Seul comme Agostinho dans une capsule spatiale en déroute

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A l’inverse des oiseaux, les footballeurs ne se cachent pas pour mourir.
Ils disparaissent aux yeux de tous, parfois subitement, parfois au terme d’une longue marche dans les ronces. Que ce soit par un chemin de lumière ou par celui, tortueux, qui mène au néant, ils trouvent le même destin que leurs lointains ancêtres les gladiateurs : vie éternelle ou mort sans gloire !

Dans cette méditation philosophique aussi puissante qu’un prêche de Marco Ceará ou une frappe dévissée de Sergueï Semak, vous, lecteurs post-occidentaux, découvrirez comment, pourquoi et où se conclut le parcours des footballeurs ratés. Donnons-leur le tombeau qu’ils méritent.

Perdu comme Agostinho dans une capsule spatiale en déroute, tu déverses toutes les larmes de ton corps. La dernière fois que tu es entré en jeu, c’était à la 88e contre Gueugnon, dans un match amical de pré-saison, il y a cinq ans. Depuis, tu te sens seul comme une pièce tombée entre les lattes du parquet. Surtout depuis que tu joues la relégation dans le championnat finlandais. Seul devant une plaine battue par des vents glacés, que ton coach moldave appelle « entrainement terrain », tu médites le sens de l’existence : ta vie était pleine de points finaux, elle est à présent un grand point d’interrogation. On ne t’a jamais demandé ce que tu pensais de tout ça au centre de formation.

Il y eut une époque, pas si lointaine, où tu impressionnais les recruteurs par ta vision du jeu, tes interventions défensives, tes relances parfaites, tes passes millimétrées. Depuis, c’est un peu différent : en dehors de tes enfants en bas âge, tu n’impressionnes plus. Tu es même devenu la risée du net depuis ta dernière boulette face au but. Les réseaux sociaux t’ont fait une mauvaise réputation à cause d’un jeune joueur qui t’a mis dans le vent sur un dribble chaloupé. La honte ! Le lendemain ton agent t’annonçait qu’il prenait ses distances. Depuis, il ne répond plus à tes appels. Même en Hongrie, ils ne veulent pas de toi. Ça sent la retraite anticipée. On appelle ça une Ouédec. Depuis, tu fais des tours en bagnole toute la journée pour faire croire à ta famille que tu vas à l’entraînement.

La solitude t’oblige à des exercices spirituels. Depuis quelques temps tu cherches des réponses, tu vas là où tes pas te guident. Ils ne te trompent pas. Tu ne sais plus où tu habites mais tu es bien campé sur tes jambes, les pieds plantés dans le sol. Tes pieds sont ton gagne-pain. Beaucoup ont cru qu’ils étaient une mine d’or. Finalement, ils se sont transformés en plomb. Ce faisant, tu as inventé l’anti-pierre philosophale. Tu ne le sais pas car tu ne le réalises pas, mais tu peux changer l’or en plomb. Tu es le seul alchimiste qui ait jamais réussi. Si tu pouvais seulement t’en féliciter.

Tu n’as pas vraiment fait d’étude, tu ne connais pas d’autre métier. Tu sais respecter des schémas tactiques, tu sais faire un tacle, tomber en hurlant lorsqu’on t’effleure, tu sais frapper au but. C’est ton adrénaline, tu n’as jamais vécu pour autre chose que le football.

Dans leur voyage vers les astres, les footballeurs manqués sont tels Dante, montant pas à pas au Paradis, depuis les Enfers, pour trouver, dans la paix du Christ, le visage céleste de Béatrice… « Mais où suis-je ? », s’interroge-t-il. Saint Pierre prend la parole : « Igor Yanovski, c’est toi qui étais en défense centrale contre Sedan lorsque Pius N’Diefi a marqué l’unique triplé de sa vie. Pour ça, Igor, tu dois expier. » Et Saint-Pierre d’ajouter, avec la douceur dont seuls les anges, dans leur immense bonté, sont capables : « Tu vas manger, on va te servir la spéciale, bonne chance. »

Quelque part où la solitude assèche tes larmes, où elles disparaissent en pensée, elles s’évaporent, elles s’échappent de toi, elles se déversent en cascade dans les grandes chutes que les hommes du Moyen-Age imaginaient être les frontières de notre monde terrestre. Et toi, footballeur manqué, maintenant tu dois te jeter là pour les rattraper. Tu as compris que tu n’étais pas réellement fait pour ça, tu prends conscience que tu vas finir en D2 maltaise comme Menez. Tu fais quelque pas vers le bord, au ralenti, tu entends les clameurs d’un public imaginaire au Camp Nou, San Siro, au Parc des Princes, les plus beaux stades, les plus belles équipes, tu n’as pas su, tu n’as pas pu. Tu déplies tes bras pour préparer ton plongeon et tu prends une forte inspiration. Enfin, tu sens la gloire monter en toi, tout ce que tu vaux vraiment, ce qu’aucun agent jamais ne pourra mesurer, ce qu’aucun club ne pourra acheter. Ce que personne ne pourra te prendre. Tu possèdes tous tes moyens désormais, ton courage est à bloc. Aucun élan : tu te laisses tomber comme un oiseau, tu pars comme une frappe de Zlatan.

Bienvenue à toi mon frère, bienvenue parmi les êtres humains. Tu le sais maintenant, joins-toi à nous. Assied-toi sur le canapé, prends une boisson. Tu as compris : toi, tu es un homme et les footballeurs, eux, sont des dieux.


Mehdi C.

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