Messi, mais non !

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Le moment était comme toujours fort mal choisi puisque c’est en plein repas dominical que Xavier, grand patron de Virage, a choisi d’adresser au groupe des rédacteurs du site une demande dont l’originalité n’avait d’égale que la proportion de nourriture recommandée par les nutritionnistes dans les assiettes de mes camarades : zéro pointé. :« Les cocos, c’est bien beau de profiter des vacances mais va falloir me pondre un texte sur l’arrivée de Messi à Paris maintenant ».

Passons sur les exactions commises après l’annonce patronale, et contentons-nous de dire que je reposais ma tisane à côté des restes de carottes vapeur que j’avais personnellement commandées. Un sentiment confus m’habitait au milieu de cette assemblée déchaînée. Étais-je le seul à voir que le recrutement de Messi n’est pas une bonne chose pour le PSG ? La raison me paraissait si simple qu’elle tient en un mot : vampirisation.



C’est donc un peu hors du coup que je croisais les regards pleins de larmes de joie des Virageux, et que j’annonçais que pour ma part, je craignais de casser la belle ambiance si je donnais mon avis. Mais c’était sans compter sur notre JJ Buteau. Éternel optimiste, c’est dans un sourire plein de confiance en un avenir radieux que ce supporter ayant pourtant vécu plus de désillusions parisiennes qu’un public de fans de rock métal envoyé dans un concert de Vianney me répondit qu’au contraire, il fallait que j’expose ma thèse. Que j’explique en quoi la venue de Messi me semblait néfaste, et qu’il saurait me faire changer d’avis vite fait. Et voilà comment on se colle sur son ordi, en plein mois d’août, pour expliquer que Messi, eh bien c’est non.

Déjà, il faut replacer le contexte : Pourquoi Messi a-t-il quitté Barcelone pour aller rejoindre Paris ? S’il avait pu rester goûter au soleil méditerranéen, l’Argentin il l’aurait fait, il l’a dit lui-même, derrière son pupitre… Le meilleur vendeur de maillot du monde n’a quitté les Ramblas que parce que les finances du club Catalan, exsangues, ne pouvaient plus permettre de payer son salaire démentiel. On parle de 35 à 40 millions d’euros nets chaque année, ce qui même avec des lois plus favorables en Espagne qu’en France représente un poids démentiel dans une masse salariale.

Soyons clairs : ce salaire, Messi ne le vole à personne, et ce sont ses remarquables talents qui lui ont permis de l’obtenir. Talent de footballeur, et talent de négociateur car il faut rappeler que ce n’est pas la première fois que Messi poussait son contrat au bout du bout, à Barcelone. En position de force, il ne laissait à son club que deux choix : le laisser partir gratuitement (et donc le remplacer en recrutant un joueur sans doute moins bon et assurément très cher), ou bien gonfler son salaire à hauteur de cette enveloppe de transfert. Soit vous dépensez 100 millions dans le mercato alors que je pars renforcer votre adversaire, soit vous me donnez ces 100 M en salaire sur deux ans… Signez là, merci bien, et à dans trois ans.

Ces négociations, ou ce chantage, chacun le présentera comme il le voudra, a grevé la masse salariale catalane, entraîné une inflation des salaires chez les coéquipiers de Messi, et participé à la ruine du club en vidant les ressources vitales du Barca. Messi a ponctionné son club formateur jusqu’à la dernière goutte, et s’est barré.

 Rassurons-nous, désormais à Paris le sextuple ballon d’or se trouve dans un club dont les réserves financières semblent à peu près illimitées. Sauf que sa mentalité demeure. Celle d’un immense champion, doué d’une inextinguible soif de trophées… qu’ils soient collectifs ou personnels. Ces ballons d’or en sont d’ailleurs le parfait symbole : Messi est devenu un footballeur de statistiques, et à part une Copa America dont seule la finale a valeur de match de haut niveau, ses équipes ne gagnent plus de trophées.

On présente ses nombres de buts perso (essentiellement inscrits sur coups de pieds arrêtés et/ou face à de petites équipes depuis quelques saisons), ses passes décisives perso, ses passes presque décisives perso, ses « expected goals » perso (les buts qu’il n’a pas marqués mais qu’il aurait pu marquer si Paris avait tenu dans une bouteille), son nombre de dribbles perso sur le quart supérieur droit de la pelouse en match extérieur joués un jeudi après l’équinoxe de printemps, et enfin son nombre de trophées de meilleur joueur perso du match, décernés par tout ce que la profession journalistique hispanophone compte d’experts à la Pedro Menèsse et Lorenzo Del Paganello, c’est dire si ça compte.

En oubliant que le football se joue à 11, et que le PSG avait déjà deux attaquants qui rechignent un peu à assurer le repli défensif pour soigner leurs propres stats perso à eux aussi. Ce football des années 2010 est dépassé, Chelsea et Munich l’ont prouvé. C’est un jeu trop individuel, qui cherche à attirer la lumière sur soi jusque le soir de la remise du ballon d’or, en exhibant sa plus belle veste à paillette. Les paillettes, le PSG en aurait davantage besoin au niveau du jeu collectif. Or Messi n’est plus capable de faire briller un collectif depuis belle lurette, et il ne cherche d’ailleurs même plus à faire semblant de le tenter.

Milliardaire en quête de reconnaissance personnelle, il se traîne sur les terrains aux 40 mètres attendant qu’on lui donne les ballons, tous, et qu’il puisse en transformer un en une séquence de dribbles vaguement instagramable.

Il faut le nourrir de coup francs à tenter, le gaver de passes pour ses fameux « mètres parcourus balle au pied », sinon monsieur boude : Lionel Messi n’en aura jamais assez. Sa capacité à ne pas réussir à briller en équipe nationale, où ses coéquipiers avaient moins l’habitude de ne jouer que pour lui illustre bien ce fait : Messi a besoin que l’intégralité de l’équipe lui verse son dû… Pour un apport désormais moins évident que jamais.
 Parce que Messi a 34 ans, et parce que maintenant ça se voit : souvent blessé (le staff médical du PSG voudra-t-il investir dans le placenta de jument pour le soigner, comme son ancien club ?), si le génie brille encore c’est aujourd’hui par intermittence.

La Pulga est fatiguée et comme le meneur de jeu a la petite fierté des anciennes grandes gloires, il essaye de le cacher en maquillant son jeu. Les courses se font donc moins tranchantes si on peut éviter de se cramer. Les dribbles sont parfois accompagnés d’appuis sur les maillots adverses. Et sous ce vernis, la beauté de ces actions qu’on aurait tous aimé voir se réinventer éternellement se fane tristement. Nous assistons au crépuscule du Dieu, aveuglant mais bien réel, parce que voilà, personne n’est éternel. Nasser voulait recruter le prochain Messi, il aura la version date limite d’utilisation.

Un joueur d’un autre temps, uniquement tourné vers lui-même, et qui n’a pas hésité à se nourrir des finances de son club formateur jusqu’à la dernière goutte. Un vieillard aux faux airs de jeunesse, toujours en quête du sang frais de ceux qui l’entourent pour lui permettre de prolonger encore un peu sa propre magie.

Voilà celui que le PSG vient d’attirer dans son château. On va encore me dire que je ne suis jamais content, mais je maintiens : cette signature est tout sauf une bonne idée, à moins de vraiment apprécier la cuisine à l’ail. Et de garder un pieu en bois à portée de la main.


Arno P-E

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