Mbappé, l’interview idéale

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Si je devais choisir un joueur du PSG avec qui mener un entretien, aucun doute,
je prendrais Mbappé. Il ne s’agit pas ici d’une affaire de « joueur préféré »,
ou de se demander quel client apporterait le plus de visites au site Virage.
C’est plus une histoire de feeling, de personnage. La finesse du bonhomme,
sa folle destinée qui s’accomplit sous nos yeux, il y a autour de lui une aura de prophétie qui ne demande qu’à se révéler… ou à verser dans le tragique.
Avoir Mbappé une demi-heure au bout d’un micro,
ça pourrait donner l’interview idéale.


Killian, tout d’abord, comment allez-vous ?
Ce serait ma première question, obligé. Pas tellement par politesse, mais parce qu’à bien y réfléchir, c’est LA véritable interrogation : comment Mbappé se sent-il, aujourd’hui ? Le voilà, l’enjeu de l’entretien. Tout découle de ça.

Alors évidemment, il y a fort à parier que l’attaquant parisien réponde en pilote automatique : il est là pour le boulot, on ne se connaît pas, et quand un inconnu vous demande au taf comment vous allez, personne ne se met à rentrer dans des détails perso. Le gars est ceinture noire de « sourire malicieux » en plus, bien du genre à me contrer avec un truc style « bien, et vous ? »… Sacré enchaînement pour l’intervieweur…

Pas mal, merci, mais comme je ne viens pas de prendre part à une déception nationale, j’imagine que ça passionne moins les foules que votre propre état d’esprit. Racontez-nous plutôt : qu’est-ce qu’on ressent, après avoir raté un tir au but qui élimine son équipe ?
Tiens, en voilà une question con. Il ne va pas me dire qu’il était super joyeux après la Suisse, ravi d’être parti en vacances l’âme légère, deux semaines plus tôt que prévu. On la retire. Non, il faudrait le lancer sur le registre de ses émotions, mais sans l’agresser. Pas facile : Mbappé y croyait sans doute au moins autant que nous à cet Euro. La violence de l’échec a dû être terrible pour lui.

Vous avez été champion de France, et champion du monde très jeune. Ce parcours, marqué par d’exceptionnelles réussites vous aide-t-il aujourd’hui, alors qu’il s’agît de gérer une période plus difficile ?
Bon, c’est mieux. Et on touche du doigt la problématique de Kylian saison 2020-2021 : affronter la première lourde désillusion, lorsque tu avais pris l’habitude de toujours voler de victoire en victoire. Toute sa carrière, Mbappé a renversé les obstacles qui encombraient sa route, et là, en l’espace de 12 mois, ce tout jeune footballeur a perdu une finale de Ligue des Champions (après avoir lutté comme un chien pour revenir d’une blessure), puis échoué sur la deuxième marche d’un championnat (alors que son club était donné grandissime favori), il a vécu une élimination en demie de LDC (sans même avoir pu jouer le match retour), et il sort de l’Euro en huitième, dans les conditions que l’on sait…

Comment tu gères ça quand jusqu’ici tu n’avais jamais perdu de ta vie ? Ou plutôt quand tu n’avais jamais voulu montrer de défaite à ton public, pour construire ta légende. L’idéal, dans cette entretien, serait de l’amener à réfléchir au story telling du footballeur invincible que son clan a construit pour lui, pour voir sa réaction.

Votre carrière donne l’impression que dès l’enfance vous avez été programmé pour devenir un immense champion. À quel moment avez-vous compris que vous étiez différent ?
On le sait tous : pour devenir footballeur pro, un gamin doit montrer davantage que des centaines d’autres. Même le plus doué d’entre eux, s’il ne croit pas en sa destinée, s’il ne trouve pas des ressources pour passer devant ses camarades, il ne perce pas.

Le petit Kylian mignon, et ses gentils posters de Cristiano Ronaldo, se souvient-il comment ses camarades le percevaient ? Pouvait-il jouer avec eux, à 14 ans, sans arrière pensées ? Était-il encore libre, ce pré-ado, ou bien les tous premiers grains de cette statue de futur meilleur joueur du monde avaient-ils déjà commencé à s’accumuler, et à lui peser dessus ? Très tôt, Mbappé a dû voir les masques de l’envie et de la jalousie recouvrir le visage de certains de ses proches.

Bien sûr, on voudrait pouvoir diriger cet entretien vers des rivages plus gais. Après tout, personne n’interroge Mbappé tous les matins. Mais justement, l’occasion est trop belle, le garçon a l’intelligence et la maturité nécessaires pour aborder ces questions dont aucun champion ne parle jamais pendant sa carrière : les conséquences d’une adolescence quasi exclusivement tournée vers une exigence de résultat. Question suivante tiens, sur les exigences…

Vous avez souvent fait allusion à vos statistiques, les intégrant dans une vision à long terme. Vous êtes-vous fixé des temps de passage ? Des objectifs de fin de carrière ?
À l’image de ses qualités physiques et de son extraordinaire volonté, les ambitions annoncées par Mbappé ont toujours paru hors normes : mi-dissimulées, pour prévenir une image de joueur présomptueux, mi-avouées, pour contribuer au mythe en construction. À son arrivée à Paris, Kylian a sous-entendu qu’il visait le record du nombre total de buts marqués en Ligue des Champions.

Marque d’un plan de carrière hallucinant, l’obligeant à être le meilleur sur plus de quinze ans, au sein des meilleures équipes. Plan d’autant plus dingue que les premières années de Mbappé laissent la porte ouverte à sa possible réalisation. Plan d’autant plus indigeste que personne, jamais, n’avait dressé un tel menu d’entrée, à peine majeur.

Viser aussi haut, sans se permettre des accomplissements intermédiaires, ce serait vivre toute une vie pro privée de satisfactions personnelles dans l’espoir de récolter le méga jackpot en fin d’exercice. Risqué… Avait-il anticipé cela, le surdoué fluet, tout juste démarqué de Monaco ? Et y a-t-il de nouveau réfléchi depuis ? L’a-t-on amené à s’autoriser des micro-réussites, en chemin ? Comment Mbappé gère-t-il les titres glanés au PSG, titres pour lesquels des sudistes à houppette tueraient ? S’autorise-t-il seulement une joie ?

Mais la fin de l’entretien arrive déjà, et on n’a pas abordé la question qui fâche : celle sur son prochain contrat. Évidemment, il l’attend, il s’y est préparé, et il bottera en touche. Reste à trouver la bonne formule…

La poétique : Est-ce que partir, c’est grandir, un peu ? Pas assez claire, il faut avoir la rèf Haraucourt et comprendre le message caché.

La passive-agressive : Quitter Paris avant d’y avoir remporté la LDC ne serait-il pas le plus grand de vos échecs ? Vacharde et peu motivante… On raye.

Celle qui donne à réfléchir : Pensez-vous vraiment que vous seriez plus admiré hors de France ? Un peu dangereuse : après tout il est fort possible que le public anglais soit plus reconnaissant que nous autres froggies.

La vaguement culpabilisante : Avez-vous le sentiment d’avoir rendu au PSG tout ce qu’il vous a offert ? Un peu médiocre, bassement comptable.

La moins orientée : Que vous manque-t-il aujourd’hui au PSG pour être heureux ? On gardera celle-là. Parce qu’après tout, richissime champion du monde au talent fou ou pas, la quête du bonheur ne semble simple pour personne.


Arno P-E

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