C’est simple, depuis que le PSG joue Porte de Saint-Cloud, Jean-Pierre a fait quasiment tous les matches au Parc.
En tant que supporter. Et c’est d’autant plus beau que depuis 1976
il vit à plus de 500 kms de Paris.
Mon 1er contact avec le PSG, c’était la saison 1973-1974. Le club était à l’époque en D2 et il a fait ce qu’on appelle une épopée en Coupe de France. Il a sorti en 16ème et 8ème de finale 2 équipes de D1, Nancy et Metz pour tomber en ¼ face à Reims. A l’époque, j’habitais Paris, j’avais 25 ans. J’ai vu les 3 matches au Parc, puis le match de barrage retour face à Valenciennes, la remontée fantastique (4-2) et Just Fontaine qui fait son malaise.
Mon père n’avait pas pu venir et bien sûr après le match il m’avait téléphoné pour le résultat. J’avais tellement crié que j’étais à moitié aphone. Pour se remettre dans le contexte, c’était un match hyper important pour l’histoire du PSG et il devait y avoir autour de 15 000 spectateurs au Parc (19 511 exactement, ndlr). Aujourd’hui, ce genre de rencontre, ça se jouerait à guichets fermés.
Je m’appelle Jean-Pierre, j’ai 72 ans. Je suis tombé dans le foot comme Astérix tout petit car mon père aimait le foot. J’allais avec lui voir jouer le Racing et le Stade Français. Mon père m’a amené la 1ère fois au stade, j’avais 5 ans. Et le 1er match, il paraît que j’ai passé mon temps à jouer aux petites voitures dans les allées entre les sièges (sourires). A l’époque, le Racing jouait dans l’ancien Parc (avant les travaux).
Le Racing a disparu dans les années 1960 et ce qui m’a séduit dans le Paris Saint-Germain ? C’est que j’ai retrouvé dans le PSG à l’époque de Fontaine, ce côté un peu fantasque qu’avait le Racing. Tout pouvait arriver, le pire comme le meilleur.
Donc en 1974, ça a été le coup de foudre immédiat. Dès les premiers matches du PSG en D1, c’était parti. J’étais à tous les matches au Parc, plus pas mal de déplacements. Le nouveau Parc rénové était beau, très agréable. Même avec 15 000 spectateurs, le tiers de sa contenance, il y avait quand même une bonne ambiance. Ce stade a une acoustique remarquable. Je me rappelle aussi qu’aux débuts du PSG en D1, il y avait des problèmes de pelouse au Parc construit sur le béton du périphérique. Plusieurs matches avaient dû être délocalisés à Colombes et même à Saint-Ouen.
Depuis quel que soit l’endroit où j’habitais, la plupart du temps en province dans la région Rhône-Alpes, il y a une chose qui ne changeait pas : ma présence au Parc. C’est-à-dire qu’à partir du printemps 1976, je ne vivais plus à Paris mais je continuais de venir au Parc. A tous les matches. Et autant de déplacements que je pouvais faire.
Je ne les compte pas mais j’ai fait beaucoup de kilomètres en voiture pour Paris (sourires). 550 kms aller et 550 kms retour. Je partais en début d’après-midi et je revenais dans la nuit après le match, je travaillais le lendemain. Depuis que je suis retraité, je vis entre la Bretagne et le Lot. Je fais Quimper-Paris en avion ou Toulouse-Paris, l’avantage quand on est un « sénior » c’est que les billets d’avion sont moins chers que le train.
J’ai été très vite abonné. J’ai d’abord été abonné dans l’ex D Rouge puis j’ai eu une loge pendant quelque temps et quand j’ai arrêté mon activité professionnelle (concessionnaire automobile), je me suis abonné en ex C Rouge (ils ont donné des numéros maintenant, tribune 122).
J’ai aussi fait pas mal de déplacements à l’extérieur. Saint-Etienne, Lyon, Sochaux, Nice, Toulon, Valenciennes, Guingamp, Cannes, Bordeaux. Je crois quasiment avoir fait tous les stades de D1. Toujours à titre personnel, avec ma voiture. De là, où j’habitais, c’était parfois moins loin pour moi que d’aller au Parc. J’ai également fait beaucoup de déplacements en Coupe d’Europe : Milan, Naples, Turin, Munich, Glasgow… Et des pays parfois plus inattendus comme la Finlande, la Norvège, Chypre, le Lichtenstein.
Je n’ai jamais compté le nombre de matches mais à la louche si on s’arrête à début 2020 (avant le confinement), 46 saisons de matches au Parc (championnat + les différentes Coupes) plus les déplacements, on ne doit pas être loin des 1500.
Je me dis que ce n’est pas forcément exceptionnel. Mon mérite, si j’en ai un, c’est de faire tous les matches depuis 1976 alors que j’habite à plus de 500 kms de Paris.
(Silence) Moi, je dis qu’une passion, ça n’a pas de prix. Je plains énormément les gens qui ne se passionnent pour rien. Le foot c’est une belle passion et aussi d’un point de vue sociologique, il permet de réunir des personnes de profils totalement différents derrière les mêmes couleurs. C’est un bel exemple. Et c’est quand même une passion que l’on peut vivre toute l’année, au quotidien.
Avant le printemps 1976 quand on vivait encore à Paris avec ma femme, elle me disait qu’elle pouvait deviner le résultat du match, non pas à ma tête parce qu’elle était couchée, mais à ma façon d’ouvrir et de fermer la porte de la maison quand je rentrais.
Une fois installés en province, après les matches dans la voiture j’écoutais France Info en boucle pour rester éveillé, sur la route. Les soirs de défaite, dans les flashes infos chaque fois que j’entendais « le PSG a perdu », c’était terrible. Par contre, si on gagnait, j’oubliais tout, la pluie, les camions… Et les kilomètres passaient vite.
Quand des supporters font la fine bouche aujourd’hui avec le PSG, j’ai envie de leur dire : « si vous aviez connu certaines époques… où à part les Coupes, on ne dépassait pas le milieu du classement ». Ils ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont.
Je fais souvent le parallèle avec les gens de ma génération. Avant, pour aller dans le sud, on prenait la route nationale à Fontainebleau et on traversait la France de ville en ville, de villages en villages. Aujourd’hui, vous rentrez sur l’autoroute, c’est toujours tout droit et vous arrivez sur la Côte. En 1974, le PSG c’était une route nationale, aujourd’hui c’est l’autoroute (sourires).
Le PSG a joué sa 1ère finale de Coupe (de France) en 1982 (PSG – Saint-Etienne), j’y étais et de 1982 à 2019, j’étais là pour toutes les finales de Coupe de France, Coupe de la Ligue, Coupe d’Europe. Toutes, sauf en 2017. Le 27 mai 2017, c’est le jour de mariage de mon fils, et de PSG-Angers. J’avais suggéré que peut-être il y avait une possibilité que j’aille au Stade de France mais mes amis m’ont dit : « Tu n’es pas sérieux ? ».
Ma femme est de la Drôme, qui est plutôt une terre de rugby, mais désormais elle s’y connaît pas mal en foot. Pour les déplacements européens, elle vient souvent avec moi. Mon fils supporte le PSG, il a été ramasseur de balle sur quelques matches quand il était petit.
Des comme moi, il n’y en n’a pas beaucoup, heureusement pour l’entourage ! Ma femme connaît et accepte cette passion que j’ai et quand on s’est connus, elle le savait, il n’était pas envisageable de négocier quoique ce soit. Les passions, je crois qu’il ne faut surtout pas essayer de les contrecarrer. Dans la vie, il faut avoir une passion. En ce qui me concerne, elle a toujours été nécessaire à mon équilibre. Elle était comme un exutoire à mon boulot qui était pas mal prenant. Je ne fume pas je ne bois pas. Je supporte le PSG.
Au début du confinement, le Parc m’a manqué, c’est comme les gens qui arrêtent de fumer, il y a une sensation de manque. Mais là honnêtement, ça ne me tenterait pas d’aller au Parc si c’est pour être 5 000 et espacés de 2 sièges vides avec son voisin. J’ai repris mon abonnement cette année bien sûr. Mais je retournerai au Parc quand les conditions seront redevenues habituelles.
Mon 1er déplacement en Coupe d’Europe, c’était Kuusysi Lahti – PSG (13 septembre 1989) en Finlande. Cela s’est soldé par un magnifique 0-0 (sourires). J’étais aussi allé au Lichtenstein en voiture, en 1996, pour voir jouer le PSG face au FC Vaduz. J’en garde un super souvenir, 4-0 dans un stade champêtre. La tribune, c’était 3 rangées de sièges, où nous étions le public assis sur le béton et juste derrière nous des fauteuils de jardin pour la presse internationale. Moi j’étais juste devant Eugène Saccomano qui était sur RTL il me semble et je me rappelle qu’il était venu en moto.
Ayant connu aussi des déplacements comme Chypre, la saison 1992-1993, avec une poignée de supporters (c’était face à l’APOEL Nicosie, but de Jean-Luc Sassus 1-0), aujourd’hui j’apprécie d’autant plus de voir le PSG disputer un Final 8 de Ligue des Champions. « Rêvons plus grand » : c’est bien dit je trouve car la progression est extraordinaire.
J’ai des matches qui m’ont marqué peut-être plus que les autres. Le match de barrage en 1974, si important pour l’histoire du club, le match retour face au Real avec la tête de Kombouaré. Au Parc j’ai également ressenti une émotion très forte en 1997 lors de PSG-Bucarest (5-0). Il y avait une telle communion entre l’équipe et le public. Cela reste un très très grand souvenir car à l’époque nous n’étions pas habitués au caviar comme maintenant.
La 1ère finale de Coupe de France en 1982, dans les prolongations Saint-Etienne menait 2-1, d’où j’étais je voyais la Coupe en tribune officielle et les officiels qui étaient en train d’attacher le ruban sur les anses, des rubans blancs et verts. Et là, Rocheteau qui égalise, Borelli qui embrasse la pelouse.
Et puis un match qui m’a marqué, physiquement. C’est Sochaux-PSG en 2008. J’étais au stade Bonal. Je ne pouvais pas ne pas y être. Ce match, il y a tellement eu de tension nerveuse avant et pendant que je me rappelle pour repartir du parking, je n’arrivais pas à appuyer sur les pédales de l’embrayage. C’était la 1ère fois que cela m’arrivait. J’étais avec un copain et on a dû s’arrêter à la 1ère station-service. Je me suis acheté une tablette de chocolat, je l’ai mangée en entier, ce qui ne m’arrive jamais. Mon corps avait besoin de sucre, ce match m’a beaucoup marqué.
En novembre, vous lui avez posé vos questions
via Internet et les réseaux sociaux, Jean-Marc Pilorget (435 matches avec le PSG) y répond.
Un grand merci à lui.
Est-ce que lorsque vous êtes entré au centre de formation de PSG, est-ce que c’était votre équipe préférée ?
Oui, le PSG est et restera mon équipe préférée. Je suis né à Paris j’ai rejoint le PSG à 16 ans (1974). L’année d’avant signer au centre de formation, j’avais refusé un contrat avec Strasbourg. J’ai refusé parce que ce n’était pas l’endroit où j’avais envie d’aller et je voulais me laisser une petite chance avec le PSG. Et j’ai bien fait d’attendre.
Le Parc de mon enfance en 82 était souvent aux couleurs vertes quand on recevait Saint-Etienne et Auteuil abritait les supporters adverses. Toi le capitaine emblématique aurais-tu rêvé de jouer dans un Parc bondé, avec la splendeur de nos deux virages ? Et que représente le Parc ?
Tu as raison pour les matches face à Saint-Etienne. C’est une certitude il y avait plus de Vert que de Rouge et Bleu. Saint-Etienne était la meilleure équipe française. Paris est une grande ville et il y a toujours eu beaucoup de supporters d’autres clubs à Paris.
J’aurais aimé jouer plus souvent dans un stade plein plutôt que « dégarni », même s’il l’était moins que le Matra à l’époque. J’ai quand même connu de supers ambiances et le début des virages. En 1989, il y avait beaucoup plus de monde au Parc qu’en 1975. Les Kops commençaient à se structurer, Boulogne, c’était vraiment top à voir. Les virages sont le point de départ de l’ambiance au Parc.
J’adore le Parc. Cela peut paraître un peu « prétentieux » mais ce stade c’était « mon jardin », dans le sens ou c’était un endroit où je me sentais vraiment très très bien, où j’avais l’impression d’être chez moi. J’ai vécu de belles histoires dans ce stade. C’est pour ça que pour moi, ça reste un stade magique. Et même aujourd’hui quand j’y retourne, et même s’il a énormément changé, j’ai toujours des ondes positives.
Aujourd’hui on expose davantage les classements des buteurs ou passeurs décisifs, moins celui de l’assiduité. Soyez certain que le fait d’être leader du classement des matchs joués avec le PSG est reconnu par tous les supporters qui suivent le PSG depuis plusieurs décennies.
Merci pour cette reconnaissance.
Pensez-vous que votre record* tombera un jour ?
A un moment donné j’ai pensé que non et maintenant je pense que peut-être. Il y en a un qui pourrait y arriver, c’est Marquinhos car il est jeune et a déjà disputé un certain nombre de matches. A moins qu’à un moment où il soit amené à quitter le club.
Dans l’effectif actuel, quel est le joueur qui pourrait te ressembler le plus ? Celui que tu aimerais avoir dans ton équipe ?
Le plus, je dirais Marquinhos même si nos registres sont différents. Mais, je ne sais pas, je ne le connais pas mais il a l’air d’avoir une mentalité bien trempée et en même temps d’être quelqu’un de calme. J’aime bien ce garçon. Il me donne l’impression d’aimer le club. Et celui que j’aimerais dans mon équipe ? Mbappé. Quel entraîneur n’aimerait pas l’avoir dans son équipe ? Pour moi il est LE plus grand joueur des années à venir.
Vous avez carte blanche pour le prochain mercato, que faites-vous ?
Je laisse ça aux journalistes (sourires).
Tu as presque connu les débuts du club, des années bonnes et d’autres galères, tu n’étais malheureusement plus là pour le 1er titre européen. Quel est ton point de vue sur ce club aujourd’hui, les stars, l’ambition et éventuellement la solution pour enfin remporter la LDC ?
J’ai toujours suivi l’évolution du club. Les bons choix faits par la direction ou les moins bons. On a tous notre avis sur ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. Mais pour être honnête, pour ça il faut être à l’intérieur du club, de l’équipe pour sentir ces choses-là. La critique est la chose la plus simple à faire et dans tous les domaines. Ce n’est pas trop mon truc.
La 1ère clé de la réussite pour moi c’est l’osmose du trio de décideurs : président, directeur sportif, coach et quand je dis ça, je le mettrais bien dans l’autre sens : coach, directeur sportif, président. Là, c’est ma casquette de coach qui me fait dire ça. Cela ne se passe pas forcément de la sorte. Car le football aujourd’hui est souvent inversé. Mais dans un club, quand le binôme président-coach ou trio président-directeur sportif-coach, ne s’entend pas, c’est le début de la fin.
Que représente pour toi le Parc des Princes ?
Pour moi c’est le plus beau, le plus chaud de tous les stades. C’est THE stade.
Aurais-tu rêvé de jouer au Parc avec le virage Auteuil et le Kop de Boulogne bondés ?
Bien sûr, j’aurais adoré.
C’est quoi ta plus grande joie et ta plus grande peine avec Paris, pourquoi ?
Ma plus forte émotion reste la finale de Coupe de France face à Saint-Etienne en 1982 (2-2, 6 tab à 5). C’est le match le plus fou que j’ai joué. Les sensations, les émotions, ça reste très personnel. Tous ceux qui ont connu une grande victoire, avec une explosion de joie l’ont sûrement ressenti. On est hors de soi. Un supporter peut connaitre ça aussi. Il y a tout eu : l’égalisation de Dominique Rocheteau dans les arrêts de jeu, Francis Borelli qui embrasse la pelouse, le public qui envahit le terrain. Il y a eu ensuite le titre de champion (1986) mais c’est une joie différente car préparée. Quand on est un jeune joueur, gagner un 1er titre avec son club, c’est fabuleux.
J’ai revu le match il n’y a pas très longtemps sur l’Equipe TV. Je l’ai revu avec plaisir. C’était drôle aussi avec les commentaires de l’époque, Je chambrais Didier Roustan : « Là tu te trompes, ça ne va pas se passer comme ça » (sourires). J’ai pris grand plaisir à regarder. Les matches à l’époque me semblaient assez lents mais celui-ci, je l’ai trouvé très tonique. J’en ai parlé avec Christian Lopez (défenseur de Saint-Etienne, ndlr), on avait fait un entretien croisé dans la presse. Il a eu le même sentiment.
Mon plus mauvais souvenir, c’est mon dernier match. Mon dernier avec le PSG, au Parc (1989). J’ai toujours eu la faculté de gommer les mauvais souvenirs et garder les bons. C’est pour ça qu’à ce jour, je ne sais pas contre qui je jouais. Je ne sais pas, c’est peut-être une forme de protection. Mais dans ma vie sportive comme dans ma vie personnelle, j’essaie toujours de garder le positif.
A jamais le premier.
Merci à vous
Avez-vous toujours le maillot que vous portez sur la photo publiée pour l’appel aux questions ? Quel est pour vous la meilleure saison que vous ayez passé sous les couleurs parisiennes ?
Non. Je crois qu’il me reste un seul maillot. Un maillot blanc, RTL. Tous les autres je les ai donnés. J’ai eu beaucoup de belles saisons mais si je devais en ressortir une, je dirais l’année 1986 avec le titre de champion. Ça a été la plus complète, la plus intense aussi bien sur le terrain qu’en dehors. Nous étions vraiment un groupe soudé. On a fait plein de choses ensemble aussi en dehors du foot.
Quel maillot préférez-vous avoir porté ? Que pensez-vous du maillot cette saison ? Et de façon générale quel est votre maillot préféré depuis 50 ans que le club existe ?
Je dirais le 1er celui que Daniel Hechter a conçu. Un grand monsieur de la mode et notre président. Ce que je pense du maillot de cette saison ? Pour moi un maillot, son design, sa couleur ce n’est pas le plus important. Le plus important c’est ce que tu en fais quand tu l’as sur toi. Comment tu te comportes. Et je pense que ça, ce sont des choses qui parlent forcément à un supporter.
Un exemple récent : un mec comme Cavani, adoré par les supporters du PSG : quand il avait ce maillot, il donnait le maximum qu’il soit bon ou mauvais. Quand on enfile ce maillot on essaie d’y faire honneur, chaque fois qu’on le porte. Pour moi c’est de loin le plus important. Enfin Je n’ai pas de maillot préféré depuis la création du club. Le plus important, c’est ce qu’on en fait. C’est comme une personne, c’est ce qu’elle est à l’intérieur qui est important.
Vous avez-eu comme président Daniel Hechter et Francis Borelli ? Avez-vous une anecdote sur l’un comme sur l’autre ?
Daniel Hechter est mon 1er président. C’est un homme très simple, très timide et très à l’écoute des gens. Je ne l’ai pas connu longtemps mais je suis heureux d’avoir rencontré un Monsieur comme lui. Une grande figure de la mode et celui qui m’a fait signer mon 1er contrat. Pour l’anecdote, ce qui me vient c’est quand le président et le coach (Just Fontaine) étaient sur le terrain, chacun avec un cigare quand on s’entraînait.
Francis (Borelli), j’en ai tellement dit sur lui que je ne veux pas en rajouter mais c’était quand même un bon joueur de football. Je l’ai vu faire des matches caritatifs dans des petits stades. Et il avait une particularité : c’est le seul joueur qui jouait les 2 mi-temps du même côté devant la tribune officielle (sourires). Cela me faisait rire.
Quelle relation entretenez-vous avec la direction actuelle ?
Je n’ai pas de contact. Seulement avec certaines personnes qui bossent à l’intérieur du club. Jérôme Touboul, Christian Gavelle et Michel Kollar.
Vous souvenez-vous de votre premier et de votre dernier match avec le PSG ? Et lequel vous a le plus marqué ?
Sans problème, PSG-Reims. Le dernier, comme j’ai dit, je ne sais pas. Le 1er, déjà c’est une belle sensation car c’est le 1er match avec ce maillot du PSG sur moi, avec les pros. Et au Parc (PSG-Reims, 2-3, 21.12.1975, ndlr). Avec comme adversaire Carlos Bianchi. Quand vous jouez défenseur cela vous met tout de suite dans le bain (sourires). On perd malheureusement mais cela reste un bon souvenir car nous étions 4 jeunes du club lancés ce soir-là (Thierry Morin, Lionel Justier, François Brisson et moi), et on a eu la sensation d’avoir fait ce qu’on nous avait demandé. Après le match, il y a une personne, je me rappelle, qui m’a dit : « C’est bien, il faut continuer ». C’est Daniel Hechter. Et celui qui a été remarquable du début jusqu’à la fin pour notre intégration c’est Jean-Pierre Dogliani.
Quelle est votre vision sur l’évolution du football ? (ex. Super Ligue)
L’évolution du foot suit un peu l’évolution de la vie où l’économie, le business va prendre de plus en plus de place. On cherche par tous les moyens à être le plus rentable possible. Pour moi ce n’est plus du sport mais c’est du business. La Super Ligue ? Moi j’aime quand la C1 donne ses chances au plus de clubs possible.
Votre tir au but en finale de Coupe de France : est-ce que c’est votre plus grande émotion ? Avez-vous gardé une réplique de la coupe, une médaille, ou le maillot quelque chose de ce match ? Je vous dis merci Monsieur Pilorget
Oui. Je ne peux pas l’oublier car ça reste gravé et quand il m’arrive de croiser des gens qui étaient au Parc, on en reparle souvent. Donc oui. Il faut savoir que j’ai failli ne jamais tirer. Au début de la séance de tirs au but, le coach Georges Peyroche demande qui veut tirer le 1er ? Je lève la main. 2ème tireur ? Je lève la main, à chaque fois je lève la main et à chaque fois il choisissait quelqu’un d’autre (sourires). J’ai commencé à me dire qu’il ne me faisait pas confiance. Je dis ça en rigolant mais une fois les 5 tireurs passés, je dis : « C’est bon, j’y vais ! » Et j’y suis allé. De ce match, je n’ai rien gardé de matériel. Rien du tout. Les souvenirs sont dans ma tête et dans mon cœur. Mon maillot ? Je pense que j’ai dû le garder sur le moment, et le donner après. A l’époque, il faut savoir qu’on ne pouvait pas donner ou échanger nos maillots comme aujourd’hui. Pour la Coupe, on avait des jeux de maillots différents, donc on pouvait plus facilement les donner. Mais en championnat, on rendait à la fin du match, on en avait 2 par match, et on les rendait pour les laver.
Avec quels coéquipiers tu t’entendais le mieux, as-tu gardé contact ?
Le football vous savez c’est comme une entreprise, on se fait des copains, beaucoup. Des amis, beaucoup moins. Donc il n’y en n’a pas énormément. Le 1er malheureusement n’est plus là, c’est Alain Polaniok**.
Alain Polaniok (PSG, 1986-1989) et Alain Couriol (PSG, 1983-1989), ce sont deux frères. Avec Alain Couriol, on ne se voit pas souvent mais c’est comme mon frère. On était ensemble en Bretagne fin août, chez des amis, pour la finale de la Ligue des Champions. On a vu le match ensemble.
Dominique Lokoli, on s’appelle de temps en temps, j’ai une grande affection pour lui. On prend des nouvelles. Il a perdu une fille, comme moi. Et son fils Laurent est sportif de haut niveau, il joue au tennis. Il y a Dominique Bathenay, aussi.
Que penses-tu de la pelouse du Parc comparée à celle que tu as connue ?
J’y ai mis les pieds une fois il y a 4 ans. On était venus sur la pelouse pour fêter le 1000ème match au Parc. Elle est magnifique, c’est un régal. Aucune comparaison avec la pelouse de l’époque, bien qu’elle était quand même pas trop mal.
Pour toi qu’est-ce qui caractérise, identifie le PSG ? Pourquoi est-il un club à part ?
La passion, la folie, l’impatience. Le PSG est à part car c’est le club de la capitale. Adoré, détesté mais il ne laisse pas indifférent.
Quel est le joueur le plus fort avec qui tu as pu jouer au PSG ?
Les 2 plus forts : Safet Sušić et Mustapha Dahleb.
Que penses-tu de la fuite des jeunes titis du PSG ? Ne penses-tu pas qu’il faut éduquer les jeunes pour qu’ils apprennent l’histoire du club et pour mieux s’identifier au PSG et se projeter au club pour leur carrière ?
Je pars du principe que les jeunes, il faut leur inculquer bien sûr le respect, bien se comporter, être irréprochables. Et l’envie de gagner, toujours. Cette envie de gagner, pour moi elle est très très importante. Ça se voit quand on regarde un gamin comme Mbappé. Depuis longtemps, il a cette envie de gagner. Il a déjà beaucoup gagné et il a encore très envie.
Si vous deviez changer quelque chose dans votre histoire avec ce club vous changeriez quelque chose, si oui quoi ?
Sans aucun doute la fin. J’aurais aimé que ça se passe autrement. Mon dernier match, je savais que c’était le dernier mais peu de gens, hormis le coach (Tomislav Ivić) et moi le savaient. J’aurais aimé dire au revoir. Et merci.
*435 matches avec le PSG, entre 1975 et 1979, à ce jour le joueur le plus capé du club. **Milieu de terrain du PSG (1986-1989) disparu en 2005.
Jean Djorkaeff est pour toujours le 1er capitaine de l’histoire du Paris Saint-Germain. Alors qu’il venait d’éclore, le club a pu s’appuyer pour ses premiers pas sur le défenseur et capitaine de l’équipe de France. Un pionnier parmi les pionniers à qui l’on a envie de dire : merci.
Jean, quel a été votre 1er contact avec le PSG ?
Le tout premier, c’était avec Monsieur Patrelle (président du Stade Sangermanois*). J’avais de bonnes relations avec lui car il était aussi à la Fédération (vice-président de la FFF). Je jouais en équipe de France, on s’est connus comme ça.
Un jour, à la fin de la saison 1969-1970, il m’appelle car mon contrat avec Marseille se terminait. J’avais 30 ans et j’étais libre.
Avec les « contrats à vie » à l’époque, j’étais lié à l’OM jusqu’à 35 ans. Mais en 1969, la loi a changé et j’avais cette possibilité d’être libre.
Comment cela s’est-il passé ?
Il fallait d’abord que je discute avec Monsieur Leclerc (Marcel Leclerc, président de l’OM), savoir si je restais. De l’autre côté, Monsieur Patrelle toujours très courtois, me convie à Paris pour rencontrer Monsieur Guy Crescent** au siège de son entreprise (Calberson). J’y suis allé avec ma femme et nous avons été très bien reçus.
En faisant la connaissance de ce Monsieur Crescent, j’ai rencontré un homme extra, super. C’est simplement comme ça que j’ai décidé de signer avec le PSG.
Autant avec Monsieur Leclerc quand je discutais avec lui pour savoir si l’on était d’accord pour la suite, toutes les deux minutes il était dérangé par un coup de fil : « Monsieur Djorkaeff, excusez-moi ». Je me suis dit, peut-être qu’il ne veut pas trop me garder.
Autant avec Monsieur Crescent, j’arrive dans les locaux de sa société, je me présente à l’accueil : « Monsieur Djorkaeff, je souhaiterais voir Monsieur Crescent ». Aussitôt, je vois arriver une personne qui se déplaçait avec difficulté compte tenu de son handicap (atteint de la poliomyélite à l’âge de trois mois, Guy Crescent n’a pu marcher pour la première fois qu’à l’âge de 12 ans, ndlr).
Il dit à sa secrétaire : « A partir de maintenant, je ne suis plus là pendant une heure et demie ». On est allés dans ses bureaux au 2è étage, on a discuté, et rapidement on s’est mis d’accord. J’ai beaucoup aimé son accueil, sa courtoisie et l’attention qu’il me portait.
Capitaine de l’OM et de l’équipe de France, vous devenez en 1970 le 1er joueur professionnel licencié au PSG.
Participer à la création de ce club me plaisait. Malgré tout, quand on regarde au départ : j’avais 30 ans, j’étais international et j’allais peut-être signer dans un club de National (équivalent de la D2) en pleine création. Je prenais un risque. Mais j’étais enthousiaste, le challenge était extraordinaire.
Comment étaient les premiers pas du PSG ?
On s’entraînait au camp des Loges, on jouait au camp des Loges et pour les gros matches, à Colombes. Notre stade était relativement petit mais il était plein. Le public avait mis en place une sorte de “club“ de supporters qui nous suivait. Ils étaient bien présents.
On était 5 ou 6 professionnels (Roland Mitoraj, Jacky Rémond, Jean-Claude Bras, etc) le reste, c’étaient des jeunes, des amateurs du Stade Sangermanois qui avaient un travail à côté (postier, garagiste, kiné, etc). On n’a jamais fait de différence avec les jeunes, au contraire, c’est ce qui a fait la force de notre équipe. Quel que soit le statut, quelle que soit la qualité des joueurs, on était très contents de se retrouver. On avait réussi à créer une ambiance formidable.
Les pros, on s’entraînait le matin et on revenait l’après-midi, ou le soir, pour la séance avec les amateurs. Tout le monde faisait le maximum. Il y avait un super état d’esprit. On était ensemble.
A l’issue de cette 1ère saison, le PSG rejoint l’élite.
Pour moi, c’était l’objectif. Quelque chose de très important. Même si en National, il y avait de bonnes équipes. On démarre la saison (invaincu les 8 premières journées, ndlr). Le 1er match (à Poitiers, 1-1), on ne le perd pas, c’était important. A Rouen lors de l’avant-dernière journée de championnat, notre victoire (3-1) fut déterminante pour la montée. Un match difficile face à une bonne équipe.
Qu’avez-vous ressenti ?
De la joie. C’était quand même extraordinaire de se dire qu’à peine un an après la création du club, le PSG était en D1. J’ai toujours chez moi mon maillot, le rouge. Je le garde celui-ci (sourires).
Les débuts du club en 1ère division étaient-ils compliqués ?
C’était plus mitigé au niveau des résultats et puis d’autres problèmes sont venus se greffer, il y a eu la scission. La partie professionnelle est devenue Paris FC, c’était le début de la fin. On était les joueurs, on était sous contrat. On n’a pas été consultés. Le fait est qu’on ne pouvait plus venir s’entraîner au camp des Loges. Ce n’était pas évident.
25 ans après vous, votre fils Youri s’engage avec le PSG et gagne la Coupe d’Europe ?
Le père et le fils dans le même club, c’est une chose qui n’arrive pas tout le temps (sourires). Il n’est pas resté longtemps (1 saison, 1995-1996) mais il a fait des choses extraordinaires. Je peux vous dire qu’il garde de très très beaux souvenirs au PSG. Vous savez, quand j’étais à Paris, il était petit, son frère et lui je les emmenais avec moi au camp des Loges et au Parc.
Vous attendiez-vous à ce que, le 23 août dernier, Nasser Al-Khelaïfi vous invite à Lisbonne pour la finale de la Ligue des Champions ?
J’étais surpris car cela fait quelques années que j’ai quitté le club (sourires). Cette invitation m’a fait chaud au coeur. D’autant que, dans le contexte, sanitaire, ce n’était pas simple d’inviter du monde.
Je regrette, avant le match, d’avoir dit que Paris gagnerait 3-1. J’étais persuadé que le PSG allait gagner. Nous avons été maladroits dans la finition mais cela fait partie du foot. J’ai passé un moment formidable.
C’était extraordinaire d’être là 50 ans après la création du PSG. Je me rappelle de toute l’équipe des débuts, les jeunes. Notre entente était vraiment bonne. On s’est un peu perdus de vue, c’est dommage. J’aimerais bien qu’on se revoit. On a tous œuvré pour que le PSG devienne un grand club. Pour moi, c’est un club mythique.
*le 4 juin 1970, le Stade Sangermanois (1904-1970) accepte la fusion avec le Paris FC pour devenir le PSG
**Vice-président puis président du PSG en 1971, Président du groupe de transports Calberson
Elle était au Parc pour PSG – Videoton le 24 octobre 1984, à Dortmund le 18 février 2020. Au Stade de France, masquée, pour les 2 dernières finales nationales. Qu’est ce qui fait battre le cœur de Dominique ? Le Paris Saint-Germain, essentiellement. Aimer ce club n’est pas une posture pour la jeune retraitée. Aimer, soutenir le PSG,
c’est depuis longtemps le cœur de sa vie.
Je m’appelle Dominique, j’ai 64 ans, j’habite à Franconville dans le Val d’Oise et je vais au Parc depuis bientôt 40 ans. En ce moment, c’est compliqué avec le couvre-feu… Le Parc me manque énormément mais c’est ainsi.
J’en suis à ma 23ème saison en tant qu’abonnée.
La 1ère fois, c’était le 12 décembre 1981. PSG-Metz avec mon meilleur ami Patrick. Il adorait le foot et moi, j’aimais le sport, j’aime tous les sports depuis que je suis toute petite. Je suis fille unique d’un papa qui jouait au football, dans la Sarthe, au plus haut niveau régional. Je vous parle de ça, c’était dans les années cinquante. Il a dû arrêter tôt car ma mère n’aimait pas trop qu’il passe tous ses dimanches au stade.
Et donc mon père, il voulait un garçon. Il m’a transmis sa passion pour le sport. Je me rappelle que, quand on a eu la télé à la maison, je regardais tous les matches de la Coupe du monde au Mexique (1970) avec lui, même à 2 heures, 3 heures du matin. En fait, on regardait tous les sports. J’ai pendant longtemps enregistré toutes les étapes du Tour de France, que je regardais après le travail. Cela me vient de mon papa. Je regarde aussi assidûment le biathlon, Roland Garros et d’autres sports.
Je pose aussi mes vacances quand il y a les Jeux Olympiques (sourires), les Coupes du monde et l’Euro de foot pour pouvoir les suivre pleinement. J’ai joué un peu au football, avec les garçons lors de tournois, et pendant 20 ans j’ai fait du handball en club, ma 2ème passion après le foot.
Mon père n’est plus de ce monde. Parfois, je me dis que je ne serai jamais allée au Parc avec lui. C’est un regret. Mais il n’aimait pas trop la foule…
PSG-Metz, le 12 décembre 1981, c’est pour moi le 1er match au Parc. J’avais acheté ma place 43 francs. J’avais 25 ans et je me rappelle qu’il faisait froid (sourires). J’ai le souvenir que, peu de temps après, il y a eu la finale de la Coupe de France (PSG – Saint-Etienne 1982). Je l’ai regardée sur une petite télé dans un restaurant avec des amis. J’étais enceinte de 7 mois.
Puis il y a eu les débuts du PSG en Coupe d’Europe. Moi je suis retournée au Parc pour plusieurs matches de la saison 1983-84, dont Videoton. Je garde tous les billets bien précieusement chez moi. Je garde tout.
Je suis née à Pantin (93), j’ai grandi à Rueil-Malmaison (92), je vis à Franconville (95), Paris est naturellement devenue « mon » équipe.
J’ai un attachement très, très fort pour le Paris Saint-Germain, que je partage avec mon fils Benjamin. Le PSG fait partie intégrante de ma vie, de notre vie.
Ma plus belle émotion au Parc, je dirais qu’elle arrive au début des années 1990 : le 18 décembre 1992. C’est le cadeau de Noël de mon fils. PSG-OM. Son 1er match au Parc. Il a 10 ans. Ce soir-là, il m’a tellement dit qu’il était heureux, que c’était le plus beau cadeau de sa vie. Je le revois avec ses yeux qui brillent, émerveillé. J’étais très émue. Le voir si heureux, j’en ai les larmes aux yeux quand j’y repense.
Pour PSG-Bucarest (27/08/1997, 5-0), c’était l’union sacrée. On a soutenu les joueurs dès le départ, c’était fusionnel. Et, je ne sais pas comment le dire mais tous ensemble, avec cette atmosphère, on savait que l’on pouvait vivre quelque chose d’incroyable, de magique.
Je me souviens aussi de PSG-Real (1993). Je venais de rentrer à l’hôpital pour une histoire d’oreille interne. Dans la chambre, Canal+ était sur la télé, ce qui m’a permis de voir le match. On l’a regardé avec mon père. Ce qui est sûr, c’est que si je n’avais pas été hospitalisée en urgence, je n’aurais pas vu PSG-Real. A la sortie de l’hôpital, j’ai pris mon 1er abonnement à la chaîne cryptée.
PSG-Liverpool, PSG-Parme… C’étaient des ambiances incroyables. PSG-Toulouse en 1994 le match du titre reste un joli souvenir. Ce jour-là, toute la journée avec mon fils, on se dit : « On y va ou pas ? ». Et à 19h : on décide d’y aller (sourires). Aussi bizarre que cela puisse être, il restait des places. Il fallait faire la queue, mais il restait des places. 1-0, but de Ricardo et le PSG devient champion de France (pour la 2ème fois).
A l’époque il n’y avait pas Internet. Soit on achetait les places directement au Parc, soit auprès de mon comité d’entreprise ou parfois, on récupérait des places avec le club de Franconville, qui était un club filleul du PSG. J’ai longtemps été dirigeante et au comité directeur du FC Franconville, où sont passés de futurs Parisiens comme Eric Rabésandratana, David N’Gog, plus récemment Timothée Taufflieb.
Un jour en 1997, à force d’aller voir les matches, je dis à mon fils : « Autant s’abonner tu ne penses pas ? Comme ça, quoiqu’il arrive on est sûr d’avoir notre place ». Mon fils avait 15 ans, l’abonnement était à moitié prix pour les mineurs. Nous nous sommes retrouvés en ¼ de virage, en tribune A Bleu Bas, vers le Kop de Boulogne.
Le PSG est devenu la passion de toute une vie. Depuis que mon fils Benjamin a 10 ans, nous n’avons plus quitté le Parc des Princes. On est restés ensemble jusqu’en 2002, puis il a rejoint les ultras à Auteuil (Lutece Falco). Moi j’étais toujours à la même place, mais pas seule. Je suis restée avec mes « amis de stade », comme je les appelle (sourires). Ce sont des personnes avec qui nous créons des liens spéciaux, voire amicaux mais que nous ne voyons qu’au Parc les soirs de matches. Jamais en dehors.
J’en suis à un peu plus de 700 matches au Parc. En 2010, avec le Plan Leproux, (mise en place du placement aléatoire en Virage et 1/4 de Virage) mon fils n’a pas pu retourner à Auteuil. Il m’a rejoint en latérale, et on a pu trouver des places côte à côte en Tribune Paris. Nous n’avons pas bougé depuis.
On a repris nos habitudes. Et dans cette nouvelle tribune, on a retrouvé un papa qui vient avec ses 3 filles et qui étaient en Tribune A avec moi depuis 1998. On s’est fait également de nouveaux « amis de stade », qu’on retrouve chaque saison.
Je suis assez superstitieuse. Par exemple au Parc, je dois toujours m’assoir à la même place, la mienne. Mais il m’est arrivé que l’on me demande de me décaler d’un siège pour arranger d’autres personnes. Or pour moi c’est quelque chose d’absolument impossible. Non non, ce n’est pas possible… Si je change, on va perdre le match (sourires). Au niveau des bijoux que je porte, il faut aussi que ce soit les mêmes à chaque fois (sourires). Je dois reconnaître aussi que je ne suis pas une supportrice très calme pendant les matches…
J’ai aussi mes petits rituels devant la télé, et avec le virus, c’est de plus en plus souvent … Face à l’Atalanta (Final 8, Ligue des Champions), nous étions 3 à la maison et à la pause, nous perdions. J’ai voulu que nous échangions nos places sur le canapé et le fauteuil. Résultat : on a gagné (sourires).
Une question qui me fait peur aujourd’hui c’est : « Va-t-on pouvoir retourner au Parc ? » Et « Comment ? » Je n’ai pas la réponse, ce que je sais, c’est que le Parc me manque. Vivement que nous puissions tous retourner au Parc pour vibrer à nouveau.
Depuis 3 ans que je suis à la retraite, j’essaie de faire tous les déplacements européens, en tribune visiteurs avec les supporters du PSG. Naples, Istanbul, Liverpool, Manchester United, Glasgow, Madrid, Munich, Dortmund. On part 3-4 jours avec mon fils et on en profite pour visiter. J’ai aimé tous les déplacements.
En Turquie pour Galatasaray-PSG (1/10/2019, 0-1), ils avaient fait sortir les femmes et les enfants de la tribune, juste à la fin du match par précaution au cas où cela dégénère. On était dans une espèce de couloir. Je me disais : « s’il y a un mouvement de foule, on va être placardés dans l’escalier… » C’est la seule fois où j’ai eu un peu peur.
Le 1er déplacement, c’était en 1997 pour la finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupe (PSG 0-1 Barcelone). 110 cars du PSG au départ du Parc direction Rotterdam. J’étais avec mon fils, et un ami à lui, Cyril. Malgré la défaite, c’est un super souvenir. Par contre, je revois encore Ronaldo tirer son penalty devant nous. Même aujourd’hui, ça me fait mal. L’image est ancrée.
Avant qu’il ait le permis, j’allais souvent récupérer mon fils et ses amis en retour de déplacement, la nuit, à 2h, 3h du matin. Par la suite, mon fils s’est beaucoup impliqué dans le mouvement ultra et dans cette passion. Je ne l’ai pas spécialement encouragé, mais pas non plus dissuadé. J’étais même là pour l’aider si besoin.
Parfois, je me dis que j’aurais aimé naitre dans un autre pays pour pouvoir vivre pleinement ma passion. En France, j’ai longtemps ressenti que le regard envers les femmes qui s’intéressent au foot n’était pas forcément bienveillant. Que ce soit en tant que supportrice ou dirigeante. J’ai aussi l’impression qu’on est très critique, pas toujours à fond pour encourager son équipe. Certains sifflent des jeunes de 17 ans qui jouent leur 1er match au Parc. Je trouve ça très dur. Il faut leur laisser le temps.
Le PSG est très ancré dans ma vie. Il y a beaucoup de décisions que j’ai prises par rapport au foot. Les repas de famille les soirs de match ? Ce n’est pas possible. Ma famille, mes amis, tout le monde le sait autour de moi. Chaque année, 6 mois avant la sortie du calendrier, je commence à anticiper, à voir en janvier à quelle période je vais pouvoir partir en vacances. Ma vie, elle s’organise autour du PSG. C’est le calendrier du club qui décide du reste. Entre le PSG Foot et le PSG Handball, où je suis également abonnée, cela fait une centaine de matches dans la saison. C’est vrai que cela prend une certaine place (sourires).
Avec des amies, nous sommes aussi parties 3 fois à Cologne pour le Final4 de Ligue des Champions du PSG Handball, plus des week-ends en province (Final4 Coupe de la Ligue, Trophée des Champions). Ces voyages sont toujours de supers souvenirs.
Lors de moments difficiles, le PSG m’a beaucoup aidée. Quand j’arrive au Parc, je me sens bien. J’oublie tout. Même à moins 10 degrés, j’y suis toujours. Mais je ne cache pas qu’à la fin d’une saison pleine, je suis quand même contente de faire une pause (sourires). C’est comme si je retrouvais une certaine liberté. Même si je suis aussi contente quand la saison reprend.
Les 2 dernières finales (PSG – Saint-Etienne 24.07.2020, PSG-Lyon 31.07.2020), je tenais à y être mais je n’ai pas pris de plaisir. 4 000 spectateurs dans un stade qui peut en accueillir 80 000, c’était vraiment tristounet. Il n’y avait pas d’ambiance, ce qui est le but d’une supportrice qui va au stade : bouger, chanter, supporter son équipe. Heureusement, on était du bon côté pour la séance de pénos (contre Lyon), et ça c’était agréable à vivre.
Parmi les joueurs que j’aime particulièrement, il y a Safet Susic, Laurent Fournier, Gabriel Heinze, Marco Verratti, et Nikola Karabatic. J’ai une poupluche de Verratti et pendant les matches devant la télé, je parle à la poupluche : « Marco, ça va pas du tout » ou « ce n’est pas possible » quand il conteste les décisions des arbitres et je le traite de « sale gosse ! » (rires)
Je suis très attachée au club, mais aussi aux joueurs. Et je suis toujours touchée quand un joueur nous quitte ou arrête sa carrière, comme par exemple lors du dernier match de Raì et Pauleta. Cette année, ne pas avoir « dit au revoir » à Thiago Silva et Cavani m’a peiné.
Avec Jean-Marc Pilorget, François Brisson et Thierry Morin, Lionel Justier fait partie
des fameux 4 mousquetaires, ces premiers joueurs sortis du tout jeune centre de formation du PSG, ayant disputé un match sous les couleurs Rouge et Bleu. C’était un soir de 1975 face à Reims. « Juju » c’est le prototype du mec de banlieue
du début des années 70. La gouaille facile, l’humour et la décontraction font de lui
un type attachant. Il s’est souvenu pour nous de ces années adolescentes,
du club un peu rock’n’roll qu’était le PSG de l’époque.
Tout en nous installant sur la terrasse de sa gentille maison dans l’Oise (à 45 mn de Paris), et en nous servant un café, Lionel Justier se demande avec nous pourquoi PSG a rarement su, pu, voulu faire éclore en son sein une jeunesse francilienne qui déjà dans les années 1970 vibrait pour le foot…
PSG venait juste de naître, juste avant nous, notre génération. Et au tout début, il y a eu des fusions, des associations entre clubs, etc. Donc peut-être que les jeunes connaissaient encore mal ce club. De D2, PSG est monté en D1. Je me souviens, on avait une belle équipe, la première année qu’on a joué… les mousquetaires. On pouvait battre n’importe qui sur un match, mais on n’était pas réguliers, sur la saison on ne tenait pas la distance.
Pourquoi ?
Parce qu’il y avait un peu trop de… je sais pas ce qui se passait avec cette équipe ! On jouait contre Saint-Etienne, Nantes, chaque fois on faisait des grands matchs. Et puis ben, quand on jouait un petit… peut-être qu’on arrivait la fleur au fusil, je ne sais pas. Et c’est comme ça qu’on passait à travers du match. Donc on végétait au milieu de tableau.
Que vous dit Hechter quand vous êtes en milieu de tableau ? Même si PSG vient de monter, lui il constitue une équipe de vedettes, il ne peut pas se suffire du milieu de tableau…
Ben non… Mais après, il y a eu aussi les changements d’entraîneur, des crises. Et puis, Hechter, on ne l’a pas laissé longtemps en poste, il y a eu le scandale de la billetterie, il a été remplacé. C’était un bon président et un bon mec dans la vie. Il était toujours derrière nous, avec nous. Des fois, il mettait des primes exorbitantes. Tu vas jouer Saint-Etienne au Parc, il y a une ambiance, le stade, quelques joueurs huppés… lui, on le voyait tourner, il venait dans le vestiaire. Nous, on jouait là nos premiers matchs. On était dans nos pompes. À l’époque, tout n’arrivait pas sur place avant nous, tu venais avec tes pompes. Plus que le capitaine, le leader, c’était Mous’ (Dahleb). Il aimait chambrer, blaguer. Il observait Hechter qui tournait. Soudain Hechter dit « double prime » ! Mous’ derrière dit « triple ! » Hechter répète « triple ! » (rires)
Quand tu es arrivé à Paris, tu étais international espoir, déjà. Comment ton entourage a perçu ta signature à Paris ? Ils n’ont pas eu peur que ce ne soit une équipe folklo ?
Mon premier match, c’était le 21 décembre, contre Reims. J’avais 19 ans. On m’avait mis dans la tranche d’âge de François (Brisson), Jean-Marc (Pilorget) et Thierry (Morin). Alors qu’en définitive, j’ai deux ans de différence avec eux. Ce qui fait qu’ensuite j’ai été le plus jeune buteur de PSG. Et le premier à avoir fait un doublé au PSG (contre Nîmes), et ça je le resterai tout le temps. Tout ça a fait mousser un peu tout le monde autour. J’ai reparlé de ça y’a pas longtemps, parce qu’on a du refaire un résumé de ma carrière pour le site. C’est mon fils qui s’occupe de ça, moi… Comme le jeune Kouassi (félon parti depuis en Germanie, ndlr) a marqué récemment un doublé, j’étais au match, ils le mettent « deuxième » plus jeune joueur à avoir réussi un doublé. Alors qu’il a 17 ans ! Un jeune comme ça, tu ne peux pas le priver du titre de plus jeune joueur du PSG à inscrire un doublé, c’est injuste. Alors j’ai appelé mon fils, je lui ai dit, « je sais que tu étais content que je sois le premier, mais essaie de faire corriger le truc. » Je lui ai dit : « si tu veux, pour toi, je reste le plus jeune auteur de doublé ! (rires)
Tu étais au match de Kouassi, tu as pu le rencontrer, ça aurait été beau comme un passage de témoin ?
Non. J’étais en tribune, invité, très bien reçu par le président Nasser.
Ça compte pour lui, Nasser, les anciens ?
Ben là, justement, nous recevoir, c’était valoriser le club et son histoire en mettant les anciens en avant. On a vraiment été très très bien reçus. Il y a eu beaucoup de photos, une vidéo…
À part toi, qui était convié ?
Plein de monde. Y’avait Carlos… Bianchi. On s’est revus là ! Ça faisait une éternité !
Il t’a reconnu ? (rires)
Ben oui, on s’est reconnus… bon, moi je l’ai reconnu tout de suite, il a toujours la même tête ! Moi, bon, j’avais une chevelure ! Mais aussitôt que je suis venu vers lui : « JUJU ! » J’étais aussi avec Michel Bibard (un des innombrables Nantais recrutés alors par PSG, ndlr), que je vois assez régulièrement, avec les anciens quand on fait le tournoi au château de l’équipe de France. Tous les ans, on fait ça, le tournoi de la finance, ça s’appelle. Ce sont des sociétés financières, des banques qui montent ça. Et c’est Guy Adam (historique coordinateur sportif au PSG, ndlr) qui organise. Nous on se retrouve au château la veille. On se fait une bonne bouffe et le lendemain, le tournoi. Moi je coache. Les premières années, je jouais, mais j’ai eu des problèmes à un orteil. Parfois je rentre juste dix minutes, c’est agréable de taper un peu dans le ballon.
Revenons à l’accueil de Nasser. C’était au Parc, donc, ça t’a fait de l’effet d’y revenir ?
C’était bien. Mais il y avait beaucoup de monde, et pas mal de joueurs des générations suivantes, que je ne connaissais pas personnellement.
Tu étais à l’hommage rendu à Mustapha Dahleb en 2019 à la mairie de Saint-Germain-en-Laye ?
Oh oui ! Et comment ! Mais Mus’, c’est…
On va y venir après, t’inquiète. Plus personnellement, gamin, dans la cour de récréation, t’étais plutôt un dribbleur ou un buteur ?
J’étais pas buteur. Ce que j’aimais, c’était courir, me dépenser. Même dans la cour, où l’entrée des toilettes servaient de cage (rires).
T’étais où à l’école ?
Je suis d’Asnières. Je suis né à Asnières-sur-Seine. Je crois même qu’à l’époque on était encore dans le 75.
T’étais le meilleur dans la cour ?
On était quelques-uns, mais je faisais partie des meilleurs. Pas le meilleur. On jouait aussi, avec des potes, près d’une église, rue Raymond Poincaré. Y’avait des bidonvilles et, derrière l’église, le curé nous avait fait un terrain. Réduit. Après, dès 12 ans, on jouait aussi avec des adultes, des plus grands. Sans compter les tournois de sixte. On les faisait tous. En club, j’ai commencé à jouer en minime. J’ai fait une saison à Asnières. Puis un copain algérien, qui avait un an de plus que moi, et qui venait de signer à l’ACBB (club réputé de Boulogne-Billancourt), m’a dit « viens, ça me fait chier de me taper le trajet tout seul ! » Ça faisait loin. On avait des entraînements après l’école en semaine. La nuit tombait. On rentrait à la maison vers 23 h… le train jusqu’à Saint-Lazare, puis le métro pour aller à Boulogne, station Marcel-Sembat. Et c’était au stade Le Gallo, sur les quais de Seine. J’ai joué là jusqu’en cadet. En junior, comme pas mal d’autres, j’ai suivi le coach au BAC (autre club de Boulogne), qui était d’un niveau inférieur, mais quand même assez relevé.
Le BAC ?
Justement, il y a eu un quiproco. Un journaliste prenait des notes, on a parlé du BAC, Boulogne Athletic Club. Je sais pas comment il a enfilé ses notes en faisant son article, mais j’ai appris en lisant son papier que je préparais le bac… (rires) J’étais mort de rire, parce que à l’école, moi, j’étais pas trop bon. Tout le monde me disait, t’as eu le bac alors ? Je disais, ben ouais hein ! (rires)
Un peu avant ça, quand tu avais 10-12 ans, qui était la star du foot ?
10-12 ans… ça nous met dans les années Cruyff ça. C’était mon idole.
Et chez les Français ?
J’ai pas plus de souvenirs que ça… en équipe de France, je me souviens de Marius Trésor et de la charnière noire avec Jean-Pierre Adams, qui est devenu un super pote, un ami. Je suis toujours ému quand je pense à lui. Ça me prend… L’équipe de France, à l’époque, c’était Saint-Etienne.
Y’avait pas un joueur français qui t’impressionnait particulièrement ?
Non. Après, il y a eu Michel…
Henri Michel ? Ou Platini ?
Platini, Platini. Henri Michel, c’était un grand joueur. J’aimais beaucoup l’impact qu’il avait sur son équipe (FC Nantes), on voyait qu’il était le patron. Et c’était un joueur agréable à voir jouer. C’était le fameux jeu à la nantaise. C’était un club où je rêvais d’aller jouer à cause de ça. J’étais fier de jouer au PSG, mais je continuais de rêver aussi de retrouver à Nantes mes potes qui étaient internationaux aussi en espoirs : Éric Pécout, Loïc Amisse… Donc, en France, la grande classe, c’était Michel, et à l’international, Cruyff.
Tu l’as vu jouer ?
J’ai joué contre lui ! Avec le Barça au tournoi de Paris. Y’avait Neeskens (sur une action aérienne, Johann II et Lionel ont eu un tête-contre-tête assez rugueux, ndlr). L’année d’avant, le Barça était venu déjà, et Carlos Bianchi, qui évoluait à Reims, avait joué contre le Barça sous le maillot parisien, mais il s’était cassé la jambe ! J’ai joué contre le Barça en 1976. Mais c’était un match amical, pas le tournoi de Paris.
Il était rempli le Parc pour le Barça et Cruyff ?
J’ai pas de souvenir précis, mais je dirais que oui, pas mal. Ne serait-ce que pour voir Cruyff, qui était LA star. Bon, pour moi, même si pour beaucoup c’est aujourd’hui un ancêtre, le dieu, le football incarné, c’était Pelé. Je suis en photo avec lui, dans le salon (une photo prise le 14/09/1976, lors du match opposant au Parc, devant 18 000 spectateurs, PSG au New York Cosmos, où le roi Pelé acheva sa carrière). Sur la photo, il y a cinq joueurs parisiens, dont moi, juste derrière le roi, autour de Pelé. Ça dit tout.
Quand tu as joué face à Cruyff, tu as vraiment senti sa supériorité, il était différent du reste des joueurs ?
Ben ouais, je l’ai senti ! Quand tu l’as en face de toi… ça me rappelait la finale de la Coupe du monde 1974. J’avais une action en tête : les Allemands avaient accroché Vogts à Cruyff dès le début du match. Et dans les deux premières minutes, il place une accélération, prend deux mètres d’avance, alors l’autre le descend, pénalty… Mais, cette action-là, il la répétait régulièrement : démarrage arrêté, accélération foudroyante. À un moment, contre le Barça, on est sur le côté droit, il a le ballon. Il est presque arrêté. Il marche avec le ballon. Tu arrives sur lui et pile au moment où tu arrives sur lui, boum, il démarre ! Je me suis accroché au maillot ! (rires) Je te jure que sur son démarrage, il m’a tiré sur plusieurs mètres ! J’étais allongé derrière ! Là, tu sens le joueur qui est « au-dessus ». Michel, c’était plus la « vista », avoir vu avant de recevoir le ballon. À Nancy, en plus, à droite, il avait une bombe, Olivier (Rouyer). Mais Cruyff ! Dans nos buts, c’était Michel Bensoussan. Cruyff est côté gauche, angle des 16 m. Il reçoit un ballon, il le reprend direct et lui met côté opposé en pleine lunette ! (rires)
Tu l’as un peu évoqué plus haut, Mustapha Dahleb. C’est une question que nous nous posons souvent, est-ce que c’était un vrai numéro 10 ?
(Après un temps de réflexion) Ouais, parce qu’il était tellement adroit et avait une énorme influence sur le jeu.
Pour ceux qui n’ont pas pu le voir jouer, on parle souvent de ses plaisanteries, on dit qu’il était jovial, etc. Mais sur les images d’archives, il a l’air très sérieux quand il joue. Dribbleur qui allait un peu partout, il me ferait penser à Youri Djorkaeff, une sorte de huit et demie… Avec aussi un côté Neymar, vu qu’il était rarement plein axe, souvent au départ sur le côté gauche…
À l’origine, il est ailier gauche. J’ai souvenir de PSG-Nantes où il te mettait Maxime Bossis sur le cul ! Ou Janvion ! Avec une facilité… petit pont, grand pont, il faisait tourner le ballon, puis hop il se barrait de l’autre côté. C’est le meilleur joueur avec qui j’ai joué. La classe pure. Il n’a pas eu la carrière qu’il méritait. S’il n’avait pas eu tant de blessures…
C’est un demi dieu. Des fois on se demande si ce n’était pas aussi parce que la France était encore un petit pays de foot. Est-ce que, pour toi, Dahleb aurait eu sa place au Real ou dans un club de ce niveau ?
À mon avis, il aurait même mieux réussi. Le Real, c’était autre chose. Sa technique, sa vista, son intelligence, son pied gauche…
C’était un leader sur le terrain ?
Il était naturellement le leader. Si Mus’ était pas dans un grand jour, ça se voyait en regardant l’équipe. À l’inverse, dans un grand jour, il t’emmenait toute l’équipe derrière lui. On avait tous envie de se battre pour qu’il puisse s’éclater.
Des fois on se dit qu’on a eu, peu de temps, ensemble Dahleb et Sušić…
Ouais, mais avec une différence de mentalité. Sušić, j’ai joué avec lui au tournoi des anciens. Il n’a pas été agréable du tout. En plus il se conduisait comme si c’était lui la star, alors qu’on a fini nos carrières hein… On pourrait rapprocher Mus’ de Neymar, peut-être, pour le positionnement. Neymar est extraordinaire… Il a fait des choses dingues. Et depuis longtemps. À Barcelone, il était dans l’ombre de Messi, mais contre Paris par exemple, c’est lui qui fait tout.
Comme joueur, tu n’aurais pas pu le blairer quoi (rires) ?
Je sais pas. Dans la vie, c’est un fêtard, j’aime bien ça. (rires) Pour revenir à Mus’, comme Neymar ou plus encore Messi, ils ont un don. Je suis plus à valoriser quelqu’un de moins doué au départ, comme Cristiano Ronaldo. Je suis admiratif, c’est une bête de boulot. Il a bossé sur sa technique, ses coups de pieds arrêtés et sa vitesse. C’est un type qui a tout gagné, à part la Coupe du Monde. C’est un phénomène, il a remporté des trophées dans tous les clubs où il est passé.
Revenons à Paris. Quand PSG naît, on entend souvent aujourd’hui dire qu’à l’époque il y avait un courant, une demande pour une grande équipe à Paris…
Je ne suivais pas tellement la presse. J’allais peu au Parc, d’abord parce que j’avais pas les ronds pour y aller. Et il n’y avait pas de matchs à la télé comme maintenant.
Le premier match télévisé de PSG, c’est la finale de la coupe de France 1982 (aussi la première fois qu’au lieu d’être rejouée en cas d’égalité finale, la coupe se décernait à l’issue des tirs aux buts).
Alors à mon époque… J’ai un neveu, qui m’a toujours suivi à mon époque pro. Pendant le confinement, un soir d’insomnie, il a plongé dans l’ordi et il est tombé sur le match PSG-Saint-Etienne de 1976 (le match durant lequel Juju se signala au monde du foot). Il m’a dit, « dans le match, c’est pas qu’on te voit beaucoup, mais ce que les commentateurs disent, ça fait chaud au coeur ! » C’est Thierry Roland qui parle…
On a vu cette séquence…Il parle d’un joueur qui crève l’écran, d’un grand blond, etc. Luis Fernandez raconte que lorsqu’il était tout jeune joueur, en arrivant au vestiaire, les Dahleb, les Bathenay lui jetaient leurs chaussures à nettoyer. Qu’on entrait qu’après avoir toqué à la porte. T’as connu ça ?
Ouais, ouais. Pantelic, il arrêtait pas de nous mettre des petites claques derrière la tête. Avec les paluches qu’il avait… (rires)
Lui aussi, c’était vraiment un grand gardien ?
La première année où j’ai joué avec lui, c’était un top gardien. Ensuite, il a baissé, il avait 34 ans, on sentait qu’il faiblissait, il faisait quelques boulettes.
Mais tu as ressenti ces petits bizutages…
Ouais, mais dans notre génération on venait d’endroits divers de la région parisienne. Thierry (Morin), il était de Saint-Germain. Bien élevé, etc. Jean-Marc, François et moi, on venait de quartiers où on déconnait. Encore aujourd’hui, si on se voit avec François, on passe notre temps à rigoler. Aussi, on se rebiffait. Et puis, pour Jean-Marc et moi, on est entré en équipe première en décembre et on n’en est plus jamais sorti. Quand tu t’imposes footballistiquement, dans le vestiaire aussi.
Le coach à ce moment-là, c’est Velibor Vasović (ancien défenseur yougoslave du grand Ajax, vainqueur de la C1 et devenu coach) ?
Non, c’est Fontaine.
Justement, parle-nous de Fontaine…
Ah Fontaine, pour moi… d’abord, c’est l’entraîneur qui m’a fait débuter. Hormis sur les systèmes de jeu, et tout le monde pourra discuter des systèmes de jeu de l’époque… mais Justo, à partir du moment où il t’avait choisi, il n’y avait pas de retenue, il ne te cloîtrait pas. Il y a des entraîneurs, ils te mettent en couveuse. Il y en a d’autres, ils font attention à toi, mais discrètement. Ils ne vont pas comme Guy Roux t’espionner, machin. Fontaine, lui, c’était confiance. Déjà, tu sortais le soir, il n’en avait rien à foutre. Tu fumais, c’était pas son problème. En revanche, sur le terrain, il fallait pas que tu te goures. C’était son optique. Moi, j’étais vachement à l’aise dans ce truc-là. Il me faisait confiance, je le lui rendais sur le terrain. C’est presque le seul avec qui ça s’est passé comme ça. J’ai eu de bons mecs, plus tard, en D2, comme Prudent Bacquet (coach de Châtellerault). Mais j’avais mûri, j’étais un homme. Alors qu’avec Justo… Il y avait déjà dans la presse des ragots, untel qui disait qu’on avait vu tel autre sortir, etc.
Justo entendait tout ça. Des fois aussi, il te chambrait, t’étais où hier soir ? (rires) Lui, tu le baratinais pas. Bon, ben, j’étais en boîte. Il répondait, bon, tu t’es éclaté ? Bon, maintenant, au boulot.
Et Vasović ?
Différent. Déjà, il y avait le problème de la langue.
On vous l’avait amené comme une star ?
Ben, déjà, nous, on savait qui c’était ! Il avait joué avec l’Ajax. Mais dans l’équipe de l’Ajax, c’était pas lui que j’avais retenu. Je connaissais tous les noms des joueurs de l’Ajax. De Krol à Keizer, qui était capitaine jusqu’à ce que Cruyff arrive et devienne le patron. Johnny Rep était tout jeune, mais top.
Comme entraîneur, Vasović ne vous a pas fait passer de cap ?
Non, je pense pas. D’autres te diront peut-être le contraire. Moi, j’avais l’armée à faire. Mais je souffrais régulièrement d’une sciatique. Du coup, je me suis fait exempter. Mais en match et même aux entraînements, ça m’handicapait beaucoup. Donc Vasović me faisait jouer, puis plus. Après, quand j’ai été mieux, c’est Larqué qui est arrivé.
Tu ne veux jamais parler de Larqué ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ben parce que je veux pas polémiquer. Je veux pas obliger Larqué à répondre. C’est loin. Comme Jean-Michel nous écartait souvent, Jean-Pierre Adams et moi, mes copains, Jean-Marc, François, etc, nous surnommaient « Les bannis ». En référence à une série télé que vous êtes trop jeunes pour connaître (flatteur va !, ndlr). Avec Earl Corey et Jemal Davis. Deux chasseurs de primes, un Blanc du sud et un Noir affranchi du Nord.
Larqué avait écarté Adams ?
Ben oui. Il ne jouait pas tous les matchs. Bon, après, Larqué, je ne cherche pas à semer la zizanie, à faire en sorte qu’il se défende… Il en a sûrement en plus rien à foutre aujourd’hui. À l’époque, j’étais sûr que c’était lié à mon fameux match référence contre…Saint-Etienne. J’étais jeune, j’avais fait des déclarations. On m’avait demandé ce que ça me faisait de jouer Saint-Etienne, j’avais répondu que je jouais au foot pour disputer ce genre de matchs, mais qu’on allait jouer comme contre n’importe quelle équipe. Le journaliste m’avait demandé aussi ce que ça me faisait de devoir marquer Larqué, puisque j’étais 6 et lui 10. Alors j’ai dit que Larqué était exceptionnel techniquement, très adroit, mais que, alors, il était plus sur la fin que sur le début… J’avais 19 ans, mon point fort, c’était le physique. J’ai une technique correcte, je suis capable de mettre de bons ballons. Donc, j’ai dit que le plus dur ce serait pour lui : me suivre. Quand j’aurai pas le ballon, il l’aura, mais je serai derrière pour le lui prendre. Et quand moi j’aurai le ballon…
Ouais. Depuis Fontaine, je jouais 6, mais lui me poussait à monter plus, à avoir confiance, à oser. Fontaine disait, « un autre derrière va colmater si tu montes, alors vas-y ». Pour Larqué, j’avais juste dit ça, il faudra qu’il coure, sinon je vais avoir des ouvertures dans le jeu. Après, comment lui a pris ça… En plus, quand il est arrivé comme coach : interdiction de fumer, de boire du champagne dans les réceptions, etc… Souvent, Jean-Pierre (Adams), qui habitait près du Pecq, passant devant chez moi pour aller s’entraîner, me ramassait en bagnole. Dans sa grosse mercedes, en y allant, on se faisait une clope. Une fois, qui était derrière nous, dans une grosse BM grise ? Larqué ! Ah putain, y’avait de la fumée partout dans notre bagnole… (rires). Une autre fois, je ne sais plus où c’était, mais dans les buts, c’était Daniel Bernard… entre parenthèses, avec Larqué, lui aussi il a pris grave : un lendemain de match, il débriefait dans le vestiaire et parlait de chaque joueur… t’avais côte à côte sur le banc, Adams, Bernard et moi. Il arrive à Daniel Bernard – qui avait pas fait un très bon match. Daniel, c’était un sanguin. Et Larqué lui dit, il serait peut-être temps que tu arrêtes le football, quoi… Daniel, ça a pas raté, il a décollé du banc ! Jean-Pierre et moi, on l’a rassis, « fais pas de conneries » ! Tout ça a mis un peu un frein à mon début de carrière, alors que Vasović allait revenir après que Larqué se soit fait virer (ça, c’est Paris !, ndlr). Borelli, entretemps, avait succédé à Hechter. Il me restait un an de contrat. Borelli me convoque et me dit, « je sais que ça se passe pas bien avec Jean-Michel. Plutôt que de faire un banquette, on pense vous prêter un an au Paris FC (qui jouait en D1 alors, ndlr) ». J’ai hésité. Si je restais, j’allais faire banquette. J’ai accepté mais un peu à contre-cœur. C’était mon club. Je savais que je pouvais réussir là, quoi. Le Paris FC, c’était un jeune club qui montait, avec le président Zeppelini. Ils avaient pris comme coach Robert Vicot et des joueurs que j’appréciais, comme Jean-Noël Huck, Georges Éo, Bernard Lech, qui avaient tous la trentaine. En plus jeune, avec moi, il y avait Michel Bensoussan, qui partait en même temps que moi. Putain ! J’aurais été patient, cette saison-là ! Larqué se fait virer au bout de six mois… Quand j’ai appris ça, je me suis dit, quel con ! En plus, au PFC, ça se passait pas super bien. Vicot me faisait jouer latéral. Je comprenais plus rien… l’impression de sombrer. Du coup, cette année-là, on est redescendus. En plus, j’ai été dans la merde financièrement, parce que le président Zeppelini m’a arnaqué. Heureusement, Brest m’a contacté. Je suis parti à Brest. Un contrat de trois ans, de 79 à 82. Après, je suis parti à Nîmes.
Quand tu étais dans ces clubs, tu pensais qu’un jour tu pourrais revenir à Paris ?
Au départ, j’avais fait une croix dessus. Ce que j’espérais, c’était de continuer à jouer en D1. Je pars du PFC, qui descend. Il y a des joueurs comme Thouvenel, qui avait fait une bonne saison, à son poste, lui, et qui a rebondi à Bordeaux et fait une belle carrière là-bas, avec la coupe d’Europe, l’équipe de France, etc. Je me retrouve à Brest, promu. Là-bas, il y avait Vabec.
Bénie époque où il y avait un Yougo par équipe française !
Pareil, lui, il faisait ce qu’il voulait. L’entraîneur Alain de Martigny le laissait libre. Il fumait dans le vestiaire ! (rires) On était plusieurs joueurs à fumer, comme moi, Daniel Bernard (à Brest aussi après PSG, ndlr). Bon, on se prenait une clope, mais à la fin du match, tu vois, vestiaires, la douche, hop. (rires) Mais Vabec, avant le match, pendant la causerie du coach, à la mi-temps et à la fin ! C’était un peu exagéré. Tu peux te passer de fumer pendant un match ! Mais il était tellement bon pour l’équipe !
Qui était président de Brest, Yvinec ?
Non, c’était juste avant, c’était Michel Bannaire. Mais c’était un super club où j’ai passé trois super années, à part un peu la dernière… J’aime la Bretagne, je suis un peu breton par ma mère. Promu alors, pour eux tout était nouveau. Je retrouve Patrick Martet, que j’avais connu à l’ACBB, qui avait déjà été deux ou trois fois meilleur buteur de D2 au Havre, à Rouen ou à Brest.
Encore un parigot qui était allé jouer ailleurs…
Ouais. Après l’ACBB, il avait joué à Poissy. Puis au Havre, où il jouait avec un Yougo sur l’aile gauche…
Žarko Olarević ?
Je crois que c’est ça, ouais. Après, il s’est installé vers Quimper. On s’appelle pour les vœux, on est en contact. C’était un joyeux drille ! Lui qui n’avait jamais joué en D1, la saison où Brest la joue, il se blesse dès son arrivée, du coup, il avait presque pas joué quand on est redescendu. Par contre, pour aller voir le président, c’est lui qu’on envoyait ! (rires) Pour les primes, tout ça. Il faisait peur à tous les présidents…
Revenons sur le Parc, comme bâtiment. Tu te rappelles la première fois que tu y es entré ? L’effet du stade sur toi ?
Ah ouais ! Ça te marque à vie ! Quand tu entres là-dedans… Bon, déjà, on était allés en stage à Deauville. Avec les pros ! Fontaine nous avait emmenés tous les quatre. On ne savait pas du tout qu’on allait jouer. On avait été méritants en D3. Fontaine avait eu des problèmes avec certains joueurs, le match avant qu’on joue Reims. Il y a eu une petite coupure, il emmène tout le monde au vert. Là, il a directement sorti quatre joueurs de l’équipe. Ils avaient perdu, je crois, 3 – 0 à Monaco. Là-bas, on a fait des entraînements sur le sable, tout ça. On n’en revenait pas de l’hôtel où on était logés, avec des suites… c’était fabuleux : massages par jets ! (rires). Avant de repartir pour Paris, repas du midi, sieste. Fontaine vient nous voir un par un dans nos chambres. Il me dit « Tu vas jouer numéro 10, à la place de Jean-Pierre (Dogliani). » Donc il avait sorti Jean-Pierre… qui était quand même le Monsieur. Pareil pour les autres, Thierry Morin remplace Jacky Novi (international), Jean-Marc (Pilorget) remplace Denis Bauda… François Brisson sera remplaçant mais entre pour le seconde période. Et moi, donc, il me met numéro 10.
C’est ça. Alors quand on arrive au Parc, dans les vestiaires, il y a Jean-Pierre (Dogliani) qui vient me voir. Il me prend à part, « Viens, Lionel… ». Peut-être même qu’ils ne m’appelaient déjà plus Lionel mais Juju, mais bon. Après le match contre Saint-Etienne, tous m’ont appelé Juju. Il m’emmène dans le hall du Parc. Il me dit : « Ton match, tu joues comme tu sais. Tu joues libéré. Comme quand tu jouais en D3, comme quand tu jouais en amateurs. T’as les qualités. Tu ne t’occupes pas de ce qui se passe autour. » Le fait est que je suis entré sur le terrain sans aucune appréhension. Bon, après, quand ça se lève dans les tribunes, t’as le pincement. Encore qu’à l’époque, c’était pas blindé. Je sais pas, il y avait peut-être 30 000… (31 976, pour être précis,ndlr). Il y a eu de l’engouement, une partie du public était là parce qu’il y avait quatre jeunes dans l’équipe. C’est après ce match, qu’on a commencé à parler de « mousquetaires ».
Tu le connaissais, toi, le public du Parc, tu connaissais des gens qui y allaient régulièrement ?
Ah oui ! Mais autre époque. Aujourd’hui tu ne peux plus les approcher, alors qu’à ce moment-là tu allais au Camp des Loges, tu pouvais parler… Quand on revenait au vestiaire, y’avait du peuple qui nous attendait. Tu discutes avec les uns. D’autres, tu deviens presque pote, à force. Le jour de Reims, le car nous avait déposés devant le Parc. Pas en dessous. Il y avait une barrière qui allait jusqu’au hall. Tout le monde qui gueulait « Allez les jeunes ! On est derrière vous ! » Ils te prennent la main, te tapent dans le dos, sur la tête… et là, tu les as là. Émotion. Ils étaient nombreux.
Eux, ils étaient contents qu’il y ait des titis ?
Ah ben eux ouais ! Pour eux, c’était un peu comme une révolution au club. Ça leur faisait plaisir.
C’étaient des banlieusards et des Parisiens, ce public-là ?
Oui ! Sinon, tous les matches qu’on jouait régulièrement contre les gros, c’était moit’-moit’. Les Nantais de Paris, les Stéphanois de Paris, etc. En plus, les Parisiens étaient aussi un peu stéphanois, à cause de la coupe d’Europe. Mais quand on a gagné 2-1 contre Saint-Etienne, ils ont changé de maillot ! À la fin du match, le Parc était rouge et bleu. Une autre époque… tu vois, il y a un petit jeune qui m’a contacté, qui m’envoie des photos d’époque, des liens. Il voulait une photo dédicacée. Il a été surpris, parce que je lui ai dit tout de suite, « D’abord, tu me tutoies. » Je lui ai fait accéder plus directement à d’autres joueurs. Il a des photos de Brisson… Moi, sur les réseaux, via mon fils, je suis accessible. C’est comme ça que j’ai donné une interview dans le sud, il y a pas longtemps.
C’est celle qui est sur youtube. Réalisée par le seul supporter parisien qui a l’accent du midi !
C’est ça. J’avais loué là-bas pour les vacances, et comme il avait contacté mon fils, on l’a fait. Les mecs, ils sont amoureux du football, alors je trouve inadmissible qu’on ne leur réponde pas. Y’en a, on a parlé comme ça, si je sais que je vais au Parc, je suis invité, je le leur dis, comme ça on se voit, on discute. Pareil, le jour des retrouvailles avec les anciens, Bianchi, etc, dont on parlait tout à l’heure, je sors du Parc après le match avec Michel Bibard… et là, il y a un mec, 35-40 ans peut-être, il vient vers nous, avec ses albums photos ! « Ah, monsieur Bibard, monsieur Justier… » Moi, je lui dis, « c’est Lionel ou Juju, t’enlèves « monsieur » » !
T’étais peut-être déjà trop grand, mais tu as eu des figurines Panini de toi ? Parce que moi je t’ai eu en PSG et en PFC !
Ouais, je les ai eues.
Tu en as gardées ?
Ouais, ouais. J’ai les albums photos. C’est ma mère qui faisait tout. Moi j’aurais jamais fait d’albums.
Pas de collection de maillots ?
Si, j’en ai.
T’as les maillots de PSG avec lesquels tu as joués ?
Ouais. J’ai tellement donné de maillots. Même les plus beaux que j’avais reçus d’autres joueurs.
Non… J’ai le livre de Pelé, il me l’avait dédicacé. J’avais été dans le vestiaire, au départ pour échanger le maillot. C’était quand le Cosmos est venu. J’ai commencé par lui demander s’il pouvait me signer mon livre de lui. Il m’avait mis Amitiés, je crois, et puis Good Luck.
La classe.
Mais moi, au départ, je voulais le maillot. Mais il y avait un petit jeune en larmes dans le hall des vestiaires. Les agents de sécurité voulaient le faire sortir. Pelé, de l’intérieur, l’a entendu crier. Il est sorti. Il a pris le môme et il l’a fait entrer avec lui dans le vestiaire. Il lui a mis le maillot dans les mains… C’est pour ça que je n’ai pas eu le maillot de Pelé. Si j’en avais demandé un, ils m’en auraient filé un. Mais moi, celui que j’aurais voulu, c’était celui qu’il avait porté.
Tu disais que c’était plus ton fils et ta mère qui s’occupaient de collectionner…
J’achetais un peu la presse, l’Équipe et le journal du coin où je me trouvais. Ma mère m’obligeait à garder les articles qui parlaient de moi. Quand elle venait à la maison, elle les récupérait et elle achetait tout ce qui sortait pour vérifier. La première année à Paris, elle est devenue supportrice du club !
Abonnée ?
Ouais. Mais de toute façon, ils l’invitaient pour tous les matches, elle faisait même les déplacements en province.
Une ultra quoi ? (rires)
Ouais. Elle était dans l’autocar. Ils venaient la chercher à Asnières et l’emmenaient au rendez-vous du car des supporters. Elle rentrait avec l’autocar et sous le bras tous les articles ! (rires)
On entre dans le virage final de cet entretien : le club a 50 ans, si on l’envisage par décennie, quel serait ton PSG préféré ?
En dehors du mien, celui dans lequel j’ai évolué… j’ai toujours un peu suivi ce qu’il se passait au PSG, pendant toute ma carrière. Bien sûr, j’ai suivi de plus près les années Coupe des Coupes…
Les années Canal…
J’étais quand même heureux. Je me disais, c’est mon club. Mais j’ai bien aimé la période Guérin, Ginola, Le Guen…
Les Brestois ! (rires)
Ouais, c’est vrai, même Lama a été brestois. Mais j’aimais bien aussi la période Joël… Joël Bats.
Idéalement, si PSG devait gagner la Ligue des champions, tu préférerais que ce soit avec un PSG de Galactics ou de Franciliens ?
Avec des gamins d’ici. Mais ça n’arrivera pas… Tu en auras quelques-uns qui sont d’ici. Franciliens plus que parisiens. Ce serait bien pour Paris qu’il y ait un ou deux vrais Parigots. Ce serait bien, tant qu’il est là, de gagner avec Mbappé, qui est de Bondy, avec Kimpembe…
Depuis le Nigéria, où il suivra demain soir la finale de C1 PSG-Bayern, Augustine Jay-Jay Okocha, toujours très attaché au PSG, a souhaité envoyer un message.
Jay-Jay, que ferez-vous ce soir à 21h (heure française) ?
Je serai à la maison, chez moi au Nigéria, devant ma télé. Je devrai aussi rester concentré (sourires) car j’analyse ensuite le match sur Zoom pour Mastercard. Ce sera un match difficile, très tactique. Pour moi, c’est l’équipe qui aura le plus envie qui l’emportera. Aussi celle qui fera le moins d’erreurs.
Votre famille supporte-t-elle aussi le PSG ?
Vous savez, mon fils est né à Paris et ici à la maison tout le monde sera pour Paris, c’est comme ça, je n’envisage pas que cela soit autrement (sourires). Au Nigéria, beaucoup de gens seront derrière le PSG.
Avez-vous suivi les 2 premiers matches du PSG dans ce Final 8 ?
J’ai tout regardé à Lisbonne. Je trouve que les Parisiens ont très bien joué. On a vu qu’ils avaient très envie, qu’ils jouent ensemble, comme une vraie équipe. C’est quelque chose de très important. L’état d’esprit qui se dégage de ce groupe est très bon. Ils se soutiennent, ils font les efforts les uns pour les autres. Et puis il y a des joueurs exceptionnels comme Neymar, Kylian Mbappé qui prennent leurs responsabilités. J’ai été impressionné par Marquinhos.
Comment avez-vous vécu les dernières minutes face à l’Atalanta ?
J’étais très nerveux pour être honnête. Mais pour moi, ce scénario, c’est un signe qui veut dire beaucoup. C’est révélateur de ce qui se passe avec une équipe qui n’abandonne jamais, qui est là et qui ne lâchera rien jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché, ils l’ont emporté. Ils méritent cette victoire (2-1). Je trouve que cette équipe est magnifique.
Qui n’aimerait pas ? J’aurais adoré. Mais je crois que c’est un peu trop tard pour moi (sourires). J’ai aimé jouer avec Ronaldinho. Nous avions une relation fantastique, sur le terrain, à l’entraînement, dans la vie.
Vous souhaitez adresser un message aux joueurs, au club
Oui. Je veux souhaiter un bon anniversaire au club. Joyeux 50 ans ! (en français dans le texte, ndlr). Je veux simplement dire félicitations à toutes les personnes qui ont joué un rôle dans les 50 premières années du Paris Saint-Germain et qui on fait ce que ce club est devenu. On parle souvent des joueurs. Mais les supporters, je crois que ce sont les personnes les plus importantes au club. J’ai toujours énormément apprécié leur soutien quand j’étais à Paris. Ils nous ont toujours poussés. Je suis heureux pour eux, que dimanche ils puissent vivre une finale de Ligue des Champions. Je suis un grand fan du club. Car j’ai vécu 4 années merveilleuses au PSG. C’est une atmosphère qui est incroyable, spéciale. Depuis le début, j’ai un feeling spécial avec ce club.
Maintenant, je veux souhaiter le meilleur pour les joueurs, au manager Thomas Tuchel pour la finale. J’aurai mon maillot du PSG quand je regarderai le match. De tout cœur avec vous. ALLEZ PARIS !
Dernier épisode de la Saga Supras. Nos trois anciens présidents reviennent
sur le Plan Leproux, la fin du groupe et leur façon de vivre aujourd’hui LA PASSION ULTRA. Jusqu’à la fin !
En 2010, vous arrêtez tous ?
Selim : Le mot d’ordre c’était boycott et puis on a surtout été dissous, avec des interdictions de stade à gogo avec pointage au commissariat, des perquisitions.
Bobine : Sans parler des coups de pression, menaces et compagnie hors stade.
Selim : Il faut être honnête, les menaces, voire les agressions physiques hors stade ont eu lieu des deux côtés.
Boat : On a longtemps discuté avec Boulogne mine de rien. Les leaders faisaient en sorte que ça ne dégénère pas.
Revenons sur 2010, il y a pas mal d’anciens Supras qui ont participé à la contestation.
Selim : Pas vraiment en réalité. C’est un peu une réécriture de l’histoire cette version. En avril 2010, nous sommes dissous, 80 % du noyau est IDS et le plan Leproux fuite dans les journaux en mai 2010. En plus du placement aléatoire pour nous interdire de nous réunir au Parc, le plan Leproux prévoit des mesures complètement délirantes pour aller en déplacement. C’était Larrue multiplié par 100 : obligation d’adhérer à la charte TousPSG, d’emprunter le bus affrété par le club en étant accompagné par des stewards, de donner l’identité de toutes les personnes montant dans le bus, de soumettre le matériel à l’approbation des autorités. C’est le retour des déplacements officiels PSG et la mise à mort du principe d’autonomie et d’indépendance des ultras. Bref, l’opposé total de l’identité et de la culture de groupe qu’on a forgées depuis 15 ans. Il est bien-sûr hors de question pour nous de céder au chantage.
Mais en septembre 2010, craignant qu’on parte dans un boycott qui ne se terminera jamais (et l’histoire ne leur a pas donné tort là-dessus), une des sections importantes du groupe, la K-Soce Team, décide de jouer le jeu du club et d’accepter le plan Leproux en partant en déplacement à Lens dans les fameux parcages de « lynx ». C’est la scission inévitable. Ça revenait à accepter tout ce que Larrue avait tenté de nous imposer quelques années auparavant. Mon hypothèse est qu’ils ont été manœuvrés par Jean-Philippe d’Hallivilée (responsable de la sécurité à cette époque) qui a dû leur faire miroiter une normalisation rapide de la situation s’ils acceptaient le plan Leproux et se désolidarisaient du mouvement de boycott unanime. En réalité, c’était un moyen de diviser le front uni contre la Direction et sa politique et cela n’a eu aucun résultat puisque la situation n’avait pas évolué d’un pouce cinq ans après. JPDH a été très habile et a brisé notre dynamique.
En dehors de cet épisode, il y a en effet eu un phénomène de contestation avec notamment l’épisode du sit-in contre Saint-Étienne dès le mois d’août 2010, puis des contre-parcages un peu plus tard. Mais les Supras ou ex-Supras n’étaient pas à la manœuvre. Pour plusieurs raisons : nous étions encore nombreux à être IDS, nous avions d’autres soucis sur le plan judiciaire qui nous mobilisaient beaucoup plus et surtout nous étions convaincus que le boycott pur et dur était le meilleur moyen d’arriver à nos fins. Finalement, l’histoire nous aura donné raison puisque c’est le PSG lui-même qui a fini par sonder des groupes prêts à revenir à partir de 2015 quand il a constaté que son décor en carton-pâte ne tenait plus la route. Les contre-parcages n’ont eu aucun effet dans ce retournement, c’est simplement le déficit d’image lié à l’absence totale d’ambiance au Parc qui a poussé le club à changer son fusil d’épaule. Le boycott était la clé depuis le début, il fallait être patient.
Il faut avouer que nous étions également épuisés, on sortait de plusieurs années de conflit avec le club, avec Boulogne, avec les autorités judiciaires, deux morts autour du Parc en une poignée d’années, l’environnement était hyper toxique, on n’avait pas l’énergie pour guider cette contestation. Donc ça a permis à de nouvelles générations qui n’avaient pas forcément fait partie des noyaux durs des anciens groupes de se prendre en main, de se constituer pour tenter de faire valoir leurs droits. Je crois que LPA a été un élément vraiment moteur de cette contestation et je ne connais pas beaucoup de Supras actifs à mon époque qui ont participé à cette aventure. Peut-être que certains à la marge se sont mis dans la roue, mais, ce n’est pas eux qui ont mené ce combat. Au même moment, comme par hasard, notre local crame. On n’avait plus de point de ralliement. En plus de ça la contestation commence à tourner au fiasco, les flics rasent tous les mecs à chaque action, leur collent des IDS en pagaille, c’était le carnage. Et pourtant il y avait des mecs acharnés… qui se sont battus. Mais nous, on ne pouvait plus.
Le boycott du Parc n’a en revanche pas signé la fin du lien qui nous unissait. Depuis 2003, nous entretenions une amitié avec la Wilde Horde, le groupe ultra historique du FC Cologne. Cette amitié a permis de faciliter la transition vers un fonctionnement de groupe déconnecté de la vie au Parc et de notre équipe puisqu’on avait quand même toujours cette possibilité de vivre avec eux notre idéal ultra. Ça a été une vraie bouffée d’oxygène. Et puis le FC Cologne est un club à l’opposé total du projet fric et communication du PSG version QSI. C’est un club ancré avec une tradition et une histoire superbes même si ils n’ont pas l’équipe qu’ils mériteraient d’avoir, comme nous à Paris pendant presque 15 ans. Cologne c’est l’une des plus grandes villes allemandes avec une vraie identité culturelle locale, un dialecte, le Kölsch, un folklore hyper riche et surtout toute une ville absolument dingue de son club. La Wilde Horde nous a soutenus dans les moments les plus difficiles, a toujours été présente à nos côtés. Ça fait 17 ans cette année que nous sommes amis, c’est chouette de rencontrer des jeunes de leur groupe qui étaient à peine nés quand cette amitié s’est nouée. On est vraiment dans la transmission d’une génération à l’autre, celle qu’on n’a pas pu faire à Paris.
Du coup vous allez voir des matchs là-bas ?
Selim : Bien sûr.En 2017, ils ont joué l’Europa League, c’était leur première participation à une coupe d’Europe depuis un premier tour de C3 en 1992. C’était la folie. Ils ont une base de fans incroyable. A Arsenal, ils étaient 25 000 devant le stade alors que seulement 3 000 places leur étaient accordées. Le match a été retardé d’une heure car tout le monde voulait rentrer dans l’Emirates Stadium, avec ou sans place ! Ils ont enchaîné avec 5000 fans à Belgrade et 650 en Biélorussie à Borisov. On les a accompagnés évidemment. Ils déplacent des milliers de supporters partout, c’est impressionnant. La scène ultra en Allemagne est vraiment à un superbe niveau sur tous les plans, c’est une des plus intéressantes en Europe. Et puis sur le plan du rapport au club, ils ont la règle du 50 + 1 qui permet aux supporters de détenir 51 % des parts des clubs professionnels. Forcément, t’as un rapport beaucoup plus solide et sain avec ton club.
Boat : Il m’arrive même de monter au grillage avec eux !
Selim : Cette belle amitié nous permet de maintenir une continuité, un lien avec notre groupe. On est certes beaucoup moins nombreux qu’à l’époque, mais les camarades qui sont restés fidèles et qui partagent toujours notre idéal, pour certains cela fait 20 ans maintenant que je marche avec eux et je sais que dans 20 ans, on pourra toujours compter les uns sur les autres. On a construit une fraternité qui traverse le temps, les épreuves, et c’est ce qu’on a fait de meilleur.
S’il n’y avait pas eu le plan Leproux, vous pensez que vous seriez encore dans le bloc aujourd’hui ?
Selim : Qui sait ? Mais avec un autre rôle. On aurait été là pour faire passer les valeurs, assurer la transmission, l’héritage et accompagner les jeunes générations. Mais ce processus était déjà enclenché dès 2008, il y avait déjà un passage de témoin de la génération qui avait redressé le groupe entre 98 et 2001 grosso modo. Boat, Bobine ou moi, on ne gérait plus le groupe au quotidien entre 2008 et 2010. On restait en veille bien entendu et on était consultés, mais on avait remis les clés du camion en quelque sorte aux mecs qui étaient présents chaque semaine en déplacement, qui se mobilisaient sur le terrain, qui allaient au charbon. On ne voulait pas conserver un pouvoir illégitime et décider en lieu et place de ceux qui faisaient le groupe au quotidien. C’est une politique qu’on avait décidée en toute connaissance de cause et qui était cohérente avec nos valeurs : c’est ceux qui agissent qui doivent être en capacité de prendre des décisions.
Parlons à présent du procès sur la reconnaissance des droits du slogan « Ici c’est Paris ».
Boat : L’intérêt du chant est lié à l’histoire qui a été mise en place par les tribunes. Au départ on a protégé ce chant, pas pour faire du business, mais parce qu’il devait être protégé pour éviter que des personnes mal intentionnées fassent du pognon dessus.
Bobine : Par l’intermédiaire d’un fusible, certains avaient déposé « Virage Auteuil » et d’autres slogans comme « Notre histoire deviendra légende ». Le début du business sur le dos des tribunes avait déjà démarré et allait s’accélérer. Une fois « Virage Auteuil » déposé, certains sont venus à notre table et nous ont réclamé 10% de tout ce qu’on faisait en plus de nous dire où vendre notre fanzine « Supras Paname » (ils voulaient nous interdire Auteuil rouge pour avantager certains). Début d’un racket que j’ai refusé. Nous nous sommes mis dans la foulée sur le dossier, nous avons protégé entre autres, le nom du groupe et le fameux « Ici c’est Paris ». Boat l’avait lancé et vu que certains slogans avaient été volés pour en faire des marques, nous n’avons pas hésité. Selim appuiera toute la procédure quelques années après. Et elle a duré un certain temps en plus d’être assez complexe.
Boat : On ne voulait pas qu’un opérateur privé s’approprie une culture qui appartient à toute la communauté parisienne. Parce qu’aujourd’hui « Ici c’est Paris », ça a dépassé le cadre du Parc des Princes. On le retrouve sur du Street-Art, dans des paroles de chansons, etc.
Selim : On a fini par trouver un accord avec le PSG pour s’assurer que le slogan puisse continuer à être utilisé par la communauté des fans tout en actant qu’il s’agissait désormais d’un symbole important dans la stratégie de communication duClub. Mais on s’est sentis bien seuls dans ce combat. Les groupes qui ont repeuplé le Virage Auteuil n’ont jamais accompagné le mouvement alors que la question de la marchandisation du patrimoine culturel des supporters aurait pu et dû être un enjeu important à défendre. Idem pour des médias spécialistes du PSG qui ont refusé de relayer des actualités sur ce sujet de peur de perdre leurs accréditations. . Ce serait plus facile pour moi de penser que c’est la toute-puissance du Club qui annihile tout esprit de contestation chez les supporters organisés par crainte de perdre des « avantages » durement acquis, mais je crois que l’explication est beaucoup plus terre à terre : personne n’en a plus rien à cirer de ces considérations. Les combats d’avant-garde, la réflexion sur la place des supporters et par extension de la culture des supporters dans un Club, tout cela a été balayé en 2010 avec la dissolution des groupes historiques et ne reviendra plus.
Je profite de cette interview pour rendre hommage à James Rophe de LPA qui a disparu il y a quelques semaines. Je l’ai rencontré dans le cadre de cette procédure. Il avait une conscience aiguë des problématiques soulevées par cette affaire et il a activé de nombreux leviers pour nous aider à trouver une issue favorable et qui permette de ne pas privatiser totalement le slogan. Il a d’ailleurs poussé le sujet au niveau de l’ANS afin queles autres groupes français appréhendent les risques de déprédation de leurs créations culturelles. Il a été le seul à nous aider en coulisses et il mérite toute notre reconnaissance à ce titre. Qu’il repose en paix. Nous remercions également les supporters qui nous ont aidés grâce à leurs dons à faire face aux frais engagés dans ces procédures.
Quelle est l’origine de ce « Ici c’est Paris » à la base ?
Boat : C’est le PSG-Galatasaray de 2001. Quand c’est parti en couilles en tribune.
Selim : C’est paradoxal qu’un chant aussi spontané, lancé dans un contexte très belliqueux, soit finalement devenu un enjeu pour le marketing et la communication. Le club a d’ailleurs reconnu que « Ici c’est Paris » était une création des supporters. Au moins Michel Montana arrêtera de raconter des bobards et de se faire mousser en criant sur tous les toits qu’il est à l’origine du chant !
Est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui une vie ultra est possible en France ?
Selim : Le mouvement en France me semble beaucoup moins prolifique qu’à la fin des années 1990-début 2000. A la décharge des groupes actuels, on évolue dans un contexte social tout à fait différent, qui réduit de plus en plus les espaces de liberté et d’expression populaire. On a alerté l’opinion quand on était encore actifs au Parc et l’histoire nous a donné raison : toute la mise en place de l’arsenal sécuritaire à partir de 2006 dans les stades préfigurait une utilisation extensive des interdictions de déplacement, de séjour dans un département, des interdictions administratives et pas seulement dans les manifestations sportives. On l’a vu avec les Gilets Jaunes bien-sûr et divers mouvements sociaux. Nous vivons une dérive gravement sécuritaire et ça ne risque pas de s’arranger. On verrouille également l’expression. Bien sûr l’expression critique vis-à-vis des actionnaires, on en a déjà parlé, mais l’expression populaire dans les stades d’une manière générale. Ça avait commencé avec la banderole « Bienvenue chez les Ch’tis ». Les Boys ont été dissous à cause de ça, c’est délirant. Moi, elle m’avait fait marrer évidemment, ça fait partie de notre folklore ultra de se balancer des horreurs bien senties par banderoles interposées. Et il était rare qu’on en parle le lendemain dans les journaux, le spectacle des tribunes restait dans les tribunes ou dans le cercle des initiés. En 2004, quand on accueille Fiorèse et Dehu au Parc avec une douzaine de banderoles plus infâmes les unes que les autres, c’est un véritable concours de mauvais goût que seuls les plus fins gourmets savent apprécier.
Maintenant, la moindre banderole un peu caustique fait les gros titres et est disséquée sur les chaînes d’information en continu dès le lendemain. T’as plus le droit d’appeler l’arbitre « enculé » alors que pour un ultra, c’est simplement son prénom en fait ! Ça devient la foutue Corée du Nord dès qu’un ministre fout les pieds dans un stade. La ministre des Sports qui se pointe comme une fleur à Bauer au milieu d’une des grèves les plus dures depuis 30 ans et qui s’étonne de se faire baptiser son carré Hermès à la binouse… Le processus de spectacularisation a vaincu. On aseptise totalement le produit football pour mieux le vendre à un plus grand nombre de consommateurs. Quand je suis allé à Boulogne pour PSG-Lille en novembre, j’étais assis à côté de deux Coréens pour qui le passage au Parc était manifestement une attraction vendue par le tour operator dans un pack avec la Tour Eiffel ou Disneyland. A droite, à gauche, partout j’ai vu des types faire des Snapchats, le Parc étant finalement devenu un décor tendance pour partager une vidéo hypée sur les réseaux sociaux.
Du coup je préfère vivre avec mes souvenirs, l’intensité des expériences que nous avons vécues, l’authenticité des espaces de liberté que nous avons constitués. Par contre, le boycott du Parc ne m’empêche pas de porter les valeurs ultras, de continuer à les faire vivre dans d’autres espaces. A mes gamins, j’essaye d’inculquer les valeurs et les codes qu’on m’a transmis à l’époque : loyauté, solidarité, humilité, créativité, authenticité, goût de la liberté. Toutes ces valeurs tu peux les transmettre hors du champ du supporterisme stricto sensu.
Boat : On continue à les vivre à chaque fois qu’on va à Cologne. J’ai un bon exemple avec Thomas, le chauffeur qui nous a accompagnés la dernière fois à Cologne. Il ne connaissait pas du tout le délire. Il a découvert un côté très fraternel, quelque chose qui va au-delà de l’amitié.
Bobine : J’ai un très beau souvenir à Cologne chez nos frères de tribunes. C’était un jeune de la Horde qui écoutait mes conseils dans une discussion improvisée comme si j’étais de l’ancienne garde. Je ne le connaissais pas, lui me connaissait de nom pourtant il buvait mes paroles. Il y a eu une réelle transmission alors qu’on n’avait pas le même âge et qu’on n’était pas du même endroit et tout ça en anglais. Et cette transmission ne portait pas sur la tribune, le foot ou le mouvement, mais sur des mises en garde de ce qui important, les études, que tu peux vivre ta passion, mais qu’il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier, la famille est primordiale…on le disait plus haut, des valeurs humaines, comme un père doit donner à son fils. Tu te sens d’un seul coup ni plus ni moins, utile à quelqu’un.
Vous ne voudriez pas faire pareil à Paris ?
Boat : On ne connaît pas les gars, et je crois que ce serait compliqué. Et puis on avait notre espace de liberté à l’époque. Nous sommes des gens sensés, ou on l’est devenu, mais il ne fallait pas nous dire quelles frontières on ne devait pas dépasser. Quand j’ai entendu l’autre jour cette histoire sur le fait que le club a demandé publiquement aux ultras de ne pas siffler Neymar…Comme si la liberté d’expression s’arrêtait aux portes du stade. A l’époque on n’aurait jamais écouté ces recommandations. Et de toute façon on ne nous les aurait pas données publiquement. Encore une fois on est dans une société de moins en moins libre avec de plus en plus de contrôle social.
Selim : En premier lieu, sur la forme, quelle légitimité on aurait à le faire ? On ressemblerait à quoi si on avait laissé des mecs s’échiner pendant des années dans des contre-parcages, des manifs, des procédures pour casser des IAS pour finir par se pointer comme des fleurs et rafler la mise après la bataille menée par d’autres ? Nous n’avons jamais été des passagers clandestins. Et puis il y a surtout un problème de fond : non seulement la déconnexion totale avec l’époque, mais surtout le principe même d’avoir à la tête de ton club un Etat qui obtient les Mondiaux d’athlétisme ou la Coupe du Monde en activant des réseaux de corruption, c’est impensable. Tu peux pas gueuler pendant 15 ans contre les instances corrompues, la LFP ou la mafia de l’UEFA, et faire comme si de rien n’était quand un des principaux agents de ce système met la main sur ton club pour huiler les rouages de la machine et obtenir des contreparties politiques. Le bonbon que le Qatar offre à la France pour fermer les yeux, c’est une équipe avec des stars planétaires. Pour les mecs qui vont au stade aujourd’hui, le discours que je tiens est inaudible.
Tu penses que les Supras auraient été unis dans ce discours ?
Selim : A partir du moment où tu en fais une conviction de groupe, elle est partagée majoritairement. Si tu ne la partages pas ou plus au fil du temps, il faut quitter le groupe.
Boat : Quand tu gères un groupe, tu éduques une tribune. Une tribune ne naît pas en sachant faire des tifos. Tu vas lui apprendre et la faire grandir. Tu la sensibilises. L’impact d’un groupe sur une tribune, c’est énorme.
On aimerait finir cette interview en parlant de Momo, le photographe mythique des Supras, emporté par la maladie en 2016. Que pouvez-vous nous dire sur lui en guise d’hommage.
(Long silence)
Boat : J’ai peur d’être très terre à terre en disant simplement que c’était un de nos potes. On a rendu un hommage équivalent à d’autres anciens Supras disparus. Après c’était quelqu’un de connu donc ça a concerné plus de monde. C’était un personnage important du groupe.
Bobine : Pas plus Momo que les autres. Malheureusement beaucoup sont partis. Momo était plus médiatique, c’est tout. On ne les oubliera jamais et ils nous accompagnent dans chacun de nos bus et chacune de nos fêtes.
Selim : Il a été important dans la notion « archives et mémoire » du groupe car il avait abattu un énorme travail de photographie, qui était sa passion. Il nous a permis de constituer un corpus de photos considérable. Il a laissé une trace physique dans l’histoire du groupe grâce à son travail. Mais il ne se mettait jamais en avant. Il était très discret et humble malgré son physique de géant. C’était un colosse admirable, il a lutté des années contre sa maladie en restant pudique jusqu’à la fin. Un exemple d’humilité. D’une manière générale, on continue d’entretenir des liens avec les familles, les mères, les pères, les enfants des copains qui nous ont quittés. On n’a pas été épargné malheureusement. Ils savent qu’ils peuvent compter sur nous et qu’on était vraiment une deuxième famille pour leurs proches, que leur souvenir continuera de vivre avec nous. Une pensée émue et fraternelle pour Elie, Poucky, Momo, Virginie, Alicia et Dominik de la Wilde Horde. Ils vivent avec nous, leurs familles savent qu’elles peuvent compter sur nous. Ça vaut tous les matchs au Parc qu’on manque aujourd’hui. C’est bien plus important.
Boat : Quelque part c’est un bon résumé du « Vivre ultra ». Tu ne nais pas ultra. Ça devient ta vie. Ça ne te lâche plus. Jusqu’à la fin.
Quatrième partie de l’interview des SUPRAS AUTEUIL 91.
On évoque avec eux les combats du groupe et les relations parfois compliquées
avec le club, avec Boulogne et au sein même du Virage Auteuil.
Nous parlions des relations avec les supporters. Parlons des relations avec le club. A partir de quand avez-vous senti l’importance de la parole des Supras auprès de la Direction ?
Bobine : Jusqu’au milieu des années 90, des réunions régulières avec le club se tiennent au siège pendant que des revendications spontanées sortent en tribune. Les premiers tifos sont élaborés, les chants s’étoffent et les groupes écrivent leur histoire en tribune. On continue de jouer au chat et à la souris entre le permis, le toléré et l’interdit. Mais le contexte n’est pas encore très compliqué. Les vrais combats et les négociations difficiles avec le club arriveront plus tard. La situation et l’architecture des tribunes allaient se complexifier. Le club décide d’avoir une politique de sécurité que j’appellerais « du loup dans la bergerie ». Ils veulent acheter une forme de paix sociale. Tout le monde n’allait pas y trouver son compte. C’est une période trouble pour le Virage qui était loin d’être uni et très largementinstrumentalisé. Certains ont collaboré pour sauver leur peau, d’autres ont profité de larges passe-droit obtenus par des personnes qui allaient les évincer quelques années plus tard. Les Supras, eux, il fallait les « sauter ».
Pourquoi vouloir faire sauter les Supras ?
Bobine : Quelque chose que tu ne pourras pas enlever de la tête de certains, un nouveau Virage est né avec les Supras, groupe se revendiquant apolitique et ouvert à tous donc cosmopolite, « The Boss », président des SA, était d’origine algérienne (respecté par ailleurs par certains gars du KOP) et le Virage était et est toujours ni plus ni moins la tribune de tous, des blancs, des noirs et des arabes, symbole de la mixité sociale et raciale. Je n’ai pas besoin de te faire un dessin… La période entre 1996 et 2000 a donc été compliquée, pressions d’un côté et défections de l’autre, qui n’étaient pas pour contribuer à la bonne santé du groupe. Nous n’avions qu’une seule chose à faire : résister et tenir. C’est ce que j’ai essayé de faire avec d’autres pendant une belle période : un septennat. Puis la roue tourne, comme on dit. J’ai fait mon temps, je suis fatigué et usé.
Les regrets sont néanmoins nombreux, des gars qui ont écrit de très belles pages des SA et pour lesquels j’avais une grande estime sont partis. J’y ai cassé des amitiés. Il n’est pas toujours évident de comprendre les prises de décisions et surtout les réactions d’un président de groupe. Personne n’est à sa place. Je ne veux certainement pas dire par là qu’il a toujours raison, personne n’est doué de la bonne décision ou réaction en toute circonstance. Le climat était très particulier et loin d’être confortable, tu n’y es pas forcement préparé et tu es particulièrement seul (les conseils et appuis des anciens sont inexistants puisqu’ils ne sont pas restés). Néanmoins personne ne m’a forcé à prendre la place. Donc tu assumes, mais je te prie de croire que le plaisir est rare et la question de continuer est quotidienne car tout cela ne te rapporte absolument rien, au contraire cela te coûte beaucoup.
Ensuite, de nouvelles générations arrivent avec de nouveaux talents. J’en profite pour signaler que dans cette interview, beaucoup n’ont pas été cités, mais chaque personne qui est passée au groupe sait ce qu’il a fait, ce qu’il a apporté aux Supras et au Virage. Je citerais en particulier « TGV » et Philippe alias « Fulup » pour le coup, des vrais hommes de l’ombre, mais qui ont tellement fait pour le groupe. Ils ont disparu de la vie du groupe aussi discrètement qu’ils y étaient arrivés, mais on ne les a pas oubliés ! Je passe la main à Boat en mai 2003. Le groupe commence à avoir du répondant en tribune depuis un certain temps maintenant, les mecs commencent à ne plus se laisser faire. La maternelle a grandi, et là vous enchaînerez entre autres avec la signature de la convention entre le club et les supporters.
Selim : C’est beaucoup plus tard, ça c’est la fin du conflit avec Graille-Larrue, à la fin de la saison 2004/2005. (Ndlr : Francis Graille a été Président-Déléguée du PSG du 5 juin 2003 au 2 mai 2005. Jean-Pierre Larrue a été Directeur de la Sûreté et de la Sécurité du PSG du 3 août 2004 au 5 mai 2005.)
Bobine : On commence à être écoutés.
Selim : C’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, c’est vrai. Avant il y a plein de combats comme le maillot. Il y a un truc dont on n’a pas parlé qui est fondamental, parce qu’on a parlé tout à l’heure de l’impulsion de la culture ultra. A mon époque, on regarde aussi beaucoup ce que font les Tigris, parce que les Tigris c’est un groupe moteur, qui est en avance sur son temps. Quand j’arrive, le groupe est en déclin, il y a une génération qui arrive et qui travaille, on s’inspire bien sûr de l’Italie, mais on s’inspire aussi beaucoup des Tigris. Les Tigris et les LF, à l’époque, faut l’avouer, n’ont pas beaucoup d’estime pour nous. Parce que tu as une génération qui vient d’exploser. Le groupe est à la limite de la rupture et de l’arrêt pur et simple, et tu n’as pas de culture ultra bien implantée. Autour du groupe, t’as des mecs qui viennent avec des écharpes aux poignets et nous on va essayer de changer ça. On voit que les Tigris ne sont pas du tout structurés comme ça. Eux ils sont à fond dans la culture ultra. Ils importent vraiment de manière intensive le truc italien. Pendant que les Lutèce, eux, sont à cheval entre le truc italien et anglo-saxon, ça a toujours été un petit peu entre les deux.
Bobine : En quelle année les Tigris sont-ils revenus déjà ?
Boat : 1997.
Selim : Oui, c’est là où vraiment ça explose.
Bobine : Ils font passer la culture ultra au sein du Virage de 50% à 100%, histoire de dire.
Selim : Eux explosent à ce moment-là, et ils créent une émulation. On se dit « putain, c’est un bon groupe, ils sortent du beau matos, ils imposent la culture ultra dans leur bloc, leurs étendards ils sont mieux finis, il y a du détail ». Ça commence à éloigner les mecs qui sont peinturlurés, des écharpes en veux-tu en voilà, ceux qui gueulent quand ça agite des drapeaux. Ils les dégagent de leur bloc à coups de mégaphone. Et nous on va se mettre dans la roue.
A ce moment-là, c’est quoi le look Tigris?
Selim : C’était assez différent Aujourd’hui, le dress-code de base chez les ultras ou les hooligans se ressemble beaucoup, avec des marques hors de prix, tout le monde en Stone Island. Nous, ça n’a jamais été notre délire, le trip poseur. Quand tu vois nos photos de groupe de l’époque, tu vois une bande de jeunes en virée qui passent du bon temps, pas une bande de hools dans une représentation viriliste, les poings en garde, comme c’est devenu la norme même pour des petits groupes de province. T’as des « bandes » à Tours, à Rouen, c’est délirant, pour nous c’était des scènes insignifiantes. Les jeunes ne s’en rendent peut-être pas compte parce que cette époque est dépassée, mais t’avais quand même pas mal de « lensois » à Auteuil, qui se trimbalaient toute la panoplie maillot, survêtement PSG, écharpes aux poignets. Donc le look qui s’est substitué petit à petit, c’était le look ultra de l’époque, jean ou jogging, baskets, sweat capuche, matos de groupe essentiellement. Mais on n’était pas du tout dans la reproduction du look hooligans. Si t’avais mis une bande d’Auteuil et une bande de Boulogne côte à côte, t’aurais fait la différence rien qu’à la dégaine. Chez nous, c’était hyper bigarré. T’avais pas tellement de mecs en Lonsdale à Auteuil par exemple. De nos jours, je ne suis pas sûr que la différence soit aussi évidente, il y a eu une récupération de ces codes vestimentaires casuals par les ultras.
Du côté des Supras, on a toujours fait cohabiter des mecs issus de cultures différentes : hip hop bien évidemment, mais aussi des rastas, des mecs Rock and Roll, des gars qui écumaient les teufs électro ou des spécialistes du karaoké spécialité variété française ! Les Supras c’est peut-être le groupe qui a fait le plus cohabiter de cultures différentes. C’était très métissé au niveau culturel. T’avais des mecs qui écoutaient Lunatic, d’autres Agnostic Front ou Burning Spear et parfois même les trois à la fois. Pour revenir au sujet, les Tigris créaient beaucoup d’émulation, et avec les Lutèce, ça faisait 3 groupes qui étaient en compétition. On regardait beaucoup ce que faisaient les Tigris, ça nous donnait la motivation pour renouveler le stock de deux mats, éloigner du bloc les mecs qui ne chantaient pas. Il faut comprendre qu’une tribune ça s’éduque et que rien n’arrive spontanément. Pour devenir une tribune à majorité ultra, il a fallu imposer ce modèle. Ce qui paraît naturel aujourd’hui, chanter dans un bloc, agiter des drapeaux tout le match, ça ne l’était pas à l’époque et il a fallu l’imposer. Et les Tigris l’ont imposé avec vigueur en rouge et on a fait pareil dans notre secteur en Auteuil bleu.
Quel a été le premier combat selon vous dans le Virage ?
Selim : C’est le retour en 2001 du maillot Hechter et ce sont les Tigris qui en sont à l’origine. C’était super important, une première pierre dans la symbolique ultra de la défense de l’institution. A l’époque de Boat et Bobine, il y avait bien sûr eu le lobbying pour ne pas quitter le Parc pour le Stade de France au moment de sa construction.
On parle de quel maillot ?
Selim : Celui sans liseré blanc. Epoque Anelka, Luccin, Dalmat… On organise un sit-in devant la boutique des Champs. Ça ne servait à rien de faire des banderoles ou des chants si on n’accompagnait pas la démarche par des actes. Et bloquer l’accès de la boutique sur les Champs, c’est un acte fort. C’est l’époque où le PSG veut commencer à faire un toilettage grossier sur le mode Canal + banlieues friendly. Ils voulaient se servir du club comme vitrine culturelle de l’idéologie diffusée par la chaîne. Les Tigris avaient distribué des tracts dans le Virage avec comme message « maillot Hechter oublié, merci les amnésiques ». On n’avait pas Photoshop à l’époque, c’était très artisanal et malgré ça ils arrivaient à faire des visuels qui avaient de la gueule. Ils avaient un temps d’avance sur les visuels, le matériel… Ils nous ont obligés à bouger notre cul. Soit tu les suivais, soit tu étais enterré.
Revenons sur les années 2000. Les Supras deviennent donc de plus en plus importants.
Selim : Oui car on a beaucoup travaillé pour imposer la culture ultra et marginaliser la culture « Footix » qui existait aussi chez nous. On se déplace partout et plus nombreux. On multiplie les tifos, en commun avec les autres groupes, mais aussi sur notre bloc. On fête en 2001 les dix ans du Groupe et c’est l’occasion pour nous de travailler comme des tarés pendant des semaines pour faire un tifo sur toute la tribune avec des supports inédits. Par exemple, la voile déployée en Auteuil Rouge était entièrement graffée, c’était une première.
Boat : Les « Footix » faisaient partie de l’histoire du groupe. Notre particularité c’était de rassembler un peu tout le monde. Il y avait des mecs un peu footix qui étaient aussi dans nos cars et c’est avec plaisir qu’on les accueillait. Par contre dans le bloc on avait cette exigence. Tu étais là pour chanter, sinon tu allais un peu plus haut.
Selim : C’est à cette époque et le travail autour de ce tifo de 2001 que va se créer la section la plus importante de l’histoire du Groupe : la Génération Supras. En 2002, elle est officialisée avec des objectifs clairs. Ce n’était pas une section affinitaire, mais une section avec une valeur utilitaire. Elle devait identifier des jeunes présentant un profil qui pouvait correspondre à nos valeurs et les intégrer progressivement dans le groupe en valorisant leur investissement dans les activités essentielles, en particulier leur présence lors des permanences et avant-matchs au Parc pour contribuer à l’activité première du Groupe, c’est-à-dire l’organisation de l’animation en tribune au sens large. La GS a accompli un véritable travail d’éducation des jeunes membres à la tribune et à nos valeurs : dévouement, humilité et fun ! Ce n’est pas un hasard si de nombreux membres de la GS sont toujours présents 20 ans après dans notre communauté. Beaucoup ont imprimé viscéralement la mentalité du Groupe. A cette époque, on a un noyau solide et soudé qui va former la base de ce qu’on appellera la SA Familia, avec un vrai esprit de famille.
Pouvez-vous nous parler de l’arrivée des Authentiks, qui étaient un peu considérés comme vos petits frères ?
Boat : Leur arrivée nous a fait du bien. Ils sont rapidement devenus un bon groupe. Déjà car ça devenait difficile de rentrer à Auteuil. Il y avait une longue liste d’attente. Le seul endroit où il y avait de la place c’était chez eux, côté tribune Paris. Et puis ils étaient bons dans ce qu’ils faisaient. Du coup le Virage plus la Tribune G, c’était vraiment devenu impressionnant.
Selim : On avait rencontré les ATKS, ils nous avaient présenté leur projet. On était évidemment favorables à une extension de la culture ultra du Virage vers la G. Je ne suis pas certain que ça se reproduirait aujourd’hui, à savoir un groupe majeur qui aide un jeune groupe à prendre son essor. On ne les voyait pas du tout comme des « concurrents », bien au contraire. Lors de leur premier match, le PSG ne voulait pas qu’ils déploient leur bâche. Le club ne voulait pas d’un groupe dans la tribune G. Nos gars sont passés par-dessus le grillage en tribune G pour mettre la pression sur les stewards et permettre aux Authentiks de déployer leur bâche. Ça a commencé comme ça. Les ATKS ont très vite progressé et sont devenus un groupe important dans l’ambiance du Parc. Le centre de gravité vocal s’est alors déplacé en partie vers la G et les Supras avaient donc un rôle central à jouer pour coordonner les chants entre la tribune G et le Virage Auteuil. On partageait la même mentalité en mettant au centre l’humilité et le fun. La plupart de leurs membres auraient sans doute été Supras si le Virage avait eu la place de les accueillir. Leur émergence symbolise également en creux la montée en puissance du Virage dans la culture urbaine parisienne, qui ne pouvait plus accueillir tous les gens qui voulaient le rejoindre. Le désir de prendre part à l’ambiance du VA a donc débordé et s’est prolongé en tribune G grâce aux Authentiks. C’était génial de voir la culture ultra s’étendre en quart de virage !
Beaucoup de jeunes supporters ne le savent pas, mais dans les années 1990 jusqu’au début des années 2000, la région parisienne compte de nombreux supporters de l’OM, qui ne veulent pas supporter un club de « facho ». C’est le travail entrepris par les groupes du VA et de la G qui a ancré le PSG dans la culture urbaine francilienne à un moment où on ne pouvait pas compter sur les résultats de l’équipe pour populariser le club dans les quartiers notamment. Nos groupes étaient en phase avec la réalité musicale, artistique, culturelle et sociologique de l’époque et cela a contribué à renverser cette tendance et à attirer tous les jeunes franciliens vers le PSG. Les ATKS ont bien sûr pris part à cette lame de fond et ont forgé leur propre identité au fur et à mesure et c’est devenu le fameux Funky Group. Ils ont été fidèles à l’idéal commun qu’on partageait et ont participé à l’aventure jusqu’au bout en 2010, dans les pires moments. Lors de la dissolution des deux groupes en 2010, on a fini par mettre en commun nos forces dans un collectif informel qu’on a appelé alors le Paname United Colors. L’expérience a été éphémère, mais elle a symbolisé la symbiose entre nos deux groupes dans leur disparition. Notre dernier match au Parc contre Montpellier le 15 mai 2010 sonnait un peu comme l’explosion d’une supernova. Les Authentiks, c’était un groupe frère, pour ne pas dire jumeau !
Boat : Pour en revenir aux rapports de force avec le club, le premier Président avec qui on a pu échanger c’est Perpère. Je me souviens de discussion à l’époque ou Luis Fernandez était entraîneur. On avait prévu de chanter contre lui, contre l’avis de la direction, mais on a su imposer notre position. OK il faisait partie de l’histoire du club, mais on estimait qu’il devait démissionner. Ça nous avait amenés à bloquer le car des joueurs avec deux voitures lors d’un entraînement au Parc des Princes. Ça s’est fini dans le parking avec les joueurs et c’était pas loin de partir en vrille avec certains.
Bobine : T’étais venu avec ta Ford et moi ma Fiat. On avait bloqué les 2 entrées du parking souterrain du Parc. Fernandez est descendu du car, mais les joueurs sont restés au fond du bus, ils étaient terrorisés et se demandaient ce qui se passait alors que nous n’étions que deux…(rires)
Boat : On sortait d’une défaite au Portugal. Et je voyais Ronnie qui se marrait dans le car. Je lui ai demandé de descendre… C’est Jérome Leroy qui est venu ensuite et avec qui je me suis « expliqué »… Il a encore voulu faire sa caillera.
Bobine : J’ai eu aussi de « beaux » échanges avec Makélélé plus tard. C’était lors d’un cocktail de début de saison avec les assos officielles. On arrive au Parc pour un entraînement à huis-clos. On se rend compte qu’il n’y a rien de prévu en fait. Il y avait quelques cannettes de soda et les joueurs n’étaient même pas au courant. Ils sortent et nous voient : Malaise ! Je commence à discuter avec Maké. Il me dit direct « Les supporters je n’en ai rien à foutre, il n’y a que le carré vert qui m’intéresse ». No comment. Ça te la coupe…Le capitaine de ton équipe te dit ça ! Tu sors de là, tu n’as même pas envie de t’énerver. Tu es KO technique.
Boat : Toujours sur ces fameux rapports de force, pour te donner une idée de notre pouvoir de nuisance, il y a eu une réunion improvisée sur la pelouse du Parc la saison 2004-2005, peu de temps après la défaite face au CSKA Moscou. C’était chaud avec Jean-Pierre Larrue. Je suis descendu discuter avec Francis Graille, et Larrue était là aussi. Avec les journalistes autour. J’ai dit à Graille qu’il fallait que Larrue se calme et retourne dans sa niche, et qu’on voulait qu’il démissionne. Graille m’a dit qu’il était solidaire de Larrue. Alors je lui ai dit qu’on n’allait pas demander uniquement la tête de Larrue, mais la sienne aussi… « Toi tu vas sauter et toi aussi »… Pareil quand on a sorti les bâches « Avec Nike pas de racisme, tous les enfants à l’usine ».
Selim : Ça faisait partie de tout le processus de « conscientisation », de politique plus active du groupe via nos banderoles. On en a déjà parlé, mais la banderole a fait son effet dans les bureaux. Quand on a obtenu la tête de Larrue et qu’on a entamé la négociation de la convention entre club et supporters, où étaient présents les représentants de Nike, on a compris que ça les avait vraiment fait chier.
Ces messages étaient-ils symptomatiques de l’ADN de votre groupe ?
Selim : Bien entendu. On ne les faisait pas uniquement pour des raisons stratégiques ou emmerder le club. Ça représentait aussi des convictions. Pour Nike typiquement, qu’une multinationale se paie une campagne de marketing pleine de bonne conscience sur le dos du « racisme » alors que son activité économique prospère sur les inégalités entre le Nord et le Sud, ça aiguisait forcément notre impertinence.Ces banderoles, c’était aussi un levier de négociation. Par exemple, lors de la convention, on avait finalement obtenu l’autorisation d’utiliser gracieusement le logo du PSG sur notre matos sans contrepartie de la part de Nike. La clause était bien rédigée. Par ailleurs, on ne voulait pas remettre en question notre capacité de critique ou de contestation, mais le PSG ne pouvait pas nous donner un blanc-seing sur le défonçage de son sponsor. On s’en était tiré avec une pirouette rédactionnelle qui n’avait aucun fondement juridique et qui nous permettait de sortir des banderoles acides sous réserve qu’elles soient agrémentées d’un « humour de bon aloi »… (rires)
J’avais adoré cette formulation. En tout cas sur Larrue ça allait au-delà des combats traditionnels sur les maillots, sur le prix des places. Avec lui, on nous mettait la laisse autour du cou, des mesures qui allaient à l’encontre de la façon dont on vivait notre mouvement. On a fait des gros sacrifices pour remporter la manche, de nombreux déplacements où nous n’avons pas mis les pieds au stade, bloqués sur le parking car on refusait de donner nos pièces d’identité, de déclarer le trajet du car, ou de communiquer précisément chaque tambour, mégaphone, étendard, bâche qu’on allait rentrer dans le stade. A domicile, c’était interdiction d’avant-matchs, fouilles délirantes de nos locaux. Larrue voulait aussi nous imposer une charte de bonne conduite nous engageant à ne pas faire de vagues ni de banderoles qui iraient contre les sponsors ou qui nuiraient à l’image du club. C’était un combat de bascule, si on le perdait, notre idéal ultra était bon pour les oubliettes, on n’avait plus qu’à se transformer en chorale et à lever le doigt pour demander la permission à chaque fois, c’était in-envisageable.
La période Larrue ça correspond aussi à un moment où la société française change, avec Sarkozy à l’Intérieur. La tribune Auteuil c’était jusqu’à présent un no man’s land, une zone de liberté qui s’affranchissait totalement des lois et du contrôle social. Ce sont les groupes et les supporters qui la peuplent, qui la dominent, et non pas les stewards et encore moins la police. A chaque match à domicile se reconstitue une sorte de zone autonome temporaire qui bouleverse les règles classiques du contrôle social. Hors Larrue, c’est la caricature du colonel qui veut nous mettre au piquet. Au lieu de nous mettre un spécialiste des supporters, ils nous ont mis un condé. Il l’a joué caporal et tout de suite ça s’est passé très mal. Cette période 2004-2005 ça a été la seule période d’unité de tous les groupes, y compris avec Boulogne, pour faire dégager Larrue. Une fois que ce problème a été réglé, on s’est retrouvé en chiens de faïence et la nature a horreur du vide…
2005-2006 donc, est-ce que cette période correspond à l’apogée du groupe ?
Selim : Oui dans les réalisations positives, dans ce qu’on aimait profondément faire, dans les tifos avec l’apothéose pour nous en novembre 2006 et le tifo des 15 ans qui reste encore une référence, et je suis obligé de rendre hommage à FP qui était notre chef chorégraphe et qui était d’une rigueur sans faille. Il a été le chef d’orchestre de cette chorégraphie grandiose, merci infiniment à lui ! Dans le soutien à l’équipe avec des déplacements où nous organisons plusieurs bus, dans l’occupation du terrain aussi, puisqu’on repeint l’ensemble des coursives aux couleurs des groupes, on s’approprie pleinement notre tribune. A partir de 2002 on a un premier local à la porte de Bagnolet puis après à Saint-Denis et là ça bouleverse la vie du groupe. Bagnolet c’était le carnaval ! On n’avait pas vendu le concept ultra au propriétaire du local, il a résilié le bail après une année. Puis Saint-Denis, ça correspondait plus à ce qu’on était, plus urbain, le nord de Paris, accessible facilement à la plupart des membres. De 2003 à 2010, le local est ouvert tous les jours, c’était un vrai lieu alternatif, de contre-société. C’était devenu notre premier lieu de rassemblement, devant le Parc, on vivait en communauté. Les gens rentraient dans le groupe et s’intégraient par le local, ça a pris de l’ampleur. Ça nous a obligés à nous professionnaliser dans un sens, à faire preuve de rigueur, à dégager les ressources nécessaires pour autofinancer le local. Bobine nous a beaucoup aidés là-dessus. On faisait de la restauration, des activités ou des soirées pour récolter des fonds, des tournois. On se voyait tous les jours. C’est ça qui m’a le plus intéressé à ce moment-là. Créer une communauté autogérée. On avait un espace de liberté qui était fou. Les jeunes de 16 ans, au lieu de zoner dans leur quartier, venaient au local. Et là ça change tout, tu te vois tous les jours donc ça crée de la solidarité et du nombre. Du coup quand ça commence à chauffer, t’es beaucoup plus armé et solidaire pour faire front.
En 2006, on a aussi la création des Microbes dont le projet va consister à investir la porte en Auteuil Jaune (qui est devenue la porte 411 aujourd’hui) pour y prolonger l’ambiance du bloc plus bas. On progressait vers les objectifs que nous nous étions fixés au début des années 2000 d’étendre l’influence du groupe en tribune. Auteuil Jaune, c’était symbolique car c’était historiquement la zone occupée par les viragistes qui participaient moins à l’ambiance de la tribune (les « sapins » dans le jargon) mais le bloc débordait suffisamment pour qu’on puisse désormais investir cet espace avec la quatrième génération de Supras (après celles des années 1991-97 ; 98-2002, et la Géneration Supras depuis 2002). En 2007, suivra la création de la section K-Soce Team. Donc on prend de plus en plus d’ampleur, et à partir de 2007-2008, les conflits avec Boulogne ont resurgi. Pour y faire face, on a dû s’organiser et redéfinir nos priorités. La priorité ce n’était plus l’encouragement à l’équipe, la créativité et l’investissement de temps pour confectionner les tifos, mais la capacité à pouvoir répondre aux attaques en tribune. On a glissé doucement en interdisant les déplacements aux filles et aux mineurs par exemple. On étudiait la topologie de la tribune en déplacement pour savoir où se positionner pour profiter de l’avantage du « terrain ». Ne jamais se retrouver dans une position où les mecs peuvent débouler au-dessus de toi par une entrée et te fondre dessus en t’acculant contre un muret ou une grille. Et t’as le mouvement de balancier, avec des mecs plus âgés qui nous rejoignent, sur des bases moins festives. C’est regrettable, mais on se préparait au pire à chaque déplacement, c’était devenu une routine qui nous conditionnait. La composition du groupe a évolué, on avait du répondant. Les conditions n’étaient plus réunies pour qu’ils puissent imposer leur loi.
Faire la loi, c’est à dire ? Faire la loi au Parc ?
Selim : Oui, nous imposer la couleur des drapeaux qu’on a le droit de sortir ou pas, pas de vert jaune rouge, de Jamaïque, pas de ceci, pas de cela. Les insultes racistes et les coups de pression en déplacement. Ça ne date pas de la fin des années 2000. Certains ont voulu reconstruire l’histoire en faisant croire que c’était un affrontement entre rasés et cailleras, avec la fameuse déclaration honteuse de Leproux sur Auteuil : « Il faut que le Virage Auteuil accepte des gens tout à fait blancsdans leur tribune. ». Mais en réalité, les coups de pression, on a grandi avec dès le départ alors que comme le disait plus tôt Bobine, les Supras, c’était la « maternelle » à la fin des années 90 et même début 2000. On ne représentait absolument pas une menace, mais ça ne les a jamais empêchés de jouer les gros bras. Ils n’ont jamais eu besoin de prétexte pour nous tomber dessus.
Je le répète, je ne me suis jamais senti en insécurité quand j’étais abonné à Boulogne. Une fois arrivé aux Supras par contre, c’était une autre limonade, surtout en déplacement. En 1999, après plusieurs matchs sans avoir bâché à l’extérieur suite à l’explosion du noyau, on fait un car pour Bordeaux. Arrivés là-bas, les Rangers nous débâchent et éclatent Ouassini par terre dans la tribune. A la fin de la saison, le PSG organise un tournoi des associations au Parc, un super cadre. On a une équipe de gamins, on réalise un peu un rêve en jouant sur la pelouse du Parc, et on joue contre les Rangers-Gavroches, des papas, ils font dégénérer le match et nous défoncent sur la pelouse. Cette année-là, il y a eu plein de déplacements où les mecs nous menaçaient : « tu bâches pas ici tu bâches pas là, ça c’est ma place, ce soir vous ne chantez pas ». Des déplacements où les indeps arrachent le méga d’un groupe et insultent tous les mecs d’Auteuil. J’en ai des caisses des anecdotes comme ça. Bref, ils nous faisaient sentir que le PSG était leur terrain de jeu, qu’on était juste tolérés, ou pas, et qu’ils tenaient le manche.
En 2002, t’as le fameux double épisode de l’élection présidentielle où Jean-Marie Le Pen accède au second tour. On joue contre Metz au Parc entre les deux tours et les mecs de Boulogne nous gratifient d’un défilé autour du Parc avant le match aux cris de « Le Pen président » ou « Bleu, blanc, rouge, la France aux Français » sous le regard ahuri des viragistes depuis les coursives de l’avant-match. La semaine suivante, dernier match de la saison et déplacement à Lille la veille du second tour : du délire, c’était tout simplement un meeting politique en tribune. En 2003, la banderole des 10 ans des Tigris (« L’avenir est à nous ») ne leur plaît pas, ils nous tombent sur le râble à Auxerre, cognent sur tout ce qui bouge, les filles et les mineurs sont écrasés contre la barrière, certains font des crises de panique et vomissent. En plus, les Tigris nous laissent nous faire éclater alors qu’ils nous avaient demandé avant le match de faire front ensemble puisque les rumeurs d’une attaque allaient bon train. Donc cette sale soirée a changé beaucoup de choses pour nous et pour le Virage puisqu’elle a semé les germes de la désunion alors qu’on était vraiment sur une trajectoire ascendante. Mais les épreuves te renforcent : aucun groupe n’avait jamais bougé pour nous quand on se faisait attaquer bien avant 2003, et ce soir-là on a définitivement intégré qu’on serait toujours seuls et qu’on ne pourrait compter que sur nous-mêmes quoi qu’il arrive. Sur le long terme, ça nous a endurcis.
On a grandi avec ces humiliations sur la conscience, on a été humbles et patients, et il est arrivé un temps où nous n’avions plus 16 ans et 50 kilos avec des mecs en face de deux fois notre âge et notre poids. On était préparé mentalement et collectivement à l’affrontement. Malgré l’épisode de 2003, les Tigris ont ensuite largement contribué à décomplexer le rapport d’infériorité d’Auteuil vis-à-vis de Boulogne lors de la saison 2005-2006. La saison avait été marquée par des affrontements violents qui n’ont pas toujours tourné à l’avantage de Boulogne, loin de là, mais qui ont tout de même eu pour conclusion l’auto-dissolution des TM à la fin de la saison. A la fin des années 2000, t’as une nouvelle génération d’indépendants à Boulogne, dont certains militent dans les milieux d’extrême droite. Des jeunes qui sont arrivés bien après toi au stade, qui n’ont rien vécu et qui croient que le tampon Kop of Boulogne les autorise à tout, alors que ton groupe a déjà traversé de nombreuses épreuves, a vieilli et s’est endurci. Trop de choses avaient changé pour que ça continue ainsi, ne serait-ce que dans la culture urbaine par rapport aux années 1990. Paris avait changé. Le renouvellement de générations était clairement en faveur d’Auteuil. Les têtes brûlées des années 1980 ou 1990 qui arrivaient à Boulogne, finalement, dans les années 2000, elles atterrissent à Auteuil.
Boat : Je n’ai jamais compris ce concept. Il suffisait d’un PSG-Marseille où il n’y avait pas de marseillais pour qu’ils se mettent à tiser et à chercher des gens avec qui se battre. Et à part Auteuil, il n’y avait personne pour répondre.
Selim : Avec le recul, l’histoire de la montée des tensions entre les deux tribunes n’était pas une fatalité. Dans la première partie des années 2000, avec l’ancrage de la culture ultra dans le Virage, des membres des différents groupes ont envie de prolonger l’expérience « dans la rue », comme on dit, en participant aux rassemblements qui attendaient les supporters adverses autour du Parc pour les affiches ou les matchs de Coupe d’Europe, ou encore en organisant des cortèges à pied dans les villes en déplacement. Beaucoup étaient fiers de savoir que Paris était une ville reconnue sur la scène underground des supporters radicaux et qu’on ne venait pas s’y pavaner sans risque et on savait tous que c’est le Kop qui avait installé cette réputation, on avait grandi avec les images des CRS chassés de la tribune contre Caen en 1993. Si Boulogne avait vu Auteuil comme un potentiel complémentaire au sien, et non comme un concurrent, puis un antagoniste, beaucoup de choses auraient été différentes et Paris aurait été imprenable encore longtemps. Les Karsud avaient démontré qu’il était possible d’être d’Auteuil et d’assurer dans la rue. Le mouvement aurait pu être amplifié moyennant l’abandon du folklore des provocations racistes.
Vous pensez que le PSG a un peu trop laissé faire ?
Selim : Ils avaient les cartes en mains et une vision claire de la détérioration constante de la situation
Boat : Des leaders de Boulogne ont aussi alerté les autorités. Pendant des réunions, j’ai vu des leaders leur dire « si vous laissez faire on ne pourra plus rien contrôler ». Sans plus d’écoute. Que les autorités aient fait exprès de laisser faire, je n’en suis pas persuadé, mais en tout cas ils se sont servis des événements de 2010 pour arriver à leurs fins. Qui étaient de pacifier les tribunes car c’était une condition siné qua non pour vendre le PSG aux Qataris.
Selim : On ne peut pas dissocier les deux pour moi. Les Qataris n’auraient jamais investi dans le PSG avec des tribunes telles qu’elles étaient à ce moment-là. Les incidents réguliers et le contexte de violence entre les deux tribunes sont bien sûr un élément de l’équation, mais je pense surtout à la présence de groupes hyper forts, structurés comme des syndicats, qui pèsent sur le club et avec lesquels un rapport de forces équilibré existe, une convention solide avec le club qui actait le gel du prix des abonnements, l’utilisation des logos dans la production du matos des associations ou qui préservait notre liberté de parole et notre droit de critiquer les politiques menées par les dirigeants. Le PSG aujourd’hui appartient à un Etat, qui plus est une monarchie alors qu’on est quand même le peuple parisien des sans-culottes qui a décapité son roi sur la place de la Concorde ! On en a déjà parlé, mais l’avalanche de stars planétaires, je la perçois comme un village Potemkine qui cache les esclaves népalais qui crèvent sur les chantiers des stades au Qatar. Notre club est un outil dans l’éventail diplomatique du Qatar et je ne suis pas dupe du trompe l’œil. Comme le dit le proverbe : nulle rose sans épine.
Boat : On se serait pris la tête avec eux sur plein de sujets obligatoirement.
Selim : Et pourtant on a eu des approches. En 2015, quand le club s’est rendu compte à quel point un stade mort même avec les meilleurs joueurs n’était pas bon pour son image, il nous a rencontrés pour discuter de la manière de raviver la flamme au Parc. Après la dissolution et 5 ans de silence radio, ils nous ont proposé de but en blanc 300 places pour la finale de la Coupe de la Ligue. Pour venir chanter. Pour apporter une valeur ajoutée à leurs investissements pharaoniques.
Bobine : Ils nous ont pris pour une boîte à musique, dixit Sélim.
Selim : On leur a répondu qu’on allait venir avec des fumigènes et notre bâche Supras Auteuil. Ils ont préféré faire leur casting ailleurs.
Il y a parmi eux des anciens d’Auteuil et aussi d’anciens Supras ? Etait-ce une forme continuité ?
Boat : Si en quelque sorte.
Et comment le vivez-vous ?
Boat : Bizarrement.
Selim : Mal au départ pour être honnête car on se dit qu’on n’a pas su transmettre nos principes et nos valeurs à tout le monde. Je comprends parfaitement qu’un gamin qui avait 10 ou 12 ans en 2010 puisse triper avec un PSG sous les feux de la rampe et des superbes déplacements en Champions League avec ses potes quand il a 20 ans aujourd’hui. Il n’a pas eu les codes ultra, et je ne parle pas de chanter 90 minutes. J’ai un neveu qui a la vingtaine et qui découvre le Parc et le CUP depuis la saison dernière, c’est normal qu’il soit piqué. Sur mes 13 ans d’abonnement, j’ai vécu seulement deux campagnes de Ligue des Champions avec des déplacements à Rosenborg, Munich, Milan, Chelsea et le sinistre La Corogne en 2001. Pour le reste, les campagnes européennes des années 2000, les destinations étaient moins alléchantes que de nos jours : Rapid Bucarest, Ujpest Budapest ou La Gantoise c’est moins excitant que Liverpool, Naples ou l’Etoile Rouge de Belgrade. En revanche, les mecs qui ont vécu l’âge d’or des ultras à Paris, quels que soient leurs groupes, qui ont renoncé au fond pour se contenter uniquement de la forme, ça reste un mystère pour moi. Après, avec le temps, je m’en suis détaché : qui peint la fleur n’en peut peindre l’odeur. Pour être complet, à un moment, on a peut-être été trop massifs. Quand tu exploses démographiquement, tu as tendance à avoir des divisions en sous-groupe, par affinités, par origine géographique.
Bobine : On a fait une erreur : ne pas donner de cadre aux « sections » du groupe. Cela a causé notre perte.
Selim : Je ne suis pas d’accord. On l’a autorisé car c’était une condition de notre survie, on avait besoin de tout le monde pour faire face aux menaces en déplacement, l’équilibre était très difficile à trouver. Ces gars n’ont pas démérité à l’époque, ils ont été au feu pour le groupe et l’ont représenté avec ardeur et courage comme tous les autres. Nos désaccords avec la K-Soce Team et la scission de septembre 2010 n’annulent pas ce qu’ils ont accompli avant. C’est le conflit avec Boulogne qui nous a entraînés dans une spirale incontrôlable et destructrice.
Troisième partie de l’interview accordée par 3 anciens présidents des SUPRAS AUTEUIL 91 à l’équipe VIRAGE. Où il est question de la nouvelle génération qui a pris le relais en tribune au début des années 2000
et de leurs influences et combats.
Bobine parlait de la génération qui venait après. Boat et Selim, avez-vous amené quelque-chose en plus d’un point de vue philosophie de groupe ?
Boat : Alors pour moi il y a eu des transmissions de valeurs, mais pas tellement en tribune en fait. Un petit peu, mais surtout dans le mode de fonctionnement, sur le côté organisationnel, parce que lui (il montre Bobine), c’était un casse-couille de première en fait (Bobine rigole). Heureusement il nous a aidés. On disait qu’on était un groupe bordélique. « Mon gars tu viens avec nous, mais tu ne sais pas comment on va finir la soirée ni comment on va finir le week-end et si on va vraiment réussir à faire tout ce qu’on a à faire ». Heureusement il nous a cadré.
Est-ce que tu penses que c’était une spécificité des Supras ou est-ce que ce n’est pas finalement une spécificité de tous les groupes ultras ?
Boat : On est quand même sacrément bordélique.
Bobine : Je te jure qu’ils étaient relous et ils le sont toujours.
Boat : Honnêtement je pense que ceux qui nous ont précédés à savoir, Bobine, Didier, The Boss, Frédéric, etc… si ils ne nous avaient pas transmis tout ce qu’ils avaient déjà fait, on ne serait pas devenu le groupe qu’on a été. Effectivement à une époque c’était le groupe, parce que voilà, on était suffisamment nombreux et organisés pour faire des choses très intéressantes. Et après on s’est cultivés nous-mêmes. C’est en regardant les autres qu’on s’est construit une culture. En allant faire des petits voyages initiatiques en Italie.
Selim : A Rome.
Boat : Oui, à Rome. Rome vs Liverpool. En tribune avec les Romains ça te marque pas mal quand même, tu apprends des choses. (ndlr : 14 février 2001, Ligue des Champions, Milan AC vs PSG, 1-1. 15 février 2001, Coupe UEFA, AS Roma vs Liverpool, 0-2)
Qu’est-ce que tu apprends par exemple ?
Boat : Quand tu te retrouves dans un stade où il y a un supporter de la Roma qui est dans le coma depuis la semaine précédente. Pendant tout le match, tu as les mecs de la Roma qui sortent du stade et qui vont attaquer les keufs en dehors.
Selim : Attaque de carabiniers dans une tribune la semaine précédente, et le mec était tombé d’un vomitoire ou d’un truc comme ça, et il était dans un sale état. Il n’était pas mort, mais il était dans le coma. Les mecs ont passé leur match à se venger. A attaquer les flics. Mais genre organisés. Ils n’attaquaient pas les flics n’importe comment. Ils avaient pété un accès de lance à incendie, l’avaient attachée à l’horizontale sur tout le long des escaliers pour bloquer la progression des carabiniers, et puis descendaient, harcelaient les flics, laissaient les carabiniers monter, se bloquer contre la lance à incendie nouée qu’ils n’arrivaient pas à passer, puis redescendaient. Ce n’était pas improvisé, ils avaient prévu leur coup. C’était de la guérilla dans le stade.
Boat : C’est des trucs qu’on découvrait. Tu attends de rentrer dans le stade, devant la Curva Sud, et puis tu as un look qui ressort un peu par rapport à eux, donc les mecs se demandent dix mille fois si tu n’es pas anglais. Sachant qu’il y a quatre anglais ce jour-là qui se sont fait poignarder. Non, voilà, c’est tout un contexte. C’est une semaine surtout. On avait passé cinq jours à dormir comme des clochards, soit dans des J9, soit sur des aires d’autoroutes, sur la bordure, réveillés le matin par les carabiniers. Voilà ça te forge.
Bobine : Et puis tu marches avec des mecs au retour du stade dont un qui te demande de but en blanc, mais très sérieusement et droit dans les yeux : « tu es de droite ou de gauche ? ». A ce moment précis, il faut être réactif. Soyons honnête, je n’étais pas complètement rassuré et un conseil, ne te plante pas dans la réponse.
Tu avais plutôt intérêt à connaitre ton sujet.
Boat : Il y a des trucs qui marquent. C’est vrai que c’est une autre culture. Tu as la famille qui arrive au stade en voiture, et le père sort avec la nana et puis les enfants, et du coffre ils sortent leurs deux-mâts à eux. Ils ont leurs deux-mâts personnels qu’ils ont faits à la baraque.
Selim : Tandis que nos deux-mâts sont stockés dans notre local.
Boat : C’est une autre culture.
Selim : Exactement. Tu n’attends pas d’être dans le groupe pour produire ton matériel que tu vas afficher au stade, tu le fais chez toi.
Boat : Parce que tu le fais chez toi, avec ta famille. Et le dimanche, il y avait un OM vs PSG. On avait attrapé les bus sur l’autoroute, qui s’étaient arrêtés à l’arrache, on a réussi à monter pour aller voir le match. Ou c’était un samedi soir ? Parce que le dimanche on devait aller voir un match à Brescia je crois ? Bref, je ne sais plus, mais c’était une semaine intense. Une semaine de dingue.
Selim :Non, ce n’était pas Brescia. On les joue un peu plus tard en août 2001. C’était un déplacement de ouf, de mémoire le seul bus commun entre les trois groupes d’Auteuil avec vraiment les noyaux durs de chacun. Une super époque où on est à peu près en phase, on fait des tifos communs, la bâche Virage Auteuil est bâchée à chaque match au Parc, et on se retrouve dans un déplacement avec beaucoup d’enjeux (finale Intertoto pour accéder à la Coupe de l’UEFA) avec une grosse adversité en face, une tifoseria reconnue. On est accueilli comme il se doit par les Bresciani et leurs potes Magic Fans qui attaquent notre car. Dans le stade, on fait une super prestation ultra, chaque mec du bus rentre avec deux torches, tout le parcage torse-nu, le coucher de soleil derrière la Curva Nord du Rigamonti, Roberto Baggio qui vole un pénalty et le marque et au bout du bout la qualification sur le fil avec une énorme communion avec les joueurs derrière le plexiglass. C’était mémorable, c’est sans conteste l’un de mes meilleurs souvenirs en déplacement.
Quelles étaient les valeurs que vous aviez gardées et que vous aviez fait évoluer dans la mentalité de ce groupe ?
Selim : Boat arrive avant moi bien sûr, mais même si il y a eu quelques années de décalage entre Boat et moi, on s’investit sans doute à peu près au même moment. On est en 1999 et le groupe est vraiment en déclin après le départ du noyau des 4-5 mecs qui œuvraient beaucoup. Donc ma génération arrive et c’est le désert. Effectivement je me souviens de discussions des plus vieux désabusés sur « est-ce que ça vaut le coup de continuer ? Ou d’arrêter ? », et nous on arrive avec une petite génération de, je ne sais pas une petite dizaine de mecs, qui ont de 15 à 25 ans, et on s’entend bien. On commence à bouger ensemble, à faire des trucs ensemble, à regarder du côté de l’Italie, à bouger beaucoup en Italie. On a commencé à vouloir ramener tout ça et à développer vraiment la culture ultra au maximum.
Vous étiez jeunes, voire mineurs, alors comment vous faisiez ?
Selim : On se débrouillait, au bahut et encore plus à la fac t’as quand même du temps. On faisait nos petites combines à droite à gauche pour avoir les thunes pour aller en déplacement. Quand on était juste, on s’arrangeait pour payer un peu plus tard ou on finissait debout dans le car en sachant que les deux heures pour aller à Lille ou Auxerre on allait les passer à rigoler avec les copains et qu’on se fichait bien d’avoir une place assise. Après, tu noues des relations dans le groupe qui t’ouvrent des possibilités. Entrer dans le groupe et s’y investir c’était aussi accéder à un réseau : des mecs qui pouvaient te mettre un pied à l’étrier pour trouver un job, une formation, un plan pour faire un peu de thunes au black. Des gars qui pouvaient te dépanner grâce à leurs compétences dans une logique de don et contre-don. Les copains t’aident pour ton déménagement. T’as une fuite d’eau, le mec qui est plombier vient t’aider. Ta caisse est en panne, tu passes au garage du père d’un Supras pour qu’il l’arrange. Un Supras tient le bar d’une soirée dans une boîte, tu vas boire à l’œil toute la nuit. Un mec est prof, il te corrige ta lettre de motivation. Un gars a besoin d’aide pour la distribution de repas dans son association, il ramène 8 paires de bras.
En fait, la communauté te permet d’accéder gratuitement à des services normalement payants dans une logique de réciprocité. Quand c’est ton tour d’arranger quelqu’un ou de faire croquer un plan, t’es mis à contribution. La solidarité dont on a besoin au sein du groupe se prolonge à l’extérieur dans la vie quotidienne et c’est un mouvement circulaire qui se nourrit et renforce la cohésion de la communauté.A 17 ans, j’ai pu commencer à bosser en tant qu’animateur dans une école de la Goutte d’Or grâce à Laurent (le fameux « Talon Aiguille » dont parlait Bobine tout à l’heure), qui est également une figure du groupe, présent presque depuis l’origine et qui est toujours là 28 ans après. Il faut aussi lui rendre hommage car il a été aux manettes du DVD Supras de la saison 2003-2004. Il a réalisé un travail incroyable pour l’époque de visionage, montage, découpage, graphisme. Il a su s’entourer des bonnes personnes et a laissé une vraie trace historique et documentée grâce à ce DVD. Ça s’inscrit typiquement dans le processus d’émulation avec les autres groupes dont on parlera un peu plus tard. Les Tigris avaient sorti une VHS ou un DVD, je ne sais plus, pour leurs 10 ans. Il était vraiment top pour l’époque mais on avait envie de faire mieux et Laurent a clairement mis la barre très haut et a atteint et même dépassé son objectif. On avait d’ailleurs organisé la première projection dans l’amphi du Parc des Princes. Bravo et merci à lui et à tous ceux qui l’ont aidé.
Donc les thunes finissaient toujours par atterrir dans la caisse matos ou déplacement. Et puis on avait besoin d’oxygène de toute manière et c’était un véritable crève-cœur de laisser partir les copains en déplacement. Un jour, je suis au local, et les copains partent à Lisbonne en J9. Je ne sais plus pourquoi, mais je ne pouvais pas y aller, j’avais des partiels à bosser ou une horreur comme ça. Les potes me travaillent, j’ai pas de sac, pas de fringues de rechange, pas une thune sur moi, les mecs me collent une parka sur le dos, me jettent dans le J9 et c’est parti pour une semaine de road trip avec trajet retour sur Rennes pour voir le match de championnat trois jours après !
Boat : Il y en a beaucoup qui pensent qu’être ultra ça se décrète. Ça ne se décrète pas. Soit tu vis ultra, soit tu ne le vis pas. Vivre ultra c’est : tu es là, du matin au soir, tu es avec ton groupe, avec tes potes, tu vas en déplacement.
Bobine : C’est passionnel, extrême, sans fin et destructeur si tu ne gères pas bien ta passion.
Boat : Tu fais des choix de vie en fait. C’est « putainlà je peux bosser ou rester un an au chômage. « Vas-y, je vais rester un an au chômage ».
Pour pouvoir te consacrer au groupe ?
Selim : Oui. Je vais à ce cours qui m’ennuie ou je vais peindre pendant trois semaines le tifo parce qu’on a besoin de moi ? Eh bien je vais peindre le tifo, écouter de la musique et boire des bières avec les copains dans les coursives du Parc !
Bobine : J’ai choisi de faire mon service militaire en civil, dans un service animation d’un centre social en Seine Saint-Denis dans une cité compliquée. Le but ultime, monter un projet avec le PSG : emmener des gamins à un match, ce que j’ai réussi à faire, et en même temps je passais par la case local du groupe au Parc. C’était mon épicentre. Tout me ramenait au groupe. Tout était prétexte.
Boat : Et c’est vrai que ma génération a matché tout de suite avec ce concept. On s’est retrouvé à quelques-uns et ça a matché direct.
Selim : Les affinités naturelles, la complicité, ça change tout. C’est ce qui fait que ton groupe peut prendre un bon virage ou pas. Les inimitiés entre quelques personnes peuvent rapidement créer des tensions collectives. A l’inverse quand tu as un petit noyau soudé et qui partage un même horizon de vie, comme c’était notre cas, ça crée une dynamique. En plus, on était plusieurs jeunes à habiter dans les arrondissements et la banlieue nord de Paris, donc on traînait ensemble toute la semaine, on n’attendait pas les matchs au Parc pour se voir, on buvait des bières le soir en zonant à Pigalle et Montmartre. On vivait un peu comme des punks, avec beaucoup d’insouciance. Oui, il y avait ça.
Christophe tu nous as dit que tu as pris le méga assez jeune et assez rapidement. Sentais-tu que tu avais un rôle important dans la tribune ?
Selim : Il était doué pour faire ça.
Boat : Je ne sais pas. Je ne me suis même pas posé la question en fait.
Ça t’est venu naturellement ?
Boat : Oui. A une époque il y avait un gars, après Franck, un mec qui a pris le méga, mais qui était ni bon, ni respectable.
Selim : C’est l’époque où j’arrive. C’est ce mec-là qui est au méga. Et il est nul.
Boat : Il est nul. Un poseur.
Bobine : On n’avait plus de capo. Passer de Franck à quelqu’un d’autre ce n’est pas évident. Tu as eu quelques personnes qui se sont essayées à l’exercice, mais sans convaincre.
Toi Bobine, jamais ?
Bobine : Je ne suis pas fait pour cela. Je savais très bien où je devais être. Dans l’ombre, dans l’organisation et cela dans un seul intérêt : celui de mon groupe. Il faut savoir placer les gens où ils doivent être et s’effacer quand nécessaire.
Boat : Les marionnettes.
Bobine : L’important est de savoir où tu es bon. Je ne pense pas m’être trompé à ton sujet.
Boat : Je ne sais pas quoi vous dire. En fait je prends le méga, naturellement. Enfin non, pas naturellement. Ça s’apprend.
Selim : Et il est bon en plus. Il fait bouger la tribune. Ça se ressent direct quand tu vois le mec au perchoir, s’il a le feeling ou pas avec ses troupes. Kamel était très bon aussi dans ce rôle.
Boat : Je ne sais pas, déjà je n’avais pas peur. Il ne faut pas avoir peur. Il faut se lancer, et puis après tu vois ce que ça donne. Je l’ai pris comme ça.
Tu étais agacé de voir que ce n’était pas bien fait et tu avais envie de faire mieux ?
Selim : Je pense qu’il y avait un peu de ça quand même. Parce qu’on n’était pas bon.
Bobine : Et puis il n’y avait plus personne surtout.
Boat : Avant de prendre le méga, quand j’étais à la porte de l’Unité Amok, je chantais 90 minutes. Pour moi, tu es là, tu es au stade, tu supportes ton équipe. Supporter. Le mot « supporter », ça veut dire quoi ? Ça veut dire juste regarder, tu es là et tu applaudis sur les buts ? Ce n’est pas ça. Donc je chantais, tu vois c’était en moi, c’était ma conviction. J’étais convaincu de ça. J’ai toujours été convaincu du rôle d’un public sur les résultats d’une équipe. Pourquoi les équipes lorsqu’elles sont à domicile sont-elles plus performantes qu’à l’extérieur ? Je me dis que ce n’est pas un hasard. Donc j’ai toujours tout donné pour ce club. Et donc au bout d’un moment je vois qu’au méga c’est la merde. Ok, bah j’y vais. J’y vais et ce que je me demande à moi-même je vais l’exiger auprès des autres. Donc quand j’ai un mec dans le bloc qui ne chante pas, « et vas-y tu sais quoi, bouge, ou vas là haut ». Soit tu chantes, soit tu bouges.
Ne penses-tu pas que tu as donné plus pour le groupe que pour le club ? Ou est-ce que pour toi c’est la même chose ? (ndlr : Moue de Christophe, puis rires).
Selim : Je me suis longtemps dit que c’était un rapport équilibré entre les deux, mais j’ai fini par admettre que je plaçais le groupe au premier plan.
Bobine : Des posters de joueurs dans ta chambre, tu passes à l’écharpe de ton groupe au-dessus de ton lit. Au quotidien, c’est ton groupe qui prend le dessus. Il t’envahit. C’est désormais ta nouvelle identité. Ta question qui comme beaucoup d’énoncés comporte la réponse. Les activités de ton groupe n’ont qu’un destinataire : ton club. L’ambiance que nous créons, les tifos que nous élaborons, le douzième homme que nous sommes individuellement ou collectivement, les négociations que nous menons dans un combat pour des valeurs dont nous estimons être les gardiens sont autant d’éléments qui fortifient ton club par la suite. En 2010 lors de notre éviction, il y a bien quelques personnes qui se sont bien posées cette question : « Mais où sont-ils ? »… « Ils sont là mais ce ne sont pas les mêmes. Eux ils attendent. Les autres chantaient ! »
Selim : Oui ça vient petit à petit. Je me suis posé la question et finalement j’ai été obligé d’admettre que c’était le groupe avant tout. Tu t’en rends compte quand tu as des conflits avec le club. Où le lien se distend. Et où tu te régénères dans la solidarité de groupe, les actions que tu vas entreprendre pour défendre ta cause, pour arriver à faire entendre ta voix, à imposer la voix du groupe au club, ce qu’on a réussi à plusieurs reprises. Et à t’imposer, pas que pour l’intérêt de ton groupe, mais pour l’intérêt de tous les supporters du PSG. On parle beaucoup d’institution, c’est le mot à la mode, mais ça se forge l’institution, et ce n’est certainement pas le club à notre époque qui travaillait dans ce sens-là. Et puis ça t’oblige à prendre des risques qui vont à l’encontre de tes intérêts immédiats : On lutte activement contre le maillot qui ne respecte pas notre code couleur historique même si le club va nous mettre des bâtons dans les roues pour les accès à l’avant-match ? On se bat pour obtenir des prix uniquement pour nos adhérents ou bien pour toutes les tribunes populaires ? On fait profil bas devant les menaces du directeur de la sécurité qui veut nous obliger à donner nos cartes d’identité en déplacement et à nous interdire toute banderole de contestation contre les dirigeants ou bien on force l’entrée du Parc avec 150 torches pour les balancer sur le terrain et lui montrer qu’on tient le manche ? On est prêts à s’attaquer à l’actionnaire ou aux sponsors du Club parce qu’on place notre intégrité au-dessus de tout et qu’on accompagne notre rejet du foot business par des actes ?
On n’a jamais hésité à s’en prendre à Canal +, à Nike ou à Thomson. En 2005, lors d’un match contre Lens, le PSG et Nike font une campagne de communication contre le racisme complètement insipide en distribuant des bracelets noirs et blancs en tribunes. Nous on sort une banderole : « Avec Nike, pas de racisme, tous les enfants à l’usine ». Je peux te dire que ça n’a pas du tout plus chez les huiles. Pendant le conflit avec Graille et Larrue, on décide de taper sur le sponsor pour exercer une pression sur le club via ses financeurs : « Thomson vendeur d’armes ». Et c’était une vraie galère de rentrer les messages puisque les avant-matchs étaient suspendus par Larrue à ce moment donc on les rentrait lettre par lettre enroulée autour de dizaines de mecs et on les reconstituait dans le stade. Exposer la vérité, briser le mur du mensonge, refuser de laisser l’enfumage de la communication malhonnête des sponsors ou de l’actionnaire brouiller les esprits, c’était aussi notre rôle d’ultras. C’est justement parce qu’on aime notre Club qu’on ne peut pas laisser des puissances économiques ou institutionnelles utiliser son image pour redorer la leur et faire prospérer leurs affaires.
On a fait des messages contre Colony Capital pour remettre en cause la nature même de l’actionnariat : un fonds de pension qui se servait du PSG comme un cheval de Troie pour mettre la main sur des secteurs immobiliers à haut rendement du 16eme arrondissement, comme la piscine Molitor. Les enjeux politiques autour du PSG sont considérables, ce n’est pas qu’un club de football, mais un espace de pouvoir avec une corbeille présidentielle et des loges qui permettent de tisser des relations privilégiées avec les élites économiques, politiques ou culturelles. Le Qatar a parfaitement saisi cet enjeu et utilise à son tour le PSG en y consacrant des moyens colossaux et avec des ambitions géostratégiques qui dépassent largement la simple logique foncière qui avait aiguisé l’intérêt de Colony Capital pour le PSG. Il s’agit d’offrir une image respectable du Qatar par le truchement de la diplomatie du sport, en investissant à perte. C’est important de mettre en perspective le rachat du Club : on sait que le Qatar a obtenu la Coupe du Monde 2022 lors du vote de décembre 2010 et que l’émir Al-Thani a rencontré Michel Platini et Nicolas Sarkozy au mois de novembre. Platini privilégiait une attribution aux États-Unis, mais change d’avis après ce déjeuner et entraîne avec lui les votes d’autres dirigeants de l’UEFA. Cela a été très bien documenté par Le Monde et la justice suisse a relevé plus de 120 transactions financières suspectes autour de ce vote.
Le Qatar obtient la Coupe du Monde 2022 en décembre 2010 et sept mois après, en juin 2011, QSI acquiert le PSG, qui était jusqu’alors détenu par Colony Capital, Or c’est Sébastien Bazin qui dirige le fonds et qui est un ami intime de Nicolas Sarkozy depuis la prise d’otages, dont sa fille faisait partie, dans l’école maternelle de Neuilly en 1993. La ficelle est tellement grosse… En décembre dernier, le parquet national financier a ouvert une information judiciaire après son enquête préliminaire pour « corruption privée », « association de malfaiteurs » et « trafic d’influence et recel de trafic d’influence », clairement ça pue la corruption à plein nez et il y a matière à réfléchir quand on est ultra ! On proclamait « non au foot business », « UEFA = Mafia », ça faisait partie de notre ADN. On encourageait nos membres à développer leur esprit critique. Avec ma vision de la mentalité Ultra, je suis forcément hyper mal à l’aise que mon club soit l’un des instruments de ce processus. Je ne peux pas l’ignorer ou faire l’autruche en me disant qu’en contrepartie, je profite d’une équipe composée de grands joueurs. La couleuvre est trop grosse à avaler, je ne peux pas renier les fondements sur lesquels notre génération a forgé l’identité du groupe de 1998 à 2010.
Pour revenir à notre histoire, on a peu à peu évolué vers une forme de syndicat du football populaire, ça a renforcé la constitution de l’identité du groupe. On définissait nos valeurs en agissant et on construisait un référentiel que les nouveaux membres devaient suivre s’ils voulaient être des nôtres. On sortait du cadre étroit du simple soutien au club : on participait à la conscientisation des membres, on aiguisait leur esprit critique, on voulait qu’ils développent une pensée presque militante, pas en faire simplement des agitateurs de drapeaux ou une chorale.
C’est dans cette logique que l’on va progressivement inscrire le Groupe dans l’action sociale.Ça a commencé au Parc en donnant de la visibilité ponctuellement à des associations et à partir de 2004, on décide de nouer un partenariat local avec « la Mie de Pain », qui est la plus vieille association parisienne d’entraide aux SDF, active depuis 1893. Ce projet avait finalement vocation à dépasser le soutien au Club pour l’élargir à la Ville. On a confectionné un tifo dédié à La Mie de Pain au Parc, on a organisé des collectes et mis à leur disposition des jeux de maillots car ils souhaitaient constituer une équipe composée de SDF. Ils participaient à nos tournois de foot et on a eu l’ambition de les faire participer à la Homeless Worldcup qui se déroulait en Afrique du Sud en juin 2006. On a réussi à réunir des financements en sollicitant le Club et de la Ville de Paris pour régler les billets d’avion, l’hébergement, etc… et des membres du Groupe les ont accompagnés lors de cet événement. Cette question de la solidarité et de l’entraide, c’était un marqueur très fort chez les Supras.
Les années passant, c’est la dimension qui m’a le plus intéressé : transformer le groupe en forme de syndicat d’une part, et de mouvement contribuant à l’émancipation culturelle et à la création d’une forme de conscience éthique de ses membres d’autre part. Et cette dimension elle n’existe absolument pas à l’époque de l’émergence de la création des Supras. C’est un truc qui s’acquiert petit à petit, et au contact de l’adversité, des problématiques que le club t’impose, comment tu les contournes, quels moyens tu es prêt à mettre en œuvre pour y arriver. Et tu te rends compte que ça reste au final. Quand je fais le bilan, le groupe était à mes yeux devenu plus important que le club. Si ce n’était pas le cas, peut-être que je reviendrais voir les matchs aujourd’hui. Dans son interview à Virage Paris, Zavatt disait qu’il remettrait les pieds à Boulogne uniquement si la bâche Boulogne Boys était affichée parce que sinon ça n’a pas de sens pour lui. Je partage son point de vue. Je ne me vois pas remettre un pied à Auteuil sans la bannière « Supras Auteuil » flottant devant moi. D’ailleurs, je n’avais pas remis les pieds au Parc depuis 2010. C’est marrant le timing de cette interview puisque j’y suis finalement allé pour voir PSG-Lille sur l’insistance de mon fils. Mais j’y suis allé à Boulogne, tu vois, je n’aurais pas pu aller voir ce match à Auteuil, ça m’aurait fait trop mal.
Retrouvez l'interview de ZAVATT publiée dans VIRAGE en cliquantICI
Regardes-tu toujours les matchs de Paris ?
Selim : Certains, mais la flamme s’est estompée. Autrefois, il fallait que je sois dans un bar ou au local avec les camarades pour voir le match si je ne pouvais me rendre au stade ou en déplacement. Aujourd’hui si je rate un match, ce n’est pas grave. La passion je la vis plus à travers les yeux de mon gamin qui adore le club. J’aime regarder les matchs avec lui, être dans la transmission de l’histoire de nos couleurs, lui parler des joueurs qui m’ont fait vibrer quand j’avais son âge, feuilleter les vieux albums Panini ou les livres photo sur nos épopées européennes. Alors qu’il y a quinze ou vingt ans, finalement, c’est le calendrier des matchs qui rythmait ma vie, c’est fou. J’organisais tout en fonction de ça, avec bien -sûr les difficultés ou les incompréhensions que ça peut poser sur le plan social ou professionnel. Jamais je n’aurais cru pouvoir vivre autrement, et pourtant… Ça ne plaira pas à tout le monde, mais il y a une dimension sectaire dans un groupe ultra. Tu vis avec des codes très particuliers et tu envisages toute la réalité sous ce prisme alors qu’autour de toi, personne ne le comprend. Comme toute secte, il faut en sortir pour te rendre compte que c’est parfois délirant quand même, mais c’est presque impossible d’avoir ce recul quand t’es plongé dedans.
Est-ce le groupe qui a fait l’homme que tu es aujourd’hui ?
Selim : Il a eu beaucoup d’influence. Parce que je suis arrivé gamin. Donc ce n’est pas pareil quand tu arrives à 25 ans, ou 30 ans. A l’époque tu n’arrivais pas à 30 ans dans le groupe. On a eu des générations plus tard qui sont arrivées avec un vécu, des conneries de jeunesse qui avaient déjà été faites ailleurs. Moi j’ai fait une belle partie de mes conneries de jeunesse avec le groupe ou les camarades du groupe. C’est peut-être pour ça aussi que la famille abdiquait, parce qu’ils voyaient que quelque part j’allais faire mes conneries, mais avec des mecs qui leur inspiraient un peu plus confiance. On a parlé de Tecate tout à l’heure, il a été très important pour moi. C’est un grand frère. On a les mêmes affinités musicales, on va aux concerts ensemble et c’est lui qui m’oblige à passer mon baccalauréat. Parce qu’en terminale, à partir du mois de décembre, je ne vais plus au bahut, j’en ai rien à foutre. Il y a des choses qui accaparent complètement ma vie : c’est le Parc, la vie de groupe, le local. Je vis le moment présent à fond et je me fiche totalement de l’avenir. Je trouverai un boulot et ça me permettra de financer mes déplacements et de vivre ma passion. Tecate, il ne voit pas les choses comme ça. Il me menace trois semaines avant le bac. Ma mère le connaît, il passe à la maison, elle a confiance en lui. Il a dix ans de plus que moi. Il me dit « écoute gamin, tu vas passer ton bac, si tu ne vas pas aux examens, je te défonce, je t’éclate, donc tu te démerdes, tu y vas et tu le passes. Après je m’en fous que tu l’aies ou pas ».Je révise comme un taré pendant trois semaines et je l’ai sur le fil au rattrapage. En n’ayant rien branlé de l’année. C’est la vérité. Du coup j’enchaîne derrière je bosse pendant un an puis je rentre à la fac et j’accède à d’autres formes de savoirs. C’est grâce à lui que j’ai passé mon bac, parce que je ne l’aurais pas passé si je m’étais écouté. Mais peut-être aussi, voire même sûrement, que c’est mon investissement extrême dans le groupe qui avait conduit à me déscolariser. Ce n’est donc ni blanc ni noir, on est toujours sur un fil, ton investissement dans le groupe peut te déconnecter socialement, mais les gens fabuleux que tu y rencontres peuvent aussi te sortir des pires guêpiers.
Tu as parlé de punk tout à l’heure, et là ce que tu nous décris c’est « No Future ». Tu as 18 ans et le bac tu t’en fous.
Selim : On était une génération de gosses comme ça. On vivait le moment présent. C’était hyper spontané. C’était notre spontanéité qui faisait notre force, et notre faiblesse. Et c’est pour ça qu’on a eu des mecs au-dessus qui nous ont appris la rigueur et comment on pouvait transformer de l’énergie brute, la canaliser pour réaliser des projets plus structurés. C’est là qu’on a réussi à faire des trucs bien une fois qu’on a réussi à structurer cet excès d’énergie, je pense.
Boat : Cette adrénaline en fait, tu la vis dans le groupe, et c’est peut-être le truc qui me manque le plus. C’est que tu vis chaque jour. Enfin oui dans un groupe tu vis chaque jour. Tu les vis, c’est fort en fait ce qu’il se passe.
Pas seulement les matchs ?
Selim : Non.
Boat : Tu sais à l’époque, il y a eu Claude Askolovitch qui a fait un déplacement avec nous. Il avait dit « mais en fait on peut faire un road-movie sur vous ». Il y a tellement de gens différents et de caractères forts, et d’histoires, c’est intense. Tu vis des trucs où tu te dis (il est pensif)… Oui, c’est intense. Aujourd’hui s’il y a un truc qui me manque c’est un peu ça. Les matchs du PSG, moi je ne les regarde plus.
Bobine : De toute façon tu étais dos au terrain toi !
Boat : J’en ai plus rien à foutre. Mais c’est vrai que la vie de groupe me manque plus que les matchs du PSG, c’est clair. Après, est-ce que PSG ou groupe ? Je ne sais pas moi. C’est les deux. On s’est construit ensemble. Et on s’est construit aussi bien ensemble que par opposition. Parce qu’on se considérait un peu comme les gardiens du temple par rapport à l’institution PSG, ou en tout cas à l’entreprise. Il fallait qu’on préserve l’institution PSG, c’était notre rôle. Donc on s’est un peu construit contre, contre l’actionnaire ou des choses comme ça. Mais moi mon club, même si aujourd’hui je m’en fous des matchs, c’est Paris. Je ne serai jamais supporter d’un autre club. Et en même temps je ne me carterai jamais dans un autre groupe. Je suis Supras, et de toute façon je ne serai jamais rien d’autre. Et comme dit Selim, si demain je devais retourner au Parc, ce serait avec la bâche SUPRAS. On l’a toujours. On vient, on la pose …
Vous êtes tous des pères de famille, si vous sentez partir vos enfants dans cette direction, ce sera quoi la sensation ?
Bobine : Quand tu deviens père de famille, tu réfléchis très différemment « qu’est- ce qu’ils ont du s’inquiéter ». et tu as comme des flash-back bien plus tard. Dire à ta mère « je vais en Roumanie quelques jours, t’inquiète pas, on part en bagnole avec des potes », sans lui donner le moindre détail et on finit dans un hôtel à 15 balles, limite de passe, Je m’imagine très difficilement dans ce scénario avec mes gamins.
On parlait plus du côté gamin qui vrille, dans la tribune.
Bobine : Cela peut te donner un but dans la vie, mais les parcours de vie sont tellement différents et nombreux. Cela peut se révéler très formateur mais également dévastateur. Selim l’a très bien expliqué.
Boat : Un but, mais en même temps ça peut être destructeur. Si tu n’as pas des gens qui sont vigilants, ça peut être super destructeur.
Bobine : C’est là pour moi que ta famille intervient ou pas en te donnant des valeurs et des garde-fous. Cela a été essentiel pour ma vie en tribune pour savoir où aller, connaître les limites et ne pas te mettre dans une situation avec un aller simple. Mon QG est ma famille. C’est primordial.
Selim : Il y a des gens que ça a détruit. Parce que là on parle des bons côtés. Mais ça ne s’est pas toujours bien passé, il y a des profils qui se sont cassés la gueule aussi. Je pense qu’il y a plein de gens qui n’allaient pas bien à un moment et qui ont trouvé des ressources dans le groupe pour repartir de l’avant. Même des gens qui ne sont pas restés longtemps. Il y a des mecs qui se sont sur-investis pendant un ou deux ans parfois et qui ont disparu ensuite. Vraiment. Des mecs qui ont fait un grand chelem, deux ans après, clac, c’était fini. Pourquoi ? Parce que le groupe jouait pour certains un rôle de parcours initiatique. On a donné beaucoup de confiance à plein de gens qui en manquaient, à un moment de leur vie ! Enfin, c’est bizarre tu vois, on a un petit peu tous les parcours. Il y avait aussi des mecs sans repère ou avec un contexte familial difficile, dont le père était absent, tu as plein de gars et plein de profils comme ça. Des mecs que leur famille ne pouvait pas gérer. Le problème ce n’est pas toujours la famille. La famille elle fait ce qu’elle peut. Mais en fait toi tu débordes, tu sors du cadre, et tu trouves ailleurs les figures de paternité dont tu as besoin pour te construire en tant qu’adolescent. C’est un truc super important quand tu es ado ou jeune adulte d’avoir des figures qui t’inspirent finalement.
Boat : Sachant qu’on ne laissait pas tout passer. Loin de là. Et des gars comme ça quand ils se retrouvent dans de sales draps et que toi tu vas le chercher, au fond du trou, et qu’il y a sa mère, qu’il y a ses sœurs, tu sais que c’est important pour lui et tu sais que la maman est là, mais que c’est important que tu sois là aussi. Voilà.
A différents moments du groupe où vous en avez été les leaders, avez-vous senti ce rôle social que vous aviez ? Notamment après avec le local ?
Boat : Oui. Après je vais te dire un truc. En fait c’est un truc de fou. Mais tu te retrouves avec un pouvoir de dingue. Je ne sais pas comment l’expliquer. Moi en tribune, quand je bougeais un sourcil, il y a un truc qui se passait … je ne pouvais pas le faire tout seul en fait. Quand tu montais dans le bloc, tu te retrouvais avec tout de suite cent types, deux cents types derrière toi. En fait tu renvoyais un truc aux gens. Ils t’écoutaient.
Selim : Le gamin, il n’écoutera jamais son père, ni sa mère. Mais toi, il va t’écouter.
Boat : Il va t’écouter oui.
Selim : Tu te substitues en fait. Moi je l’ai senti en tant que gamin qui dérape, qui trouve un cadre ailleurs. Et je l’ai senti plus tard de l’autre côté du miroir auprès de gamins qui pouvaient vriller et à qui on disait « Va faire ta formation » ou « ce week-end, tu bosses tes examens, tu restes à la maison ». On jouait sur les différentes cordes de la relation parentale finalement : bienveillance et accompagnement, mais aussi remontrances et privations !
Cela ne t’a jamais grisé, ou à l’inverse fait peur ?
Boat : Grisé non. Mais après c’était chiant. Des fois tu voulais régler des trucs et tu ne pouvais pas. Mais non, pas grisé.
Pur produit de la formation à la nantaise, Fabrice Poullain a décidé de quitter
le nid des canaris pour rejoindre le PSG en 1985. Un choix judicieux puisque
le club de la capitale sera couronné pour la première fois champion de France,
lors de la saison 85-86. Des souvenirs impérissables, Fabrice en a pleins,
et il nous en a fait part durant cette interview où l’amour du foot prédomine toujours.
Comment commences-tu le football ?
J’ai commencé à jouer au foot avec mon frère aîné. Je viens d’une famille de footballeur. Mon oncle aurait pu s’engager dans un club professionnel mais il était boulanger et à cette époque tu n’avais pas les mêmes perspectives qu’aujourd’hui. On allait donc voir jouer mon oncle. Il m’avait donné un ballon fait en vessie avec des coutures. C’était donc un ballon en cuir véritable ! On avait un terrain de foot à côté de la maison et on passait notre temps à jouer avec mon frère après l’école.
C’était quelle année ?
Vers 1972. J’étais en Charentes-Maritime. J’ai commencé Poussin-Pupilles, ces catégories qui n’existent plus aujourd’hui. Puis je suis allé en sport-études à Angoulême. Je jouais en même temps pour les cadets nationaux, aujourd’hui ça doit être les U15. On avait une équipe à Saintes. A cette époque j’avais remporté le concours du jeune footballeur, j’avais été présenté en ouverture de la Coupe de France entre Nancy et Nice en 1978. Puis j’ai fait toutes les catégories en équipe de France. A l’issu de ma seconde, je suis parti au centre de formation de Nantes. J’avais plusieurs propositions. Sochaux, Saint-Etienne, mais Nantes, c’était à côté de chez mes parents. Et puis c’était la formation à la Nantaise. J’ai signé aspirant. On n’était que deux. J’étais avec Pierre Morice. On avait vécu 6 mois à l’hôtel le temps que le centre de la Jonelière se termine. On a retrouvé la génération d’avant-nous à l’ouverture. Ayache, Bibard, Touré, Picot… Puis j’ai enchaîné aspirant deux ans, stagiaire un an au lieu de trois et j’ai signé professionnel derrière. C’était en 1980.
Tes parents étaient derrière toi dans ce choix de carrière ?
Mon père m’a toujours soutenu. Il m’emmenait à droite, à gauche tous les week-ends. Mes parents avaient aussi des amis proches de Raymond Kopa. Je l’ai rencontré plusieurs fois. Il avait conseillé à mes parents de me donner la possibilité de faire ce métier. J’ai aussi rencontré Michel Hidalgo. J’ai eu la chance d’être entouré. Ils ont cru en moi.
Pourquoi avoir décidé de quitter le nid nantais pour aller à Paris en 1985 ?
Dans la vie en générale, je me remets tout le temps en question. J’aime les challenges, les nouveaux projets. Je suis capable de repartir de zéro. J’arrivais en fin de contrat avec le FC Nantes. Max Bossis et Thierry Tusseau étaient partis. Il y a deux trois petites choses qui avaient déstabilisé la famille du FC Nantes. Et j’étais quelqu’un d’ambitieux. Je voulais avoir la chance de jouer en équipe de France. Je voulais passer un palier. Quand le PSG m’a contacté, j’ai dit oui tout de suite. J’ai rencontré le président Borelli qui a été très honnête avec moi. Je n’étais pas son premier choix. On était deux à Nantes dont il avait coché le nom. Le deuxième c’était Seth Adonkor. Mais il s’est tué en voiture en 1984 dans un accident terrible durant la saison. C’était très dur. Je n’aime pas dire ça, mais j’ai bénéficié d’un concours de circonstance. Mais je me suis toujours dit que je me devais de faire quelques chose à Paris, pour la personne qui était partie et qui devait surement signer à ma place. C’est aussi pour ça que j’ai accepté de signer.
Il y avait un nouvel entraineur à Paris, c’était Gérard Houillier. Je suis arrivé avec 10-12 nouveaux joueurs. La première fois au Camp des Loges, il m’a même demandé qui j’étais. Il ne m’a pas reconnu tout de suite, car on était nombreux. Je suis donc arrivé dans un univers que je ne connaissais pas mais j’ai passé trois années exceptionnelles dans ce PSG du président Borelli. C’était un grand monsieur. Il avait ses qualités et ses défauts, mais il avait réussi à créer un club familial avec de très grands joueurs. En plus on a été invincibles dès ma première année. On a gagné le tournoi de Paris, le titre de Champion de France 1985-1986. J’étais sur mon nuage. Mais j’ai bossé comme un fou. Il y avait du monde au milieu. On avait fait un stage de pré-saison au Pays-Bas et tout le monde s’était battu pour gagner sa place.
Tu as joué avec Safet Susić et Glenn Hoddle. Lequel pour toi était le plus fort.
C’est compliqué car ce sont deux joueurs de très grand talent. Safet était beaucoup plus dribbleur. Après dans ma position, c’était simple. Dès qu’on était embêté, on leur filait le ballon et ça ressortait propre. Glenn était plus un passeur. Il était capable de donner des ballons de 50 mètres dans les pieds. Safet était plus individuel mais à lui tout seul il pouvait faire basculer un match. Techniquement il pouvait tout faire. Et puis c’était deux super mecs.
Sur la saison du titre en 86, est-ce que le club était Susić dépendant ?
Safet pouvait, comme je le disais, faire la différence à lui tout seul. Mais honnêtement avec cette équipe-là, tu pouvais aller loin. On avait Joël Bats dans les buts, Philippe Jeannol, Jean-Marc Pilorget, Luis Fernandez, Dominique Rocheteau… On était hyper complets. Mais dans ce collectif tu avais l’individualité de Safet qui ressortait et qui te permettait d’être au dessus. Bien-sur il a été important mais il y en a plein d’autres qui l’ont été tout autant.
Pourrait-on faire un parallèle aujourd’hui entre Safet et Neymar ?
Il y a des joueurs qui sont supérieurs dans un domaine mais si on ne leur met pas des joueurs autour capables de leur permettre de s’exprimer pleinement, ils ne font rien. Neymar a beaucoup de joueurs avec lui qui courent, qui lui donnent de bons ballons, qui sont là pour l’encourager. Neymar est un footballeur hors-norme mais il ne peut pas joueur tout seul. Je préfère dire qu’il est un joueur différent mais qui a besoin d’un collectif pour se réaliser.
Deux années après le titre de 86, le PSG vit une saison très compliquée. Comment as-tu vécu cette lutte pour le maintien ?
Il y a eu plusieurs raisons à cela. Pour commencer il y a eu le départ de Luis Fernandez pour le Matra Racing. Le recrutement avait déstabilisé le groupe. En avant-centre on avait Jules Bocandé, Vahid Halilhodzić, Dominique Rocheteau et Safet Susić. Faire jouer ces 4 joueurs en même temps ce n’était pas simple tactiquement. C’était aussi compliqué pour trouver l’équilibre entre ces fortes personnalités. Et à Paris tu as une pression différente. On n’a peut être pas su la gérer en tant que joueurs. Après 86 il y a eu une euphorie énorme. Progressivement il y a eu une usure. Et quand ça part mal, ça finit rarement toujours bien. Le groupe s’effiloche, les joueurs pensent plus à eux qu’au club. C’est comme ça qu’on met une équipe et un club en danger. Il a fallu se battre jusqu’à la fin pour se maintenir.
Sur tes 3 saisons à Paris, est-ce qu’il y a un joueur qui t’a marqué plus qu’un autre ?
C’est Luis. Quand je suis arrivé il m’a pris sous sa coupe. Luis est entier, il est issu d’un contexte où il a toujours besoin de prouver. C’était pareil pour moi. J’étais jeune, j’arrivais de Nantes, je ne trichais pas, je donnais tout. Là-dessus on s’est tout de suite entendu. On était tout le temps ensemble, sur et en dehors du terrain. Il m’a permis de grandir.
Des anecdotes avec lui ?
Il y en a plein. Luis a toujours été un passionné de chevaux. Je me souviens qu’on partait à Chantilly le matin tôt avant le levé du jour pour aller voir les chevaux s’entrainer.
Au niveau sportif, il y a des matchs qui sont restés ?
Le match du titre face à Bastia en 86 bien-sur. C’était une fête incroyable. Mais cette année-là, le Parc des Princes c’était quelque-chose. C’est le stade qui m’a donné le plus d’émotions. Très honnêtement, à chaque fois que je rentrais sur la pelouse, j’avais la chaire de poule.
Pourquoi quitter Paris en 1988 ?
J’avais perdu ma place en équipe de France. Je voulais un nouveau challenge pour rebondir. Et il s’est passé des choses pas bien à mes dépends. J’étais en fin de contrat et j’ai donc décidé de partir. Je suis allé à Monaco car je pensais que c’était le mieux pour moi mais je crois que j’aurais mieux fait de rester à Paris. J’ai fait une erreur sportive.
Tu as occupé un poste de Coordinateur Sportif à l’AS Monaco lors de leur parcours jusqu’en finale de Champions League en 2004. Comment juges-tu la façon dont ils ont géré ce parcours, comparativement au PSG qui s’arrête souvent en 8ème ou en quart.
Avant tout c’est une question de mentalité. Quand je suis arrivé, le club devait être rétrogradé par la DNCG. Tous les joueurs, que ce soit Ludo Giuly ou Jérôme Rothen, avaient décidé de rester pour permettre au club de garder sa place et de rebondir. On avait fait une très bonne année. Et tous ces joueurs voulaient découvrir la Champions League avec Monaco. A la base, c’est une aventure humaine avant que tous les autres éléments ne viennent rentrer en ligne de compte. On a aussi eu la chance d’aller chercher Fernando Morientes suite à la blessure au Parc de Shabadi Nonda. Fernando a été le déclencheur de part son professionnalisme et son humanité. Il ne pouvait rien arriver à ce groupe. Tous les joueurs que compte aujourd’hui l’effectif du PSG, sont de grands joueurs. Ils ont tout connu d’un point de vue international. Ils sont hyper médiatisés. Pour gagner une C1, avant d’avoir des individualités, il faut une mentalité différente. Et on le voit bien, car je suis toujours le PSG, dans les matchs importants il n’y a pas toujours un groupe unis à Paris. On ne sent pas un homogénéité comme on l’avait à l’AS Monaco. Je ne remets pas en question la valeur des joueurs. Mais il faut une envie folle de faire gagner le club quand on dispute la Champions League. Il y a toujours des histoires à Paris avant ces grands matchs. Pour exemple, pourquoi on a fait un mauvais match face à Porto en finale avec Monaco ? Ludo Giuly s’était blessé très vite certes, mais il y avait eu des histoires en interne avant ce match. Le groupe s’était fissuré. Et donc sur le terrain c’était pareil. Normalement il ne doit rien arriver à ce PSG-là. Et on verra tout de suite si les mentalités ont changé d’ici peu.
Le match retour face à Dortmund a donné quelques signes encourageants ?
Oui mais c’était un match particulier, sans public, dans un contexte très spécial. Et puis je vais être honnête, même si je leur souhaite de gagner cette compétition, cette année ce ne sera pas la vraie Coupe d’Europe. Ce sera certes un titre, mais avec un final comme ça, sur des matchs secs sans public, pfff… ce n’est pas la Coupe d’Europe. Et sans supporter le foot ce n’est rien. Il faudra donc la regagner la saison prochaine, ah ah ah.
Tu es donc resté supporter du PSG ?
Je ne suis pas parisien mais on m’a donné la possibilité de jouer au PSG, j’ai vécu en osmose avec la ville. Quand tu as la chance de descendre les Champs-Elysées en Renault 5 GT Turbo (prime de victoire du championnat), que tu fais la fête, tout ça à 24 ans, c’est génial. Et puis cette saison-là, on avait décrété avec tous les joueurs de l’effectif que nous allions manger avec nos femmes dans un restaurant parisien après chaque match à domicile. Et dans un restaurant différent. Dans une pizzeria à Neuilly, aux 3 obus… On tournait. On avait créé une vraie relation avec les supporters et les gens car on était proches d’eux, on était accessibles. C’était important et j’ai vécu des choses qui resteront au plus profond de moi pour toujours. Bien-sur tout a changé aujourd’hui. Tout est beaucoup plus feutré, stricte.
Parlons du présent. Aujourd’hui tu travailles avec l’équipe féminine des Chamois Niortais. Raconte-nous cette aventure ?
Ça faisait 25 ans que j’étais à Monaco. Ma famille me manquait. Ils sont à l’Ile D’Oléron. J’avais besoin de me rapprocher d’eux et de retrouver certaines valeurs. J’ai monté un projet de chambres d’hôtes. Mais à un moment le football me manquait trop. J’avais besoin de retrouver le ballon, les discussions d’avant match etc… Je suis retourné à Paris passer des diplômes où j’ai retrouvé des anciens comme Martin Djetou, Sammy Traoré. J’ai passé mon B.E.F (Brevet d’entraineur de football) pendant une année. J’ai rencontré également Gregory Malicki, ancien gardien du Losc et d’Angers qui m’a parlé du projet féminin à Niort pour lequel les dirigeants cherchaient quelqu’un. La Coupe du Monde en France se profilait. J’ai commencé par entrainer l’équipe puis je suis devenu responsable de la section féminine. Ça fait maintenant 3 ans. L’objectif est de monter en D2 nationale. C’est un gros palier mais on a tout restructuré. On a créé un sport-études à Niort. C’est un énorme travail, j’y suis du lundi au dimanche mais avec un retour extraordinaire de ce monde féminin.
Tu retrouves une certaine fraicheur par rapport à tes débuts ?
Complètement. Je retrouve un jeu sans calcul, un investissement sans arrière-pensée. Personne ne se plaint et ne triche. Les filles s’entrainent 3 fois, bientôt 4 fois par semaine. Elles sont à l’école ou travaillent. Il y a une rigueur et une écoute qui est très intéressante.
Tu te vois continuer encore longtemps dans le foot ?
Aujourd’hui j’ai 58 ans. Je sais que les nouveaux challenges vont devenir plus compliqués. On est un peu une génération oubliée. Chez les jeunes, personne ne se souvient de Fabrice Poullain capitaine du PSG ou joueur de l’équipe de France. Il faut savoir l’accepter. Pour l’instant je suis bien là. Mais je ne vais pas continuer jusqu’à 80 balais, surtout qu’il y a des jeunes derrière qui sont super bons. Et les mentalités, les exigences, les centres d’intérêt ont changé. A un moment il faudra prendre un peu de recul.