Revenir au parc Virage PSG

Revenir au Parc

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Revenir au Parc. Y avoir pensé pendant la semaine, chez soi et au travail,
gardant en bouche la pression de l’avant pour en détacher tous les arômes.
Savourer miette par miette les articles dans la presse, et pimenter ses journées
à se faire une montagne de frayeurs bénignes :
et si Tuchel titularisait Marquinhos en milieu et pas en défense ?


Préparer tous ses ingrédients des heures trop tôt, le matin du match, respecter rigoureusement les étapes de la recette : enfiler les chaussettes porte-bonheur, parce que l’on n’est pas superstitieux du tout mais bon, on ne sait jamais. Retourner chercher l’écharpe, condiment indispensable mais multirécidiviste de la tentative d’évasion par le fond de l’étagère. Et puis, bien sûr, cerise sur le gâteau, ressortir le maillot, le poser sur le dossier d’une chaise pour goûter d’avance ce qu’il donnera quand on l’aura sur le dos. Se délecter de ces rituels, parce que l’on sait que l’on pourra bientôt croquer dans l’ambiance à pleine dents…

Revenir au Parc. S’engager seul dans son train de banlieue, revoir sa gare, sa ville, avec une autre œil, avec l’impression d’être déguisé dans son propre monde. Atteindre la capitale, mais pas encore le but, et poursuivre le voyage en souterrain, enfin. Quitter la lumière du jour, laisser ses yeux embrasser l’obscurité avant de rejoindre le métro et y discerner de loin quelques couleurs Rouge et Bleu. Tenter de lire pour la millième fois la dernière brève sur son téléphone, debout dans la rame, accroché au poteau : quand les yeux déchiffrent, mais le cerveau n’enregistre pas. Relever la tête, et croiser le regard du premier supporter. Juste ça. Se reconnaître entre inconnus, petit clin d’œil discret, se voir juste pour ce que l’on est : des Parisiens.

Revenir au parc virage PSG

Regarder de haut les intrus qui descendent station après station. Loin des yeux, loin du cœur. Atteindre enfin la Porte de Saint Cloud et se laisser gagner par le lent éblouissement : contourner le clocher de Ste Jeanne de Chantal, laid à faire peur, et avoir changé de monde, ça y est. Le stade est là, tapis dans la nuit tombée alors que l’on était sous terre. Le Parc des Princes illumine les cieux, les rues, ce monde-là. L’éclairage transperce les portes d’accès aux tribunes, aveugle les supporters dont il se nourrit par milliers. Se laisser hypnotiser…

Revenir au Parc. Se frayer un chemin dans une foule devenue trop dense, qui bruisse de discussions futiles, agaçantes. Entendre ces supporters d’un jour qui cherchent une porte d’accès diamétralement opposée. Ils n’osent pas demander leur chemin mais en parlent trop fort. Les aider puis repartir, à contre sens du fleuve de langues étrangères, pour gagner sa tribune. Les stadiers annoncent la destination : « Tribune Borelli, en face, Tribune Auteuil, à droite ».

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Piétiner et répondre au téléphone, expliquer en criant pour se faire entendre : oui le retard, non bloqué à un barrage débile, oui, toujours le même, non je ne sais pas quand, oui, non, ça coupe, ne capter qu’un mot sur deux, tant pis, raccrocher. « Tribune Borelli, en face, Tribune Auteuil, à droite ». Courir. Entendre le speaker annoncer les joueurs, dedans, sous la masse de béton. L’entendre de dehors, lui dedans. S’arrêter. Tant pis. Crier. Crier les noms des Parisiens. À se rendre sourd. Crier les noms de SES joueurs. Entendre les tribunes gronder. Ressentir le son. L’écouter et l’entendre et le ressentir, partout. Courir de nouveau, le sang battant aux oreilles. Les tambours.

Revenir au Parc. Abandonner les odeurs grasses de ces food-trucks débiles, tâcher de s’extraire au plus vite de ce que sont devenus les abords du stade. Renifler devant le tourniquet, renifler pendant la palpation, renifler à travers les queues formées aux stands de hot dogs. On a beau dire que l’argent n’a pas d’odeur, cela fait quelques années que la machine à fric PSG pue à plein nez la boutique à touristes. Alors se dépêcher. Tout n’est pas perdu.

Revenir au parc virage PSG

Rejoindre sa tribune. En Rouge. Ceux qui savent comprendront. Auteuil Rouge, là où le but opposé n’est qu’une idée. Là où le terrain est si proche que les jours de pluie, l’herbe mouillée vient vous chatouiller les narines. Auteuil Rouge, déjà remplie à craquer. Auteuil Rouge qui pue la sueur, le sang et les larmes. Ceux qui savent 2008 et Manchester et tant d’autres vies, ils comprendront, parce qu’eux aussi y ont perçu l’odeur âcre de la défaite, ce parfum qui vous colle aux vêtements, vous imprègne les chairs pendant des jours. Et pourtant le besoin de revenir malgré tout.

Revenir au Parc. Debout. Les pieds gelés dans le froid d’hiver, ou le front brûlé par le soleil couchant, peu importe, mais revenir au Parc et rester debout, c’est tout. Vivre un match, enfin, les strapontins frappant les mollets, marquant la chair. Pas une de ces centaines de victoires annoncées, pas une autre partie de football spectacle où l’on s’endort entre chaque but : le quatrième ou le cinquième ? Non, revenir au Parc pour un vrai match. Un combat qui vous prend aux tripes. Et y participer. À la vie à la mort. Un match où le cœur bat si fort qu’il frappe la poitrine. Un match à la gorge arrachée, et aux mains brûlées. Revenir au Parc pour caresser la défaite, la bête ignoble. L’attraper. La maîtriser physiquement, à coup de chants, coup après coup. Et embrasser l’espoir fou d’une victoire arrachée.

Revenir au parc virage PSG

Revenir au Parc passer son bras autour des épaules du gars d’à côté, pogo. Revenir au Parc et le sang qui se glace quand le ballon s’approche de nos buts. Revenir au Parc et les tempes qui tapent de trop crier. Revenir au Parc et les bras qui tirent, lever ce deux-mâts. Revenir au Parc les tympans qui sifflent. Revenir au Parc le souffle qui manque. Revenir au Parc un but. Sauter. Frapper l’air. La musique. Revenir au Parc les écharpes. Taper les mains. Un drapeau. Tomber. Revenir rire. La tête tourne. Crier. Au Parc. Vivre.

Je
Veux
Revenir
Au Parc.


Les illustrations sont tirées de « SUPPORTERS » par Guillaume Warth (Editions Des Ronds Dans l’O)Supporters Guillaume Warth


Arno P-E

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