Un prince au Parc

par

Vous ne savez probablement pas qui est Nicolas de Staël et ça n’est pas grave.
Fils d’un aristocrate russe, né à Saint-Petersbourg, Nicolas de Staël est un peintre franco-russe (comme les gâteaux) qui a révolutionné la peinture dans les années 40 à 50 et fut exposé partout dans le monde avant de se suicider en 1955. Le 26 mars 1952, Nicolas de Staël est invité au Parc des Princes par René Char, son ami poète.

Char adore le football mais c’est la première fois que Nicolas de Staël se rend au Parc des Princes et il a une véritable illumination. Ebloui par la lumière, les couleurs, les mouvements des joueurs du match France-Suède (avec une défaite de la France 0-1 mais on s’en fout, ce n’est pas le sujet), Nicolas de Staël est fasciné par ce qu’il découvre. Pour un peintre, ces lumières puissantes, ces couleurs, ces mouvements, c’est une matière formidable. En rentrant chez lui, il peint toute la nuit, frénétiquement, une série de petits tableaux pour retranscrire la fulgurance de ses impressions, les corps, les lumières crues, électriques. Les petits tableaux s’attachent à reproduire des mouvements éphémères, des instants pris sur le vif comme des photographies.

Nicolas de Staël dans son atelier à Paris, automne 1951 © DR

On sent les joueurs, on voit l’action, la lutte pour le ballon, on devine le Parc derrière, terrain de ces exploits qui l’ont tellement marqué. Il travaille sur ce thème pendant un mois, multiplie les tableaux, les esquisses. Le lendemain, il écrit à René Char, son ami, pour lui exprimer ce qu’il a ressenti, un véritable choc : « Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi  avec toute la présence que cela requiert, en toute invraisemblance. Quelle joie René, quelle joie ! Alors j’ai mis en chantier toute l’équipe de France, de Suède et cela commence à se mouvoir un tant soit peu. Si je trouvais un local grand comme la rue Gauguet, je mettrais deux cents petits tableaux en route pour que la couleur sonne comme sur les affiches sur la nationale au départ de Paris. »-  Nicolas de Staël, lettre à René Char , le 10 avril 52.

« Parc des Princes » 1952 Nicolas de Staël

Puis il s’attaque au chantier d’un énorme tableau de 2 mètres par 3 mètres 50, le premier de cette dimension pour lui : le Parc des Princes (aussi nommé Les grands footballeurs). Du fait de la dimension exceptionnelle de la toile, il utilise des morceaux de tôle, d’énormes spatules pour poser sa peinture. Ce n’est pas figuratif, ce n’est pas tout à fait de l’abstraction. C’est un peu des deux mais on ressent le mouvement, la conquête de la balle, la sueur et l’envie de ces joueurs réduits à leur plus simple expression. Nicolas de Staël, par des empâtements larges, des jeux d’obliques, des coups de couteaux puissants retranscrit la scène tout en s’attachant principalement aux formes, au mouvement et au rythme, à toutes ces traces que le match a laissé en lui. Pour notre plus grand plaisir.

Enfin vous, je ne sais pas encore mais moi, ça me parle. Au final, de cette expérience unique, Nicolas de Staël produira plus d’une vingtaine de tableaux, dont l‘immense Parc des Princes. En 2019, cet immense tableau sera vendu aux enchères par Christies pour 20 millions d’euros. À peine le prix d’un Odsonne Edouard et d’un Jonathan Ikoné. Jamais Nicolas de Staël ne reviendra au Parc des Princes.


Safet Sous X

Laisser un commentaire

Découvrez les articles de