Tango & Conf' Virage PSG

Tango & Conf’

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« Et pour conclure cette présentation sur les meilleures réponses à donner aux journalistes en conférence de presse, une dernière astuce : c’est le troisième S, la Sympathie. Soyez toujours sympathiques avec les médias. Par exemple, si vous en avez assez et que vous souhaitez mettre un terme à l’entretien, alors vous remerciez vos interlocuteurs et vous leur demandez s’ils souhaitent que l’on en reste là… C’était donc le dernier S de notre méthode de communication des 3 S : Sympathie. Voilà… »


Brice Pateulier posa la tablette prêtée par le Directeur Administratif des Fournitures Électroniques Utilisables en Conférence avec un soupir de soulagement. Elle ne s’était pas si mal passée que ça, cette séance de Comm’ Consulting, non ?

Debout sous les spots de la salle de réunion du Camp des Loges, les épaules bien droites dans sa veste de costume anthracite, ses chaussures neuves aux pieds, Brice croisa le regard des deux entraîneurs Argentins. Tous les deux assis de l’autre côté de la table. Tous les deux avec leur bloc-note. Tous les deux en survêtement du PSG. Tous les deux immobiles depuis le début de la conf’, le même sourire poli aux lèvres. Bizarre tout de même : pourquoi apporter un bloc-notes, si c’était pour ne rien écrire du tout ?

« Merci Monsieur Pateulier, répondit l’adjoint. Donc pour arrêter la séance, on peut demander aux journalistes s’ils souhaitent en rester là. Très utile. C’est tout ?

– Ah non ! Il reste la mise en situation. »

La consigne de son Directeur Administratif était claire : Brice devait ensuite appliquer le paragraphe 3, partie 4 du manuel. « Maintenant, si vous le souhaitez, je vous propose de mettre en pratique la règle des trois S de notre stratégie de communication : Sensations, Sérénité, Sympathie. Nous allons rejouer une conférence de presse. Je pose les questions et vous répondez au mieux… »

En stage longue durée chez « Pro Comm’ Sports » (Les pros de la comm’, la comm’ des pros, et inversement), Brice n’en revenait pas. Avoir l’opportunité d’animer sa première séance de Conseil Stratégie Communication auprès des entraîneurs du Paris Saint-Germain, rien que ça ! Non pas qu’il y connaisse grand-chose en foot, mais tout de même, le PSG c’était LE gros client de la boîte. Et lui se retrouvait là, après l’abandon de tous les membres seniors… Brice Pateulier réussissait le coup parfait, et savourait d’avance les réactions à son prochain post LinkedIn !

Le jeune formateur regarda le coach du PSG dans les yeux, et lui sourit. Pochettino lui sourit en retour. La mission idéale je vous dis…

« Allez, on y va. Question numéro un c’est parti : Coach, allez-vous titulariser Keylor Navas pour la finale de Coupe de France, mercredi ? »

Mauricio Pochettino se pencha vers son adjoint et lui glissa quelques mots à l’oreille. On avait prévenu Brice que même si l’entraîneur parisien parlait parfaitement le français, il préférait que ce soit son assistant qui assure la traduction. Pochettino posa les mains sur la table, formant une petite cathédrale. Miguel d’Agostino sourit et d’une voix chantante répondit calmement :

« Nous allons essayer de mettre en place le meilleur onze de départ. 

– Voilà, parfait, c’est exactement… Quoi ? Mais non !

– Un problème, Monsieur Pateulier ?

– Mais on en a parlé une heure ! Les 3 S : les sensations ! Vous devez donner des sensations à votre auditoire. Ça ne va pas du tout là : le meilleur onze de départ. On se doute bien que vous n’allez pas mettre le pire. Pensez aux 3 S !

– Ah oui… Les 3 S… »

Rectifiant la position de son stylo sur le bloc, d’Agostino soupira, pendant que Pochettino restait immobile, les yeux plongés dans ceux du consultant. Brice déglutit, toujours debout, adossé à l’écran qui était resté bloqué sur la dernière diapo « Sympathie / empathie / répartie ». Étrange l’effet que lui faisait le regard de ces Argentins. On ne pouvait pas dire qu’ils aient l’air méchant, ou agacés. Au contraire, ils gardaient une expression compatissante, presque attendrie. Rien qui puisse expliquer l’envie subite qu’avait Pateulier de s’asseoir pour se reposer les genoux, en tous cas.

Après que le coach lui ait glissé deux mots à l’oreille, c’est d’une voix douce que d’Agostino s’adressa au stagiaire :

« Mauricio préfère qu’on ne donne aucune indication à l’adversaire sur nos compositions d’équipes avant match. C’est notre règle. Donc on va s’en tenir à cela : « essayer de mettre en place le meilleur onze de départ. » Mais continuez, je vous en prie.

– Ah bon. D’accord, bien sûr, bien sûr. Alors question suivante, et on reste focus sur notre méthode n’est-ce pas : « le PSG a encaissé deux buts contre Montpellier, est-ce deux buts de trop ? »

Brice déglutit à la fin de sa tirade. Pochettino se pencha. Même routine. Deux mots à son adjoint. Maximum. « Oui, c’est trop. C’est une chose que l’on doit améliorer non seulement au présent mais dans le futur. Nous ne devons pas concéder autant de buts. Nous devons vraiment travailler dans ce domaine. »

Le jeune communicant regrettait d’avoir suivi l’avis de ses parents et de s’être farci sept années d’allemand avec madame Van Gueute. L’espagnol avait vraiment l’air d’être une langue étonnante : cette économie, cette concision qui faisait qu’une pincée de syllabes se transformaient, une fois traduites, en un long paragraphe ! Incroyable. En revanche, soyons honnête, ça mettait un peu mal à l’aise. Et ça donnait la gorge sèche, non ?

« Alors euh… Non, mais c’est bien hein. Merci Monsieur d’Agostino. Mais ça pourrait être plus… Ou alors non, un petit peu moins ?…

– Nous vous écoutons.

– Disons que vous pourriez éventuellement donner une explication pour ces buts, ou peut-être pointer un joueur fautif ?

– C’est-à-dire que vous venez de nous demander si encaisser des buts était mauvais. Vous avouerez que c’est compliqué de répondre autre chose que oui, et qu’on va essayer de faire mieux. Sachant qu’on ne désignera jamais de coupables dans notre groupe pour ne pas fragiliser les garçons…

– Ah, forcément…

– Voilà : forcément. »

En fait, c’était plutôt leur bienveillance qui avait un je ne sais quoi d’inquiétant. Une bienveillance inédite, presque vivante. Du genre que vous sentiez descendre doucement le long de votre dos. Brice remua les doigts de pieds, tira un peu son col de chemise. Ces chaussures le serraient drôlement depuis que la séance avait commencé. Il aurait dû venir en baskets. Eux étaient en basket et avaient l’air plus sereins. Plus à l’aise. C’est bien les baskets. Et puis ces spots lumineux dans la figure, qu’est-ce que ça lui donnait chaud…

« Euh… Vous allez affronter Monaco en finale de Coupe de France. Cette équipe est sur une bonne dynamique. Craignez-vous cet adversaire ? »

Cette fois-ci, Brice aurait pu jurer que Pochettino n’avait rien eu besoin de dire à son adjoint. Mais il aurait aussi pu jurer que d’Agostino n’avait pas répondu non plus. Comme si une voix avait résonné directement dans sa propre tête. De toutes façons comment auraient-ils pu parler puisqu’ils ne faisaient que le fixer, en souriant ?

« Monaco est une grande équipe, nous la respectons beaucoup. Mais nous ne craignons aucun adversaire. Nous allons tout faire pour essayer de remporter ce titre. Nous avons conscience de l’importance de ce match pour le club, et pour ses supporters. »

Ou alors c’était cette salade périgourdine qu’il avait mangé ce midi qui ne passait pas. On ne devrait jamais manger de salade périgourdine avant d’aller bosser, ça fige un peu et après on transpire.

« Je crois que je commence à comprendre l’idée générale. Du coup je propose de changer un peu de thème. Pourquoi ne pas passer à un entretien exclusif ? Regardez, j’ai une superbe demande d’un journaliste de Canal, c’est bien ça, non ?

– Merci.

– Non mais je vous sens un peu sur la retenue là. C’est un projet solide, une sollicitation issue d’un grand groupe.

– Oui, nous connaissons Canal +, merci.

– Attendez, le gars écrit qu’il est bilingue dans son courrier, vous pourrez la faire sans traducteur ! D’ailleurs Monsieur Pochettino, je crois qu’il vous admire beaucoup, il parle de vous comme d’un « moutcho grandé entrainador ». C’est cocasse, je n’imaginais pas que ça se disait comme ça en espagnol.

– Sans doute parce que ça ne se dit pas comme ça.

– Ah bon ? Mais pourtant il m’a assuré qu’il était bilingue Franco-Espagnol ?

– Il voulait sans doute dire qu’il parlait aussi bien une langue que l’autre. Ce qui le concernant n’est pas vraiment la même chose qu’être bilingue.

– Ah…

– Voilà. Sinon, pure curiosité : c’est vous qui viendrez pour nous donner la dernière séance de cette formation ? »

Brice s’épongea le front. Pas sûr que sa mère lui ai mis un doliprane dans son sac ce matin. Ça se fait de demander un doliprane aux clients pendant une séance de Comm’ Cunsulting ?

« Alors j’aurais adoré mais ce sera un autre intervenant, parce qu’en fait c’est ballot mais j’ai un empêchement sur ce jour précis.

– Je croyais que nous n’avions pas encore arrêté la date du dernier rendez-vous ?

– Oui mais je suis pris quand-même. Bon eh bien du coup…

– Bon eh bien du coup, vous souhaitez peut-être que nous en restions là ? »


Note de l’auteur  : Tous les passages en italique sont des citations tirées de conférences de presse. Oui, même celui auquel vous pensez, là.


Arno P-E

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