accord avec eux, qui étais-je pour me la ramener ? Aujourd’hui j’affectionne les latérales, mais avec tout ce que cela comporte de défauts, je reste un gars du KOB. J’y ai vécu des moments incroyables et des merdiques, mais je ne peux pas renier cette identité. En Boulogne Rouge, debout, j’avoue que certaines phases de jeu il fallait les deviner. Quand ça marquait côté Auteuil on ne voyait même pas la balle, juste le parcage visiteur qui explosait, et nous on n’avait rien suivi de l’action. Cruauté maximale. 

Mais le Parc existe toujours, les virages sont encore là, physiquement. Une nouvelle génération tente d’y rallumer la flamme. La tentation d’y retourner, au moins pour voir, existe-t-elle ? 

Je ne retournerai pas en virage au Parc : je suis trop vieux. Ce ne sont plus les mêmes chants, plus les mêmes gens… j’ai une mentalité de retraité. À Varsovie quand je vais au Legia je vais encore avec les Ultras, mais c’est que là-bas, rien n’a changé. Là-bas tu as la continuité, ici c’est la rupture. J’aime savourer l’ambiance que les gars mettent à Paris. Assis, je regarde leur tifo, je vois mieux. Ca fait partie de l’expérience. Le Parc post-Corona, je l’ai fait une fois, au So-Bar. C’est une loge panoramique, derrière une verrière. On te prend ton manteau et à la place on te met une flûte de champagne dans la main. Pourtant l’atmosphère n’est pas coincée. Et puis c’était PSG-Lyon, une affiche, un super scénario et dans le stade il y avait une belle ambiance. Retrouver le Parc en jauge pleine, pour la première fois depuis février 2020, c’était une grosse émotion…

Pendant ce temps, la pluie a arrêté de battre les vitres. L’heure avance, et les rituels de préparation pour un soir de match ça se respecte. Il est temps de partir, Mathieu Zagrodzki a une boucle à boucler. Un PSG – Lille pas comme les autres à vivre, et à partager.

Je vais passer une bonne soirée avec ma mère parce que le Parc c’est chez moi. Alors je vais lui faire la visite. Je sais où passer, quoi lui montrer. Je pourrai partager avec elle les cris, l’ambiance, le tumulte. Cela me permettra aussi de voir les choses d’un autre œil. Je ne fais pas cela fréquemment alors je vais lui expliquer plein de trucs : les ultras, les loges, les cabines des commentateurs, le parcage visiteur. Je vais me mettre à sa place. C’est tellement génial la première fois… Même si cela fait longtemps pour moi. Et même si ce n’est plus le même Parc.


Arno P-E

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